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L'informatique libère l'humain>

 


Les auteurs qui m'ont inspiré. La montée des discours sur l'hypermonde

Voir aussi notre Bibliographie générale.

Dans tout le corps de ce livre, les références bibliographiques ont été écartées,  pour rendre la lecture plus facile et plus agréable. Ce n'est pas pour faire croire que l'auteur a  trouvé tout cela tout seul et sans s'appuyer "sur les épaules des géants", comme dit Pascal. On trouvera le détail des références dans la bibliographie. Indiquons ici les principaux auteurs qui l'ont inspiré, et de quelle manière ils l'ont fait. Merci aux membres du Club de l'hypermonde (notamment Jean-Paul Bois et Pierre Berloquin) ainsi qu'à des amis comme Daniel Galiacy ou Philippe Rosé, à mon frère Marcel et à mon épouse Marie-Thérèse,  qui m'ont souvent mis sur la piste d'ouvrages intéressants.

L'Antiquité

L'importance socio-politique des nouvelles technologies a été reconnue depuis longtemps.  Les anciens y voient plutôt une menace (Socrate, Platon, la pensée orientale), d'autres plutôt une contri-bution utile aux forces de l'homme (Aristote), mais pas au point de supprimer l'esclavage.  Les Grecs sont les pères de la logique et pour une grande part des mathématiques, et par là d'un versant majeur de la digitalisation de la pensée. Ils furent les premiers, bien avant Shannon, à séparer le sens de la forme textuelle.  Enfin, j'ai découvert bien tard, à la lecture de Farrington, que le monde grec n'était pas monolithiquement rationnel, face au mysticisme de l'Egypte ou d'Israël. Bien au contraire, à la montée matérialiste des Ioniens, Socrate puis Platon ré-enchantent le monde et, pour le bien du "peuple", prescrivent d'enseigner que les astres sont des dieux, et non de simples masses soumises aux lois ordinaires de la nature.

Ayant été longtemps croyant et pratiquant, la Bible a inévitablement marqué mes recherches, et les a même rythmées au cycle des années liturgiques.  Malgré  sa  grande  diversité,  elle  exprime  plutôt  une méfiance à l'égard des machines et des techniques. Caïn, le forgeron, est le méchant type, qui tue Abel le pasteur. Le peuple hébreu s'échappe des grands chantiers égyptiens  et conquiert la Palestine sur les Philistins et leur technologie de l'âge du bronze. Morale : il faut se confier à Dieu plutôt qu'aux machines.

Deux textes bibliques inspirent directement une réflexion sur la digitalisation, d'une part le texte inaugural, le premier chapitre de la Genèse (Dieu dit…), d'autre part l'introduction à l'évangile de Jean (Au commencement était le Verbe).

Le Moyen Age

A la meilleure époque du Moyen Age, les technologies font de grands progrès (voir notamment le livre de Lot). Une grande poussée culmine avec Saint Thomas d'Aquin, et sa fascinante tentative de synthèse universelle, la Somme théologique. Il faut noter l'importance donnée par le "docteur angélique" à une technique dialectique bien digitale : le distinguo. D'autres rationalistes vont pousser plus loin  (Bacon, Occam).

Mais l'époque retombe dans l'obscurantisme (Concile de Paris notamment), selon un processus qu'Umberto Eco a montré de manière saisissante dans Le nom de la Rose.

La Renaissance et l'époque classique

De Léonard de Vinci, je retiens surtout le grand dessin où l'homme s'inscrit dans un cercle et un carré : au centre, le sexe de l'homme, à la périphérie, les constructions artificielles.  Gutenberg digitalise l'imprimerie en découpant les caractères.

La Renaissance, c'est le grand éveil scientifique, la théorie astro-nomique, que j'ai découverte surtout dans Koestler  (Les somnam-bules), avec déjà cette thèse que la science grandit dans l'inconscience même des hommes qui la font. Descartes, optimiste sur l'avenir de l'humanité aidée par la science et les machines est un  grand   digitaliseur   par   découpage   des  problèmes, de même que

Pascal, avec ses discours systémiques autant qu'avec sa machine à calculer et son calcul infinitésimal. Braudel, en racontant la naissance du capitalisme à cette époque, montre la dématérialisation et la digitalisation de la puissance économique. Et Machiavel intro-duit le déterminisme machinal au coeur de la réflexion politique. 

