Peinture et machine

 

(Essai - Version intégrale écrite en 2004))

 


 

 

Peindre au XXIe siècle ? Pourquoi ? Comment ?

La proposition "Roxame"

 

 

Pierre Berger

avec la collaboration de Anna Arduini

 

 

Depuis l'avènement de la photographie, la peinture s'interroge sur son rôle, puisque désormais la machine permet à tous de créer une image durable des lieux, des personnes, des événements. Des impressionnistes à Duchamp et à Balpe, ce rôle s'est défini de plus en plus négativement, et l'univers de la peinture est aujourd'hui éclaté entre l'industrie des "nouvelles images" (les reproductions), les cercles élitistes du "marché de l'art", et les horizons réduits de l'enfant, du tagger ou du  "peintres du dimanche".

 

Comment avons-nous pu en arriver à cette situation ? Parce qu'après avoir atteint au XIXe siècle la perfection technique, les peintres se sont enfermés dans la contestation de l'univers industriel. Pour le siècle qui vient de s'ouvrir, ce n'est plus en refusant la machine que la peinture peut se donner un avenir significatif, mais en l'acceptant joyeusement comme une partenaire à part entière. Elle pourrait ainsi contribuer à donner à toute la création artistique un nouveau souffle, en apprenant à jouer sur l'impertinente imprévisibilité d'outils de travail plus autonomes.

 

Pour jouer ce rôle, la peinture doit affirmer son existence propre, comme créatrice d'oeuvres matérielles, d'objets porteurs de leur propre esthétique, indépendamment de l'univers numérique. La dynamique actuelle du livre traditionnel imprimé sur papier, malgré la pression de la télévision et de l'e-book, est un encouragement puissant à progresser dans cette voie.

 

La revendication de cette spécificité n'a de sens qu'en partenariat avec les réseaux médiatiques qui occupe largement le centre de la scène mondiale, du "mindshare" des milliards d'humains qui lui sont connectés à plus ou moins haut débit. Le peintre a besoin des médias pour se faire reconnaître et les médias ont besoin de la créativité spécifique des peintres. Techniquement, la relation est facile : il suffit d'une Webcam et d'une imprimante pour passer de la toile à la Toile et réciproquement. Psychologiquement, elle est plus difficile car, aujourd'hui comme au temps des Grecs, le monde des "beaux arts" a tendance à mépriser les "arts mécaniques" en général et de l'informatique en particulier. Et cette schizophrénie culturelle rend plus difficile aux hommes d'aujourd'hui de vivre en harmonie avec leur époque.

 

C'est à réconcilier l'art et la machine que nous voudrions contribuer ici dans le domaine particulier à la peinture. D'abord en montrant historiquement comment s'est brisé le consensus des "Lumières", puis en proposant une voie générale de synthèse et en concluant par l'exemple d'un projet concret de travail "aux frontières", Roxame.

 

1. La machine espérée

 

Jusqu'au milieu du XIXe siècle, au travers de multiples mutations, la peinture cherche la beauté par le vrai, et ne néglige aucune technique pour y parvenir. Ayant achevé la conquête de son autonomie avec le tableau de chevalet, elle parvient enfin à une perfection telle que le consensus social s'établit, des peintres au public et des experts aux pouvoirs publics. Le tableau devient le produit d'une machinerie technique bien intégrée à la machinerie sociale de l'industrialisme triomphant. [1]

 

Le tableau tel qu'en lui-même

 

Pour que la peinture s'accomplisse en tant qu'art spécifique, il fallait d'abord qu'elle se dégage de son environnement. Que naisse le "tableau", dans son autonomie matérielle et jusqu'à sa valeur "marchande".

 

Au départ, tout est confondu, au fond de la grotte préhistorique. Le chamane interprétant ses visions à partir du relief de la paroi est à la fois artiste et public, dans la confidentialité ténébreuse de la galerie [2]

 

Puis, comme les autres oeuvres de l'homme, comme l'a  montré Leroi-Gourhan [3]  l'œuvre d'art émerge peu à peu pour elle-même.  Elle se dégage de la paroi, de l'architecture, du corps social, du sujet même. Le tableau de chevalet (ou la sculpture de petit format) en est l'exemple type  Cette mutation a une dimension physique, matérielle : l'œuvre peut être facilement transportée, conservée, accrochée dans une galerie. A cette fin, elle a ses limites, confortées par un cadre. Elle protège ses pigments sous des liants résistants et sous des vernis. Cette montée de l'œuvre, et même de la société des oeuvres, est le thème central du "musée imaginaire" d'André Malraux [4]

 

Matériellement autonome, le tableau devient donc l'objet spécifique d'un processus technique de création artistique, comme la miche de pain est l'objet type de l'industrie agricole, ou le meuble de l'industrie du bois. 

 

La fonction du tableau : représenter le vrai

 

Jusqu'à la rupture impressionniste, le tableau a pour fonction de représenter quelque aspect du réel. Le beau, c'est le rayonnement du vrai "spendor veri" disent les théologiens-philosophes médiévaux. Mais qu'est-ce que le vrai ? Le peintre est orienté par deux philosophies différentes (à la fois opposées et complémentaires).

 

L'une que l'on peut dire "réaliste" [5]consiste à imiter le réel, ce qu'on voit ; et le plus fidèlement possible, jusqu'à créer l'illusion de sa présence. Et l'on remémore inlassablement le miracle de vignes si parfaitement peintes que les oiseaux viennent tenter d'y picorer les grains de raisin, etc. L'idéal, c'est le "trompe-l'oeil". Pour le romain Vitruve [6] "l'on ne doit point estimer la peinture si elle ne représente la vérité. Ce n'est pas assez que les choses soient bien peintes, mais il faut aussi que le dessin soit raisonnable et qu'il n'y ait rien qui choque le bon sens". D'où l'intérêt des théories mathématiques sur la perspective, par exemple, perspective géométrique et  perspective "aérienne" (les fonds sont plus bleus, plus flous et moins contrastés que les premiers plans).

 

Pour l'autre philosophie, que l'on peut appeler "idéaliste" la peinture doit chercher le vrai au delà des apparences, viser l'idéal, le type achevé, l'archétype, l'idée parfaite, dont nos yeux humains ne nous montrent que des ombres sur le mur de la caverne de Platon. On est aux frontières du sacré, quand on n'y est pas directement immergé. C'est l'idéal de l'art byzantin, des icônes et de la plus grande part de l'art médiéval.

 

Le tableau, produit d'une technologie de plus en plus sophistiquée

 

Pour cette recherche du vrai, soutenue par la science, il est naturel pour les maîtres de la Renaissance, de faire appel aux techniques les plus avancées, aux machines. Vinci et Michel-Ange sont ingénieurs autant que peintres. Tout y encourage, depuis un philosophe du XVIIe siècle comme Francis Bacon[7] , qui souhaite "que l'esprit dès le départ ne soit pas laissé à lui-même, mais qu'il soit toujours guidé, et que la chose se fasse comme par une machine" jusqu'aux hommes de loi parisiens qui font écrire sous l'horloge du Châtelet de Paris (où elle est toujours lisible)  "Machina quae bis sex tam juste dividit hora, justitiam servare monet legesque tueri" (Cette machine qui, deux fois six fois, divise si justement les heures, nous apprend à servir la justice et à observer les lois.)

 

Mais, de même qu'il y a deux philosophies du vrai, il y a deux types de machines qui peuvent  servir au peintre.

 

Du point de vue "réaliste", il s'agit d'aider le couple oeil/main à reproduire ce que voit le peintre. Ce sont d'abord les outils de "mise au carreau" qui facilitent l'exactitude du dessin, complétant les travaux théoriques sur la perspective, dont par exemple Francastel [8] signale l'importance. S'y ajoutent les découvertes optiques de la chambre noire, d'abord avec un simple trou, puis avec un objectif optique. "Les dispositifs décrits dans les gravures de Dürer, à base de visée et de grilles et montés à partir du XVIIe siècle sur trépied ­ en sont les exemples les plus connus. Les recherches d'historiens de l'art ont mis en évidence l'utilisation de la camera obscura par des peintres comme Canaletto. Le résultat est d'une telle précision qu'il est aujourd'hui possible de déterminer l'endroit exact de Venise d'où le peintre a fait son relevé."  (Boudin Lestienne [9]). Ces machines s'appuient sur une théorie de la vision : le tableau est une fenêtre découpée dans le faisceau des rayons qui aboutissent à l'oeil.

 

Ces techniques n'ont fait que se perfectionner. Ingres utilisait une chambre claire, appareil optique composé d'un prisme et de deux lentilles de mise au point permettant de faire apparaître l'image placée devant le dessinateur sur sa feuille de dessin. A la limite, on peut considérer que la photographie n'était que l'aboutissement logique, et dans une large mesure, final, de cette progression scientifique et technique.

 

D'un point de vue "idéaliste", il s'agit de trouver et d'utiliser les proportions les plus harmonieuses. Elles peuvent être obtenues par l'observation de la nature, des corps les plus beaux, ceux qui matérialisent le mieux l'idéal du corps humain, d'un animal, d'un arbre. Dans le dessin "canique" d'une tête humaine qui se tient droite, par exemple, les yeux sont placés à mi hauteur entre le bas du menton et le sommet du crâne. Les arts plastiques n'ont pas la chance de la musique, où l'harmonie des tons se ramène aux proportions simples (doublement de fréquence pour l'octave). Mais il font grand usage de rapports en nombres entiers ou, plus finement de formules comme le nombre d'or (les "tracés harmoniques" selon l'expression de Georges Jouven [10]). Ces formules ne sont pas des machines matérielles, mais elles s'emploient avec la règle et le compas. Et elles sont les ancêtres de nos logiciels d'aujourd'hui.

 

Le tableau, produit d'une machine sociale

 

Tout en se posant comme objet matériellement autonome, le tableau fait éclore autour de lui tout un jeu de rôles, toute une machine sociale.

 

L'artiste s'affirme en tant que tel. Jusqu'au moyen-âge, il est anonyme sauf quelques rares exceptions. C'est surtout un artisan, au service du prince, de la communauté religieuse. La rupture se fait, pour les plus grands, à la Renaissance. Il signe, il est reconnu comme tel. Il devient un génie célébré et largement rémunéré. Comme il a besoin d'un "atelier" de collaborateurs, il devient presque un entrepreneur, on dirait aujourd'hui un producteur.

 

Sous ce régime, l'artiste n'est pas difficile à définir. C'est celui qui sait créer de belles oeuvres, parce qu'il a deux compétences :

. Une forte sensibilité accordée au type d'art qu'il pratique (peinture, musique...)

