@SURTITRE:ROLANDE RUELLAN, DIRECTEUR DE LA SECURITE SOCIALE

@TITRE:"L'informatique est l'outil qui fait l'unité de la sécurité sociale"

@CHAPO:Schémas directeurs, déclaration unique d'embauche EDI, projets nouveaux comme le chèque service ou la carte santé... l'efficacité de la Sécurité sociale et la qualité de ses prestations passent par la concertation entre les "branches" et leurs partenaires. Au delà de son rôle de "tutelle", Rolande Ruellan intervient de plus en plus comme arbitre, voire comme fédérateur.

@Q. La Direction de la sécurité sociale tient avant tout un rôle de tutelle. Comment l'exercez-vous en matière informatique?

@R Nous avons progressivement allégé nos interventions sur les dossiers informatiques des caisses, et la loi du 25 juillet dernier vient de confirmer cette orientation. La tutelle s'exerçait hier a priori, de manière pointilliste voire -disent certains- tatillonne. Elle n'encourageait donc pas la responsabilité des gestionnaires. Nous sommes passés à une tutelle a posteriori, globale, plutôt sous forme d'audit, mettant l'accent sur l'appréciation de la gestion.

En matière informatique, rappelons d'abord que, depuis plusieurs années, le gouvernement ne nous demande plus de nous préoccuper des marques de matériels et logiciels achetés. Désormais, les caisses ont toute latitude dans ce domaine.

Nous encadrons les opérations informatiques au niveau des grands principes posés par les schémas directeurs et par les procédures budgétaires. Ces procédures déterminent les grandes enveloppes budgétaires et leurs conditions d'évolution pour une durée de trois ans. L'approbation annuelle du budget n'est plus qu'une formalité si la caisse respecte les conditions du plan triennal et n'a pas besoin d'autorisations complémentaires.

Ces plans de trois ans fixent des objectifs de gestion quantitatifs et qualitatifs, matérialisés par des ratios. Les caisses apprécient cette méthode, qui leur permet de planifier leur action sur trois ans. Bien entendu, si des événements imprévus, ou une réforme importante exige, par exemple, de lourds développement en gestion ou de nouveaux équipements, nous adaptons le plan. Pour des raisons de cohérence, les schémas directeurs se découpent en tranches de trois ans.

@Q Comment apprécier les choix de chaque organisme?

@R Cette évaluation exige de nous une capacité à porter un jugement. Notre direction ne comporte pas, en nombre suffisant, d'informaticiens aussi pointus que dans les caisses ou les sociétés de service dont elles s'entourent. L'essentiel est d'avoir une sensibilité qui nous permette de poser les bonnes questions aux organismes, par rapport aux objectifs qu'ils se fixent et par rapport à ce que nous, administration de tutelle, souhaitons promouvoir. Nous nous assurons qu'elles tiennent compte d'une vue prospective de l'évolution de la branche. La branche Maladie doit faire face à la multiplication exponentielle de la feuille de soins. La branche Retraite à la masse de ses données. La branche Famille doit gérer un foisonnement de prestations particulières.

Nous comparons aussi les choix des différentes branches. Si l'une d'elles projetait toujours de multiplier les grands ordinateurs mastodontes, à contre courant de l'évolution générale, nous nous poserions des questions

Notre rôle change aussi selon la taille des organismes. La pratique a consacré l'adage "Plus un régime est petit, plus on lui consacre de temps." Du point de vue informatique, les petits régimes sont moins équipés. Il leur est arrivé, dans le passé, de se livrer pieds et poings liés à des SSII qui les conseillaient plus ou moins bien. Ils n'ont pas les moyens de mener en permanence une réflexion approfondie ni de faire appel pour cela à des sociétés de service. Nous tentons donc de leur faire comprendre qu'il n'est pas utile de tout refaire en interne. D'autant que les grands régimes ont développé ou fait développer des logiciels adaptés à la sécurité sociale, ne serait-ce qu'en matière comptable. Ils ont intérêt à ce que les autres les rattrapent, pour donner une bonne image globale de la sécurité sociale. Et sont prêts à partager leur savoir faire. A nous donc d'établir les contacts pour aider à la diffusion de solutions disponibles, par exemple actuellement pour le transfert de fichiers ou la gestion électronique de documents.

Nous veillons aussi, dans les schémas directeurs des caisses, à la prise en compte de leur environnement, des autres caisses et des autres régimes. Les oeillères empêchent parfois de se poser des questions sur les répercussions de tel projet sur les autres organismes. Il s'y ajoute des rivalités, parfois positives, parfois destructrices ou en tous cas peu performantes. A nous d'arbitrer. L'informatique peut s'avérer tentaculaire, pousser à sortir de son domaine de compétence, créer des problèmes politiques. A nous d'assurer la concertation, les synergies, de créer les relations qui amplifieront l'effet des réformes par un travail en commun.