Les Lumières

Le siècle des Lumières parie largement sur les technologies pour le bonheur de l'humanité (Encyclopédistes) y compris en matière politique (calculs de Condorcet) d'économie politique et de technologies de l'information (voir Minard, Perriault…), les théoriciens et pra/ticiens de l'assurance (Richard).

Cela débouche, après la Révolution, sur le règne des polytechni-ciens, du système métrique. L'économie découvre les vertus de la spécialisation et de l'organisation du travail (Adam Smith). Le système politique se digitalise, avec la séparation des pouvoirs recommandée par Montesquieu, le découpage rationnel du territoire (voir notamment Dagognet). L'Académie enregistre le mot "bureau-cratie". Rousseau propose même de digitaliser la musique, avec une notation chiffrée.

Le XIXe siècle

Les machines à calculer font des progrès avecThomas de Colmar (voir dans Richard), Hollerith à la fin du siècle. Entre les deux, Babbage et Lady Lovelace, et les machines à imprimer : encore proches de Gutenberg au début du siècle, à base de linotypes et de rotatives à la fin. Les machines à communiquer commencent à occuper le sommet de nos collines, avec le télégraphe Chappe, précédant les antennes de Marconi. Logique et mathématique se formalisent (livres de Kneale, Gillot). Mais surtout, avec Boole, le digital atteint son atomisme fondametal, le binaire. La cybernétique trouve ses premières racines avec le régulateur à boules de Watt.

Les philosophes, et surtout pour moi Hegel, lancent de vastes constructions.   La  raison  dans  l'histoire !  Tout  un programme, et presque tout mon programme. Vient Marx, le grand mécanicien, hélas bloqué par le matérialisme ! Les économistes, notamment Sismondi, font place à la machine. La littérature générale est plutôt optimiste, émerveillée, avec les livres de Figuier. Au milieu du siècle, un certain Hébert plaide pour l'instauration d'un matricule national afin de stigmatiser les malfaiteurs.

La critique vient de romanciers comme Zola (Balzac ne s'y inté-resse que secondairement, bien qu'il fasse nombre de réflexions sur le journalisme, la montée du papier) , de politiciens et de poètes comme Lamartine.   Victor Hugo, peu concerné en général , consa-cre tout de même un chapitre assez visionnaire à l'imprimerie dans Notre Dame de Paris (Ceci tuera cela). Notons en revanche l'indifférence, sinon le mépris, du poète américain Whitman.

1880-1930

Pour ce qui concerne mes lectures, l'ère nouvelle commence avec les grands auteurs de science-fiction de la fin du siècle, d'authentiques visionnaires, y compris en matière de technologies de l'information. Jules Verne domine, avec cette phrase extraordinaire (dans La journée d'un journaliste américain en 2889) : "Voulant arrêter les comptes du jour… à l'aide du piano-compteur électrique… Francis Bennett eut bientôt achevé sa besogne".  Mais Verne ouvre bien d'autres horizons à la future informatique, notamment dans Les 500 millions de la Begum, Le château des Carpates, Paris au XXe siècle.. Il faut aussi citer les dessins de Robida, les intuitions sidérantes de Danrit (qui imagine déjà Pearl Harbour et parle de guerre électronique entre le Japon et les Etats-Unis) ou même Legendre (robots et "panplastite" dans Crackville). Le fait que ces auteurs parlent sur le mode humoristique ou dans des collections pour enfants leur facilite un dépassement radical des problèmes courants du moment.. Sur des modes différents notons Shelley (Frankenstein), Wells (La guerre des Mondes, A modern Utopia, The shape of things to come…)

La science domine l'ensemble de l'univers intellectuel, avec la montée de formalismes logiques et mathématiques (Frege), le positivisme (Comte) puis le positivisme logique (Carnap, école de Vienne). Les technologies de l'audiovisuel explosent : photographie, cinéma (Sadoul) après la lanterne magique, télégraphe et téléphone (Montagné), phonographe (Perriault), enregistreurs multiples. 

Les technologies de l'information poussent vite (voir les comptes rendus du premier congrès d'Organisation commerciale, à Paris en 1910), avec une forte insistance sur les fiches, qui d'ailleurs donneront lieu au premier grand scandale de type "informatique et libertés". La revue Mon Bureau joue déjà un rôle d'information méthodique sur ces questions.

Les discours politico-sociaux sur la science sont plutôt favorables (Launay de la première étape). Les grands organisateurs (Taylor, Gilbreth, Fayol, Ford) digitalisent le travail sans guère rencontrer de contradiction.