. Une compétence technique, en général acquise par un long travail, qui lui permet de traduire ses émotions sur la toile ou dans une salle de concert.

La réunion de ces deux compétences est rare, notamment parce qu'elles sont contradictoires dans une certaine mesure (la sensualité s'accorde mal avec le travail). Il y a donc assez peu de bons artistes, et les meilleurs sont proclamés génies.

Le spectateur est invité à jouir de l'œuvre, la "résonance" se fait avec l'œuvre, que ce soit parce qu'elle lui rappelle des bons souvenirs, qu'elle manifeste la gloire du roi, ou qu'elle lui donne des émotions en tous genres, y compris érotiques..

Physiquement mobile, l'œuvre peut devenir marchandise sur un marché. L'œuvre  n'appartient plus nécessairement au maître de la maison et de l'esclave (comme durant l'antiquité), au prince politique ou religieux du moyen-âge ou de la Renaissance, au roi...  elle a le statut de bien mobilier que peut s'offrir le bourgeois.  Amorcée très tôt en Hollande [11] , ce rôle deviendra la règle avec la Révolution française et la généralisation des régimes démocratiques.

Et le consensus s'établit sans trop de mal pour couronner les chefs d'œuvre. Un large public peut accéder à des synthèses pédagogiques comme la  Grammaire des arts du dessin de Charles Blanc[12].  Le bon peuple et les experts et critiques (à partir de Diderot )  peuvent (relativement facilement) s'entendre pour apprécier les bons artistes, parce que chacun sent bien qu'il ne pourra pas "en faire autant" s'il achète une boite de couleurs. C'est la grande époque des salons, et des grands artistes officiels chéris par le pouvoir comme par le peuple, l'époque de David, d'Ingres de Delacroix, dont les chefs-d'œuvre, qu'on les aime on non aujourd'hui, n'ont jamais été dépassés sur leur propre terrain.

Marchandise, elle a une valeur marchande, qui peut s'établir et se stabiliser grâce à des salons réguliers, assurant un flux suffisamment large et "liquide" pour permettre un cours ("tant le point" pour tel artiste).  Une valeur d'autant mieux garantie que l'œuvre est unique. La copie est légalement sévèrement réglementée et exige d'ailleurs de solides compétences.

Ainsi le tableau de chevalet triomphe. Il exprime adéquatement une conception du monde rationnelle et réaliste (mais pas dans le sens que ce mot prendra plus tard). Il est créé grâce à ensemble achevé de techniques de représentation du réel ou de sa transposition allégorique. Il est pensé et peint par des génies multidisciplinaires (pour Vinci, l'artiste doit tout savoir). Il est au service des grands hommes et de la Patrie reconnaissante (fronton du Panthéon) comme du bon peuple qui peut venir l'admirer dans les musées nationaux. Bref, il est une pièce maîtresse de la grande machinerie technique et sociale dont rêvaient les Lumières.

 

La machine ennemie

 

A peine achevé, ce système des beaux-arts, cette  cathédrale technique et sociale qui avait fait du tableau sa clé de voûte,  va  maintenant éclater.

 

La machine sociale va apprendre à se passer de lui, ou plus exactement à le réduire à un prétexte, au fondement insignifiant par lui-même d'une intervention, d'un discours, d'un concept. Il ne faudra qu'un demi siècle, entre deux dates emblématiques : le salon des refusés (1863) et la "Fontaine" de Duchamp (1917), pour que l'œuvre passe au second plan derrière le système des arts. Puis quelque 80 ans pour que l'art numérique, prétende sonner le glas définitif du  tableau et même de l'œuvre d'art en général (Balpe[13]).

 

De son côté, l'artiste va creuser toujours plus profond le fossé qui le sépare du grand public. Le sculpteur des cathédrales travaillait pour la totalité des croyants. Ingres et Delacroix peignaient pour tout le monde, au moins le monde bourgeois. Duchamp intéresse le monde de l'art. Balpe est un professeur d'université.

 

Du tableau au concept

 

La première rupture se produit en 1863 avec le refus du Salon officiel d'accepter l'Olympia de Manet, puis l'ouverture du Salon des refusés.

 

La rupture impressionniste ne remet pas en cause le tableau de chevalet. Bien au contraire. Elle profite de la légèreté de la toile et de la facilité des couleurs en tubes pour aller peintre sur le motif. Mais elle détache l'oeuvre de ce qu'elle représente, y compris quand il s'agit d'un portrait. Comme l'écrit Malraux, à propos du portrait de Clémenceau par Manet : "Le sujet doit disparaître parce qu'un nouveau sujet paraît, qui va rejeter tous les autres : la présence dominante du peintre lui-même". Pour Zola [14], l'art est "un coin de nature vu à travers un tempérament". Avec les impressionnistes, c'est ce tempérament qui compte.

 

Cette liberté absolue que revendique l'artiste, contre le goût du public et contre l'avis des experts, va conduire à une deuxième rupture, celle de Duchamp proposant son urinoir à l'admiration des collectionneurs, en 1917[15]. Cette fois, la mort de l'œuvre en tant que valable par elle-même est définitivement posée. Elle n'est plus en elle-même qu'un objet dérisoire, sinon répugnant. Mais elle porte, elle ancre dans la réalité matérielle l'acte souverainement gratuit d'un artiste. Dès lors, à quoi bon peindre ou sculpter? Logique avec lui-même, Duchamp se consacre ensuite à d'autres activités. 

 

Que peuvent faire les artistes peintres qui n'entrent pas dans la même logique que Duchamp ? Les voilà condamnés à inventer sans cesse de nouvelles ruptures, de nouvelles provocations : tableaux monochromes [16] ne prenant sens que par leur titre, travail dans la souillure, les excréments, le sperme même... Voire plus d'œuvre du tout, avec de simples "installations". [17]

 

Cette nécessité de la rupture renouvelée traduit aussi une nouvelle fonction de l'œuvre d'art, un nouveau rôle de l'artiste.

 

D'un "réalisme" à l'autre

Depuis l'impressionnisme, ce qui est "vrai", ce que l'oeuvre "représente", c'est donc l'émotion de l'artiste[18]. Emotion des sens, d'abord, puis émotions plus profondes, jusqu'à l'engagement existentiel. 

 

Or, nécessité profonde ou hasard de l'histoire, cet engagement va être largement marqué par le refus du monde industriel. Alors que la machine à vapeur, puis l'électricité, l'automobile... remodèlent en profondeur aussi bien les paysages que la société, les impressionnistes leur tournent le dos, et vont poser leur chevalet là où la nature est encore intacte : la campagne, les bords de mer, le nu. Et si nécessaire, on fuira plus loin encore, pour trouver la nature à Tahiti ou la nature... morte.

 

Il y a bien quelques exceptions : les ponts et les gares de Monet ou de Van Gogh, les aciers de Fernand Léger,  les scènes industrielles des  américains Demuth ou Sheeler, les machines de Tinguely, la peinture automatique de l'Oupeinpo, à la limite le travail photographique de Man Ray .  Mais, pour l'essentiel, la machine reste l'étrangère ou l'ennemie, de La Bête humaine de Zola aux Temps modernes de Charlot et au 1984 d'Orwell. En passant par l'extraordinaire fresque, on ne peut plus critique,  du Metropolis de Fritz Lang. Ce qui est vrai, ce qui est "réaliste" désormais, c'est la misère, la vulgarité voire l'obscénité, la destruction de l'homme et bientôt les guerres, les "grandes" guerres, où la machine sera reine, de la mitrailleuse (machine gun en anglais) aux unités "mécanisées" des chars puis de l'aviation et des missiles.

 

La peinture aurait pu évoluer autrement si le cinéma était né tout armé, comme Minerve de la cuisse de Jupiter, pour prendre le relais des dispositifs optiques utilisés par les peintres et poursuivre leur élan de perfection technique dans le domaine du mouvement, de l'animation. Mais la technique était trop rudimentaire. Le noir et blanc sautillant des films de Lumière ne permettait pas d'aborder les grands sujets classiques. Il obligeait les créatifs, pour intéresser le public, à jouer plutôt la dérision (L'arroseur arrosé) ou la fantaisie. Le génie d'un Méliès, créant, de 1900 à 1912, "un monde fantastique, poétique et charmant, imaginaire et bonhomme" [19] n'avait aucune chance de réconcilier les beaux arts et la machine. Bien au contraire, c'est à ce moment même que Picasso (qui expose en 1907 les Demoiselles d'Avignon) et Kandinsky (qui publie en 1910 "Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier")   vont l'emmener aux antipodes !

 

Au bal des Débutantes du grand art, la machine a donc radicalement manqué son entrée,
- parce qu'elle n'avait pas, alors, les moyens de répondre  aux ambitions possibles d'un art qui poursuivrait son progrès dans la ligne de David et d'Ingres,

- parce que le machinisme industriel, et ses machines à vapeur incroyablement polluantes, poussées par un capitalisme sans âme, ne laissait qu'un choix aux artistes : s'en faire les zélés serviteurs, ou entrer en résistance.

 

Alors les peintres vont illustrer la noire conclusion de La bête humaine  :  "Qu'importait les victimes que la machine écrasait en chemin ! N'allait-elle pas quand même à l'avenir, insoucieuse du sang répandu ? Sans conducteur, au milieu des ténèbres, une bête aveugle et sourde qu'on aurait lâchée par mi la mort, elle roulait, elle roulait, chargée de cette chair à canon, de ces soldats, déjà hébétés de fatigue, et ivres, qui chantaient. " On croirait voir le Cri de Munch, le Guernica de Picasso et presque toute le travail de Bacon !

 

Avec les sixties, la contestation changera de ton. Mai 68 n'est pas comparable à la révolution d'octobre. Et le pop art joue autant sur la fascination positive de l'objet industriel que sur la dérision par le détournement de ses images.

 

Mais la rage, si légitime soit-elle, et même l'ironie, finissent par s'épuiser. De négation en négation, la peinture peine à trouver un nouveau rôle dans des démocraties qui s'installent après les deux Guerres et la chute du mur de Berlin,  et dans le village global orchestré quotidiennement par l'automobile et la télévision. Que faut-il représenter aujourd'hui ? Que montrent les plus jeunes artistes des grandes foires internationales ? Les experts même peinent à le dire !

 

L'art numérique, point final de l'art "conceptuel" ?

 

Comment reprocher aux peintres de détester la machine, puisqu'elle tend par nature à marginaliser leur activité même : la création artisanale d'oeuvres uniques.  De l'antiquité au XXIeme siècle, cette évolution technique se poursuit avec une implacable logique.

