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L'informatique libère l'humain

La machine. L'âme incarnée dans le "silicium"

Mesures et structures des machines

Développements ultérieurs (en anglais) sur la mesure, notamment en termes d'opérations par seconde.

Les premiers supports efficaces de complexité ont été mécaniques : rudimentaires jusqu'au XVIIe siècle, de plus en plus évolués ensuite et de plus en plus digitaux, quoique plutôt décimaux que binaires. L'électronique à tubes, puis à circuits intégrés, a supplanté radica-lement la mécanique à partir des années 60, complétée par l'optique pour certaines fonctions de communication (fibre optique) et de mémorisation (CD), mais pas pour le traitement, malgré des espoirs très vifs au début des années 70.

C'est avec le silicium proprement dit que l'on fait les puces digitales (chips). Il ne suffit pas de faire fondre du sable pour l’obtenir. On le produit d’abord sous forme très pure, puis on l’oblige à former des « monocristaux », que l’on parvient à rendre de plus en plus gros au fil des ans. Actuellement, on obtient des cylindres d’une dizaine de centimètres de diamètre. Ils sont ensuite découpés en tranches (wafers) sur lesquelles on imprime les circuits électroniques proprement dits. La puissance et la rapidité des circuits obtenus dépend principalement de la finesse de cette impression.

Pour les processeurs, on mesure  les puissances en millions d'instructions par seconde. Cette mesure n’a qu'une signification relative puisque, d'un processeur à un autre, la puissance d'une instruction peut varier considérablement d'abord par la longueur même des instructions acceptées par le processeur (les premiers microprocesseurs fonctionnaient sur 4 bits ; nons sommes en cours de généralisation du 32 bits, et d'un début de diffusion industrielle du 64 bits), ensuite parce que la plupart des processeurs comportent un  ensemble  de  dispositifs  annexes qui peuvent en accroître sensi-

blement la puissance (cartes auxiliaires, canaux de communi-cation), enfin parce que les systèmes puissants sont "multi-processeurs" et que la puissance totale ne s'obtient pas en général par  une  simple addition des puissances élémentaires. Ajoutons que, pour les grands systèmes informatiques de gestion, ce qui compte avant tout c'est la puissance pratique dans l'exécution des applications "transactionnelles". On mesure donc le nombre de transactions par seconde (il existe des transactions standard pour permettre les comparaisons entre machines).

On cherche aussi à abaisser les puissances électriques consommées, par exemple pour rendre les ordinateurs portables, car leur durée d'autonomie dépend de leur consommation rapportée à la capacité de leurs piles. Mais on s'y efforce aussi pour les grosses machines fixes, car quand la consommation augmente, le refroidissement devient un problème. Ceux qui regardent de temps en temps l'intérieur d'un micro-ordinateur ont récemment (1997) vu apparaître un ventilateur auxiliaire à cheval sur le microprocesseur !

A l'époque des premiers calculateurs électroniques, la consom-mation des tubes "de radio" imposait par elle-même des limites pratiques (on pourrait refaire le calcul, et probablement le moindre de nos PC, réalisé avec les technologies des années 50, consommerait de quoi chauffer toute une ville en hiver).

Des problèmes annexes se posent globalement du fait de la pollu-tion, non pas tellement à cause  de la consommation d'énergie, négli-geable par rapport à celle du chauffage et a fortiori des transports, mais parce que la fabrication des circuits salit beaucoup d'eau et que l'élimination des calculateurs périmés oblige déjà à prendre des mesures appropriées, car les circuits traditionnels de déchetterie sont mal adaptés.

Pour les mémoires, en cette fin des années 90, le marché des mémoires pour grands systèmes informatiques se compte en péta-octets, un péta-octet (soit un million de giga-octets) contenant l'équivalent de deux millions de CD-ROM.

L'introduction du temps fait apparaître les débits en bits/seconde (avec leurs multiples), applicables aux lignes de communication et aux taux de transfert entre systèmes.

