14/01/1993 Exposé de Gérard Verroust, (Informatique)

CNRS Université Paris VIII


Les divers automates de l'IA

Notre siècle connaît le début d'une des plus prodigieuses aventures scientifiques et techniques de l'humanité : la compréhension et la reproduction artificielle des processus de direction et de commande et, de manière plus générale, de l'intelligence. Cette aventure, qui n'en est qu'à son début, a déjà connu des succès spectaculaires mais aussi de spectaculaires échecs.

Qu'est-ce au juste que l'intelligence ? On a longtemps pensé que toute intelligence était logique, raisonnement formel. On a ainsi conçu, puis réalisé, des automates qui effectuent toutes les opérations de la logique : les ordinateurs ou machines Von Neumann. Et on leur a supposé toutes les facultés de l'intelligence. D'où toutes ces assimilations fausses de l'ordinateur au cerveau.

Or le théorème de Gödel a montré que nombre de problèmes resteront impossibles à résoudre par les procédés de la logique formelle (reconnaissance de formes complexes, traduction automatique littéraire...). Ces problèmes étant très bien résolus par des systèmes vivants, cela signifie qu'il y a d'autres formes d'intelligence.

Dépassant les limitations structurelles des systèmes logiques, de nombreux chercheurs travaillent à concevoir et réaliser de nouveaux types de systèmes intelligents fonctionnant sur le modèle des cerveaux vivants. Une nouvelle science naît : l'Intelligence artificielle, définie comme un objectif et un domaine de connaissance, et non comme la technique des systèmes experts formels. Sans hypothèse de départ sur la nature de l'intelligence, elle se propose de la connaître mieux.

On construit des automates complexes, connexionnistes ou neuronaux, qui échappent aux limitations de la logique classique, dont on peut étudier et prévoir le fonctionnement global sans qu'aucun moyen de calcul ne permette de connaître à un instant donné leur état interne.

Par ailleurs, la révolution de la pensée mathématique contemporaine (Thom, Prigogine, Mandelbrot) donne de nouveaux modèles épistémologiques (catastrophes, fractales) dont la fécondité se révèle de jour en jour. Philosophiquement, c'est un dépassement du Mécanisme vers la logique dialectique. C'est aussi la fin de toute idée d'achèvement de la physique par la découverte d'une loi universelle du Monde.

L'informatique du XXIeme siècle naît aujourd'hui. On peut envisager la réalisation de modèles du cerveau humain, incorporés dans des ensembles mécaniques munis d'organes des sens et de membres capables d'agir, à l'imitation d"un animal évolué dont le cerveau, doté de propriétés d'auto-organisation, a été formé, structuré par un riche apprentissage lié à l'environnement.

Dans le cas de l'homme, vient s'y ajouter le rôle du travail et de la vie sociale, essentiels dans la formation de la conscience. Par l'interaction avec le milieu extérieur (physique ou social) s'est constituée une assimilation de ce milieu extérieur, toujours originale car le vécu de chaque individu est unique.

Aboutissement de millions d'années d'évolution naturelle, l'homme est ce qu'il y a de plus perfectionné et de mieux adapté au milieu. Et il continue à évoluer. Les automates qu'il construit dépendent totalement de lui, même si leurs aptitudes peuvent être très supérieures aux siennes sur tel ou tel point. La caractéristique essentielle de la révolution technique contemporaine, c'est que l'homme ne fait plus, il fait faire par des automates dans lesquels il incorpore son savoir-faire, aujourd'hui ce qui est décrivable logiquement, demain sa culture et sa sensibilité ?

Mais pourquoi vouloir imiter imparfaitement ce que l'homme fait si bien ?


Les cerveaux qu'on construira seront des cerveaux esclaves totalement conditions par leur constructeur ou leur utilisateur et qu'on pourra ultra-spécialiser. Ils pourront effectuer à la place des hommes des tâches fabuleuses qui seraient terriblement mutilantes pour un être vivant. Dans l'immédiat, on attend de ces nouvelles classes d'automates des services importants qu les ordinateurs ne savent pas rendre : lecture automatique des textes manuscrits, reconnaissance de la parole, exploration des milieux inconnus, traduction automatique, etc.

Compte-rendu rédigé par G. Verroust et C. Hoffsaes