 

Déjà l'antiquité pratiquait le moulage. Les statuettes de Tanagra ont montré qu'il était possible de produire des oeuvres de qualité en grande quantité. Et l'original n'était déjà plus qu'un moule, une oeuvre en creux, sans valeur esthétique par elle-même.

 

Puis la Renaissance a développé la gravure, comme un art en soi. Dès 1498, un Albert Durer [20] crée spécifiquement pour ce média les chefs d'œuvre de sa série sur l'Apocalypse. L'œuvre originale, essence de la peinture de chevalet, est donc depuis longtemps concurrencée par une oeuvre qui n'a pas d'original à proprement sinon la plaque, sans intérêt artistique par elle-même. Sauf à figurer comme témoin dans des expositions d'estampes, comme un véritable trésor s'il s'agit d'une plaque originale de Durer, mais comme un trésor au second degré seulement.

 

L'invention de la photographie par Niepce et Daguerre au milieu du XIXe siècle vient concurrencer d'une manière autrement radicale, et dans ses genres de prédilection  le portrait (dominé bientôt par Nadar) , mais aussi le paysage (on commence à diffuser des "portfolios" de photographies des grands monuments et des sites) et, un peu plus tard, la scène d'actualité. On n'aura plus jamais besoin de la grande peinture historique d'un Velasquez ou d'un David.

 

De plus en plus conquérante à l'égard de la peinture,  la photographie progresse assez, y compris dans la reproduction de la couleur, pour donner une image assez fidèle des tableaux originaux. Dans l'entre-deux guerres, la revue l'Illustration. Puis, à partir des années 1950, les reproductions de Braun et les grands "livres d'art" (notamment ceux de Skira) tendraient à rendre presque inutile la visite au musée traditionnel, au profit de la reproduction contemplée à domicile, dans l'esprit du "musée imaginaire" de Malraux.

 

Internet et l'art numérique font reculer encore le tableau dans la profondeur du virtuel, pour ne pas dire du néant . En 1996, Fred Forest fait vendre aux enchères une de ses oeuvres numériques à l'hôtel Drouot. Il était clair pour tous les acteurs informés que l'œuvre n'avait pas de valeur significative en elle-même. [21]

 

En 1998, Jean-Pierre Balpe pousse cette logique à son extrême en déclarant : "L'art numérique n'a pas de valeur... mon générateur de poème Renga a produit un peu plus de trente-six mille poèmes, tous conservés par le Centre Georges Pompidou, mais quel intérêt à partir du moment où une remise en route du programme est susceptible d'en produire une infinité d'autres"[22]. CQFD : la matrice est infiniment féconde, et produit des oeuvres qui n'ont d'autre intérêt que d'être conservées par un musée national.

 

Balpe va trop loin, sans doute, mais dit vrai tout de même A force de se contracter sur ses concepts, la matrice n'aurait même plus besoin de public. C'est elle qui devient unique, et qui vaut la peine d'être conservée. C'est le concept original de telle ou telle machine qui devient l'oeuvre même. Et ce qu'elle produit physiquement, ou sa présentation dynamique comme une "performance" n'est plus qu'une série d'événements anecdotiques sans importance par eux-mêmes. Acte théâtral, c'est la "première" qui compte.

 

L'œuvre matérielle ne disparaît quand même pas totalement. Car malgré l'art conceptuel, et malgré le numérique, il reste le besoin d'un ancrage de l'idée dans le concret. "L'intention de l'œuvre d'art n'est pas l'œuvre d'art. La plus riche collection de commentaires et de mémoires par les artistes les plus pénétrés de leur sujet, les plus habiles à peindre en mots, ne saurait se substituer à la plus mince oeuvre d'art". (Focillon [23]). Si l'oeuvre n'est plus qu'une "première" événementielle, il faut pour l'immortaliser conserver l'objet présenté  : les tableaux monochromes du début du XXe siècle,  l'urinoir de Duchamp, le fichier numérique vendu aux enchères par Forest, les poèmes produits par Balpe pendant sa présentation, les documents de travail de Christo ou de Buren. Il faut aussi conserver  les archives textuelles ou vidéo de l'événement :  enregistrements magnétoscopiques de Forest conservés à l'INA, par exemple. L'oeuvre n'est plus dans l'oeuvre, si l'on peut dire. Celle ci n'est plus qu'un objet prétexte, ou l'ensemble des enregistrements audiovisuels qui ont enregistré sa venue au monde.

 

Rétroactivement, cette marginalisation de l'oeuvre par la machine s'applique aussi à la peinture de chevalet traditionnelle, en tous cas à ses chefs d'oeuvre.  Ils deviennent pratiquement inaccessibles. Trop chers pour être achetés par le commun des mortels,  ils se cachent dans le salon et surtout les coffres de quelques collectionneurs. Dans les musées, ils doivent être protégées des voleurs et des vandales, ou simplement de la foule[24]. Il faut tenir à distance et canaliser le flot dense et continu des visiteurs. Aller voir la Joconde au Louvre ou la Naissance de Vénus aux Offices relève désormais du pèlerinage plus que de la jouissance esthétique. C'est la démarche qui compte, avec ses heures de voyage et de queue, pour quelques brefs instants de bonheur devant une oeuvre éloignée, avant que le prochain visiteur ne vous pousse vers la sortie. Il en restera l'heureux souvenir, une fois revenu chez soi, quand on pourra s'asseoir devant une bonne reproduction, et prendre son temps pour savourer son plaisir, en se rappelant qu'on a été, une fois, jusqu'à l'original.

 

Ainsi, l'oeuvre n'est-elle plus qu'un concept, un germe de plus en plus abstrait, le point de départ d'une production d'images organisée dans une "chaîne intégrée" où la machine, celle des arts graphiques, de l'audiovisuel et d'Internet, tient le rôle central. Quand elle n'est pas l'oeuvre même !

 

Du consensus social aux "rhizomes"

 

L'intégration progressive de cette chaîne technique a fait éclater le consensus humain qui s'était organisée autour de la peinture de chevalet traditionnelle et du tableau sacralisé. Désormais, la machine numérique, avec des noeuds et ses réseaux  (Internet et télévision principalement) occupent tout le centre du monde et le monde des images en particulier. C'est à ses ses marges que se définissent des mondes spécifiques : le "marché de l'art", la création locale des enfants et des peintres du dimanche, la résistance anarchiste des taggeurs, et des "rhizomes" sur la Toile. Désormais, les machines sont unies, et les hommes séparés, soit comme intégrés à la machine, soit en rupture avec elle.

 

Cette situation s'est développée progressivement à partir du Salon des refusés.

 

Le monde du grand public, aujourd'hui télévisuel

 

Le refus par le salon officiel d'accrocher les oeuvres impressionnistes, et en particulier l'Olympia de Manet, puis la décision, machiavélique, de leur ouvrir un "Salon des refusés" ouvre un gouffre entre le monde de l'art et le grand public qui ne sera jamais comblé par la suite. Si l'impressionnisme est aujourd'hui largement accepté, Picasso reste encore souvent, pour la sagesse populaire,  le symbole dérisoire du "n'importe quoi". Et comme le signalent toutes les enquêtes sur les "Pratiques culturelles des français", les longues queues aux expositions d'Orsay ou du Grand Palais regroupent toujours les mêmes minorités. De ce point de vue, la peinture ne fait pas exception dans le monde des arts. Il faut déjà être fin mélomane pour apprécier Pelléas et Mélisande, et la foule des raves techno ou des grands concerts rock contraste avec l'élite que visent les recherches de Björk et a fortiori les travaux de l'Ircam.

 

L'image de tout le monde, désormais, c'est celle qui s'imprime dans les magazines ou se filme pour la télévision. Oeuvres de grande qualité, car pensées par des "directeurs artistiques" à la forte personnalité et réalisées avec des moyens considérables par des groupes de créatifs autrement mieux armés intellectuellement et techniquement que l'artiste-peintre traditionnel avec ses pinceaux et sa boite de tubes! Mais ces images n'ont pas droit de cité dans le "monde de l'art".  Un monde toujours dominé par une conception romantique pour qui "l'art est en son essence l'expression d'une individualité géniale servie par une compétence artisanale d'élite" (Lyotard [25]). Et la vision négative d'un Adorno (selon Gimenez [26]) nous pousse à rejeter "toutes les formes modernes de médiations culturelles qui permettraient concrètement le partage des véritables expériences esthétiques".

 

L'arrogance du complexe militaro-industriel poussé à ses extrêmes par l'Amérique néoconservatrice oblige l'art soit à s'y intégrer, soit à se construire en dehors d'elle dans des sous-espaces éclatés.

 

Le "marché de l'art"

 

Pour le "marché de l'art" tel que nous le connaissons actuellement, l'évolution est plus surprenante.

Avec le salon des refusés, comme l'ont raconté bien des auteurs (à commencer par Zola, Vollard [27]et plus récemment Dominique Bona[28]) c'est un nouveau monde qui se crée. D'abord les peintres et leur entourage, dont quelques uns sont assez fortunés pour se passer de commandes et même pour aider les moins fortunés de la communauté.  Puis quelques marchands, qui créent fort habilement une clientèle de collectionneurs. Ceux-ci sont largement des étrangers, et les toiles impressionnistes vont en grand nombre quitter la France et trouver une renommée à Moscou ou à New-York.

 

Un nouveau jeu social s'organise peu à peu avec les négations successives, les ismes (pointillisme, expressionisme, cubisme, surréalisme...)  et les "avant-gardes". Et finalement  l'Etat lui-même, accablé de reproches après l'affaire du legs Caillebotte, abandonne l'académisme et la peinture officielle traditionnelle pour contribuer à la constitution du marché actuel de l'art.

 

La rupture va d'autant plus s'approfondir que les constructions de plus en plus volontaristes des peintres et des avant-garde ne peuvent satisfaire longtemps l'activité des novateurs ni alimenter un marché qui s'est donné des standards précis de productivité : on parle d'un minimum de cinquante oeuvres par an... Il faut donc inventer tous les jours un nouveau concept, une nouvelle provocation.

 

Ce monde se porte bien  économiquement [29]. Mais il passe par une crise de valeurs. L'art contemporain est un labyrinthe [30]. C'est "la fin de l'esthétique" [31] un univers d' "artistes sans art"  [32]. "... le public... attend vainement la révélation des critères esthétiques ayant permis la sélection de telle production plutôt que telle autre. Assurément, ces critères existent mais ils demeurent fréquemment la propriété d'experts souvent compétents mais discrets" [33]. Les décideurs publics décident dans l'opacité [34].