Dans les arts, la peinture, tournant le dos aux techniques de reconstruction anatomique, revient vers le flou avec l'impres-sionnisme. Mais c'est pour repartir aussitôt vers une analyse digi-talisante avec Cézanne, les cubistes et les pointillistes, qui évoquent les images "pixélisées" d'aujourd'hui.

Le théâtre et la musique ne méprisent pas les machines, bien au contraire. Un musicologue comme Lavignac prend plaisir à analyser les oeuvres et les orchestres aussi bien dans leurs instruments que dans leurs partitions et propose au voyageur de Bayreuth un guide presque aussi digital qu'un guide de montage de Meccano.

Les années 30

Les technologies se développent très vite, réalisant peu à peu les rêves des visionnaires de la fin du siècle précédent. Les technologies de l'information font des progrès rapides, comme en témoignent le livre de Ponthière qui dresse un tableau détaillé des machines de l'époque ou la collection des bulletins du Cnof (Comité national de l'organisation française).  Signalons, un peu plus tard, les livres de Couffignal. La mécanographie se développe dans de multiples directions, notamment la dactylographie (voir les études récentes de Laufer, un roman d'époque comme Roubaud ou le Larousse commercial de Clémentel), les machines à calculer de différents types. La carte perforée (Carmille)  commence à traiter les appli-cations de gestion (paye, facturation) et surtout décisionnelles (statistiques). Les automatismes progressent aussi, aux limites du calcul, comme la machine à boules installée à la gare de triage de Trappes (Devaux). La radio s'installe dans tous les foyers. La Télévision française est inaugurée en 1939.

La science fondamentale triomphe comme jamais. Et pourtant elle commence à rencontrer des contradictions internes qui font scandale. Poincaré et Einstein ont lancé la relativité, que refusent les physiciens traditionnels représentés par exemple par Bouasse.

La théorie de l'information et des machines fait des progrès considérables (Shannon, Turing), qui ne trouveront leurs débouchés que dans la période suivante. Le téléphone ne progresse pas assez vite au gré de certains, puisque le ministre Georges Mandel lance le service de renseignements SVP pour créer du trafic.

En mathématiques, au début des années 30, les travaux des logi-ciens, de l'école de Vienne… semblent prêts à tout absorber avec les grands projets de Hilbert. Pendant des années encore ces vues seront poursuivies, notamment en France par Bourbaki (dont le texte introductif m'a personnellement fortement impressionné dans les années 60). Pourtant le ver est dans le fruit. Gödel et Church montrent les fissures fondamentales des grands édifices logiques (Bourbaki y verra plutôt une confirmation de son rationalisme généralisé).

La philosophie (sous réserve d'inventaire) s'intéresse assez peu à la science, et réciproquement d'ailleurs, tant est large le fossé entre littéraires et scientifiques. Dans les milieux catholiques, le néo-thomisme (Gilson, Daujat) donne de grands espoirs de conciliation (comme au Moyen Age, en quelque sorte). Les belles distinctions de Maritain  (Les degrés du savoir, Art et scolastique), reprise par le père Grison au séminaire Saint-Sulpice, laisseront espérer jusqu'à l'après Vatican II que foi et science peuvent encore se partager pacifiquement le savoir. D'autres philosophes professionnels ou occasionnels poussent aussi dans le sens de synthèses séduisantes (Bergson, Carrel, Lecomte du Noüy, et plus encore Teilhard de Chardin, qui ne sera connu qu'après la guerre).

Nombre d'auteurs montrent les énormes potentialités sociales de la technologie, notamment la "relève de l'homme par la machine" (Duboin), ou de nouvelles formes de vie sociale (Paul Valéry). La prospective et la science fiction n'ont pas trop lieu de se développer, malgré des travaux comme ceux de Birkenhead, les grands tableaux de Mumford ou les analyses de Dautry en matière de transports.

L'art fait un appel croissant aux nouvelles technologies. Les ondes Martenot annoncent les débuts de la musique électronique. La radio mais surtout le cinéma commencent à faire réfléchir.

