Sommaire : Trois questions à Eddie Soulier, chercheur, Tech-Cico | L'actualité de la semaine | Théories et concepts | Enseignement | La recherche en pratique | Manifestations | Le livre de la semaine |
DétenteVotre laboratoire est-il bien référencé dans le dictionnaire de l'Asti ?
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"La narration, technique avancée d'ingénierie de la connaissance"
Asti-Hebdo : Vous consacrez vos recherches au récit (story telling). Un tel thème relève-t-il vraiment des Stic ?
Eddy Soulier : Tout à fait. Cette forme courante et banale d'expression, qui consiste à se raconter des histoires sur le lieu de travail, est aujourd'hui un champ très actif de la gestion des connaissances comme de la coopération au travail. Cela explique mon ancrage au laboratoire Tech-Cico, de l'université de Troyes, dont l'activité "concerne l'analyse et la modélisation des activités coopératives suscitées par les tâches intellectuelles médiatisées par les NTIC". Le laboratoire a intégré une forte problématique "gestion de connaissances" à son domaine initial, les technologies de coopération (groupware, CSCW, workflow, intranet, extranet). J'y ai rejoint notamment Manuel Zacklad, responsable du laboratoire, Jean-Louis Ermine (père de la méthode Mask, anciennement MKSM) et Nada Matta, qui travaille sur les mémoires de projet, mais également des collègues informaticiens, gestionnaires, linguistes, sociologues, psychologues, cogniticiens.
La plupart des travaux ont pris pour modèle, jusqu'à présent, les savoirs analytiques avec, sous-jacent, le paradigme scientifique. J'ai choisi d'explorer une voie non pas opposée, mais complémentaire, celle de formes d'expression moins structurées, plus labiles, essentiellement les échanges d'histoires ou de récits (story telling) en milieu professionnel.
Hebdo : Vos travaux ont-ils des débouchés industriels ?
E.S. : C'est dans le monde industriel qu'ils ont pris leur source. C'est dans le cadre de la Banque mondiale, par exemple, que Stephen Denning, responsable de la gestion de connaissances (chief knowledge officer) a préparé l'ouvrage qu'il vient de publier "The springboard, how storytelling ignites action in knowledge-era organizations".
Mais la référence est ici Julian Orr, un ethnographe du travail. Il a fait chez Xerox, de 1987 à 1990, une série d'études sur les réparateurs de copieurs. Un petit monde, qui met en ligne une technostructure, avec sa documentation technique et ses machines, avec des techniciens qui savent mobiliser des phénomènes et les expliquer avec des mots compliqués, mais aussi des réparateurs de base, les agents de maintenance, qui n'ont pas ces capacités.
Orr a montré que l'échange d'histoires et au coeur de la construction du diagnostic. Dans cet univers, le processus de narration collective conduit progressivement à un diagnostic partagé de la situation. Un diagnostic contextuel, localisé. Comme le mode de résolution lui-même.
On est aux antipodes du bureau d'études et de ses approches analytiques qui dé-contextualisent, ramènent une situation toujours locale à une situation générale, rangent le cas, envers et contre tout, sous la bannière d'un cas-type. Orr, au contraire, travaille sur l'anecdotique, les personnages, les protagonistes, quitte à prendre pour archétypal tel utilisateur qui a joué un rôle particulier dans le diagnostic.
L'étude d'Orr a fortement influencé des chercheurs comme Jean Lave et Etienne Wenger, qui ont inventé le concept de communauté de pratique. Il s'agit d'une alternative au mode projet et à la culture divisionnelle. De nombreux groupes, sur toute la planète, essayent de mettre en place de telles communautés : des professionnels qui partagent et poursuivent l'apprentissage d'une connaissance pratique. Ici même, dans les colonnes d'Asti-Hebdo, Jean-François Pépin signalait l'intérêt des entreprises françaises pour ce concept.
Le "story telling" se pratique de plus en plus, et à plusieurs niveaux :
- Communauté de pratiques au sens d'Orr, c'est à dire coopération entre professionnels dans la pratique de leur métier;
- Culture d'entreprise. Qui n'a entendu raconter l'invention des stickers chez 3M. Qui n'a vu le texte (inventé) de ce patron japonais qui disait aux occidentaux :" vous êtes tayloristes dans vos têtes...". Bien que les histoires sont toujours rattachées à un département, à une personne, on peut en distinguer différentes strates. A partir de la base, une histoire officielle se sédimente, et se décontextualise en un cas plus général, voire un mythe qui fonde, ou explique, les pratiques et les rituels. On peut aller jusqu'à l'histoire de l'entreprise en tant que telle. Cette pratique est très répandue. Il suffit de visiter les rayons d'une grande librairie. Ces histoires, on peut les recueillir, les classer, en faire des typologies. Ethnographes et anthropologues ont, depuis vingt ans, construit une tradition du recueil scientifique des histoires d'entreprises. Parmi les auteurs les plus représentatifs, on peut citer ici Barbara Czarniawska et Yiannis Gabriel.
- Gestion des connaissances. Pour Stephen Denning, les méthodes classiques de diffusion de l'information fonctionnent de moins en moins bien. Réunions classiques, charts, grands shows, vidéo-conférences, avec leur matériel plutôt analytique... cela ne fait jamais "qu'un rapport de plus". Il veut donc ré-introduire la chaleur, la convivialité. Et le récit passe mieux que le mode argumentatif.