Certes, il ne manque pas d'observateurs pour critiquer cette situation et contester le fonctionnement de la matrice. Fred Forest l'a tenté juridiquement. Un autre l'a tenté par la violence, comme le raconte  Bernard Edelman[35]. Le 25 août 1993, un des urinoirs de Duchamp est exposé à Nîmes. Un certain Pierre Pinoncelli se présente, urine longuement, puis brise l'oeuvre d'un violent coup de marteau, plus sans doute pour se faire un nom que pour réformer le monde de l'art. Mais son geste, sanctionné pénalement, n'aura pas de conséquences pratiques. Et le marché de l'art va bon train. 

 

Famille, marchés locaux, rhizomes numériques

 

Mais la peinture a d'autres niches. Séparées, diverses, mais bien vivantes.

 

La peinture la plus traditionnelle dispose d'un premier atout que ne peuvent lui enlever ni les arts numériques ni les institutions et le marchés officielles : on peut y débuter avec peu de moyens. Du papier et un crayon au minimum, une boite de gouache ou d'aquarelle pour aller un peu plus loin, cela suffit à l'enfant ou à l'adulte pour entrer dans les joies de la création des formes et des couleurs.  Depuis la magie physique du pigment qui s'étale sous le pinceau jusqu'aux plaisirs de l'image en tant que telle, soit qu'elle matérialise quelque rêve, soit qu'elle représente - et c'est toujours magique, bien des enfants et des adultes éprouvent sa fascination - quelque chose du réel. L'admiration de papa et maman, des grands parents, de quelques amis, l'oeuvre encadrée dans la chambre voire dans une pièce de séjour complètent un bonheur qui se passe de toute autre médiatisation.

 

Certains vont plus loin. Ils apprennent dans un cours privé ou patenté les techniques artisanales de la peinture, construisent peu à peu ce couplage étonnant de l'œil et de la main qui dansent ensemble devant la toile. Effort du travail, douleurs de l'enfantement, joie de l'œuvre réussie et qui trouve un public, limité mais vrai, à l'exposition annuelle de la mairie ou d'une association plus ou moins puissante.

 

Pour d'autres, la bombe aérosol et le mur ont pris la place du pinceau et de la toile. Contestataire et sans doute irrécupérable malgré les efforts d'un Jacques Lang, le taggeur est le peintre de la rue. On le voue aux gémonies quand il dépasse les bornes de ce qui nous paraît raisonnable. Mais peut-on vraiment souhaiter sa disparition ? Face au rouleau compresseur de la machine télévisuelle, cette forme picturale du "terrorisme" est aussi rassurante que pénible à supporter au quotidien.

 

Quant aux "arts numériques", ou  bien ils s'intègrent modestement ou grandiosement à la chaîne principale, ou bien ils s'organisent en "rhizomes", comme le dit par exemple Antoine Schmitt[36]. Globalement,  l'ordinateur n'est encore que marginalement admis, et tout récemment dans le domaine des beaux arts : une place timide dans les grands salons, une absence dans l'enseignement de l'histoire générale de l'art (Serra [37]).

 

 

Ainsi, pour l'art comme pour l'ensemble du monde industriel et audiovisuel, les machines se sont unies progressivement en un vaste système. Autour de lui, les hommes se rassurent de petits "villages gaulois", buvant quelque potion magique conceptuelle et toujours sauvés par les interventions des héros locaux. Mais ils le payent par la marginalisation. Astérix n'est qu'un héros de bande dessinée, historiquement impossible d'ailleurs.  En refusant la machine (aussi bien en se mettant servilement à son service avec  le "réalisme socialiste"), les peintres se sont mis hors-jeu de l'histoire. Ils abandonnent l'image aux propriétaires des médias, qui réduisent son  rôle à  fournir des cerveaux disponibles aux annonceurs, comme Francis Le Lay s'est immortalisé en osant le dire . Il est de temps de faire la révolution cyborg.

 

 

La machine aimée

 

Nous ne pouvons plus espérer naïvement que la machine résoudra tous nos problèmes, nous laissant joyeusement oisifs dans une civilisation des loisirs dont l'avènement aurait marqué la fin de l'histoire.

 

Il ne sert à rien non plus de les rejeter, soit en faisant comme si elles n'existaient pas, soit en stigmatisant indéfiniment leurs méfaits, soit en rêvant d'un impossible retour à un paradis terrestre sans machines.

 

Pourrions-nous au moins les "maîtriser", n'y voir de que dociles esclaves, utiles, fiables, et dont il suffit de couper le courant quand on a fini de s'en servir ? Pourrions-nous encadrer assez bien la recherche et l'innovation pour que les machines ne progressent qu'à notre rythme, en fonction de nos besoins et en application de décisions démocratiquement prises ?  Il faudrait pour cela renoncer à l'économie de marché, cette liberté essentielle mais, comme le dit Ulrich Beck[38], qui tronque radicalement la prétention de l'humanité à gouverner rationnellement le monde et elle-même.

 

Nous proposons pour cela d'explorer une autre piste : celle du pari sur l'autonomie des machines,  de la coopération assortie du respect,  et pourquoi pas de l'amour ? Si les machines sont dangereuses, c'est parce que nous ne voulons pas les aimer. Ou que nous les aimons toujours comme des hommes. Nous sommes des techno-machistes. C'est pourquoi les bonnes solutions pourraient nous être apportées par des femmes, qui suggèrent d'autres types de relations.

 

Oui, savourons l'enthousiasme constructif d'une Marianne Serra [39]. Et regrettons que la place des femmes dans le monde des Stic ne progresse guère, elles qui leur ont tant donné depuis Ada Lovelace (collaboratrice de Babbage) et de Grace Hopper (qui inventa Cobol). Oublions peut-être (mais après tout...)  les plantureuses anatomies que l'on voit chevaucher sensuellement des motos sur la couverture des revues spécialisées,  sous le patronage de Brigitte Bardot et de sa Harley-Davidson.

 

Plus philosophiquement, relisons trois auteures inconnues ou méconnues en France :
- Mary Shelley, auteur de Frankenstein. On rappelle rarement son message : si l'homme fabriqué devient  méchant, c'est parce que son créateur l'abandonne, le refuse.
- Sherry Turckle, spécialiste américaine de pédagogie, autour d'un ouvrage sur  merveilleusement intitulé "The second self"
[40]sur les relations entre hommes et machines, et prolongeant finement le mythe de Pygmalion. (Peut-être passé inaperçu en France parce que son titre a été malheureusement traduit par "Les enfants de l'ordinateur".

- Kathleen Ann Goonan qui, dans sa  tétralogie de science-fiction, Nanotech (dont le premier est traduit en français, Queen city jazz (Editions Imaginaires sans frontières, 2002).,  nous incite à penser au penser au plaisir autant qu'à la maîtrise.

 

Allons surtout lire le Manifeste Cyborg [41]de Donna Harraway, et sa formidable conclusion : "L'imagerie cyborgienne ouvre une porte de sortie au labyrinthe des dualismes dans lesquels nous avons puisé l'explication de nos corps et de nos outils... construire et détruire les machines, les identités, les catégories, les relations, les légendes de l'espace. Et bien qu'elles soient liées l'une à l'autre dans une spirale qui danse, je préfère être cyborg que déesse"... (Et même si  Roxame est née quelque trois ans avant que son auteur ne découvre Haraway ce n'est sans pas un hasard si ce logiciel porte un nom féminin).

 

Mais, dans cette voie, que peut faire l'artiste, a fortiori le peintre ? La voie royale est de renoncer à la peinture, à ses pinceaux et à ses toiles, pour entrer à plein dans l'art numérique. Et les perspectives sont vastes et multiples, à commencer par la conquête du mouvement, et du mouvement autonome de l'œuvre. Alain Lioret en dresse un impressionnant panorama dans Emergence de nouvelles esthétiques du mouvement 

 

Un des concepts-clés, pour Lioret comme pour Schmitt[42], est celui de l'autonomie de l'œuvre, du respect qu'elle suscite. "...une oeuvre, tout à coup elle prend vie... et à partir d'un certain moment je ne peux plus la toucher, la modifier, parce que j'aurais l'impression de la détruire, ou au moins de l'abîmer, de la dévoyer" (Schmitt).

 

D'autres pistes ont déjà été explorées. Par exemple les interventions de Fred Forest prenant la Toile (le web) et plus généralement le système des médias comme toile (support de l'acte pictural). Et, au fil de ses interventions, il en obtient des effets spécifiquement artistiques. Malheureusement, cette forme d'art pictural bute sur deux limites :
- le concept même est difficile à saisir, en dehors du monde des initiés ; et la plupart de ses interventions, notamment ses ventes aux enchères, sont perçus par le grand public essentiellement comme les grands coups de bluff d'un "faux artiste" pour s'assurer la gloire et la fortune;

- il s'agit de "performances" difficiles à mémoriser, à revivre ; elles ne peuvent donc s'intégrer au "musée imaginaire" des images que chaque amateur peut aujourd'hui se construire pour jouir et comprendre ; elles ne servent qu'à leurs participants éphémères, quoique parfois nombreux ; du moins la reprise de ses archives par l'INA permettra qu'elles ne sombrent pas totalement dans l'oubli.

 

Il reste, pensons-nous, une voie spécifique pour la peinture de chevalet au sens le plus traditionnel.

 

Le tableau est mort, vive le tableau !

 

La puissance construction de l'art numérique selon Jean-Pierre Balpe semble au premier abord ne nous laisser aucun espoir. Pour lui,  l'art numérique est un art-concept, un art du modèle, n'ayant qu'une visibilité potentielle et multiple, de processus, etc. [43] Il est "spectaculaire", il "risque l'interaction", il est "oeuvre de répétition, ce qui ne veut pas dire qu'elle se répète, mais qu'elle est ouverte à la construction d'un différent au travers des reprises d'un même". 

 

Les réalisations achevées de telles oeuvres totales sont aujourd'hui les grandes rencontres audiovisuelles du sport (du foot hebdomadaire, aux  JO quadriannuels ),  de la religion (les voyages de Jean-Paul II) ou de la politique (Conventions américaines). Et finalement le JT quotidien n'intègre-t-il pas la totalité de la vie humaine dans un vaste spectacle où les journalistes jouent un rôle, artistique au sens fort du terme, pour les mettre en scène dans le cadre spatio-temporel bien précis qui nourrit chaque soir les émotions de l'humanité entière, tournant autour de la planète comme une ola de bonheurs et d'angoisses ?

 

Il n'en faut pas moins revendiquer une place pour la peinture [44]au sens le plus traditionnel, c'est à dire"essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées" (Maurice Denis[45]). Assumons pleinement les limitations que cela implique.

