Introduction à l'ouvrage

Quinti Horatii Flacci Opera

Parisiis, ex typographia Firminorum Didot,
MDCCCLV


 

AU LECTEUR

Les anciens typographes prenaient soin d'informer le lecteur du mérite que pouvait avoir l'édition qu'ils lui offraient, soit sous le rapport du texte, soit sous le rapport typographique.

Il est regrettable que cet usage soit tombé en désuétude ; c'était en quelque sorte une obligation de ne présenter son livre au public qu'avec un certain décorum ; aussi les bibliophiles conservent-ils encore avec reconnaissance un grand nombre de ces anciens livres dont le mérite littéraire est suranné, mais le zèle et le sentiment d'affection paternelle du typographe qui a pris son de les embellir soit de beaux frontispices gravés avec art sur bois ou en taille douce, soit de vignettes et lettres ornées décorant le texte, leur maintiendront toujours une valeur justement méritée;

Si, pour cette nouvelle édition des poésies d'Horace, les détails dans lesquels je crois devoir entrer paraissent d'un faible intérêt aux lecteurs, je les prie de vouloir bien les accueillir avec cette indulgence que les anciens imprimeurs réclamaient et obtenaient de la bienveillance du public, lorsqu'ils croyaient devoir l'informer de ce qui concernait leur typographie.

Reproduire au dix-neuvième siècle la charmante édition d'Horace donné par les Elzeviers en 1676, en l'améliorant toutefois quant au texte et aux commentaires, à l'aide des travaux critiques postérieurs à Jean Bond (1), et en donnant à la partie typographique des soins pareils à ceux qui ont rendu et rendront à jamais chers aux amis des lettres ce chef-d'oeuvre typographique du dix-septième siècle, fut un des projets de mon enfance.

A cet effet, j'avais gravé, il y a déjà près d'un demi-siècle, à côté et avec les avis de mon père qui a mérité d'être appelé "Stephanorum aemulus, musarum cultor (2), " les caractères destinés à cette édition d'Horace ; mais les révolutions qui m'ont faire voir six générations de rois et d'empereurs, les occupations typographiques et littéraire inhérentes aux grands publications entreprises par notre maison, enfin mille obstacles dont continuellement ajourné le projet de reproduire dans un petit format les poésies d'Horace, auxquelles mon oncle Pierre Didot a élevé un monument typographique digne de ce chef-d'oeuvre éternel de l'esprit humain.

Compagne assidue des promenades et des voyages de quiconque aime la poésie, cette charmante édition d'Horace donnée par les Elzeviers, si portative et cependant si lisible malgré l'exiguïté des caractères, ne me satisfait pas complètement, soit sous le rapport du texte, qui a reçu tant d'améliorations depuis plus de deux siècles que parut celui de Jean Bond, soit sous le rapport du commentaire, qui, malgré son admirable lucidité, est souvent incomplet, quelquefois même prolixe et généralement inférieur aux progrès que l'intelligence de l'antiquité a faite de nos jours.

(suivent des commentaires sur l'aspect littéraire de cette édition)

Alde l'ancien est le premier qui nous a donné une édition portative d'Horace, et c'est par ce poète et par Virgile, imprimés tous deux à un mois de distance dans l'année 1501, qu'il a commencé la publication de cette série d'éditions en un petit format qui fit alors une véritable révolution dans la typographie et même dans la république des lettres. Aux lourds formats in-folio et in 4°, dans lesquels soixante et dix étêtions d'Horace avaient paru antérieurement à celle d'Alde, fut substitué ce format si commode pour la lecture. Les caractères gravés par François de Bologne, à l'imitation de la belle écriture de Pétrarque, ajoutèrent un nouveau charme à ces éditions.

(1) Le commentaire de Jean Bond a paru à Londres en 1606.
(2) Cette inscription, écrite par Girodet au bas du portrait de son ami, exposé au Louvre parmi les plus beaux dessins de l'école française, ne fut pas accueillie par mon père sans de grandes restrictions, lui qui, dans la comparaison qu'il a faite d'Alde et de Henri Estienne, déplorant la mort à l'hôpital de Lyon du typographe qui fut l'honneur de la France, s'écrie :
Manibus date illis plenis.
Purpureos spargam flores ; non, Gallia, tanto
Rursum te poteris jactare typographo ; et ultra
Sit sperare nefas !

