Retour page d'accueil

 

Informatique et société

par Valéry Giscard d'Estaing, président de la République

Publié notamment par la revue Informatique et Gestion, dans son numéro de novembre 1979, voici le texte de l'allocution du président de la République à la séance de clôture de la semaine "informatique et société" organisée à sa demande du 24 au 28 septembre de cette année.
La séance fut ouverte par le ministre de l'Industrie, puis par un exposé d'Amadou-Mahtar M'Bow, directeur général de l'Unesco. Le président de la République, pour ne pas clore un aussi vaste débat, laissa ensuite la place à Daniel Bell, professeur à l'université d'Harvard, puis à Ivan Illich, écrivain bien connu et notamment créateur du concept de "convivialité".

Monsieur le Directeur général de l'Unesco,
Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,

En vous écoutant, Monsieur le Directeur Général, je me faisais la réflexion que votre présence au colloque international sur l'Informatique et la Société avait valeur de démonstration : elle manifeste, avec une force symbolique, l'importance de l'enjeu culturel de notre débat.

Par sa nature, l'Unesco a charge d'avenir pour notre culture. Votre présence en apporte un nouveau témoignage.

J'ai souhaité que la France prenne l'initiative d'inviter la communauté internationale à réfléchir et à débattre de l'informatique et de la Société.

Je voudrais vous donner, sur ce Colloque, une explication et vous faire part d'une réflexion.

Une explication, d'abord : ce Colloque n'a pas été voulu pour le plaisir de réunir l'une des plus brillantes assemblées intellectuelles du monde.

Nous ne l'avons souhaité, non plus, pour susciter un grand spectacle national et international, au sein d'une société qui n'est, à certains égards, que trop spectaculaire.

Au contraire, notre pays souhaite que s'instaure un débat libre et pénétrant.

La qualité de vos travaux, la profondeur de vos vues, l'attention qui vous a entouré en France e dans le monde montrent que cet objectif a été atteint.

Une réflexion ensuite : notre siècle est-il si différent de celui de Kant : "Ce siècle de la critique à laquelle il fallait désormais que tout se soumette" ? Je ne le crois pas.

Naguère, la religion invoquait sa "sainteté", la législation son "autorité" pour échapper à tout débat critique. De même, la science et les technologies modernes ont souvent allégué leur vérité et leur efficacité pour éviter d'être interpellées sur ce qu'elles sont et ce qu'elles font.

Il devient naturel alors que le soupçon les accompagne. Et pour l'informatique, le soupçon existe dans l'opinion publique : l'informatique est-elle un danger pour l'emploi ? L'informatique menace-t-elle la liberté ?

Votre examen libre et public a contribué à dissiper les injustes soupçons. Il a mis en évidence les vraies faiblesses. Je m'en réjouis et je vous remercie.

Je n'aurai donc pas la prétention de tirer les conclusions de vos travaux, auxquels je n'ai pas assisté.

Je souhaiterais plutôt poursuivre, un instant avec vous, ce débat sur l'Informatique et la Société, en posant mes propres jalons sur le champ de notre réflexion

La portée de cette rencontre entre les techniques puissamment novatrices et notre civilisation présente et future me paraît pouvoir être éclairée le long de trois axes de rechercher :
- le mouvement convergent de l'aspiration sociale, de l'économie et de la technologie - vers des valeurs de qualité et non de quantité ; amorçant un certain effacement de la matière,
- la prédétermination de certains traits d'une nouvelle civilisation,
- la nécessité d'une vigilance individuelle et sociale pour que l'humanité soit assurée de faire bon usage de ces instruments nouveaux.

Le mouvement convergent de la quantité vers la qualité

On observe à la fois, depuis dix ans : une profonde modification des valeurs culturelels, l'apparition de la rareté de l'énergie et des matières premières et le déploiemnet d'une puissante révolution scientifique et technique, illustrée par l'informatique. Convergence ou coïncidence ?

La modification des valeurs culturelles

La société quantitative (la "société de consommation") a connu son plus grand essor de 1960 à 1973. Elle a comporté des aspects apparemment très positifs, la croissance rapide de la production et l'élévation générale du niveau de vie, même si les richesses ont été très inégalement réparties.

Mais elle a présenté aussi d'autres traits : une boulimie d'espace, de matières premières, d'énergie, de béton, la destruction progressive de l'environnement, la pollution des villes et des banlieues.