Mais la machine commence à  faire vraiment peur. Un cinéaste comme Fritz Lang  en dresse un tableau splendide mais apoca-lyptique dans Métropolis. Charlie Chaplin fait rire (jaune) avec Les temps modernes.  Aldous Huxley imagine un monde de castes génétiquement régulées dans Le Meilleur des Mondes. Et nombre d'essayistes et de romanciers montrent le prix de ces conquêtes  : Gina Lombroso, Duhamel, Bernanos, Launay (dont les inquiétudes hélas ! trop fondées contrastent avec ses positions plutôt optimistes au début du siècle).

Mais, malgré les inquiétudes puis les certitudes de plus en plus horribles de la Seconde Guerre mondiale, des vues raisonnablement optimistes de l'avenir d'une humanité appuyée sur le progrès technique vont traverser toutes les horreurs.

La guerre et l'après-guerre

Pendant la Seconde Guerre mondiale, poussées par les nécessités du conflit, certaines technologies de l'information vont se développer rapidement, tandis que d'autres vont être mises en sommeil. Le calcul  trouve  son  véritable  média  avec  l'électronique,  considérablement plus rapide que la mécanique, malgré les efforts des mécanographes et, en Allemagne, de Zuse. Avec von Neumann, la machine de base se dégage, telle qu'elle va rester ensuite pour l'essentiel (lire notamment le livre de Moreau).

Quelques grandes applications dominent la période de guerre: la bombe atomique (projet Manhattan), l'optimisation de l'emploi des ressources, aériennes notamment (recherche opérationnelle et théorie des jeux, surtout au Royaume-Uni), la gestion et les statistiques. La logistique de la guerre fait un large emploi de ces technologies et même inaugure le premier traitement de texte, sur machine Telex. Carmille, auteur et promoteur de la mécanographie pour Vichy, y trouve et sa gloire et sa honte qu'absout sa mort en camp de concentration (rapport Azéma). Si la télévision est pour l'essentiel oubliée jusqu'aux années 50, la radio, en revanche, est primordiale dans les stratégies de Hitler, de Roosevelt, de de Gaulle.

Après la guerre, les penseurs de l'évolution technique reprennent à peu près où ils en étaient, avec des parutions d'ouvrages préparés avant et pendant le conflit, par exemple Schulz (qui réintroduit notamment Sismondi). Les entreprises françaises envoient des missions d'étude aux Etats-Unis et en rapportent des idées d'organisation, de productivité, de mécanisation. C'est le cas par exemple du Capa (Comité d'action pour la productivité dans l'assurance), qui conduira notamment à l'implantation du premier grand ordinateur de gestion en France, celui du Groupe Drouot. Créée en 1947, la Revue de la mécanographie montre les progrès des machines, essentiellement à cartes perforées, jusqu'à leur relais par l'informatique dans les années 60. L'informatique de gestion, qui ne porte pas encore son nom, commence à générer une littérature substantielle, par exemple les ouvrage de Pepe ou de Lhoste. Deweze en montre les potentialités en documentation.

L'ordinateur renouvelle le vieux problème de l'intelligence arti-ficielle. La machine pourra-t-elle dépasser l'homme ? La littérature est fertile. Une bon nombre de textes, notamment un article fonda-mental  de  Turing,  ont  été  reproduits par  Feigenbaum et Feldman

(réédité dans les années 90). Des auteurs français comme Ruyer apportent des contributions originales (mais sans suite semble-t-il), avec, depuis, de régulières interventions, souvent passionnées, autour de l'Intelligence artificielle (Escarpit, Laurière, Dreyfus, Her-bert Simon, Le Moigne, Ganascia, Eccles… et, dernier en date, Vincent Bloch). L'ordinateur revitalise aussi la modélisation, avec les dévelop-pements de la recherche opérationnelle (voir notamment les actes du 2e congrès de RO, Aix-en-Provence 1960).  Apparaît aussi la systémique dure (Faure, les Anglais, Plon, Forrester). La statistique se développe (Sauvy, Volle).

Ces questions font l'objet d'une littérature de vulgarisation scien-tifique abondante. Citons notamment les livres de Pierre de Latil ou d'Albert Ducrocq (vulgarisateur mais aussi chercheur). Les efforts synthétiques ne manquent pas, notamment sous le vocable "cybernétique" (Wiener, Ashby), ni les poussées artistiques : sculptures cybernétiques  de Schoeffer,  musique informatique de Barbaud et de Xénakis.

