Association Française des
Sciences et Technologies de l'Information

Hebdo
No 43. 17 septembre 2001

Sommaire : Trois questions à Gérard Sabah | L'actualité de la semaine | Enseignement | La recherche en pratique | Le livre de la semaine |

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Trois questions à Gérard Sabah

Directeur adjoint, responsable du département Communication homme-machine, Limsi

Asti-Hebdo : Quel est l'axe principal actuel du développement de votre laboratoire ?

Gérard Sabah : Nous sommes engagés à plein dans la réalisation d'un nouveau bâtiment consacré à la réalité virtuelle : un cave (cube de 3 mètres carrés de côté avec rétroprojecteurs sur cinq faces) complété par quelques bureaux et un petit amphi. Le CNRS va y consacrer un budget de l'ordre de dix millions de F, dont six pour le béton et quatre pour l'équipement scientifique.

Cet équipement impliquera trois types de chercheurs. D'abord les ingénieurs responsables de sa mise en place et de sa gestion technique. Ensuite une bonne partie des équipes de mon département, concernées par les aspects scientifiques de ce nouveau type de communication : IA, systèmes d'information, traitement du geste et de la parole, interaction avec la machine. Le cave fait émerger des problèmes nouveaux, une nouvelle problématique scientifique.

Mais ce dispositif intéresse aussi l'ensemble du laboratoire, pour la mise en oeuvre d'applications particulières, notamment la mécanique des fluides. Ainsi, ce projet exprime-t-il bien la double réalité du Limsi, laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur, avec ses deux départements: mécanique-énergétique d'une part, communication homme-machine d'autre part.

Cette dualité a du mal à s'inscrire dans la nouvelle répartition des départements du CRNS. Nous souhaitions vivement être rattachés de façon égale au Stic et au SPI (Sciences pour l'ingénieur). Mais il semble que des raisons logicielles nous obligent à choisir. Or deux bons tiers des effectifs du laboratoire (30 chercheurs CNRS, 45 enseignants-chercheurs, 40 ITA et une cinquantaine de doctorants) relèvent des Stic. Ce rattachement ne va pas sans problèmes, surtout pour les ITA, où les besoins de notre département mécanique-énergie s'inscrivent mal dans les cadres Stic.

Hebdo : Outre ses inconvénients administratifs, cette dualité mécanique/sciences cognitives n'est-elle pas un frein aux recherches audacieuses que vous poussez dans ce dernier domaine. Vous n'hésitez même pas à employer des mots comme "conscience" !

G.S. : J'ai effectivement fait des communications et des publications sur ce thème, par exemple à l'occasion des rencontres organisées en 1998 au Cnam, où j'ai présenté le modèle Caramel (Compréhension automatique de récits, apprentissage et modélisation des échanges langagiers), en plein développement actuellement. Ces travaux s'inspirent, en particulier, des idées lancées il y a une dizaine d'années par Bernard Barrs et Gerald Edelman.

Mais notre laboratoire est très attaché à la mise en oeuvre concrète des concepts qui s'y développent, et donc à sa dualité même. Celle-ci s'explique par un historique long. Au départ, il s'agissait d'un laboratoire de mécanique, le premier qui fut doté de calculateurs (analogiques), ce qui conduisit un certain nombre de ses chercheurs à faire autre chose que de la mécanique, avec des résultats mondialement reconnus notamment en reconnaissance de la parole.

Ainsi constitué, le Limsi offre un environnement idéal pour voir comment s'incarnent les théories. Et c'est particulièrement important pour l'IA. Un des grands reproches qui lui ont été faits, c'est qu'une intelligence désincarnée est impossible. J'ai tendance à penser que ces critiques, formulées par exemple par Hubert Dreyfus, étaient tout à fait justifiées, mais que leur conclusion, à savoir que l'IA est impossible, est erronée. Nous nous intéressons ici à tous les aspects de la perception. Nous étudions comment on peut faire la relation entre les aspects perceptuels et sémantiques et comment le sens peut naître de ces relations. C'est un point crucial et central des recherches dans le département que j'anime.

Hebdo : Vous créez donc une synergie entre des préoccupations très théoriques et une insertion réelle dans les applications ?

G.S. : Les deux tiers de notre budget viennent de contrats industriels ! C'est dire l'importance que nous donnons à la mise en oeuvre concrète et aux applications, ainsi qu'à l'évaluation de nos résultats. C'est l'objet d'une de nos actions transverses, Corval (Corpus et évaluation). Elle aide les équipes du laboratoire qui veulent participer à des campagnes d'évaluation. Il s'agit d'un gros travail, qui demande plusieurs semaines, et le plus souvent pendant les vacances d'été...

Mais, en reconnaissance de la parole, nos participations aux campagnes mondiales d'évaluation menées périodiquement par le Darpa (The Defense advanced research projects agency) nous placent parmi les trois meilleurs laboratoires au monde, et certaines années à la première place.