On eût dit qu'il s'agissait avant tout de produire de grands effets, quels qu'en soient la nature.

Ces excés de la société "quantitative" ont appelé un mouvement de rejet.

Mai 1968, en France, le mouvement californien, aux Etats-Unis, en particulier, ont jalonné la naissance et la croissance de nouvelles valeurs culturelles : la qualité de la vie, le respect de l'environnement, l'écologie, le rejet des très grands "outils" : la création artistique, le sens de la mesure, de la nature et du temps.

Par un singulier effet de clairvoyance sociale, ces nouvelles valeurs ont précédé, et non suivi, l'apparition de la rareté matérielle et énergétique, qui a marqué les années 1975.

La rareté de l'énergie et des matières premières

Je n'insisterai pas sur ce point, il est trop présent à l'esprit de tous.

Le plus extraordinaire n'est pas la découverte des limites de notre sphère, ce fragile vaisseau spatial. Ni la prise de conscience de l'impossibilité d'une croissance exponentielle indéfinie, sur une terre à dimension finie.

Mais bien le fait que les mesures correctrices aient été, dans la plupart des pays, si tardives. Et qu'il ait fallu, pour qu'elles prennent corps, la pression des contraintes extérieures.

La nouvelle révolution technologique

Notre temps connaît une puissante avancée de la connaissance et des techniques.

Il n'est guère de domaines dans lesquels de grands progrès ne soient enregistrés. La physique corpusculaire, les sciences de la terre, l'astronomie, la physique des solides, la science des matériaux, en apportent quotidiennement le témoignage.

L'exemple des technologies de l'informatique et des télécommunications est le plus éclairait :

Plusieurs ordres de grandeur ont été gagnés sur la nature au cours des vingt dernières années en matière de miniaturisation des circuits électroniques, d'accroissement des capacités de calcul et de mémorisation, d'économie de matériaux et d'énergie, de capacité de transport à distance es informations et de densité des réseau.

On construit autour d'une "puce" de silicium de quelques millimètres carrés, un ordinateur qui eût à peine tenu, jadis, dans une salle des machines.

On sait transférer à très grande vitesse des fichiers d'un ordinateur à l'autre, en faisant un détour spatial : le passage par le satellite artificiel est plus économique que l'utilisation d'un réseau terrestre.

Ici, on abandonne progressivement l'optique lumineuse au profit du pinceau électronique pour graver les semi-conducteurs. Là, on utilise, au contraire, la lumière pour transporter de plus grandes quantités d'information dans les fibres optiques.

L'évolution concentre tous ces progrès dans une direction unique : l'effacement progressif du support matériel.

Le "matériel" s'estompe. Le "logiciel" se déploie.

Ainsi, presque simultanément, les valeurs qualitatives de la culture s'affirment, la matière et l'énergie se font rares, la nouvelle technologie de l'informatique et de la télématique efface l'importance du support matériel pour privilégier le programme, l'organisation, le logiciel.

Peut-on voir un signe dans cette convergence ?

Un mouvement instinctif de l'espèce, devenue plus nombreuse, pour s'ajuster à la rareté de l'espace, et à l'insuffisance de la ressource.

Ou s'agit-il de démarches faites à tâtons pour réagir, dans des domaines séparés, aux pressions qu'exercent les nouvelles contraintes.

Prescience ou instinct dépressif ?

J'opte pour la prescience.

La prédétermination de certains traits d'une nouvelle civilisation

Car on aperçoit la prédétermination de certains traits de la civilisation à venir.

J'en évoquerai quatre aspects : l'écriture et le langage, la transformation sociale, la création culturelle, et la place de l' "intelligence artificielle".

L'écriture et le langage

Au yeux de certains, l'informatique est frappée d'une tare originelle. On laisse entendre que la place d'une technique née et développée largement pour satisfaire les besoins des "entreprises", ne peut être que subalterne. Le traitement des fichiers, la gestion, la comptabilité, seraient des tâches médiocres, d'où ne peut surgir aucun instrument culturel. C'est faire montre d'un grand aveuglement.

La naissance de l'écriture sumérienne est due au perfectionnement préalable, pendant plusieurs milliers d'années, des jetons d'argile qui assuraient la comptabilité simplifiée des "marchands".

Du dessin du jeton primitif à l'idéogramme sumérien, la continuité des formes est frappante.

