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La Réassurance, juin-juillet 1964

Réassurance prospective

L'introduction croissante des ensembles électroniques dans notre profession n'a pas encore atteint la réassurance en profondeur. Face aux travaux massifs de la production ou du contentieux, elle fait figure de parente pauvre. Opération complexe portant sur des quantités faibles, elle n'intéresse pas beaucoup les maîtres du monstre sacré.

Mais d'ici vingt ans, on peuet le penser, la situation va changer substantiellement. Les ordinateurs actuels feront figure d'éléphants, de grosses bêtes avec une petite cervelle, gourmandes mais sans finesse.La baisse des prix de revient, la simplification d'emploi (accès et programmation en langage ordinaire écrit ou parlé), l' " intelligence " même des nouveux calculateurs permettront à tous de les utiliser largement.

Si cela se réalise, et à condition que l'évolution économique n'ait pas fait disparaître la notion même d'assurance, que deviendra la réassurancedans un monde faisant pleinement appel aux capacités de ces puissants collaborateurs?

Tout d'abord, les formules de cession changeront. Des méthodes comme l'excédent classique, souvant abandonnées pour des raisons de frais généraux, pourront être reprises ; des méthodes nouvelles, plus complexes et actuellement impraticables, pourront être mises en application.

Et ces formules pourront être choisies en fonction de statistiques complètes et précises, étudiant pour un portefeuille donné non seulement les résultats des traités en cours, mais ceux qu'auraient donné toutes les autres solutions raisonnables. On pourra appliquer à chaque partie des affaires, à chaque catégorie, le traitement le plus adapté à son aliment, ses charges, son équilibre,la répartition des intérêts et des sinistres. On pourra donc choisir en pleine connaissance de cause les taux de cession, les pleins, les tranches d'excess et tous les paramètres que l'on introduira.

Grâce à la simulation, l'avenir pourra être prévu dans une assez large mesure. Les conséquences des innovations techniques, du progrès économique, l'influence de telle mesure législative, de telle décision commerciale, de telle modification des traités, pourront être déterminées avec une approximation correcte.

Toutes ces données, obtenues rapidement, donneront aux cédantes le moyen de se couvrir au meilleur prix et aux conditions les plus satisfaisantes. Mais qu'en sera-t-il des réassureurs ?

A s'en tenir aux tendances présentes, il continuerait d'avoir la portion congrue. La machine lui permettrait, certes, de fair subir aux comptes des compagnies des manipulations subtiles, de les comparer, de les recouper avec ses autres sources d'information. Mais il resterait en état d'infériorité, face à des cédantes parfaitement au fait de leur portefeuille et en mesure de le travailler finement.

Mais cette tendance se renversera peut-être. L'ordinateur pourrait nous ramener aux origines, à cet âge d'or où le réassureur acceptait les affaires une par une et avant la prise des risques. Non pas que l'on abandonnerait le systèyme actuel des traités, mais le réassureur retrouverait le partage du sort pour l'information comme pour le risque. L'interconnexion, déjà amorcée dans d'autres secteurs par l'échange de cartes perforées, a certainement un grand avenir. L'ordinateur du réassureur pourrait être connecté à celui des cédantes, suivant des modalités à préciser, rendant ainsi un sns réel au droit de regard. Dès lors, sans gêner el travail des Compagnies, et toutes précautions prises pour sauvegarder les droits et libertés de chacun, le réassureur serait informé aussi vite et aussi largement que ses clients.

Ces facilités de communication donneront sans doute une place plus larte à la coassurance. Mais la souplesse dans la répartition des risques, les allègements de trésorerie qu'elle permet, le soutien psychologique qu'elle apporte au producteur garderont à la réassurance son rôle essentiel.

Tout ne sera pas rose pour autant. Sans doute les travaux matériels seront réduits au minimum, s'ils ne disparaissent pas complètement, mais, si équilibrés que soient les portefeuilles, si précises les prévisions, la réassurance comme l'assurance gardera son caractère aléatoire. La compétition continuera de jouer, etc. Les problèmes qui demeureront seront sans doute plus humains que techniques. Ce qu'il faut obtenir, c'est que l'électronique, loin d'éliminer l'homme, se comporte en bon serviteur, et sans aliéner la liberté du responsable, elle lui permette de l'être pleinemnet, grâce à une information sans faille.

Pierre BERGER