 

Choisir de peindre aujourd'hui, c'est renoncer : 
- au mouvement (cinéma, esthétiques du mouvement) ; cette voie est largement explorée aujourd'hui par de nombreux artistes, recensés notamment par Alain Lioret dans son ouvrage Emergence de nouvelles esthétiques du mouvement
[46]

- renoncer au relief (3D) [47] sinon par les jeux de la perspective, 
- à l'immatérialité de l'électronique, avec ses facilités de création sans outillage particulier, et de transport mondial et instantané sur la Toile, 

- à l'interactivité avec le spectateur,

- à la totalité d'un oeuvre multimédia (telle que la décrit Balpe,par exemple), et donc à laisser l'amateur, le spectateur, intégrer lui-même le tableau à son cadre de vie ou, à d'autres artistes (graphistes, éditeur), de l'intégrer à leurs propres productions.

 

Même à l'heure numérique, la peinture est donc fondée à revendiquer une finalité spécifique et autonome, celle d'une oeuvre terminée, porteuse de sa propre valeur, et pas pas seulement comme le décor d'un théâtre audiovisuel ou la matérialisation d'un concept[48]. L'exemple du livre donne à réfléchir.  A la fin des années 1990, l'e-book semblait devoir tuer le livre traditionnel et a fortiori les périodiques. Il n'en a rien été. Non que l'électronique ait échoué dans ses fonctions administratives ou culturelles : Internet explose, et plus le téléphone portable plus encore, se trouvant chaque jour de nouvelles applications. Quant à la télévision, même si elle se contente souvent de peu pour satisfaire un français moyen qui la regarde trois heurs par jour, comment lui contester un rôle culturel pas toujours "nul".  Mais le papier garde ses charmes, et plus généralement l'objet physique plat, en "2D" diraient les informaticiens. Donc, en particulier, la peinture.

 

Ces renoncements, en effet, permettent d'offrir ce que ne donnent ni la photographie, ni les installations interactives ou non, c'est, aujourd'hui et demain comme hier, de "la peinture qui demandait du temps et de la concentration visuelle, qui plaçait la contemplation dans une parenthèse de temps suspendu" [49].

 

Cette stabilité matérielle de l'oeuvre peinte est aujourd'hui d'autant plus appréciable que nous sommes immergés dans un monde audiovisuel en bouillonnement permanent. Pour construire notre personnalité, notre Ego [50], la construction de notre environnement domestique est essentiel. Le choix (et dans un ménage ou un groupe sociale, la négociation) d'un tableau et de sa place dans le logement est un acte fort, qui marquera les lieux peut-être pendant des années, alors que les images de la télévision ne durent qu'un instant, et que le téléviseur lui-même est renouvelé au fil des nouveautés offertes par le marché et nécessaires pour rester "branchés".

 

Perdus dans l'immensité de l'univers mondialisé, déstabilisés par l'immatérialité du travail comme du loisir dans la "société de l'information", les mondes virtuels, le cyberspace, nous trouvons dans l'oeuvre peinte un support rassurant dans sa matérialité, dans l'unicité de sa réalisation (au minimum, celle du tirage numéroté d'une estampe), un repère rassurant pour ancrer notre individualité dans l'universalité de l'esthétique.

 

Peindre aujourd'hui, pour montrer quoi ? 

 

Jusqu'à la photographie, on a peint pour représenter le réel, c'est à dire d'une part la nature matérielle, de l'autre les vérités éternelles. Depuis, on peint des horreurs pour dénoncer le complexe militaro-industriel, pour tourner en dérision la société de consommation,  ou tout simplement pour son plaisir ou celui d'un cercle d'amis ou d'amateurs. 

 

Dans l'optique positive à l'égard des machines que nous proposons, qu'est-ce que le tableau peut dire aujourd'hui à l'homme universel ?

 

Représenter les machines ?  Les expériences de Fernand Léger, de quelques américains (Benton, Sheeler) ou a fortiori du réalisme socialiste ne sont guère convaincantes. Quant aux machines électroniques, le  thème n'intéresse les peintres. Ni même tellement les photographes. Il est même frappant, à regarder la presse spécialisé en informatique, de voir à quel point elle est peu créative au niveau iconographique. On n'y trouve que des photos "de catalogue" des produits tels qu'on peut les trouver dans les boutiques,  ou des photos de personnes et de réunions. Les trains avaient trouvé Turner et Monet. L'ordinateur n'a inspiré que quelques dessinateurs humoristiques !

 

Expérimenter graphiquement le monde futur, comme une forme de prospective ?  C'est une voie que proposait Garaudy [51]en commentant Fernand Léger. Mais qui n'a pas apporté beaucoup, du moins en peinture. En BD, peut-être ? Et certainement au cinéma. Encore qu'on s'aperçoive que "la réalité dépasse la fiction". Sortis de quelques vaisseaux spatiaux impressionnants et d'armures plus ou moins terrifiantes, les dessinateurs, même "animés", si l'on peut dire, n'ont pas grand chose à dire. Le futurisme prophétique d'un Robida n'a pas de successeurs. Notons tout de même quelques effets ambitieux dans le troisième volet de Matrix.

 

Ne désespérons pas de l'avenir. Mais en attendant un nouveau Léger, explorons une autre voie : l'intégration de  la machine au travail du peintre.  Aimer les machines, ce n'est pas tant souhaiter avoir leur photo dans son portefeuille, c'est vouloir faire des enfants avec elles ! C'est la voie que nous explorons avec notre projet Roxame, que nous présentons plus loin dans cet essai.

 

Peindre, comment ? 

 

L'emploi pur et simple des logiciels de dessin pour peindre n'a pas conduit, à notre connaissance, d'oeuvres importantes. Pourtant semblait très prometteur dès le début des années 1990, quand l'image à haute résolution et des machines assez puissantes pour faire fonctionner des logiciels élaborés ouvraient la voie. Ces outils n'ont pas eu de succès durable dans le monde de l'art pictural proprement dit. Alors qu'ils font partie de l'atelier, qu'ils sont l'atelier même des graphistes et des équipes créatives.

 

Cette déception vient peut-être du retard des moyens d'expression matériels de l'ordinateur. On dit toujours que les technologies vont trop vite, et que les humains n'arrivent pas à suivre. Ce n'est pas le cas pour la peinture à proprement parler.

 

Pour l'instant au moins, l'ordinateur avec le meilleur logiciel reste aujourd'hui mal équipé pour produire des oeuvres peintes ayant cette richesse matérielle en  profondeur. Les imprimantes, même de haut niveau, ont été surtout conçues pour optimiser le rendu photographique sur un papier glacé. Il est plus difficile de faire bien chanter un papier mat ou à grain. Nous verrons les limites que cela impose, par exemple, au projet Roxame.

 

En attendant l'avènement de meilleurs périphériques de matérialisation des oeuvres, explorons une autre forme de coopération entre l'homme et la machine : construire des logiciels qui disposent d'une autonomie, plus ou moins grande, par rapport à la demande de l'artiste. La perspective est immense, et notre programme Roxame n'est donc que le signe avant-coureur d'une nouvelle génération de composants, peut-être demain de chips que l'on pourra se faire installer comme un piercing à l'oreille, selon l'image suggestive de William Gibson dans The Neuromancer. Roxame, ce n'est pas le Vinci de la nouvelle Renaissance, mais ce pourrait être le Giotto qui l'annonce.

 

Et, de même que cette Renaissance artistique et intellectuelle devait conduire à une redistribution des rôles économiques et politiques, le fait même de développer des machines qui soient partenaires autonomes de l'humain créateur conduit à percevoir dès à présent tout différemment les différents rôles dans la vie artistique de demain. Non plus le consensus pré-photographique de la compétence et du bon goût. Non plus, autour du système cohérent des machines,  l'éclatement communautariste des négations conceptuelles opposées aux vulgarités des mass media comme aux amateurismes. Mais, dans une harmonie retrouvée, dans une danse tantôt lascive, tantôt guerrière, tantôt suavement apaisée, le jeu multiforme de tous les humains et de leurs oeuvres toujours plus animées.

 

Mais, jusqu'à présent, cette perspective d'oeuvres "autonomes", d'artefacts non totalement maîtrisés, inquiète. Les humains se partagent entre ceux qui s'abandonnent sans états d'âme aux charmes, aux avantages, aux sécurités même qu'apportent les automates et ceux qui en ont peur. Dans nos démocraties libérales, les rôles se partagent assez clairement. D'un côté les fabricants et leurs équipes de communication font miroiter les charmes de la machine et escamotent ses inconvénients. De l'autre, des essayistes ou des auteurs de science-fiction dressent des tableaux apocalyptiques de l'avenir qu'elles nous promettent [52].  On trouve rarement d'exploration "impartiale" de ces avenirs, aujourd'hui moins que jamais, sans doute parce que les facteurs d'incertitude sont tels et les paramètres tellement nombreux que plus personne ne veut prendre le risque de se ridiculiser dans les cinq ans qui viennent. Le dernier effort en ce sens, à notre connaissance, est le 2100, récit du prochain siècle, publié en 1990 [53]. Notre projet Roxame est une exploration concrète en direction de cet avenir.

 

Tous peintres, tous collectionneurs, si nous voulons

 

Quant on interroge un moteur de recherche internet avec le mot "esthétique", c'est la chirurgie et les cosmétiques qui viennent en tête. Les grincheux diront que nous sommes tombés bien bas (même si Kant ou Adorno apparaissent aussi dès la première page. Mais on peut aussi s'en féliciter : la beauté est désormais l'activité principale de tout habitant d'un pays développé. [54]Depuis le maire de la commune qui fait repeindre les réverbères avant les municipales jusqu'au travailleur et à l'enfant qui choisissent le matin la couleur de leur cravate ou de leur tee-shirt avant de partir. Comme producteur, donc, mais plus encore comme consommateurs, puisque chaque français passe en moyenne plus de trois heures devant sont petit écran, dont le niveau culturel limité n'en fait pas moins travailler de vastes cohortes d'artistes de toutes spécialités.

 

Imprégné d'informatique, intégré par les télécommunications à haut débit, notre monde est de plus en plus celui d'un spectacle mis en scène par les politiques et orchestré par les présentateurs, sans oublier de satisfaire les pouvoirs économiques, puisque le président d'une grande chaîne française de télévision peut affirmer sans complexes que son métier est de vendre des cerveaux disponibles à une marque mondiale de sodas.

 

C'est dans cet univers que la peinture nouvelle doit trouver sa place, sans se limiter à  ses petits jeux communautaristes. Car à ce niveau, nous sommes déjà tous peintres et amateurs d'art, à nos heures (enfants, parents, amis...). Les nouvelles technologies vont nous permettre d'aller plus loin que la simple photo de vacances. Le marché les fera naître pour une bonne raison : une fois le marché saturé d'appareils de photo numérique, de caméscopes (les uns et les autres toujours plus intégrés dans les "photophones" portables), le monde sera saturé d'images d'intérêt médiocre.