La société "informatisée" verra apparaître une nouvelle écriture et un nouveau langage.

Ce mouvement est en cours, même si nous n'en discernons pas encore tous les contours.

L'écriture, inventée il y a 3 000 ans, a permis la conduite d'une multitude d'hommes en vue d'effectuer un travail coordonné : la pyramide de Chéops est le fruit direct du hiéroglyphe.

De même, l'écriture de l'informatique autorise la gestion des grands programmes complexes : les voyages spatiaux ne sont gérables qu'à travers l'ordinateur.

La rencontre du langage de l'informatique et de la langue usuelle sera riche d'enseignements.

Il est clair qu'ils assumeront dans la société des fonctions sociales différentes. Mais notre esprit devra assurer leur raccordement.

L'une des difficultésde la maîtrise actuelle de notre développement provient, pour une large part, de l'inadaptation de notre langue et des concepts qu'elle suggère.

L'inadaptation croissante du langage conduit au jargon et à l'ésotérisme. C'est ainsi que, progressivement, se perd le contact avec la vérité populaire et avec la réalité des choses.

La transformation sociale

Il n'est pas d'exemple de nouvelle écriture qui n'ait entraîné un mouvement de transformation sociale. L'apparition de nouvelles professions, de nouveaux modes de commandement et de relations entre les hommes sont inscrites dans tout nouveau type de langage.

Un effet majeur de la poussée de l'information sera de lui faire franchir un triple barrage : celui des grandes institutions, celui des cloisonnements techniques, et celui des spécialistes.

L'informatique n'est, actuellement, largement utilisée que pour les grandes organisations : administrations et grandes entreprises. La baisse considérable des coûts va modifier cet état de fait. Les petites enterprises, les artisants, les professions libérales, les petits commerces et les exploitation agricoles vont, au cours des dix prochaines années, pouvoir s'équiper. Les individus et les ménages accéderont à une informatique adaptée.

L'informatique franchira également le barrage des cloisonnements techniques. Les ponts sont déjà largement jetés entre les robots indutriels, les machines à enseigner, la télévision et le téléphone, l'ordinateur et les banques de données. Les techniques se complètent et se confondent pour ne plus fomer qu'une seule génération technologique.

L'informatique franchira, en fin, le barrage des spécialistes. Jusqu'ici, l'informatique avait eu des effets souterrains. On y voit encore un objet de mystère, instrument privilégié des professionnels et des techniciens. L'informatique se tenait à l'écart.

Cette réserve n'est plus de mise.

Le mouvement d'informatisation traverse progressivement toutes les professions.

Dans le domaine de la production matérielle, l'automatisation des tâches autrefois exercées directement par l'homme renouvelle la nature du rapport du travailleur à son outil, la nature du contact entre le main et la matière.

La machine, intelligente ou non, reste subordonnée. Je crois profondément que l'informatique peut aider à une vaste humanisation des machines et non provoquer la robotisation des hommes.

 

La création culturelle

La diffusion de l'informatique et de la télématique introduit un profond changement dans les conditions de la création culturelle. Je souhaiterais souligner plus particulièrement deux aspects de cette tranfsformation : la modification des perceptions sensibles et l'aide à la créativité.

Le mouvement d'informatisation est porteur de ses catégories propres d'espace et de temps.

La télématique, prolongeant et approfondissant les effets des médias contemporains, modifie l'espace en abolissant la distance. Le lointain devient proche.

L'accès immédiat à une immense mémoire sociale impose également une nouvelle conception du temps.

Le passé ne se condense plus dans des archives lointaines et difficilement accessibles. Il ne s'évanouit plus lentement au rythme de l'oubli des mémoire humaines.

Il est, au contraire, toujours présent avec son cortège de signes et ses images que l'on peut réanimer à volonté. L'heureuse formule d'un "temps immobile" a été récemment utilisée.

Je ne crois pas, pour ma part, à l'avènement de ce temps immobile. J'éprouve, en revanche le sentiment d'une nouvelle "disponibilité" du temps.

Certains pensent que ces modifications des perception sensibles provoqueront la disparition des arts traditionnels au proffit des arts de l'écran, particulièrement bien adaptés à l'ère de la télématique.

Ce n'est pas mon sentiment. L'invention du cinéma a non seulement créé un art nouveau, mais transformé, sans les détruire, le roman et les arts plastiques.

