Sommaire : Trois questions à Thomas Baudel | L'actualité de la semaine | La recherche en pratique| Enseignement | Théories et concepts | Manifestations Le livre de la semaine | Détente
ABONNEMENT/DESABONNEMENT| PAGE D'ACCUEIL DE L'ASTI | NUMEROS PRECEDENTS.
Asti-Hebdo : Vous organisez, du 10 au 14 septembre, à Lille, la conférence IHM-HCI 2001. (Interaction Homme-Machine, Human-Computer Interaction). Quels sont les thèmes de recherche actuellement les plus féconds ?
Thomas Baudel : J'en dégagerai trois, à titre personnel : morphologie de l'interaction (entrées), visualisation de l'information(sorties), enfin techniques de constrution et outils.
Le "data-mining visuel", au niveau des sorties, consiste à utiliser les propriétés de pattern-matching, d'analyse d'image par l'oeil, pour lui permettre de détecter des structures, des motifs qui l'intéressent, pour mieux comprendre comment est construit un ensemble d'informations, détecter les corrélations.
Les techniques interactives de construction d'interface sont rendues nécessaires par la spécialisation croissante des applications et leur adaptation grandissante à chaque besoin. Il devient très coûteux de programmer le détail des interfaces. Il faut par conséquent offrir des "méta-interfaces" permettant de personnaliser ou de construire interactivement l'aspect interactif des applications. Par exemple, un superviseur d'usine ou de centrale nucléaire doit offrir une interface spécifique pour chaque usine. Le coût de développement est réduit si l'on demande à des graphistes de créer l'aspect visuel des interfaces, au lieu de demander à des programmeurs de le construire algorithmiquement.
Enfin, je m'étendrai plus longuement sur les entrées, domaine que je connais le mieux. Ici, l'accent se porte sur la morphologie de l'interaction, avec deux volets actuels de développement. Le premier vise l'informatique mobile. Il faut mettre au point des techniques d'interaction qui compensnt l'étroitesse de la bande passante. Comment traiter du texte sur un téléphone portable? Le vocal a ses limites, bien connues. On approfondit donc, par exemple, les techniques prédictitives de saisie. Sans oublier bien sûr les classiques études de dispotiion et de configuration optimale des claviers.
L'autre volet s'applique aux tâches créatives. Il y a de plus en plus d'infographistes, d'artistes, qui conçoivent et créent sur ordinateur. Or ce dernier traite des symboles, alors que l'artiste doit avoir une approche physique de la matière qu'il travaille. Il ne doit pas, quand il crée une sculpture dire "Je vais déplacer tel point à tel endroit, je vais tourner de tant de degrés". Il doit avoir l'impression de manipuler l'objet. Cette approche est appelée "ergotique" (du mot travail).
Nous avons conçu une méthode d'interaction qui permet d'agir par menus en temps constant. Au lieu de circuler linéairemnet dans un menu, on fait des choix de manière directionnelle (de type Nord-Sud-Est-Ouest, mais en fait il y a huit directions, et on prend en compte le contexte). Avec le menu classique, le temps d'exécution est en relation logarithmique avec le nombre d'actions. Avec l'approche directionnelle, il est constant. Il peut être inférieur au centième de seconde, inférieur au seuil de perception.
Et l'opérateur peut agir sans regarder, un peu comme un pianiste qui ne regarde pas ses doigts. Et, comme le pianiste, du fait qu'il agit en temps constant, il est poussé à enchaîner, à constituer des arpèges... Petit à petit, à force de répétitions et d'automatismes, l'utilisateur construit des séquences... on ne voit pas son action. On voit que l'écran bouge, rien de plus.
Hebdo : A quelle discipline(s) rattacher ces thèmes ?
T.B. : L'Afihm regroupe deux communautés
de cultures différentes :
- l'ingénierie du logiciel interactif, fondée sur l'ingénierie, l'expérience
des langages à objets ou de l'intelligence artificelle,
- l'ergnomie du logiciel,qui relève des sciences humaines, avec des
anthropologues et des sociologues.
Les deux communautés ont besoin de se rapprocher. Les ingénieurs ressentent les limites de leur approche, le besoin d'inclure les composantes socio-culturelles dans la conception de leurs produits. Vice-versa, les ergonomes et les spécialistes des sciences humaines sentent bien qu'il faut "une main" pour réaliser leurs idées.
La psychologie expérimentale apporte à l'ergonomie une approche scientifique rigoureuse, utile dans un certain nombre de cas bien concrets. Par exemple quelle vitesse donner à la souris pour que l'utilisateur puisse s'en servir de façon naturelle ? Mais ce n'est qu'un volet de l'ergonomie. Quant aux neurosciences, elles ont une approche plutôt conceptuelle, théorique, alors que l'esprit "IHM" se veut plus pragmatique, orienté vers la réalisation de systèmes
Enfin, une part des travaux d'ergonomie se placent à la croisée du marketing, du workflow, du groupware, des systèmes d'entreprise. C'est une tendance permanente de l'activité de l'ergonome, qui passe d'une observation de l'opérateur humain à son contexte de travail puis au système global de travail. C'est aussi une évolution historique : jusqu'aux années 60, l'opérateur est au centre, autour des années 80, "tout est fonction du contexte", depuis les années 90, le système global est pris en compte... d'où l'intervention des anthropologues et des sociologues. L'IHM est un vraiment un lieu de rencontres, une intersection de domaines plus qu'un domaine en soi.
Hebdo : Combien recensez-vous de chercheurs en ergonomie ?
X.X. : Il y a une dizaine de milliers de chercheurs en IHM dans le monde. La communauté est dynamique, bien structurée. Elle se finance sans trop de problèmes car les industriels ont besoin de ses travaux.
La France est bien représentée dans ce domaine, avec des chercheurs renommés. Michel Beaudouin-Lafon, par exemple, vient d'être élu membre du conseil ("member at large") de l'ACM. Joëlle Coutaz a eu un rôle fédérateur remarquable. Il suffit de parcourir le comité de programme de la conférence IHM pour vérifier la diversité géographique des spécialistes de l'IHM en France.
Et nous avons quelques industriels : des entreprises spécialisées dans le développement informatique ou dans les services économiques, et des services compétents de grandes entreprises nationales.
L'Afihm, qui a vocation de société savante, compte deux tiers d'universitairs et un tiers d'industriels. Elle est née il y a quelque dix ans à l'occasion d'un congrès et s'est légalement constituée il y a cinq ans,
Laissez-moi conclure sur un exemple typique de nos orientations. La réalité virtuelle fait beaucoup parler d'elle. Mais elle pose problème avec son syndrome d'immersion. En quelque sorte, "tout ce que vous pouvez faire peut être retenu contre vous". En revanche, la réalité augmentée est prometteuse. Mais les ergonomes savent surtout qu'il y a déjà beaucoup à faire avec un clavier, un écran et une souris. La communauté IHM est peu attirée par la science-fiction. Elle sait que la puissance de l'interaction vient moins de la sophistication des dispositifs qu'à leur bonne adéquation avec la morphologie de l'être humain. Le meilleur guide est le bon sens, complété par une bonne méthodologie.