...

Au mérite littéraire de notre édition nous avons voulu, mon frère et moi, joindre quelques autres améliorations dues en grande partie à nos parents et amis ; ainsi c'est à mon gendre M. Noël des Vergers, que l'on doit la vie d'Horace servant de prolégomènes. Les nouvelles recherches qu'il a faites sur les lieux ont indiqué avec plus de certitude l'emplacement de la maison d'Horace ; et le plan que l'habile ingénieur, M Rosa, a dressé des environs chantés et parcourus par le poète, dont l'un de nos amis, M. Benouville, a dessiné les vues, ajoutera un grand intérêt à notre édition (1) . C'est aussi pour elle qu'un autre ami non moins cher aux beaux-arts, le peintre Barrias, a dessiné les sujets placés en tête des poésies auxquelles ils se rapportent ; le sentiment si vrai de l'antiquité nous reporte au temps d'Horace.

(1) Ces vues font parte de l'édition encadrée en rouge.

Pour quelques exemplaires, la photographie, cette merveille de notre siècle, a reproduit les dessins mêmes de M. Barrias, dont on pourra ainsi posséder autant d'originaux réduis à de moindres proportions. Pour d'autres exemplaires, les gravures ont été exécutées par M. Huyot, habile artiste graveur de notre établissement, d'après un procédé où l'électricité, au moyen de l'or et des acides, reproduit en relief la gravure en creux. C'est aussi d'après cet ingénieux procédé qu'est gravé le frontispice qui représente Virgile introduisant Horace au séjour de l'immortalité.

Les ornements du titre, dessinés par M. Catenacci et gravés par M. Lemaitre, offrent le portrait d'Horace d'après la médaille de notre Bibliothèque impériale ; c'est par le procédé mécanique de Collas, autre invention de notre époque, où l'objet se reproduit lui-même par l'effet de la mécanique, que nous offrons cette effigie d'Horace.

Enfin, le papier, extrêmement solide et à l'abri de l'injure du temps, a été fabriqué par les soins de M. Planche, dans notre fabrique de Sorel, près Anet, là où, pour la première fois en France, le papier, au moyen d'une toile métallique elliptique, est sorti illimité dans sa longueur ; ce présent inespéré de l'industrie de notre siècle permet de suffire à ses besoins incessants (1) .

Le soin difficile de la composition et de l'ajustement de la glose encadrant les vers a été confié à M. Théotiste Lefevre, l'un des chefs de notre typographie, dirigée par M. Lainé, ancien élève de l'établissement paternel.

Maintenant que nous sommes heureusement secondés par nos fils, qui bientôt vont nous remplacer dans notre longue carrière, c'est comme adieu à la typographie si chère en tout temps à notre famille, que nous donnons cette édition d'Horace. Elle sera suivie bientôt de celle de Virgile et des chefs-d'oeuvre littéraires de tous les pays publiés par les soins de nos enfants, qui conserveront, avec leur dévouement pour la typographie, l'amour des lettres, des sciences et des arts.

Ambroise Firmin Didot
Parie, le 1 juillet 1855.

(1) Nous regrettons que les caractères n'aient pu être fondus dans l'établissement paternel ; mais, en 1836, lorsque la mort vint nous priver, à quelques mois de distance, de notre vénérable père, encore plein d'énergie, et de notre plus jeune frère, qui dirigeait nos fabriques et notre imprimerie du Mesnil, le poids des affaires, qu'aggravait l'incendie de notre papeterie survenu peu d'années auparavant, nous força, mon frère et moi, de nous séparer, à notre grand regret, de notre fonderie de caractères.

Nota. Le charmant petit caractères microscopique servant aux notes de cet avertissement a été fondu par les soins de MM. Laurent et Deberny. Nous regrettons que le temps ne nous ait pas permis de faire exécuter une fonte de caractère encore plus petit gravé par notre cousin Henri Didot, et qui a servi aux précieuses éditions "d'Horace" et des "Maximes de la Rochefoucauld". Le temps ajoute chaque jour un nouveau prix à la rareté de ces bijoux typographiques.


Ambroise (1790-1876) et Hyacinthe sont les deux fils de François Firmin-Didot (1764-1836). Wikipedia.

Ci-dessous, photogaphie de la première page du "AU LECTEUR"
Dimensions réelles d'une page : 83x140 mm

DIdot