La distance "abolie", le temps "disponible" de l'ère de l'informatire renouvelleront les formes de la création artistique sans en effacer les genres. La créativité artistique elle-même, peut être stimulée par l'informatique.

L'exploration systématique et rapide des formes musicales, plastiques, littéraires ou poétiques peut aider le créateur et stimuler la création.

L'influence de l'ordinateur sur la musique contemporaine est déjà sensible.

L'application des méthodes de la "conception assistée par ordinateur" au dessin, à la peinture, à la sculpture, contient une promesse de renouvellement des formes.

La littérature elle-même peut être stimulée par l'exploitation systématique et guidée des "possibles formels". Déjà, certains écrivains, sont la force poétique et les qualités d'écriture sont incontestables se font les chantres d'une combinatoire littéraire.

Je ne crois pas, pour autant, à la naissance de l' "ordinateur poète".

Les nouveaux outils ne doivent avoir une autre place que celle d'aides à la créativité et à la sensibilité propre de l'artiste.

 

Le rôle de l'intelligence artificielle.

Est-ce une intelligence ?

Et va-t-elle se substituer à l'intelligence tout court ?

Je n'entrerai pas dans un débat passionnant qui appellerait de longs développements.

De l'intelligence, l'informatique a la puissance d'analyse, la possibilité de produire une synthèse, et celle de faire apparaître une conclusion qui n'est pas directement lisible dans ses données.

De même, l'informatique est une intelligence qui se souvient. Or l'articulation entre la mémoire et l'intelligence est presque aussi fondamentale pour le progrès de l'esprit que l'articulation entre l'intelligence et l'imagination.

L'informatique est-elle une intelligence qui invente ? C'est une intelligence qui dépasse l'accumulation des données, mais ce n'est pas une intelligence qui imagine.

Ce caractère de l'informatique nous conduira sans doute à mettre l'accent sur ce qui est propre à l'Homme : l'imagination, l'invention de nouveaux concepts scientifiques, la recherche de nouvelles valeurs artistiques, éthiques et morales.

L'informatique ne peut pas être une intelligence qui domine. Mais elle peut être une intelligence qui prépare et qui complète.

La nécessité d'une vigilance individuelle et sociale

Il nous faut assurément être vigilants.

Naturellement, il est nécessaire de discerner les vrais risques et non pas d'insister sur des faiblesses imaginaires ou des difficultés supposées.

On pense aussitôt à la menace sur l'emploi, sur la liberté. La manière dont on prsente souvent le problème des conséquences de l'informatisation sur l'emploi est inexacte. Comme au temps de l'invention du métier à tisser, on ne cite que les emplois menacés, et non les emplois créés, pourtant bien tangibles : ils sont au nombre de 25 000 par an en France, pour la seule informatique.

On souligne les effets négatifs des progrès de productivité réalisés dans la production des biens et des services actuels. Mais on se refuse à voir la naissance de vastes marchés pour des produits nouveaux.

Mais il est vrai que l'informatisation des entreprises peut conduire, à court terme, à des transformations profondes donc traumatisantes.

C'est pourquoi je demande au ministre du Travail, en liaison avec le ministre de l'Industrie, de réfléchir aux propositions qui ont été formulées à ce sujet, au cours de ce Colloque, notament par M. Edmond Maire (Voir ce texte).

Si les faux problèmes ne doivent donc pas nous arrêter, quatre thèmes me paraissent, en revanche, nécessiter une attention particulière
- la liberté individuelle,
- la décentralisation des pouvoirs et des décisions,
- la maîtrise de l'encombrement des informations,
- la préservation de la fraternité entre les hommes.

Il faut d'abord veiller à préserver, avant tout, la liberté individuelle

Je n'insisterai pas sur ce point qui a déjà fait l'objet de nombreuses réflexions.

Le stockage et l'accès direct à des informations qui étaient autrefois consignées par écrit, ou conservées dans le secret des mémoires humaines, peuvent soumettre les hommes à des volontés occultes de savoir et de contrôle.

C'est la raison pour laquelle une législation protectrice a été votée par le Parlement. Une structure de protection et de surveillance a été mise en place.

Il nous faut, en ce domaine, crucial, veiller constamment à ce que le législateur ne prenne aucun retard sur l'évolution des techniques.

