SYSTEMES EXPERTS DANS L'ASSURANCE

La productivité fait peur

L'assurance pourrait être le principal secteur utilisateur de systèmes experts. Tout l'y porte. A commencer par la nature juridique, contractuelle, textuelle de ses produits et de ses prestations, bien adaptées à une traduction sous forme de règles. Qu'est-ce d'ailleurs qu'une police d'assurance sinon une suite de clauses qui décrivent les garanties... et les exclusions. D'ailleurs les compagnies n'ont pas attendu l'IA pour structurer certaines de leurs tractations, notamment la répartition plus ou moins forfaitaire des responsabilités dans les petits accidents automobiles. Elles se sont depuis longtemps mises d'accord sur un ensemble de règles simplifiées au nom significatif: l'"infracode".

Par ailleurs, le caractère hautement répétitif des pérations, portant sur des millions de polices et de sinistres, facilite la définition des bases de règles puis leur application massive. La rentabilité semble donc assurée autant que la faisabilité. De fait, la prochaine SIIA (Semaine internationale de l'informatique de l'assurance, Paris du 5 au 8 juin) fait une large place aux systèmes experts, avec deux ateliers et un exposé de Coopers et Lybrand en séance de clôture.

Mais alors, pourquoi si peu de réalisations concrètes? En cherchant bien, nous n'avons pas trouvé une dizaine d'applications opérationnelles en France. Certaines relèvent de l'aide à la décision, du complément au dialogue commercial, de manière analogue aux outils développés par la banque ou certains secteurs industriels (traitement de l'eau), où le système expert est surtout une amélioration d'un processus qui substantiellement peu changé. En revanche, deux cas donnent à réfléchir par leur efficacité, due à une véritable automatisation du travail conduisant à des gains de productivité substantiels.

Saor de l'Igirs, que nous avons présenté... Le problème était d'éviter l'embauche d'une trentaine de rédacteurs pour des tâches que l'on savait temporaires. Ici, pas de dialogue homme machine, d'inspecteur partant chez le client avec son portatif. Le travail est fait par une machine Sun branchée sur l'informatique de production. Et, sauf au passage d'un visiteur, l'écran reste éteint pendant que le système expert mouline quatre recherches en parallèle.

Scarron, du Groupe des mutuelles du Mans n'a pas encore été dans colonnes. Tout récent, il s'agit de traiter des dossiers d'assurance-crédit aux entreprises, et notamment de déterminer le montant de la garantie que la compagnie est prête à accorder. Ici comme à l'Igirs, le traitement se fait en batch, si l'on peut dire, et les deux Macintosh affectés à la tâche ont aussi leurs écrans éteints (pour les techniciens, signalons que le produit a été réalisé par Joy Informatique "dans un langage dBase-like pseudo-compilé", qui probablement sera réécrit en C).

L'efficacité est impressiionnante, selon une note de l cellule "Prospective" responsable de ce développement : "Après quelques jours de réglage, Scarron se monter productif. Il effectue un cycle de traitement en un peu plus de deux minutes, ce qui lui permet de traiter 300 dossiers par jour, contre 40 à

50 pour un rédacteur humain. Deux Scarron sont mis en service. Très vite, ils entament une opération de rattrappage des affaires en souffrance. Ils absorbent 5000 dossiers en une dizaine de jours...".

Mais, justement, cela fait peur. On ne veut pas parler de suppressions d'emploi. C'est, dans l'assurance, une peur aussi vieille que l'informatique. Dès 1965, une compagnie norvégienne annonçait une réduction d'effectifs de 20% pour un taux d'activité accru. En 1976, le rapport Nora-Minc précise: "Dans les assurances, le phénomène est encore plus pressant (que dans les banques). Les économies d'emplois, désormais possibles sur une décennie, sont d'environ 30%".

Pourtant, cette inquiétude n'a pas de fondement dans les faits. L'assurance, en réalité, fille du calcul et de la solidarité, semble avoir tout à gagner des progrès de l'informatique (voir la synthèse publiée par l'Argus des Assurances...). Au fil des ans, malgré une informatisation dont on peut espérer qu'elle a été efficace, la profession a toujours trouvé de nouveaux axes de développement et su exploiter ses ressources humaines.