 

Pour aller plus loin, il va falloir apprendre l'esthétique à tous les outils de la chaîne numérique. De même que l'on a appris l'orthographe aux outils de traitement de texte. Cela va conduire à pousser les automatismes, à tous les stades de la chaîne de création. Depuis les années 1970, les appareils photo règlent eux-mêmes leur ouverture et leur temps de pose. Depuis les années 1980, ils sont "autofocus". Sur les caméscopes, ils corrigent les tremblements du preneur d'images. Ces automatismes se poursuivent dans les chaînes automatisées de développement des pellicules et d'impression sur papier.

 

Il ne s'agit encore que de corrections. On ira plus loin : cadrage automatique sur la partie la plus intéressante de la vue, application sélective de "filtres" à effets artistiques, création de bordures, intégration de textes et, in fine, mise en pages (partiellement) automatique de l'album de photographies. Ces "filtres" vont introduire de plus en plus de créativité, y compris la mise en oeuvre de fonctions aléatoires de plus en plus puissantes, à commencer par les fractales.

 

Les options vont devenir tellement nombreuses que chacun sera conduit à paramétrer son appareil, soit directement, soit par des évaluations successives, comme une sorte d'apprentissage. Le degré d'intervention dépendra de la compétence des personnes. Les plus compétentes (ou les plus passionnées) s'engageront vers un véritable travail de "programmation". Les plus pressés, ou les moins concernés, laisseront les machines suivre leurs goûts au fur et à mesure de leurs commandes.

 

Si l'on veut, il n'y aura d'ailleurs plus de distinction des rôles dans une chaîne linéaire de construction de la valeur comme aujourd'hui, allant des artistes peintres aux collectionneurs. Tous seront des donneurs d'ordre au système autonome de la peinture. [55]

 

Pour autant, avec ou sans ordinateur et logiciel graphique, tous les enfants ne deviennent pas des artistes. Indépendamment même des aptitudes, des compétences et pourquoi pas du génie, tous les adultes ne choisiront pas la peinture comme moyen d'expression privilégié. Tout simplement parce que le monde leur offrira une telle variété d'activités esthétiques qu'il leur faudra choisir. Les journées n'ont que vingt-quatre heures, les années que 365 jours, et une vie humaine que cent, mettons demain cent-vingt ans !

 

Une différenciation importante viendra du degré d'investissement dans la technique. De même qu'il y a toute une gradation entre les amateurs de moto, depuis celui qui astique chaque matin avec amour la machine qu'il a choisie, jusqu'à l'ingénieur amateur capable de construire un nouveau type de suspension, en passant par le passionné de machines "custom". Comme nous le disait récemment Jérôme Damelincourt, fondateur de la boutique Robopolis, "Il y a les passionnés passifs, que les robots font rêver, y sont attirés par la science-fiction, les jouets, les robots de collection". Et les passionnés actifs, qui veulent construire ou programmer leur robot". C'est cette passion qui a conduit à développer Roxame.

 

Roxame, recherche d'une nouvelle peinture

 

Roxame est l'oeuvre d'un peintre pour dépasser ses propres capacités picturales, déplaçant son travail du pinceau et de la palette vers le développement d'un logiciel, mais en visant essentiellement la production de tableaux "de chevalet", susceptibles d'être pendu à la cimaise d'une galerie ou dans le salon d'un amateur, au même titre et même aux côtés de tableaux traditionnels.

 

 

Roxame, oeuvre ou artiste ?

 

Roxame est née au confluent de deux passions, remontant toutes deux aux années de collège de son auteur, dans ce lieu inspiré qu'est l'Abbaye de la Pierre-qui-Vire, et qui à l'époque prenait quelques dizaines d'élèves en pensionnat, dans un régime monastique adapté à leur jeune âge. Il y apprend les rudiments de l'aquarelle avec le Père Luc, élève de Maurice Denis. Et il y prend le goût des machines, en construisant par exemple de petits moulins sur le ruisseau voisin de la cour de récréation.  Au point que le directeur de l'école lui dédicace ainsi un livre de prix : "Rappelez-vous, Pierre, que la plus belle machine à inventer est celle qui rend les hommes heureux".

 

Adulte, après divers essais, il satisfait son goût des machines en y consacrant une vie de journaliste spécialisé en informatique et en participant aux sociétés savantes de la spécialité [56]. A l'occasion, il réalise quelques dispositifs amusants, et surtout, à la fin des années 1970, le robot Max "égoïste et sarcastique". [57] En 1999 L’informatique libère l’humain [58], il  exprime quelques convictions :


- s'il y a une constante historique, c'est la montée du "digital" et de la complexité ; celle-ci est inéluctable, parce que nous nous ne pouvons lutter contre elle qu'en nous donnant de nouveaux instruments de contrôle... donc en ajoutant à la complexité ; sauf, bien sûr, à retourner à la simplicité de la barbarie ;

 

- cette montée est à la fois source et conséquence d'une croissance permanente des autonomies, des libertés ; les nôtres mais aussi celles des machines que nous construisons ;

 

- globalement, il est permis d'être optimiste sans naïveté ; et nous avons intérêt à entrer dans le jeu du progrès des machines, à condition de ne pas perdre notre vigilance ; à l'extrême, se profile le "post humain", qu'il s'agisse de machines intelligentes, de perfectionnements génétiques ou d'une convergence des deux filières technologiques. Cet avènement terrifiant, si les post-humains nous sont étrangers, s'ils menacent de nous détruire par indifférence ou par mépris. Il est prometteur, si nous parvenons effectivement à nous dépasser nous-mêmes, à devenir "l'homme nouveau" (selon l'expression de Saint Paul [59]) , ou du moins à si bien le concevoir que nous entrions avec lui dans une relation de parents à enfants;

 

Pendant ses loisirs, il pratique l'aquarelle (et vend assez bien dans de petits salons locaux en Normandie). Mais au fil des ans, les heures passées devant le chevalet à se battre, et pas toujours victorieusement,  pour trouver la perspective d'une toiture, choisir le bon pigment pour rendre une toiture,  arbitrer les contradictions de la couleur naturelle de chaque arbre avec les exigences de la perspective aérienne... à la fin, l'ennuient. D'autant que le résultat de tant d'efforts ne lui semble apporter rien de vraiment nouveau, de radicalement original. Alors, à quoi bon poursuivre !

 

En 2001, il fait converger ces deux passions dans le projet Roxame, une petite soeur pour Max, en quelque sorte. Elle ferait de la peinture. Elle ne serait ni égoïste ni sarcastique comme son grand frère, mais elle serait impertinente. Ses oeuvres devraient être à la fois belles et inattendues, manifester, comme on dit dans le monde de l'intelligence artificielle, une forme d'"émergence".

 

C'est le point de départ d'une démarche artistique qui, près de quatre ans plus tard, considère toujours qu'elle a plus d'avenir que de passé, mais qui a cependant déjà franchi plusieurs étapes.

 

Dès le départ, Roxame surprend, bien sur, puisqu'elle travaille largement avec des algorithmes aléatoires. Mais le pur hasard n'est pas plus intéressant que la neige sur l'écran d'une télévision non connectée. Le beau émerge peu à peu. Roxame travailla de mieux en mieux. D'abord assez pour faire plaisir à son concepteur. Puis pour intéresser quelques amis. Puis pour se faire accepter dans des galeries amies et quelques salons. Elle aimerait aujourd'hui entrer dans le grand "marché de l'art".

 

Techniquement, les étapes actuellement franchies sont les suivantes :

- premières oeuvres "réussies", c'est à dire à la fois inattendues et plaisantes à regarder (Débarquement_5, 8/2001), exclusivement à partir de fonctions aléatoires

- introduction de photographies dans le processus, d'abord dans une optique "cadrage" et "filtrage" relativement simple (par exemple Elec-74, 11/2002),

- combinaison d'une analyse d'images avec la génération de formes aléatoires ("Manhattan", 1/2004),

- prise de conscience du caractère essentiel de la matérialité de l'oeuvre, et recherche de finitions plus élaborées (vernissage, par exemple, 9/2004).

 

Mais le projet comporte, dès son origine, un travail sur la question provocante : l'ordinateur peut-il être un artiste ? Au moins en l'état actuel des choses; ce ne peut être qu'une métaphore. Ne serait-ce que pour une évidence techniques : un logiciel de dix mille lignes de C++, tournant sur une machine dont les mémoires se mesurent en centaine de mégaoctets, ne peut se comparer au cerveau humain qui compte quelque cent milliards de neurones, chacun d'eux (ou nombre d'entre eux) ayant à la lui seul la complexité d'un ordinateur.

 

Pour autant, le projet ne serait  guère passionnant si Roxame n'était qu'un outil un peu plus perfectionné que les logiciels graphiques du marché. Et on ne peut d'ores et déjà lui nier un minimum d'autonomie et de capacité à surprendre.

 

Par ailleurs, Roxame peut être utilisée par d'autres personnes que par son auteur. Le caractère primitif de son développement rend cet emploi mal pratique, mais il n'y aurait qu'à... pour la doter d'une interface homme machine plus complète. Mais d'ores et déjà, on ne peut pas dire purement et simplement à l'auteur du logiciel  "C'est toi l'artiste". Il aurait au moins un jeu à trois : lui (le père de Roxame), vous (son ami) et Roxame (la mère de ses oeuvres...).

 

Alors reprenons ici cette conclusion d'Alain Lioret [60] : "... nous n'avons pas encore (et peut-être ne l'aurons-nous jamais) la connaissance et la compréhension de toute la portée produite par les résultats de tels systèmes, qui ne sont pas qu'aléatoires, qui ne sont pas du seul ressort de l'humain, ni de celui de la machine seule". Dans son état actuel, Roxame est à la fois une oeuvre (au sens de Balpe) et quelque chose d'une artiste.

 

Mais la démarche n'en est qu'à ses débuts, dans cette quête paradoxale :
- plus le logiciel progresse, plus il est autonome,
- mais plus il hérite des connaissances de son créateur (et sans doute d'autres créateurs par la suite).

 

Cela n'est pas contradictoire : le parfait pédagogue est celui qui donne le meilleur de lui même pour conduire son disciple jusqu'à l'autonomie la plus grande. "Nathanaël, quitte mon livre", écrit Gide [61].

 

Précisons quelques axes de cette démarche.

