Technique et Inspiration

Il y a une évolution constante dans les composants que j'utilise. Plus qu'un « progrès » c'est plutôt une nouvelle esthétique qui s'impose à travers les composants que je choisis.

Par exemple, des micro-lampes aux diodes il y eut bien sûr le changement de qualité lumineuse : d'une lumière chaude et dorée je suis passé à quelque chose de plus bleuté qui me semblait au début très incisif. S'ajoutant au changement d'ambiance lumineuse le dessin des formes aussi était transformé par l'abandon des transistors. À tout cela venait s'ajouter une modification importante de l'écriture des partitions lumineuses.

Je me souviens avoir eu à ce moment l'impression que c'était comme si - dans le domaine du son - je passais du violon au piano.

Ainsi, l'évolution de mon travail depuis les années 80 me semble avec le recul se diviser en quatre périodes :

             Au commencement, j'utilisais des lampes classiques de très petite taille. Dans mes premières œuvres de 1979-80 ces lampes étaient animées par des composants que l'on pourrait comparer à des calculettes plus qu'à des ordinateurs. Pas vraiment de programme ici, mais une suite de puces apportant chacune leur mouvement aux lumières. Le fer à souder me tenait lieu en quelque sorte de clavier d'ordinateur.

Grâce à mes amitiés dans le milieu des ingénieurs, j'arrivais peu à peu à simplifier et à réduire suffisamment la taille des premiers PC pour intégrer l'informatique dans les socles de mes sculptures. Basées sur les complexes micro-ordinateurs, ces pièces étaient longues à concevoir et à réaliser et sont plutôt des esquisses miniatures des futurs monuments  dont elles avoisinaient hélas le coût de construction. L'essentiel était que je pouvais commencer à programmer, c'est à dire composer véritablement des partitions lumineuses avec une nouvelle liberté.

             A partir de 2002, les lampes à incandescence furent animées par des micro-contrôleurs plus petits et plus souples que leurs prédécesseurs – j'en installais souvent plusieurs sur la même œuvre après 2004 – ce qui m'offrait un nombre énorme de combinaisons, et donc évitait l'impression de répétition. Les micro-contrôleurs apportaient aussi une bonne transparence et des formes plus libres.

Surtout, ils étaient programmables ! Il m'était possible d'introduire mes partitions, même assez complexes, dans des œuvres de quelques dizaines de centimètres et – c'est peut-être le plus important – le tout pour un budget enfin raisonnable.

En 2007, je parvins même à ce que micro-contrôleurs et mémoires quittent l'abri secret des socles pour devenir eux aussi les éléments esthétiques de la sculpture.

             Autour de 2008, ce fut la grande révolution avec l'arrivée des LEDs blanches. Très différentes des lampes mais d'une solidité à toute épreuve, elles m'ont permis de créer des rythmes plus subtils, des mouvements plus souples et plus rapides. Les LEDs se groupaient autour d'un composant qui en dirigeait huit. C'est à ce moment que j'ai découvert les attrape-rêves qui, justement, sont construits par les Indiens à partir du nombre huit.

Il y avait cependant un inconvénient de taille : les LEDs, un peu comme les lasers, sont très directionnelles. Elles produisent un faisceau de lumière assez étroit (10 à 20° environ) ce qui ne faisait pas mon affaire. En effet une sculpture, à la différence d'une peinture, doit pouvoir se regarder de tous les côtés. Je trouvais alors la solution : les dépolir une à une. Rendues opaques, elles répartissent alors leur lumière dans toutes les directions.

             En 2014 Deux changements : les diodes sont maintenant groupées par trois autour de leur puce. Plus petite mais plus « savante », celle-ci permet de subtiles variations d'intensité. De plus, je dispose enfin de mémoires de grande capacité. La composition des partitions se trouve encore une fois bouleversée car d'autres jeux et contrepoints sont possibles. Pour profiter de ces possibilités, je me lance dans l'écriture d'un nouvel outil de programmation : le logiciel Fux – en hommage à F.J. Fux (1660-1741) qui codifia les règles du contrepoint (i.e. La superposition organisée de lignes mélodiques).

- En 2015... Au moment où j'écris, il est encore un peu tôt pour savoir ce que je vais faire, mais Fux m'occupera une grande partie de l'année.

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Dès les premiers Luchrones, je m'étais donné une contrainte : faire en sorte que rien ne vienne perturber la vie de la lumière dans les œuvres que je créerai. Donc, pas de groupes de composants ou de nœuds de fils perturbant la circulation de la lumière. Pas de bouton marche/arrêt non plus, ni de boîte mystérieuse cachée un peu plus loin. J'estimais que tout devait être visible et participer de plein droit à l'esthétique de l’œuvre. Pendant une période j'ai même placé un miroir côté socle de manière à ne pas perdre une face de luminosité.

Tout doit s'animer à partir d'une simple prise de courant... en attendant les cellules solaires. L'assemblage des matériaux, le dessin même des circuits donne sa forme au Luchrone.

Simple logique : si la lumière est la matière même de mon travail, alors il est indispensable qu'elle circule librement à travers et autour de la sculpture. Il faut faire simple, fluide ; ce que précisément permet la petite taille des composants actuels. Poursuivant mon raisonnement il était superflu, voire incohérent, d'en cacher tout ou partie dans une boîte.

Cela dit, la miniaturisation se poursuivant, je me demande parfois si les composants ne vont pas devenir quasi invisibles et donc très difficiles à manipuler ce qui rendrait mon travail problématique...

Même si cette année je compte m'acheter un microscope pour réaliser quelques soudures fines, nous n'en sommes pas encore là.

Le fait qu'il ne saurait y avoir de progrès en art (je pense à Lascaux) est rassurant. Aucune raison de d'affirmer que des œuvres de tel ou tel siècle sont « dépassées ». Pas plus que ne seraient le point d'avancée ultime de l'Art des œuvres fondées sur les derniers gadgets. Pour ceux qui ont eu l'occasion de voir mes premiers travaux, ces pièces ne sont pour moi pas moins intéressantes que les dernières. Souvent on me dit – certainement pour m'être agréable – que ce que je fais est « futuriste ». Je pense plutôt que je reflète une époque où il est plus aisé de trouver à Paris un micro-contrôleur et une poignée de diodes pour faire un attrape-rêve électronique que de rechercher les branches de saule et les plumes de condor chers aux Indiens.

Nos rêves et les leurs restent inchangés.

Alain le Boucher Janvier 2015