Les années 60-80

A partir des années 60, l'informatique commence vraiment à se développer et à engendrer une littérature considérable, tant par ses techniques que par ses applications. Le mot informatique est créé vers 1964 (Dreyfus) et remplace des mots comme mécanographie ou calcul électronique. Avec Arsac, on entre définitivement dans l'ère nouvelle. Le rapport Lhermitte en trace l'avenir, dans une autre optique. Le rapport Nora-Minc élargira encore les perspectives.   A un niveau plus théorique, La Pléiade publie, sous la direction de Piaget, Logique et connaissance scientifique. On trouve un résumé de ces évolutions dans le numéro 100 de la revue Informatique et Gestion.

Le calcul analogique survit encore, jusqu'à la fin des années 70 au moins. Signalons le livre de Truitt et Rogers. Plus abstraits sont les ouvrages de Minsky (automates) ou de Chomsky (linguistique). Les textes   restent  scientifiques  et,  pour  l'essentiel,  universitaires.  A

cette époque, l'informatique n'est utilisée que dans les laboratoires ou les centres de calcul des grosses entreprises. La pratique des machines s'apprend chez les constructeurs, qui publient peu (ils préfèrent vendre leur documentation ou réserver les informations à leurs réseaux techniques et commerciaux). Signalons tout de même Boucher, au titre encore préhistorique, si l'on peut dire  :  Organi-sation et fonctionnement des machines arithmétiques. Les ouvrages d'informatique de gestion se multiplient (Chorafas, Planté...). Il n'y a pratiquement rien en ergonomie, sinon Montmollin ou, en électro-nique, Oehmichen (merveilleux de compétence et de bon sens).

De grandes synthèses commencent à intégrer ces questions, par exemple les analyses de Leroi-Gourhan ou Prigogine. La cyber-nétique passe peu à peu de mode, et la RO ou la systémique "dures" (à base mathématiques et surtout de systèmes d'équations) se voient attaquées, dans un état d'esprit quelque peu "soixante-huitard" par une systémique plus douce, plus inspirée par les sciences humaines  (Citons pêle-mêle : Lupasco, Mélèse, Dupuy, Simon, Le Moigne, Bruter, Hess, Colloque de Cerisy reprenant la RO (dure/molle), Bernard-Weil, Dupuy, de Rosnay (plutôt vulgarisateur), Herbert  Simon, Easton (politique), Morin (très polarisé par les circularités). Les littéraires incluent l'informatique dans le cadre de leurs réfle-xions sociologiques (Crozier, Sfez) ou psychiâtriques (Deleuze).

La presse professionnelle informatique française se constitue avec 0.1 Informatique (1965 mensuel, 1969 hebdomadaire), L'Infor-matique (qui disparaît rapidement), La Presse Informatique (idem), Informatique et Gestion (qui durera jusqu'en 1982), puis des dizaines de titres, dont Le Monde Informatique (depuis 1981).

On reparle beaucoup de la civilisation des loisirs après la guerre, et après mai 68, de Travailler deux heures par jour (Adret, Colloque de Recherches et débats… )…. au film "0.1.". Le monde du travail s'interroge, par exemple la CFDT, ou les auteurs du Guide Actif.  Les économistes sont plutôt optimistes (Fourastié, Perroux) jusqu'aux inquiétudes du Club de Rome, au choc pétrolier. Alors, le chômage prend le pas sur les loisirs dans les préoccupations des auteurs (Sauvy et bien d'autres)!

La science fiction est abondante, avec des genres bien différents, les uns plutôt positifs et constructifs (Clarke), la majorité cherchant plutôt à stigmatiser les dangers des nouvelles technologies et des robots en particulier, surtout quand ils sont manipulés par des ingénieurs fous. Le rôle du héros est alors de démasquer ces manipulateurs et de sauver l'humanité de l'étouffement ou du cataclysme (Bradbury, Orwell, Ira Levine, Philip K. Dick, Brunner…). L'arrivée de l'an 1984, donnant tort à Orwell et à ses prédictions catastrophiques, rassure ceux qui le citent encore, mais il faudra la fin du Goulag pour confirmer la fin de ces inquiétudes.

La fin du millénaire

Les ordinateurs sont devenus l'affaire de tout le monde, non seule-ment par leurs conséquences économiques ou politiques, mais par leur présence comme outils de la vie pratique ou support d'activités ludiques. A la littérature scientifique traditionnelle est donc venue s'ajouter une pléthorique littérature pratico-pratique pour l'utili-sation des machines et de langages, ainsi qu'une presse "grand public".