 

Faire question au spectateur, aller vers des "intentions"

 

La formule de Zola "un coin de nature vu à travers un tempérament" donne bien les limites de ce que peut représenter une peinture. A l'un des extrêmes, il n'y a plus que la nature, et c'est la photographie (en oubliant que le tempérament s'exprime même là, au moins à travers le cadrage). A l'autre, il n'y a plus que le tempérament, c'est à dire les sentiments, les émotions de l'artiste, qu'il essaye de transmettre indépendamment d'une nature extérieure et c'est l'abstraction, formulée avec force par Kandinsky.

 

Plus récemment, expression indirecte : l'effet voulu par l'artiste ne passe pas par l'oeuvre seule, qui peut être une toile blanche, mais par la position de l'objet matériel dans un dispositif de présentation et de médiatisation.

 

Roxame explore toute la largeur de cet espace. Certains de ces "styles" sont purement aléatoires (mais la pureté n'est jamais totale, c'est une impossibilité théorique), en tous cas ne tiennent compte d'aucune image extérieure. On pourrait dire plutôt qu'ils sont "abstraits", dans la mesure où les algorithmes et la mise au point de leurs paramètres expriment ce que le programmeur trouve "beau".

 

D'autres ne sont que des "filtres" modifiant à peine le document d'origine.

 

Les choses les plus intéressantes se passent dans la partie centrale de cet espace, où les algorithmes se déploient à partir de la riche information extérieure fournie par un document. C'est là qu'émergent les oeuvres les plus inattendues.

 

Et , par rapport à cet univers aléatoire, c'est au spectateur de construire son voyage dans la peinture qui lui est proposée, lecture qui peut être très éloignée de celle de l'auteur quand il l'a vue pour la première fois apparaître à l'écran. Sans "concentration visuelle", sans "temps suspendu", pour reprendre les mots d'Yves Michaud, les oeuvres de Roxame ne "disent" rien.

 

Mais que disent-elle?  Qu'est-ce que peut chercher le spectateur ? Les "intentions", voire le "tempérament" de Roxame ? A ce jour, rien dans ses lignes de programme n'explicite quoique ce soit de tel. Il peut cependant chercher dans trois voies :


- les intentions de l'auteur du programme, par exemple une certaine harmonie de la composition graphique ou du jeu des couleurs, inspirés de son expérience d'aquarelliste ; au début du projet, par exemple (et aujourd'hui encore pour certains styles), les générateurs de formes utilisaient une "palette" recréant sous forme électronique le jeu de pigments de la boite de peinture du paysagiste, par exemple le couple ocre jaune/violet très classique en aquarelle, ou le vert de vessie un peu neutre pour le rendu de la végétation...; progressivement, cette transposition passe au second degré, au profit d'une gamme plus large, élaborée pour l'instant "à l'oeil", mais qui pourrait sans doute se faire par une construction plus formelle, ou par la transcription des règles observées par les grands maîtres de la peinture ;

 

- pour les oeuvres qui partent d'une photographie, retrouver ce que pouvait être cette image, et le cas échant pourquoi elle a été choisie ou prise pour figurer dans la banque d'images de Roxame;

 

- enfin, essayer de trouver du sens dans le hasard, ce qui n'est pas plus rationnel, mais pas moins tentant, que de lire dans le marc de café ou les nombres tirés aux dés.

 

Mais il n'est pas impensable de doter Roxame d'un système d' "intentions", même si le terme ne peut avoir exactement le même sens que pour un être humain. Les roboticiens construisent aujourd'hui des machines hiérarchisées, dont les hauts niveaux poursuivent certains objectifs et construisent des planifications qui se traduisent en ordres pour les niveaux inférieurs (jusqu'aux moteurs et autres "actionneurs"), et se nourrissent des informations qui en remontent (palpeurs, caméras et autres "capteurs") pour adapter leur comportement à ces intentions. Le cas le plus évident est celui d'un lieu à atteindre par un véhicule automatique (ou un drone), et qui se traduit au fil du parcours par des modifications appropriées du cap et de la vitesse. Roxame sera un jour dotée d'un tel système hiérarchisé. Au delà, ou en complément, elle pourrait avoir aussi des "émotions", thème que travaillent particulièrement les laboratoires japonais (notamment Sony autour de ses robots de compagnie).

 

Cette construction passera par la construction, aujourd'hui à peine amorcée, d'un dictionnaire aussi vaste que possible, où chaque mot comportera ses propres générateurs d'images, mais aussi ses connotations émotives et des règles pour leur combinaison et leur expression graphique. Il n'est pas difficile de programmer que "triste" se traduit plutôt par des couleurs neutres, pendant que "joie" évoque les couleurs chaudes et bien contrastées.

 

Jusqu'où peut-on  aller ? Personne ne peut aujourd'hui répondre à cette question. Et c'est ce qui fait l'intérêt d'une telle démarche, à la limite de la construction théorique et de l'expérimentation concrète dans le domaine sensuel de son auteur comme dans le domaine émotico-médiatique du marché de l'art.

 

Construire des matériels plus "picturaux" que les imprimantes actuelles

 

Matériellement, pour atteindre son objectif de faire des "tableaux", les possibilités d'un tel système sont actuellement fortement limitées. L'ordinateur ne reçoit pas d'autres informations que mes frappes au clavier et les images photographies ou scannées. A la sortie, il ne peut utiliser qu'une imprimante (un modèle haut de gamme, l'Epson 2100), et encore indirectement puisque le logiciel n'est pas encore doté d'un pilote ad hoc, et qu'il faut donc procéder "manuellement" [62] à ces phases finales, au vernissage et à l'encadrement.[63]

 

Roxame pourrait manifester beaucoup plus largement son autonomie si :

- elle disposait de ses propres "yeux", en l'occurrence, au moins une caméra qu'elle pourrait orienter à sa guise ; elle était placée sur un véhicule autonome qui lui permettrait de circuler et de chercher elle-même "ce qui l'intéresse",

- elle pouvait vraiment "peindre" avec toute la puissance de ce mot, c'est à dire soit piloter directement un pinceau avec un bras de type robot, soit utiliser d'autres moyens (pistolet à peinture, gravure de type taille douce ou eau forte...) lui permettant de donner à ses oeuvres toute l'épaisseur d'un tableau, avec ses différentes couches, ses glacis, ses effets de touche, etc.

 

Dans l'état actuel des dispositifs d'impression, il est impossible d'obtenir même ce minimum de profondeur qui fait le charme de l'estampe traditionnelle. A fortiori de construire ces couches multiples et subtiles de fonds, d'empâtements et de glacis qui font la richesse sensuelle d'un tableau. Non qu'il serait impossible de construire de telles imprimantes. Le chemin parcouru est déjà immense depuis les imprimantes à caractères fixes des années 1960, les imprimantes à aiguilles des années 1980, et même les premières imprimantes couleur des années 1990.

 

A la rencontre des robots, des outils 3D du "prototypage rapide" et d'un développement encore plus poussé des techniques du jet d'encre, rien n'empêche d'espérer pour les années à venir... sinon que de telles machines seront nécessairement coûteuses, et ne trouveront qu'un marché limité. Mais ce pourrait être un projet intéressant pour certains ateliers créatifs.

 

Des développements dans cette direction ne posent pas de problèmes métaphysiques profonds. Certains sont à portée de main. Par exemple de doter Roxame d'une Webcam qu'elle piloterait pour choisir ses vues dans l'espace où elle est installée. D'autres  exigeraient des investissements importants pour acquérir les machines nécessaires et les mettre au point. A toute époque, ils sont évidemment limités par la technologie disponible à ce moment : même avec un gros budget, il ne serait pas possible de mettre Roxame au volant d'une voiture et de la lâcher dans les rues ou sur les routes !

 

Les perspectives sont plus complexes pour le logiciel. Les coûts d'équipement sont ici assez modestes (un ordinateur de bureau de puissance courante, un compilateur de langage, actuellement C++Builder de Borland). En revanche, le temps à consacrer à Roxame est pratiquement infini. Au départ, il s'est agi de construire quelques générateurs aléatoires de formes et de couleurs, une interface homme-machine permettant de suivre le travail de Roxame et de perfectionner progressivement les algorithmes, enfin une plate-forme technique assurant une autonomie minimale de fonctionnement : lancement successif d'oeuvres nouvelles et leur sauvegarde sur disques une fois terminées. Puis sont venus s'ajouter des routines pour charger des documents graphiques externes et un début de base "linguistique".

 

Au delà, les limites ne sont que dans l'imagination du développeur et le temps dont il dispose. Idéalement, disait Léonard de Vinci, un peintre devrait tout savoir. Roxame ne sera donc jamais terminée. Mais, à la différence d'un peintre humain, dont la vie est de durée limitée (en attendant -qui sait?-  que le progrès des neurosciences nous permette de remplacer régulièrement les zones vieillies de notre cerveau avec la même facilité qu'un cristallin ou une articulation de la hanche), le développement de Roxame pourra être poursuivi tant que quelqu'un le souhaitera.

 

Il arrive parfois, tout de même, que le programmeur bute sur la puissance des machines. Par exemple, si un algorithme exige, pour chaque pixel de l'image (qui en compte au minimum plusieurs centaines de milliers), de prendre en compte tous les autre pixels, il met "à genoux" un ordinateur courant (par exemple, un algorithme de flou maladroitement écrit prenait 4 heures pour une seule passe).

 

De ce point de vue, Roxame est une forme comme une autre de la recherche en "intelligence artificielle", vaste domaine qui fut trop médiatisé au milieu des années 1980, mais qui reste activement exploré et se traduit concrètement dans de nombreuses applications, que l'on se garde bien désormais d'affubler de cette référence (par exemple, les suggestions que font certains moteurs de recherche quand ils suspectent une faute d'orthographe dans la question posée).

 

L'art post-conceptuel dépasse l'idée de l'œuvre comme traduction d'un concept. Il déplace le concept vers la création elle-même. Et ce faisant, il propose sans complexes  une nouvelle forme d'art contemporain.

 

Roxame pour qui ?

 

Le plaisir de programmer

Même si elle n'est jamais admise dans la cour des grands, Roxame aura eu au moins un mérite : récompenser son auteur par des oeuvres qu'il n'attendait pas et qu'il trouve belles. On n'est jamais si bien servi...

 

Sa conception, son développement même est aussi une joie, comme toute construction technique. Le travail du programmeur de Roxame est bien différent de celui du peintre lui-même devant sa toile. L'ordinateur libère des tâches de routine, il décharge des contraintes, que l'on peut trouver à la longue pénibles, du jeu spécifique de chaque pigment et de chaque liant, voire des caractéristiques spécifiques des tubes de telle marque ou de telle autre. Il permet de s'attaquer directement aux composantes fondamentales de l'image : ton, saturation, luminosité. Détaché des composantes anecdotiques étrangères certes à la création.

