PRINCIPES DE COMPOSITION

Dr Ch. Funck-Hellet.

extrait de : Ch. Funck-Hellet : Composition et nombre d’or dans les oeuvres peintes de la Renaissance. Proportion, symétrie, symbolisme. Editions Vincent Réal, Paris 1950.

I TRILOGIE FONDAMENTALE

L'oeuvre de composition suit une succession de phases à logique irréversible. Enumérons les marches de perfection qui font aboutir la pensée de l'artiste, en une sorte de résumé des règles que ce livre a pu mettre en évidence.

Avant toutes propositions sur la composition, posons cette trilogie fondamentale trouvée dans les oeuvres magistrales de la Renaissance italienne :

1. Une composition n'est valable que si elle s'intègre dans le cosmos, en particulier si elle a des proportions équivalentes à celui-ci, à celles de l'homme, lui-même facteur inséparable de l'organisation des mondes. La proportion divine a paru la plus parfaite expression commune entre le monde, l'homme et l'oeuvre.

La proportion est la base du rythme de l'oeuvre.

2. Une composition bien proportionnée ne devient valable que par symétrie incluse, destinée à faire ressortir le sujet principal.

La symétrie, en principe indifférente, est l'animatrice de la structure proportionnelle qui, elle, est impersonnelle.

3. Une composition ne prend sa valeur de message que si elle a un fond spirituel, une signification, un sens profond. Celui-ci plus ou moins caché, devient symbolique.

Proportion, symétrie, symbolisme concourent à la perfection de l'Oeuvre.

II. PROPOSITIONS SUR LA COMPOSITION

Avant de composer, le peintre de la Renaissance, conscient de l'enseignement reçu dans sa jeunesse, devait suivre les principes suivants :

1. Peser longuement son sujet, le méditer, préparer par la pensée la composition (Michel Ange), savoir exactement les données du problème à établir sur la surface à peindre. (Programme des donateurs).

A défaut d'un programme imposé - les artistes de la Renaissance suivaient scrupuleusement le leur - échafauder un système cohérent, logique, trouver  une idée-sujet, une dominante, une seule et non un arrangement fortuit de sujets, d'objets, de masses, de couleurs. En un mot, le cerveau doit être le maître de l'oeuvre.

2. Cristalliser son sujet en une forme initiale, sorte de symbole représentant, la logique le veut, l'idée qui a conduit au sujet (Raphaël, l'Ecole d'Athènes). Ainsi l'esprit, autant que les yeux, trouvent à se satisfaire. Comme il n'y a qu'une idée dans une composition, il n'y aura qu'un point principal.

3. Laisser l'instinct établir cette forme schématisée, sans intervention de la raison "déraisonnante" ou trop raisonnante, celle qui fait défaire cent fois le dessin du premier jet comme on l'a vu pour Delacroix.

4. Conserver la forme initiale convenablement choisie à travers tous les dédales de la composition, forme première, guide constant vers un même but. La première forme contient toutes celles qui vont naître. Elle peut être perfectionnée sans cesse, amis dans une même pensée, dans un même esprit, sur la même trame.

Sans forme qui guide, pas de fil directeur. L'esprit se disperse et perd le meilleur de son ardeur à défaire et à reconstruire. Il s'aigrit à ne pas aboutir et se décourage.

La forme choisie, et c'est le plus difficile (Michel-Ange y passait des mois), la meubler de telle façon qu'elle fasse un TOUT, une image forte, naturelle, équilibrée, harmonieuse et vivante. Alberti y convie.

5. Arranger avec un sentiment aigu du nombre. Par voie de la logique choisir les quantités de figurations bonnes à étayer l'idée du sujet à traiter. Ni trop, ni trop peu. Une adjonction, une suppression ne doivent pouvoir être faites sans détruire la construction.

Logique de quantité. Affaire de jugement esthétique et de logique.

Le rapport convenable des parties claires et des parties foncées (entrevu par Rubens : clair 1, foncé 4) est à la base des compositions de la Renaissance. Le calcul de ce rapport est encore à faire.

6. Chercher les valeurs de qualité, convenant au sujet. Faire l'unité de style par une facture appropriée au sujet. Trouver en somme la logique de la qualité. Les facultés visuelles de l'artiste conditionnent en partie le style; le caractère s'affirme dans cette recherche et donne le ton de l'ensemble. Affaire de caractère et de comportement physiologique.

7. Choisir les valeurs de position, les rapports réciproques de toute les parties, en organisant l'ensemble, indépendamment de tout système proportionnel. Une base constructive de cette organisation est dans la forme initiale, reflet du sujet de l'idée, forme restant le grand guide. Affaire de goût sur lequel l'artiste sera jugé par ses pairs.

8. Faire ressortir une dominante et une seule, car l'oeil ne peut voir qu'une chose à la fois (Léonard de Vinci). Soutenir la dominante par ce qui l'entoure. Affaire de contraste, la primauté pouvant être donnée tantôt à la dominante, l'entourage étant faiblement attractif, tantôt à l'entourage, la dominante devenant une zone de calme voulue (voir § 16).