J'ai été longtemps réticent à ces opérations, car la présentation des résultats comporte l'exposé des méthodes employées, et tous les laboratoires ont tendance à se diriger vers la méthode la plus efficace. Pour le traitement du langage, cela explique l'hégémonie actuelle des modèles de Markov cachés. Il n'y a pratiquement plus aucune recherche dans d'autres domaines.

Or certaines méthodes peuvent avoir dans l'immédiat des résultats médiocres mais rester prometteuses si l'on y consacre des efforts significatifs. En IA tout particulièrement, il faut à la fois mettre les concepts à l'épreuve des applications et permettre un certain foisonnement de la recherche dans toutes les directions, sans vouloir tout diriger de façon unique sur de simples critères d'efficacité.


L'actualité de la semaine

New-York : les Stic du système financier ont bien résisté

Dans La Tribune du 13 septembre, une petite enquête de Marion Bougeard sur les systèmes d'information à New-York conclut "Bien sécurisés, les réseaux électroniques ont résisté aux assauts". En effet les fichiers étaient dupliqués en miroir et les réseaux ont pu se reconfigurer.

Et elle cite un directeur informatique français (anonyme) : "Nous n'avons toujours pas reçu de nouvelles de certains collègues, mais le système transactionnel et tous les dossiers clients sont à l'abri. Alors que les immeubles sont détruits, nous pouvons fonctionner comme si rien ne s'était passé. C'est terrible, en fait."

Mais les technologies semblent mieux à même de se protéger elles-même que de protéger les humains les uns contre les autres. Un article du même journal, le lendemain, exprime un sentiment général : "Les récentes attaques survenues aux Etats-Unis viennent de montrer que, face à la simple détermination des terroristes, la maîtrise technologique était restée impuissante."

Alain Costes : ne faiblissons pas !

Interviewé par Le Monde (11 septembre), Alain Costes, directeur de la Technologie au ministère de la Recherche, déclare : "C'est une erreur de suspendre l'effort de recherche parce qu'une technologie est en crise".

Cycle de l'eau : de (lents) progrès grâce aux calculateurs

La quatrième conférence internationale sur le cycle global de l'énergie et de l'eau (Gewex) s'est tenu au Collège de France du 10 au 14 septembre, sous l'égide du CNRS.

A mots plus ou moins couverts, la communauté des experts (modélisateurs et météorologues) regrette d'avoir trop focalisé son travail et la médiatisation de ses résultats sur un seul paramètre, le réchauffement de l'atmosphère terrestre. Car le volume et la répartition des précipitations sont beaucoup plus importantes pour les activités humaines.

Mais ce paramètre a deux avantages : il est mesuré avec sérieux depuis longtemps, et il n'est pas trop complexe à manier et à modéliser. Par contre, les pluies dépendent de facteur complexes comme la structure des nuages. La puissance des machines d'aujourd'hui permet d'en commencer la modélisation. Mais il faudra encore une dizaine d'années pour en obtenir des résultats utilisables;


Enseignement

Elèves en difficulté

Les Tic peuvent contribuer à l'exclusion, mais aussi à la lutte contre l'exclusion. Cyberécoles entend agir en ce sens en coopération avec l'EREA Edith Piaf, établissement du nord parisien spécialisé dans l'accueil d'élèves en difficulté scolaire.


La recherche en pratique

L'industrie en chiffres

Le ministère de l'Industie vient de publier sur son site un gros document(PDF) statistique sur les Tic en France, intitulé L'industrie en chiffres. Exercice : évaluez l'importance de votre laboratoire sur ce grand échiquier.


Le livre de la semaine

Une approche méthodique de l'éthique des grands groupes

Visant le grand public, le "Guide éthique du consommateur" que vient de publier l'Observatoire de l'éthique chez Albin Michel (98 F) n'en est pas moins l'expression d'une réflexion originale et d'un travail méthodique d'observation et de modélisation des entreprises.

La démarche se déroule en quatre temps : recueil des faits, synthèse et compréhension des faits, vérification et validation auprès des entreprises et des autres sources d'information, notation avec attribution d'étoiles.

Le guide note quelque 700 marques et enseignes, dont une vingtaine relèvent des TIC (fournisseurs Internet, matériels, opérateurs de téléphonie). IBM est le groupe qui, tous secteurs confondus, cumule le plus d'étoiles.

L' Observatoire de l'éthique est une association autonome composée d'experts spécialisés (environnemnet, économie, juridique, etc.), d'analystes, d'anciens dirigeants d'entreprises et d'un jury indépendant.


L'équipe ASTI-HEBDO : Directeur de la publication : Jean-Paul Haton. Rédacteur en chef : Pierre Berger. Secrétaire général de la rédaction : François Louis Nicolet, Chef de rubrique : Mireille Boris. Asti-Hebdo est diffusé par FTPresse.