@Q Le développement de l'informatique influe-t-il sur les projets du gouvernement?

@R Ils en attendent beaucoup, et l'un des rôles de ma direction est de leur faire prendre en compte ses contraintes. Même si l'informatique permet d'envisager certaines réformes très complexes, il faut voir à quel prix, dans quels délais, avec quels risques. Pour satisfaire un petit groupe de personnes, on ne peut se permettre de chambouler l'informatique des caisses. Gardons à l'esprit les proportions entre objectifs et moyens.

A la Sécurité sociale, tout commence et tout finit par des chiffrages. Quand nous en sommes à rédiger des textes législatifs ou réglementaires, c'est que nous avons calculé combien ces dispositions vont coûter, dans l'immédiat et à long terme. Mais on ne tient que rarement compte des coûts de développement informatique.

Chaque fois quec'est possible dans le calendrier des réformes, nous essayons d'intégrer les délais de mise en oeuvre informatiques et organisationnels et organisationnels. Au temps de la plume d'oie, les modalités de mise en oeuvre étaient plus rapides qu'aujourd'hui, mais la fiabilité de la gestion était médiocre. Aujourd'hui, les problèmes de gestion et de production doivent être pris en compte dès le départ, faire l'objet d'un temps suffisant de réflexion. Ensuite, l'exécution est rapide et fiable.

@Q Comment définiriez-vous les grandes orientations actuelles?

@R Dans une première phase, l'informatique a visé l'amélioration des rendements, la production de masse. Elle doit aujourd'hui se mettre au service des assurés. Tous les régimes doivent travailler à la simplification administrative, qui implique des actions communes. Les nouveaux projets du gouvernement, comme la déclaration unique à l'embauche, les perspectives de guichet unique ou le chèque service vont de plus en plus obliger les branches à coopérer.

Or les organismes ont toujours peur de se faire plus ou moins absorber s'ils coopèrent à de telles simplifications. On peut d'autant mieux saluer, par exemple, l'attitude courageuse des nouvelles autorités de l'Unedic, qui ont décidé d'entrer dans la procédure TDS et d'utiliser ces données pour contrôler l'assiette de leurs cotisations. Jusque là, les entreprises pouvaient déclarer une masse salariale à la sécurité sociale en général et au régime chômage: il n'y avait aucun recoupement. Il n'y en a toujours pas avec les régimes complémentaires.

La multiplicité des régimes et leurs spécificités jalousement défendues compliquent l'élaboration des réformes comme leur suivi, et plus généralement la conduite de la politique sociale. La loi de décembre 1974 prévoit leur harmonisation. Nous essayons au moins de ne pas aggraver les dysharmonies. Nous ne pouvons pas non plus aller à marche forcée.

L'informatique est l'outil qui permet de reconstruire l'unité de la sécurité sociale. On l'a vu notamment en 1982, quand l'abaissement de l'âge de la retraite a obligé à reconstituer rapidement un grand nombre de carrières, avec des périodes d'activité relevant de régimes différents. Si l'on en était resté au papier, le système aurait implosé.

L'informatique a une dynamique propre, qui emporte les réticences, qui procède parfois par des voies souterraines, mais qui conduit toujours à reconstituer le projet, à conduire vers l'unité du système.

@Q Mais les libertés individuelles?

@R Le respect des libertés individuelles est essentiel dans un secteur qui brasse des données aussi délicates. Même si la Cnil (Commission nationale informatique et libertés) est perçue par certains comme "la sainte patronne des fraudeurs", je la considère comme un organisme indispensable, et je suis d'ailleurs très étonnée que certains Etats membres de l'Union européenne, par ailleurs très libéraux, ne se soient pas dotés d'une telle législation.

@Q. La "carte santé" semble prendre du retard. Pouvez-vous agir pour relancer ou réorienter le projet?

@R. Nous déplorons que le projet patine actuellement. Les expérimentations flottent, le GIE Sésame-Vitale n'est pas encore stabilisé, il doit résoudre des problèmes de gestion interne. Mais nous ne sommes pas membres du GIE, et notre rôle de tutelle ne nous permet pas d'agir directement avec un statut d'opérateur.

