@SURTITRE:STRATEGIE A LONG TERME

@TITRE:Choisir son type de prospective

@CHAPO:La prospective sort de sa crise. Mais quelle prospective? Il faut choisir entre plusieurs démarches, plusieurs "philosophies"

@TEXTE:"Au cours de la dernière décennie, la prospective est devenue un élément essentiel dans l'élaboration de la stratégie des grandes organisations", écrit Jacques Lesourne, président de Futuribles International, dans sa présentation de l'ouvrage collectif qu'il vient de signer avec Christian Stoffaes et quatre autres chercheurs (*). Essentielle peut-être, difficile sûrement, car personne n'a encore oublié les échecs du Club de Rome ni la difficulté des grands modèles mathématiques à suivre une économie déstabilisée par le choc pétrolier.

@INTER:Aussi difficile que nécessaire

@TEXTE:Aujourd'hui, loin d'afficher les certitudes "scientifiques" d'hier, elle se considère comme un art difficile. Elle doit, en particulier, associer l'homme d'études et le décideur. Ils ont du mal à définir leurs rôles respectifs aussi bien qu'à gérer leur collaboration. "Ainsi, lorsqu'on passe d'un homme seul à un couple décideur-homme d'études, on gagne en général sur le plan du professionnalisme et de la répartition du travail, mais de nouvelles formes de dysfonctionnement apparaissent", écrit encore Jacques Lesourne.

@INTER:A chaque entreprise, sa philosophie

@TEXTE:En pratique, les entreprises pratiquent des philosophies bien différentes de la prospective. Et pourtant elles convergent, sans qu'on sache exactemnet expliquer pourquoi. Cette convergence ne doit pas masquer une variété des pratiques.

Un premier mode, bien représenté par l'Oréal, est sans doute fort répandu. On pourrait l'appeler le mode de l'attention et il confère à la veille, en effet, une place privilégiée. Cette attention est qualitative, flexible, accorde beaucoup d'importance à l'intuition, à l'imagination, voire à la provocation, tout en incluant une représentation construite, indépendamment des circonstances, de l'entreprise dans l'avenir. On pourrait dire que la prospective y est le nez de la stratégie.

Un seconde mode est celui de la projection, fortement lié à la planification par laquelle l'entreprise se projette dans l'avenir, plutôt linéairement dans le moyen terme, de façon plus arborescente à long terme, là où les chiffres ne permettent pas tout à fait d'aller. La prospective est un moyen de rationaliser mais aussi d'inscrire dans un ensemble collectif, voire historique, les décisions de quelqu'un qui aura peut-être disparu quand elles continueront d'exercer leurs effets. C'est le choix, par exemple, d'Elf Aquitaine. L'oeil de la prospective dessine les cartes de la stratégie.

Le troisième mode relèverait de la prospection des urgences stratégiques, en ce sens que l'attention se focalise simultanément ou successivement sur les centres d'intérêt stratégiques pour l'entreprise. On le retrouve aisément à EDF mais aussi à La Poste, à la SNCF et à France Télécom. La prospective y serait l'antenne tactile et fureteuse de la stratégie.

Un dernier mode, issu de l'expérience de la Shell, est sans doute plus étrange. Ce serait celui de la compréhension, dans une acception un peu différente de l'ordinaire. Il s'agirait de "prendre ensemble", dans l'entreprise, des perceptions distribuées des avenirs pour élaborer une bibliothèque de réponses et, surtout, de réactions possibles. C'est faire de la prospective l'oreille et le filtre de la stratégie, voué à rendre plus tard le tri dans l'information surabondante.

@INTER:La prospective, "école d'inquiétude"

@TEXTE:Mais, finalement, les philosophies de la prospective convergent vers un modèle pratiquement unique, qui peut se résumer en trois points.

- La prospective n'est pas la prévision. Son intérêt découle de l'idée que l'avenir ne sera pas comme le passé. Il n'existe pas de futur unique et prédéterminé que des techniques idéalement perfectionnées permettraient de prédire. La prospective est donc une école d'inquiétude. Mais, effectuée avec rigueur et ouverture d'esprit, elle met en évidence les véritables enjeux stratégiques.

- La prospective se fonde sur une ouverture à l'extérieur, sur l'environnement, sur les attentes et comportements des entreprises homologues, concurrentes, complémentaires, des institutions et des groupes sociaux.

- Pour ne pas rester lettre morte, la prospective doit être diffusée à l'intérieur de l'entreprise. Ce travail est aussi important que le travail d'exploration des possibles et d'élaboration de scénarios.

Bref, philosophie commune, moyens très inégaux, pratique variées, la prospective est aussi son propre laboratoire, où s'affine un sixième sens, présent chez tous les êtres vivants, mais encore embryonnaire dans les organisations humaines, le sens du temps.

Le livre ne fait qu'une part modeste à la technologie et à l'entreprise en particulier. Pourtant, dans toutes les entreprises citées, les nouvelles technologies jouent un rôle essentiel dans leur évolution. Pour le meilleur et parfois pour le pire (ne nommons personne). Quand il prévoit quelques catastrophes petites ou grandes pour la monnaie unique ou le passage à l'an 2000, le DSI fait-il de la prévision, de la prospective, ou de l'anticipation... Il trouvera en tous cas dans ces faits concrets (et dans le discours parfois un peu académique qui les encadre ici) quelques idées sur la manière d'orienté à tout le moins sa "veille technologique".@SIGNATURE:Pierre.Berger@lmi.fr

(*)La prospective stratégique d'entreprise. Concepts et études de cas. Par Jacques Lesourne et Christian Stoffaes, avec Arie de Geus, Michel Godet, Assaad-Emie Saab et Peter Schwartz. InterEditions 1996.