9. Faire participer l'oeuvre émanée de l'homme, de son propre être, de la proportion de celui-ci, de son unité. Approcher l'oeuvre de l'harmonie des êtres vivants. L'oeuvre vivra d'une vie secrète, organisée, humaine et non pas arbitraire et désordonnée. Pour accéder à cette beauté UNE, assembler toutes les données précédentes en un faisceau unique, harmonieux, que seul lui donnera un système aux récurrences illimitées, à savoir la proportion divine au réseau rythmique.

10. Etre bien convaincu que, par lui-même, le réseau proportionnel n'a aucune qualité d'art. Dépourvu de dominante, il forme un ensemble, certes, rythmique, mais neutre, froid. Il est d'un ordre géométrique. Le réseau proportionnel ne créer pas l'oeuvre d'art. Il est support d'harmonie.

11. Composer suivant une forme trouvée d'instinct, l'ensemble gardant ainsi le principe de vitalité humaine incluse par le geste instinctif. Ne pas composer suivant une trame géométrique, l'ensemble prendrait une froide rigidité impersonnelle.

Mais inscrire dans une forme géométrique de la proportion divine une forme déjà édifiée par l'esprit, c'est conserver à cette forme son impulsion vitale et l'ordonner harmonieusement, le tout et les parties devenant interdépendants dans la même proportion.

12. Inscrire la composition définitive dans un réseau proportionnel, non pas modification forcée dans un moule, mais simple rectification. Le réseau simplifié, né de l'imagination, adopté, puis affermi par un tracé géométrique, doit être logiquement conforme à l'ensemble de la composition.

13. Ne pas croire qu'il suffise de meubler en personnages ou autres figurations les segments d'un schéma bien proportionné, même bien adapté au sujet. Le corps de l'homme n'a jamais que l'aspect d'une larve amorphe. Ce qui lui donne vie ce sont les membres par leur geste plus que les attitudes du corps et de la tête.

Les positions des membres font vivre les corps (Noces de Cana) ; les positions des mains font intensément parler ceux-là (Ecole d'Athènes). Inscrire les axes optiques des membres, des yeux, les attitudes du corps ou de la tête en conformité du réseau (Luini).

14. Savoir que les croisements harmoniques d'un réseau faisant organiquement corps avec le sujet à traiter deviennent des repères nobles du réseau, devant être "figurés" sous une disposition caractéristique dans l'arrangement de la composition.

15.  Adapter aux points saillants ou lumineux, harmoniques les articulations des êtres figurés afin de rappeler que l'oeuvre participe de la vie, de la proportion de l'homme.

Placer ces repères visuels sur les noeuds harmoniques d'un schéma proportionné, c'est "articuler" la composition, souligner la proportion de l'ensemble tout comme sur le corps humain les articulations marquent les rapports proportionnels du corps (Ecole d'Athènes - Présentation de la Vierge au Temple - Le Sommeil, de Luini).

16. Attirer l'oeil vers le sujet principal, guider l'oeil vers le centre d'intérêt par la symétrie paritaire (Michel-Ange, Raphaël, etc.) dans laquelle lignes, masses, couleurs seront égales, inverses, opposées par rapport à un axe de symétrie. Il y aura en plus renversement s'il s'agit d'un centre de symétrie.

Les parties ainsi jumelées peuvent être le sujet principal de la composition, ou encadrer cette partie principale, le plus souvent participer de ces deux parti pris avec prévalence de l'une sur l'autre.

La symétrie affirme le sujet, tend à l'unité de sentiment, apporte une valeur optique, tend à l'unité optique de la composition.

17. Trouver à la symétrie paritaire une place naturelle dans les lignes du réseau proportionnel, pour qu'elle fasse corps avec le réseau. Les masses symétriques feront vivre le réseau impersonnel en créant le point saillant principal, zone d'intérêt de l'oeuvre. La symétrie extrait du tout anonyme le caractère de la composition.

La symétrie amène un ordre voulu, le réseau rythme ne donne qu'un ordre subi.

18. Rendre la symétrie paritaire inapparente à la vie. Si, à première inspection, la symétrie est visible, l'unité de vue est détruite, l'intérêt supérieur de la composition pâtit. L'oeil ne voit plus qu'une documentation méthodiquement disposée, partant sans intérêt esthétique. Invisible à l'oeil, perceptible à l'entendement, telle doit être la symétrie d'une composition.

19. Faire coexister, au besoin, toutes les valeurs de symétrie dans une même composition. En qualité, les parties symétriques seront tantôt semblables en tons, valeurs, couleurs, tantôt dissemblables ou parfois complémentaires. Les parties claires peuvent s'opposer aux parties claires, ou au contraire aux parties foncées. Dans ce dernier cas, des masses creuses peuvent s'opposer à des masses en relief.

20. Procéder judicieusement, comme le veut Platon, à une correction optique afin d'établir l'équilibre parfait (Noces de Cana, Ecole d'Athènes. Un schéma de composition géométrique sera toujours parfait par sa nature. L'image inscrite dans ce schéma ne participera plus forcément à cette perfection, l'équilibre pouvant être rompu par des masses claires et sombres, optiquement inégales.

21. Ne pas se reposer sur ses propres défauts. Au contraire, Léonard de Vinci demande à l'artiste de se corriger.

22. Suppléer à l'automatisme droitier ou gaucher de l'artiste, rectifier les défauts d'une vision parfois irrégulière, se soustraire à la suggestion de l'image créée en retournant cette image et repartir sur une nouvelle donnée, aux défauts doublement apparents.