Ce projet a été considéré au départ comme une simple substitution d'un système électronique à la feuille de soins actuelle. Un problème de production. Mais il a tant d'implications sur ses partenaires, les professionnels de santé et même l'industrie, sans parler des répercussions sur le personnel, qu'il prend nécessairement une dimension politique. Un comité d'évaluation a donc mis été en place, à la demande de la direction de la Sécurité sociale, et placé sous la présidence de Mr Giraud (conseiller maître honoraire à la Cour des comptes) et avec le docteur Gubler, inspecteur général des affaires sociales, comme rapporteur général. Ce comité devrait donner une évaluation du projet à la fin de l'année ou au début de 1995, et nous permettra ensuite de l'orienter. Deux points nous préoccupent actuellement: la concertation avec les professionnels de la santé, notamment les médecins généralistes, et les relations entre les régimes de base, le GIE et les autres régimes.

@Q. L'entrée en campagne présidentielle à partir de janvier prochain risque-t-elle de retarder encore ces mises au point?

@R. Les échéances politiques ne devraient pas sensiblement influer sur ce projet. Il faut maintenant trouver les voies de la coopération entre tous les partenaires.

@Q. Participez-vous activement aux travaux sur l'EDI?

@R. Là aussi, notre rôle consiste à faire travailler les régimes ensemble. La branche Vieillesse a joué un rôle de pionnier avec TDS, mais ne prétent pas régir le dossier pour toute la Sécurité sociale. Il faut donc trouver des moteurs et des pilotes dans les autres branches. Mais les différentes branches travaillent à des rythmes très différents. Et plus encore quand on passe au niveau européen, qui ne s'intéresse que très peu aux aspects "famille", par exemple.

Il faut pourtant bien que tout progresse de manière cohérente. Quand des entreprises commencent à pratiquer l'EDI, elles souhaitent l'étendre à tous leurs partenaires, pas seulement à une ou deux caisses particulières.

La simplification viendra d'une mise en commun des moyens. Mais on ne peut l'envisager qu'aux niveaux supérieurs du réseau. Et en restant réaliste. On a par exemple envisagé une passerelle unique, au niveau des Etats, pour les échanges entre pays de l'Union européenne. Mais il paraît souhaitable que ce point de passage soit relayé, en France, au niveau de chaque branche de risques.

Nous participons à Edifrance et à certains groupes (EDSI notamment) ainsi qu'à Edisocial, où nous apprécions l'engagement du CNPF. Nous avons absolument besoin de lui, et d'une représentation coordonnée de ses différentes instances. Il a entendu notre message.

@Q L'aménagement du territoire s'applique-t-il à la Sécurité sociale?

@R L'informatique permet de concilier les exigences de la gestion économe et de l'aménagement du territoire. Ainsi, si le découpage territorial de la Sécurité sociale devrait aboutir à des organismes d'une taille suffisante pour garantir une efficacité maximale, cela ne signifie pas qu'il faille regrouper les hommes. Au contraire, l'informatique actuelle devra favoriser la dispersion des points de contact avec le public et la délégation de responsabilité à des antennes de gestion au plus près possible des populations. Mais il n'est pas facile de regrouper les centres de décision, ni de disperser les moyens de gestion.

@Q La banalisation des postes multifonctions permettrait-elle d'ouvrir des bureaux polyvalents pour l'ensemble des branchesou des régimes?

@R L'informatique pemet toutes les décentralisations que l'on veut et des mises en commun de moyens. Mais il sera difficile de créer de tels bureaux. S'il s'agit de renseigner l'assuré, on peut concevoir des regroupements de guichets d'accueil. Le point de savoir si des bornes interactives avec dialogue vocal pourraient fonctionner en France, comme cela existe dans certains pays (Etats-Unis, par exemple), n'est pas évident. En outre, il y a des personnels à reconvertir vers l'accueil, compte tenu des gains de productivité que réalisent les organismes de sécurité sociale.

S'il s'agit d'aller au delà du renseignemnet ou du dépôt de dossiers, et de liquider les dossiers de prestations, c'est moins évident. Mais des expérienes de caisses-pivots sont en cours entre les régimes maladie des agriculteurs et des commerçants et artisans. Il n'est pas sûr que cela corresponda à un vrai besoin. De très bonnes idées théoriqeus ne sont pas toujours très utiles. @SIGNATURE:PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BERGER

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//////////DEUXIEME PAPIER

@SURTITRE:SECURITE SOCIALE: MOYENS ET PROJETS

@TITRE:Deux milliards d'investissement informatique

@CHAPO:La protection sociale est mise en oeuvre par différents dispositifs. Le "régime général" et ses quatre "branches" se sont dotées de structures adaptées à leurs missions. Et les font évoluer progressivement vers les technologies nouvelles. EDI et "carte santé" polarisent actuellement l'attention.

