Le Meur à la Galerie Charlot : moment de grâce
(janvier-février 2012)
Dans la vie à la fois monotone et chaotique de l'art, fût-il numérique, surgissent des moments de grâce. C'en était un ce jeudi 2 février au sous-sol de la Galerie Charlot. Un "pot" qui réunissait les amis autour des dernières oeuvres d'Anne-Sarah Le Meur : des visiteurs intéressés, une équipe de la galerie bien emmenée par une Valérie Hasson-Benillouche enthousiaste et première à savourer les subtils mouvements sur les écrans, autant que les petits ronds rouges sur les oeuvres déjà vendues.
Pour apprécier toute la saveur d'un tel moment, il faut avoir suivi, voici quelque cinq ans, une Anne-Sarah hésitante, participer à la création du groupe des Algoristes, puis les quittant pour suivre sa voie en solitaire.
Il faut l'avoir entendue, aux journées scientifiques Laval Virtual, exposer - avec une passion émouvante, mais aussi une naïveté désarmante devant ce public d'informaticiens- ses amours pas simples avec la programmation.
Il faut l'avoir vue galérer aux fins fonds misérables des ateliers d'artistes de la Générale en Manufacture, s'y battre avec sa grande oeuvre Outre-Ronde, compliquée à souhait pour l'artiste comme pour ses assistants techniques, et si peu facile à apprécier avec plaisir même pour des spectateurs-acteurs de bonne volonté.
Il l'avoir sentie lassée, plus récemment, dans un témoignage à l'INHA, impatiente d'avoir si peu de temps à consacrer à elle-même, c'est-à-dire à son art pour son art.
Là, ce jeudi, tout convergeait dans l'harmonie. Son Oeil-Océan, à son rythme infini et infiniment varié (autant que des algorithmes peuvent être infinis), laissait apprécier ses finesses et ses profondeurs. Ah certes, il y fallait un minimum de patience. Anne-Sarah ne travaille pas pour des visiteurs qui courent entre deux trains. Parfois même tout s'éteint. Et puis des nébuleuses émergent, se répondent, se combattent. Tout à coup un vaste pan de voile vient balayer tout le paysage, puis laisse onduler la surface où ne s'affirment plus que quelques lueurs comme des lunes derrière les plis d'un rideau. Même les bords de la projection, oubliant la rigueur des éternels rectangles, ajoutent leur propres ondulations aux vibrations des lumières.
En face, quelques photos fixes. Une idée qu'on n'attendait pas chez cette abonnée au mouvement perpétuel. Mais, miracle : elles aussi bougent, pour peu que l'oeil s'y attarde.
Bonheur. Même un critique qui se voudrait aussi froid qu'impartial a bien le droit se laisser prendre au charme, et redire cinquante après sa grand-mère : "C'est ça qui est doux".