- Thérapie individuelle et formation On retrouve ici la tradition confessionnelle. Aristote, déjà, avec la catharsis. Puis les grands récits de vie dont les Confessions de Saint Augustin ou de Jean-Jacques Rousseau sont les exemples majeurs. Ils nous introduisent aussi à la pratique du confessionnal, du psychanalyste (talk cure), aujourd'hui, du coach (en management). Un grand courant s'est développé, à partir de 1975, autour de Philippe Lejeune, qui consacre un site web à l' autobiographie. Associations, sites et rencontres se multiplient. Des centaines, sinon des milliers de personnes aujourd'hui se racontent. En formation, le récit de vie est un moyen de progresser dans son projet personnel et dans ses projets professionnels. Il s'intègre très bien dans l'e-education pour des commerciaux, designers ou consultants.
Hebdo : Comment concrétiser une telle recherche ?
E.S. : Mes travaux pourraient comporter le développement d'un petit outil simple, un logiciel capable d'agréger une histoire collective à partir d'histoires personnelles d'une demi-douzaine de concepteurs ou de diagnostiqueurs. Il existe déjà quelques réalisations de ce type (par exemple celle de Dominique Christian, chez Difer), mais leurs perspectives sont sensiblement différentes : elles visent surtout le niveau managérial, alors que je m'intéresse surtout à la pratique de métiers concrets. Un tel outil serait utile notamment dans les phases d'identification de problèmes (problématisation, problem setting). Il pourrait déboucher notamment sur des cartes cognitives. Et passerait ensuite la main à des outils plus analytiques pour la résolution proprement dite (problem solving).
Quant au marché de tels travaux et produits, on ne peut s'attendre à un énorme volume d'affaires. Beaucoup d'entreprises ne ressentent pas le besoin, l'envie ou la nécessité de modéliser et conceptualiser leur expérience pointue. Il n'est pas question de trouver des budgets de recherche comparables à ceux que drainent les systèmes d'information. Mais la tendance est favorable.
L'ingénierie des connaissances s'exprime à travers nombre de revues académiques et de colloques, par exemple, en France, les congrès annuels IC. Dans le cadre de l'Asti, cette discipline est représentée en particulier par le groupe de travail Gracq (Groupe de recherche et acquisition des connaissances Afia-PRC 13) de l'Afia.
Notes bibliographiques A ceux qui souhaitent approfondir le sujet, Eddie Soulier recommande les ouvrages suivants :
- Barbara Czarniawska : A narrative approach in organization studies, Sage 1999.
- Don Cohen et Prusack : In Good Company. Harvard Business School 2001/
- Rose Dieng, Olivier Corby, Alain Giboin, Joanna Golebiowska , Nada Matta, Myriam Ribiére : Méthodes et outils pour la gestion des connaissances. Dunod 2000.
- Yiannis Gabriel : Storytelling in organizations, Oxford university press 2000.
- Jean Lave et Etienne Wenger : Situated learning, legitimate peripheral participation, Cambridge university press 1990
- Julian Orr : Talking about machines. An ethnography of modern job. Cornell University Press 1996.
- Revue Histoire de vie No 1. P.U. de Rennes, UHB de Rennes, sciences de l'éducation
- Les histoires de vie. Théorie et pratique. Education permanente no 142. à vingt ans
Ils demandent la création des emplois et moyens nécessaires pour :
- développer l'ensemble des disciplines scientifiques,
- permettre l'émergence de nouvelles thématiques,
- mettre en œuvre une RTT permettant une amélioration des conditions de vie
et de travail,
- résorber effectivement l'emploi précaire.
Par ailleurs, le SNCS estime, à propos du code des marchés publics, que "le parlement doit réagir pour que cesse le scandale... Aux déficiences usuelles de la recherche française (pilotage gouvernemental, crédits insuffisants, trop faible croissance de l’emploi scientifique chercheurs et ITA), le gouvernement, Bercy disent certains, est venu compliquer le jeu en imposant des règles de marchés publics inapplicables dans nos laboratoires". Texte du communiqué, au format PDF.
D'un autre côté, comme toutes les formes d'insécurité affectant les transports physiques (personnes ou biens), les événements actuels et en particulier le terrorisme biologique (anthrax) poussent à l'emploi des moyens électroniques, comme le signale par exemple Internet Actu Flash (lundi 29 octobre 2001).
Un autre membre de l'équipe d'Internet Actu essayé de remplir sa déclaration de revenus en ligne.
Notre confrère ne vous en conseille pas moins de rendre visite à l' e-ministère" du Minefi.
L'Aconit, l'AHTTI et le Charme (Comité pour l'histoire de l'armement) organisent, du 18 au 20 novembre 2002, à Grenoble, un colloque international sur "L'histoire de l'informatique et des réseaux".Renseignements.
Mais s'ils préfèrent le français, ils peuvent aussi retrouver dans leur bibliothèque préférée le "SDL, modélisation de protocoles et systèmes réactifs" de Zoubir Mammeri (Hermès Sciences, 2000).
Alternative, si le sujet vous paraît trop difficile, transposez l'exercice en physique fondamentale avec les "Particules élémentaires" de Michel Houellebecq (Flammarion 1998).