@TEXTE:La Sécurité sociale gère, globalement, un budget supérieur à celui de l'Etat. Le "régime général", de loin le plus important, assure 46 millions de personnes (80% du total). S'y ajoutent le monde agricole, les travailleurs non salariés et divers régimes spéciaux. Outre son rôle de conception et de mise en oeuvre des politiques, la direction de la Sécurité sociale exerce un rôle de tutelle sur la plupart de ces régimes (à l'exception, principalement, du régime agricole, qui dépend du ministère de l'Agriculture), et des organismes qui les mettent en oeuvre: Caisses nationales, caisses régionales, caisses primaires, organismes de recouvrement (URSSAF, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales) caisses d'allocaions familiales, pour ne parler que du régime général.

Le régime général, organisé en quatre grandes "branches" emploie 172 000 personnes. Il dispose d'un parc organisé pour l'essentiel autour de grandes machines Bull et IBM, avec des terminaux classiques et une part croissante de micro-ordinateurs connectés (typiquement, des PC sous Windows). La gestion électronique de documents (GED) fait l'objet d'études et d'expériences-pilotes depuis plusieurs années, mais la généralisation en ce domaine est tributaire d'une prise en compte des contraintes organisationnelles et de l'avancée du droit de la preuve.

@INTER:Le "recouvrement" étudie l'ouverture sur Unix

Les organismes de recouvrement des cotisations, sous l'égide de l'Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale), disposent de huit centres régionaux de traitements lourds, au service de 109 Urssaf. Outre l'application principale, SNV2, l'Acoss travaille sur une approche par projets et une étude de faisabilité d'ouverture sur Unix.

@INTER:Prestations familiales: le client/serveur généralisé en 1997

@TEXTE:Sous l'égide de la Cnaf, la branche "prestations familiales" lance sa nouvelle application nationale "Cristal", basée sur le modèle client/serveur. Sur 125 caisses, quatre sont équipées en 1994, et l'outil se généralisera d'ici à 1997, s'appuyant sur 12000 postes de travail sur micro-ordinateur. Ce développement part d'une situation actuelle qui comporte huit centres de traitement lourds et une application nationale principale, Mona. Le passage au client/serveur se fera en douceur, avec une volonté affichée de décentralisation: "Le centre de gravité du système informatique se déplace... vers le poste de travail et le réseau local support de sa connectivité", a déclaré Alain Folliet, directeur informatique et organisation de la caisse nationale, au "Forum informatique et communication" organisé l'an dernier (LMI du 15/2/93).

@INTER:Vieillesse: personnalisation et rôle pilote dans l'EDI

@TEXTE:La nature des prestations a conduit la Cnav à centrer ses moyens autour d'un centre de traitement lourd national. Les principales applications nationales visent la personnalisation des prestations: gestion des carrières des assurés (fichier national des comptes individuels) et la gestion des identités.

La Cnav joue un rôle pilote dans les échanges de données sociales, et s'est très tôt impliquée dans la gestion des données sociales, avec le programme TDS. Elle participe activement aux instances européennes Tess (Télématique dans la sécurité sociale), qui se conforment aux normes Edifact (LMI du 30/11/92).

@INTER:L'assurance maladie, dans l'oeil du cyclone

@TEXTE:En matière d'assurance maladie, l'attention se polarise sur le projet Sesam-Vitale. Il s'agit de remplacer les feuilles de soins actuelles par un système à base de carte à mémoire. Ce projet laisse espérer des économies substantielles, mais bute sur l'énormité même de ses enjeux industriels, sociaux et politiques. Le nombre de ces feuilles atteint 800 millions par an, et continue de croître de manière exponentielle. Rien que pour la Poste, leur suppression représenterait une perte de chiffre d'affaires de l'ordre du milliard de F. Elle est aussi fortement contestée par une partie du corps médical, essentiellement les médecins généralistes.

Dans l'immédiat, la Cnam, les 129 CPAM (caisses primaires) et les 1200 centres de paiement constituent l'un des plus grands "comptes" français, avec un budget annuel d'investissement supérieur au milliard de francs. 17 centres régionaux de traitement lourd et leurs matériels satellites assurent notamment le fonctionnement de la principale application nationale, Laser (Liquidation assistée sur équipements répartis). Sous l'autorité de Michel Vincendon, le schéma directeur se polarise autour de trois grandes orientations: réduction des coûts de gestion, évolution des personnels, et "maîtrise médicalisée de l'évolution des dépenses de santé" (LMI du 5/7/93).

Le réseau Ramage (Réseau de l'assurance maladie du régime général) comprend 2000 commutateurs X25, 13000 points d'accès, 6500 modems, 70 abonnements à Transpac, 30 abonnements à Numeris, 1850 lignes spécialisées, 60 centres de sécurité des appels. Depuis cinq ans, le nombre de points d'accès et de lignes spécialisées augmente de dix à quinze pour cent par an.