Limites des structures externes, mécaniques

Pour les processeurs et mémoires sur circuits intégrés, les limites tiennent d'abord à des raisons strictement physiques. Dans la nature, plus un cristal augmente de volume, plus il tend à se fissurer ou à inclure des impuretés. Au bout d'un moment il se fracture ou perd ses propriétés cristallines à commencer par sa transparence.

Dimension et fiabilité sont liées. A technologie égale, plus l'on aug-mente la taille d'un "chip", c'est-à-dire du carré de silicium corres-pondant à un processeur par exemple, plus la probabilité de défauts augmente. Cela se traduit par un taux de rejets de plus en plus élevé quand les puces sont passées au banc de test. La relativité physique rejoint et complète la relativité logique.

La vitesse de la lumière commence à faire sentir ses inconvénients avec la puissance actuelle des processeurs. A 300 mégaHertz, vitesse classique aujourd’hui, un cycle machine ne dure qu'un 300 millionième de seconde. Pendant cette durée, un signal ne peut parcourir plus d'un mètre. Ce n'est donc pas seulement  pour réduire les espaces de bureaux que les ordinateurs se sont miniaturisés, mais pour que les signaux aient le temps d'aller d'une partie à l'autre de la machine avant de passer à l'instruction suivante.

A  force de réduire la dimension de nos circuits, nous devrions buter sur la dimension même des atomes et des particules et sur les lois d'incertitudes. Mais quand atteindrons-nous pratiquement cette limite ? Dans une dizaine d'années environ, disent certains experts. Mais d'autres experts disaient sensiblement la même chose il y a ... trente ans. Et nous progressons toujours.

Structuration des dispositifs physiques

Les structures  se déploient à la fois dans la diversité des dispositifs et dans les gammes de ces dispositifs. Pour les mémoires par exemple, elles s'organisent en hiérarchies autour des registres du processeur, de sa mémoire centrale, de ses disques durs et enfin des périphériques de masse (supports magnétiques divers, CD-ROM). La montée en complexité s’exprime aussi dans la construction des réseaux avec, actuellement, la mode des structures à trois niveaux (trois couches).

Le logiciel, âme digitale ?

Ce qui se construit, l'âme du monde, est-ce le logiciel ? Oui et non.

Oui, parce qu'il répond à une grande partie des exigences posées:
- il est immatériel ou du moins se contente de très peu de matière ;
- il croît de façon, pour l'instant sans qu'on en voie les limites, en volume c'est-à-dire en complexité ;
- il est digital par construction, et de plus en plus digital ;
- il est tout particulièrement autonome (nous allons y revenir).

L'interface homme-machine

Les systèmes digitaux expriment d’abord les données les plus sim-ples : vrai/faux, oui/non, noir/blanc... avec les opérations logiques qui les accompagnent (et, ou, non). Mais ils traitent aussi bien le son, l'image (et l'image animée), c'est-à-dire les différents types de représentations correspondant à nos principaux organes sensoriels.

Commercialement, le mot "digital" est même aujourd'hui (fin des années 1990) synonyme de qualité. Pour la télévision, par exemple, les systèmes digitaux peuvent  combiner l'ensemble de ce monde de représentations dans des documents, ou oeuvres,  "audiovisuels" ou, pour parler le lange d'aujourd'hui, "multimédia" ou de "réalité virtuelle".

Les puristes réservent cette dernière expression à des systèmes "immersifs", qui visent à occuper la totalité de l'espace sensoriel des utilisateurs: vue, ouïe et toucher. Des casques, gants et combinaison y parviennent assez bien. Mais on ne sait pas encore satisfaire le goût et l'odorat. Et les limites actuelles de la technologie obligent à des sacrifices, en qualité d'image ou en vitesse d'évolution, qui laissent sur leur faim ceux qui attendaient de ces outils un monde véritablement nouveau.