Techniquement, les ouvrages de programmation dominent, par exemple le manuel de programmation du Commodore 64 que j'ai beaucoup utilisé au début des années 80, puis toute la littérature sur l'analyse et la programmation d'abord structurée (Warnier), mise en méthode (Mallet, Tardieu, Dumas...), puis orientée objet (Meyer, Booch...), enfin "visuelle"... Certains ouvrages techniques ont une portée philosophique non négligeable, sans le vouloir nécessai-rement, par exemple les travaux de Bertrand Meyer sur la program-mation ou l'introduction de Ludwig à son livre sur les virus.

Dans le monde des sciences dures, il faut signaler les courants de fusion des théories de l'information avec celles de la biologie : Prigogine,  Atlan, Eccles, Changeux. Et quelques grandes tentatives d'histoire du monde et de cosmologies (Morris, Torris, Monod...), ainsi que la synthèse méthodique de Jean-Paul Delahaye (dont la deuxième  édition  paraît au moment où je corrige ce texte). Au plan socio-économique, de nombreux auteurs se font une spécialité de montrer les changements que vont impliquer les nouvelles technologies, souvent de manière assez neutre ou froide (Toffler, dans plusieurs livres successifs). Quelques uns nient l'importance du changement (Guillebaud). D'autres s'engagent nettement dans un sens positif (rapport Bangemann). On observe toujours la poussée d'organisateurs sans complexes (Hammer et Champy, Wiseman), ou plus nuancés (Gouillard). On s'interroge, encore et toujours, sur la place du travail (Méda).

Mais l'informatique a aussi toujours ses opposants résolus, comme Ellul (ou Illich, prenant récemment parti pour Ellul dans le sens le plus négatif) et même Kaczynski (qui va jusqu'au terrorisme pour faire passer ses thèses).  Certains se concentrent sur certains aspects négatifs en milieu industriel (Garson, Zuboff), ou plus généralement contre l'économie de marché (Liliane Forrester)  voire récusent presque tout le modernisme (Virilio). Nombre d'auteurs ont des positions équilibrées. Ils montrent les avantages ou les promesses des nouvelles technologies, mais mettent en garde contre ses dangers. Lasfargue est un des plus typiques.

La prospective est plutôt rare,  mais audacieuse : Moravec, le congrès ACM à San José  (ouvrage de Dennis-Metcalfe, et au congrès, exposé de Myrhvold notamment). Quelques auteurs se projettent à fond dans le XXIe siècle (Gaudin).

Les philosophes sont plutôt décevants, très orientés vers l'analyse du discours dans le sillage de Michel Serres. Sokal n'a pas de mal à montrer leurs faiblesses. Il faut noter tout de même Dagognet ou Pierre Lévy et, parmi les mathématiciens, René Thom, hélas si difficile à comprendre. Les humanistes tournent en rond. A l'opposé, bien que provocateur et stigmatisé comme tel, un Peter Sloterdijk ouvre des perspectives bien plus stimulantes du point de vue de la relativité digitale et du post-humanisme.

Les artistes restent dans l'ensemble méfiants à l'égard des nouvelles technologies   (comme le montre notamment Fred Forest).  Quelques autres travaillent avec elles : les musiciens (Boulez et l'Ircam, Goyone, Alarcen, Jarre...), les peintres  (Voir le livre de McCorduck), voire la réalité artificielle (Stenger), les manipulateurs de médias (Forest, Jean-Marc Philippe)  et,  bien  entendu  les  cinéastes  avec le dessin animé (Disney) et  les  effets  spéciaux (Toons, Terminator, les films de Kubrick et Spielberg...). A quoi s'ajoutent les espaces artificiels de Disneyland ou de la réalité  virtuelle. Et une science-fiction revigorée (Banks, Crichton, Colonna, Gibson) et popularisée (mais peut-être aussi sublimée) par les grandes sagas filmées ou télévisées (La Guerre des étoiles, Jurassic Park...). 

On trouve peu d'ouvrages sur l'application des nouvelles technologies à la politique, en dehors ... des rapports de la Cnil ou de Rawls (sur le fond). On s'interroge sur les limites de l'application des méthodes scientifiques aux sciences sociales (négationnisme, Herrnstein-Murray). En matière économique, la plupart des ouvrages avouent leur impuissance a parler sérieusement de l'économie de l'information (Goldfinger, Mayère, Milon, Sandoval et, plus confiant, Volle).


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