Il faut ensuite veiller à ce que l'informatisation soit l'instrument de la décentralisation des décisions

On a dit souvent que l'outil informatique était neutre. Susceptible de se mettre au service d'une centralisation accrue des circuits d'information, il pourrait aussi s'adapter à une conception décentralisée de l'organisation politique, économique et sociale.

Je crois que la réalité est plus complexe. La première phase technologique de l'informatique, celle des très grands ordinateurs, volumineux et coûteux, était vraisemblablement bien accordée à un modèle centralisé.

Les récents développements de la télématique font heureusement s'éloigner ce danger : la diminution des coûts, la réduction des tailles, la multiplication des terminaux à usage individuel font de l'informatique un instrument d'affranchissement et de décentralisation.

Toutes les formes de l'organisation sociale, Etat, ville, entreprises, foyers, devraient en être profondément modifiées pour le plus grand bien des initiatives individuelles.

 

L'informatique devrait éviter la saturation et l'encombrement.

Notre société est saturée.

Dans son organisation matérielle, concentrations urbaines massives et coûteuses en énergie, attentes aux guichets, embouteillages dans les transports individuels ou collectifs. L'informatique peut être l'instrument d'une meilleure régulation, et ainsi contribuer à économiser le temps, les nerfs et l'énergie. Notre société est surtout encombrée dans l'ordre du savoir : l'afflux d'information, la multiplicité des messages, souvent contradictoires, la complexité des savoirs; théoriques et pratiques.

L'excès d'information conduit à la désinformation et à l'indifférence.

Un mauvais usage de l'informatique et de la télématique peut accentuer le désarroi de l'homme contemporain : en plaçant, sous son regard, trop de signes, en faisant miroiter trop de consonances fugitives.

Il faut y prendre garde.

Un grand effort doit être entrepris sans tarder pour que chacun puisse maîtriser l'usage de la machine.

Dès maintenant, l'école va entreprendre cette grande tâche. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que le plan d'informatisation mis en oeuvre dans notre pays fasse une grande place à la formation des élèves et des étudiants.

L'informatique doit enfin accroître la solidarité entre les hommes

Poussé à l'extrême, l'usage de la télématique pourrait être la suprême aliénation.

L'homme deviendrait un consommateur d'images et de signes, placé devant un écran universel, capable de solliciter tous les savoirs, toutes les mémoires et tous les services.

Il n'y aurait plus besoin de se déplacer : l'enseignement, les achats, les consultations médicales, et même l'activité professionnelle se feraient à domicile.

La communication deviendrait abstraite et la révolution, entreprise par la télévision, serait ainsi portée à son terme : le monde entier serait proche, mais l'homme n'aurait plus de prochain.

Tel est le danger ultime : l'informatisation non maîtrisée fait courir le risque de la rupture sociale et de la solitude dans la foule.

Mais, à l'inverse, outil d'une communication accrue, elle peut être un instrument de solidarité et de fraternité, en multipliant les occasions de rencontres et d'échanges.

Cloison ou réseau ?

La langue informatique appelle le même jugement que la langue d'Esope.

 

* * *

Monsieur le directeur général,
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,

En vous proposant ces trois axes de recherche, je n'ai pas voulu faire autre chose que de contribuer à votre intense effort de réflexion.

Comme président de la République, je vous ferai part de quelques conclusions simples, auxquelles la fonction qui m'a été confiée donne valeur d'orientation :

- L'informatique est appelée à apporter de profondes transformations dans notre organisation économique et sociale : ce ne doit pas être une révolution qui s subisse, mais une évolution qui se prépare.

- La France, pays du concept, a une vocation naturelle à développer l'invention, la production, et l'usage de l'informatique. C'est une des orientations fondamentales de l'avenir de notre économie.

- La France doit apporter une attention particulière à prévoir, et s'il le faut à limiter, certains des impacts de l'informatique sur la vie intime et profonde de la société. Nos priorités fondamentales de liberté et d'humanisme doivent être ici réaffirmées et respectées.

Bref, il s'agit d'un faire un instrument, un outil. Non pas dans la pierre taillée qui prolonge l'effort du bras. Mais le scintillement minuscule des composants qui allège l'effort de l'esprit.

Un instrument plus puissant, plus noble, plus efficace qu'aucun de ceux que l'humanité ait connus.

Mais qui reste au service de l'homme, et respectueux des choix que celui-ci prononce pour organiser la société où il entend vivre.