L'exclusion de l'homme ?

A ce point d'autonomie, le digital n'exclut-il pas l'homme bien plus qu'il ne s'ouvre vers lui ? La montée du chômage, la complexité des théories, la fragilité du corps humain qui interdit sa présence dans les missiles ou les zones à forte radiation nucléaire... La machine a commencé par réduire l'homme en esclavage. Elle l'a ensuite réduit en miettes pour servir ses chaînes de production. Et maintenant ne se passe-t-elle pas tout simplement de lui ? Le digital boucle tellement sur lui-même qu'il se ferme à nous.

D'abord, ne confondons pas le digital et les chimies qui le supportent. Celle du carbone, de la biologie, notre chimie humaine, reste compétitive et pour longtemps encore. Elle a trouvé des limites que le silicium lui a permis de franchir, mais elle reste supérieure dans bien des domaines.

La chimie des machines, du silicium, a aussi ses propres limites, comme le digital en soi qui laisse leur place aux aspects non digitaux de l'homme. Cela nous conduit à examiner de plus près les limites de cette autonomie, faisant ici la synthèse de celles que nous avons examinées en détail plus haut. 

La convergence des deux chimies dans leurs limites

Ce qui vaut pour chaque individu, pour tout système, vaut pour l'humanité entière, pour la nature entière. Autonomie et sens : c'est tout un. Car l'autonomie trouve son sens dans son propre accrois-sement. Mais jusqu'où ? Au niveau global de l'univers, la théorie du big bang n'est plus discutée. En revanche, on s'interroge sur l'avenir. L'expansion continuera-t-elle indéfiniment ou va-t-elle retomber dans un big crush qui nous ramènerait au plasma originel, ouvrant un nouveau cycle d'expansion/compression ?

Pour l'âme digitale, on ne voit pas immédiatement comment elle pourrait régresser par elle-même. On voit encore moins, si l'univers matériel  s'écroulait   dans  le  big  crush,  comment  elle  pourrait  y échapper. A moins d'imaginer que l'âme digitale survive à la mort des chimies comme l'âme humaine individuelle, pensent les cro-yants, survit à la mort du corps. Mais un autre type de mort est possible, celle-là bien spécifique au digital. A force de s'expliciter et de se structurer par couches de complexité successives, l'univers des bits pourrait atteindre un maximum d'organisation indépassable et, ainsi, une forme particulière d'entropie équivalente à une mort de fait. Un peu comme un disque dur finit par être plein,  même après qu'on l'ait réorganisé plusieurs fois en mettant à profit toutes les technologies de compression et de métadonnées.

Le digital est donc le sens de l'Histoire en général, et il peut ainsi donner un sens à nos existences, à la fois pour les comprendre et pour les orienter. Mais ne lui demandons pas trop. N'en attendons pas une extension indéfiniment possible. Lui-même a ses propres fissures, sa propre relativité. La chimie du carbone étend ses possi-bilités grâce à la chimie du silicium, mais reste pour l'instant le cœur de la dorsale du développement digital. Nous irons sûrement très loin dans le transfert d'une chimie à l'autre ou dans la conver-gence des deux chimies. Informatique et biologie se rejoignent. Les recherches sur la "vie artificielle" (robots avancés et sociétés de robots) et le génie génétique vont dans le même sens : une capacité toujours plus grande à nous reproduire nous-mêmes sans l'inter-vention généralement régulatrice mais limitatrice et faillible de la "nature".

Nous resserrons peu à peu le cercle autour de nous-mêmes : biologie, neurologie, modélisation de l'intelligence d'une part, psy-chologie, psychanalyse de l'autre. Reste au cœur le mystère toujours profond de notre conscience consciente d'elle-même. Le percerons-nous ? Faut-il souhaiter même que nous le percions ? En attendant, l'horizon de nos libertés s'ouvre toujours plus large devant nous, trop large peut-être.  Que faire ?


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