 

Mais cette envol loin des pâtes réticentes et parfois malodorantes de la peinture se paie d'une abstraction radicale : il faut imaginer le genre d'effets que donnera telle instruction rajoutée à tel ou tel endroit. Un peu comme le concepteur d'un instrument de musique, entend dans sa tête le changement sonore qu'entraînera un élargissement de l'embouchure ou de la perce du tuyau de cuivre.

 

En outre, la programmation n'est pas amusante tous les jours. 20% de temps à écrire, 80% de temps à chercher les erreurs, m'ont dit des professionnels chevronnés. Cette recherche est parfois décourageante, car la cause n'a souvent qu'un lien très indirect avec ses fâcheux effets. Mais un programme donne à son programmeur une récompense qu'aucun humain ne peut donner : quand il se comporte comme on le voulait, on est certain qu'il ne simule pas le plaisir et l'admiration. Il "marche", tout simplement".

 

Mais ce plaisir solitaire en compagnie du petit écran serait stérile s'il n'était partagé. La reconnaissance par un public est essentielle à l'artiste. Roxame a déjà quelques fans, voire quelques clients. Mais répond-elle à mon objectif de réconcilier les hommes avec les machines ?

 

Roxame, provocation, exorcisme, exploration ?

 

Si le propre d'un artiste novateur est de déranger, Roxame peut prétende au titre. Beaucoup l'excluent d'un mot : "Ce n'est pas de l'art", a fortiori "pas de la peinture". Certains peintres y voient une concurrence, prolongeant celle de la photographie. Mais surtout, elle choque par son caractère blasphématoire. Par sa nature même, elle provoque tous ceux qui restent attachés à la conception romantique où "l'art est en son essence l'expression d'une individualité géniale servie par une compétence d'élite" [64].

 

Il est vrai qu'un journaliste aime déranger. Certains n'aiment que l'information "qu'ils arrachent", d'autres se contentent de celle qui est utile à leurs lecteurs. Personnellement, Roxame comme un bon article est une manière de faire partager son étonnement , devant la nature et surtout bien sûr devant les possibilités toujours renouvelées des machines et plus précisément du "numérique", pour ne pas dire digital. Non pas un émerveillement fasciné et naïf. Plutôt celui du père qui voit grandir son enfant autrement qu'il ne l'attendait, qui s'en réjouit tout en s'inquiétant de bien le conduire "à maturité".

 

La recherche de l'homme par lui-même, de l'homme capable de se fabriquer, de se concevoir lui-même est aujourd'hui plus active que jamais, de l' "intelligence artificielle" au clonage voire à l'ingénierie génétique, des neurosciences à la robotique. Roxame n'est qu'une des voies,  modeste mais radicale, de cette quête éternelle que l'on peut faire remonter à Adam et Eve mangeant les fruits de l'arbre "de la connaissance du bien et du mal". Et, comme toujours, de Prométhée à Asimov, cette recherche est considérée par les uns comme un coupable orgueil, voire comme le "péché originel" lui-même, tandis que les autres y voient l'essence même de l'humanité.

 

Elle peut aussi rassurer, par la matérialité, et sous certains angles, le classicisme de ses productions. Mais en tous cas, elle interroge. Elle déçoit parfois, notamment en raison de sa pauvreté matérielle actuelle. Certains de ses oeuvres, qui séduit à distance, au premier coup d'oeil, ne résiste pas à l'examen de celui qui s'en approche et est choqué par ses pixels, ou par la froide abstraction de détails qui semblaient prendre sens à distance. Bref, elle demande un effort. Certains ne regrettent pas de l'avoir fait.

 

Produit ou projet de recherche ?

 

A terme, quel est l'avenir social de Roxame, et des autres expériences de ce type ? Il devrait se déployer selon plusieurs axes.

 

D'une part un axe "industriel". Une partie des algorithmes de Roxame pourront facilement se commercialiser comme des produits pour les professionnels et le grand public, soit comme des progiciels autonomes, soit comme de nouvelles fonctions intégrées aux logiciels graphiques. Il appartiendra à chacun de savoir s'il veut s'en servir plus en artisan ou en artiste, s'il entend seulement agrémenter une page de publicité ou un album de famille, ou au contraire d'exploiter à fond les outils les plus avancés qui seront mis à sa disposition pour s'engager dans les aléatoires accouchements de l'art.

 

D'autre par un axe "recherche", poussant toujours plus avant le développement des algorithmes (et peut-être aussi des matériels) pour aller vers des oeuvres toujours plus complexes, plus étonnantes, plus significatives d'un avenir étonnant. En n'attachant qu'une importance secondaire à la finition des oeuvres et à l'ergonomie de l'interface d'utilisation.

 

C'est ce second volet qui est pour l'instant privilégié, par goût ou "par vocation".

 


 


[1] Je prends machine dans son sens le plus général, de dispositif organisé en fonction d'un but. Une caractéristique du développement historique des machines, c'est qu'elles tendent d'une part à accroître leur autonomie propre (grâce au moteur, puis à l'ordinateur embarqué), et d'autre part à communiquer entre elles, et toujours plus. Enfin, les organisations, les institutions humaines peuvent elles aussi être considérées comme des machines, dont le rôle est de permettre aux hommes de communiquer et de coopérer. En ce début du XXIe siècle, toutes les machines et tous les humains sont unis de plus en plus étroitement dans "La toile". Au XIXe et presque jusqu'à la fin du XXe, les machines sont assez nettement séparées les unes des autres.  Dans cet essai, je jouerai systématiquement sur le jeu simultané, et en partie corrélé, de deux machineries : les machines individuelles (fraiseuse, aspirateur, téléphone...) et les machines sociales, globales. Ce jeu est particulièrement bien explicité par Zola dans La Bête humaine, qui joue de la dialectique entre la machine à vapeur et la machine administrative de l'Administration des chemins de fer. Entre bien d'autres textes, signalons par exemple La Prusse de 1815 à 1848. L'industrialisation comme processus de communication. (L'Harmattan 2004), où Rachid L'Aoufir montre l'interdépendance de la presse et de l'industrie. La presse a besoin de machines plus rapides et plus économiques pour augmenter ses tirages. L'industrie a besoin de l'information économique fournie par la presse pour  orienter ses stratégies et ses investissements.

[2] Les chamanes de la préhistoire, par Jean Clottes et Lewis-Williams. La maison des roches, 2001.

[3] Leroi-Gourhan  : Le geste et la parole. Tome I. Technique et langage, 1964. Tome II. La mémoire et les rythmes, 1965. Albin Michel.

[4] Malraux André. Les voix du silence. NRF 1951. La première partie Le musée imaginaire, est parue (sous forme remaniée) en livre de poche. Folio 1965.

 

[5] On pourrait parler ici de philosophie aristotélicienne pour le réalisme, et de platonicienne pour l'orientation idéaliste.

[6] Vitruve. Les dix livres d'architecture. La traduction de Claude Perrault (1673) a été rééditée par Bibliothèque de l'image en 1995.
[7] Francis Bacon, Novum organum.

[8] Francastel Pierre. Peinture et société. Gallimard 1965.

 [9] Boudin-Lestienne Stéphane. Généalogie de l'image immatérielle. (DEA d'Histoire de l'art) . http://membres.lycos.fr/sblmemoire/dea1re.html

 [10] Jouven Georges. L'architecture cachée, tracés harmoniques. Dervy Livres, 1979.

[11] Wallace Robert : Rembrandt et son temps.  Time-Life 1968.

[12] Blanc Charles : Grammaire des arts du dessin.  P. Renouard, 1881

[13] Balpe Jean-Pierre. Quelques concepts de l'art numérique. Conférence donnée à Moss (Norvège), mai 1998. Sur la Toile : http://www.labart.univ-paris8.fr/chantier/nouv/anne-gaelle/art-num-JPB.html

 [14] Zola Emile. Mon salon. Manet. Ecrits sur l'Art. Garnier/Flammarion 1970.

[15] Il y a un précédent : Galipaux expose en 1883 un vrai plat de lentilles, intitulé "Original authentique de la cession du droit d'aînesse d'Esau" (signalé par Pierre Daix, dans son article "L'art contemporain et l'exclusion de l'art moderne" in Où va l'histoire de l'art contemporain, sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, Laurent Gervereau, Serge Guilbaut et Gérard Monnnier. Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, 1997)

[16] Pierre Daix (op.cit.) écrit : "Paul Bilhaud invente en 1882 le premier "monochroïde" : Combat de nègres pendant la nuit. Procédé qu'Alphonse Allais généralisera : Première communion de jeunes filles chlorotique par un temps de neige (un bristol blanc) et Récolte de la tomate sur le bord de la mer rouge par des cardinaux apoplectiques (un chiffron rouge). 

[17] "Première constatataion... celle d'une disparition ou d'une quasi-disparition de la peinture" écrit Yves Michaud, in L'art à l'état gazeux (Hachette 2003°

[18] Avec tout de même, chez Cézanne en particulier, une volonté de trouver l'essence même des choses, au delà de leur apparence.

[19] Sadoul Georges. Histoire du cinéma. Flammarion 1962.

[20] Du Colombier Pierre. Albert Durer.Albin Michel 1927.

 [21] Il est vrai, cependant, que le web peut ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux à certains artistes, qui peuvent par ce canal vendre des oeuvres sans entrer dans les contraintes du marché de l'art.

[22] Disponible en  http://www.labart.univ-paris8.fr/chantier/nouv/anne-gaelle/art-num-JPB.html

[23] Focillon Henri. Vie des formes. PUF 1943.

[24] La démonstration en a été faite récemment avec le Cri de Munsch, exposé sans précaution à Stockolm, et récemment dérobé par une bande bien organisée.

[25] Lyotard Jean-François Le postmoderne expliqué aux enfants. Galilée 1988.

[26] Gimenez Marc : Qu'est-ce que l'esthétique. Gallimard 1997.

 [27] Vollard Ambroise. Souvenirs d'un marchand de tableau. Albin Michel 1937.

 [28] Bona Dominique. Berthe Morisot.Grasset 2000.

[29] Azimi Roxana : Art contemporain, un marché qui se porte bien.  L'oeil, été 2004.

[30] Breerette Geneviève : A tâtons dans le labyrinthe de l'art contemporain. Le Monde du 17 juin 2003.

[31] Alain Badiou, Jacques Rancière, Georges Didi-Huberman, Jean-Marie Schaeffer, Rainer Rochlitz et

Bruno Latour : Philosophie et art, la fin de l'esthétique ? Magazine littéraire, novembre 2002. 

[32] Domecq Jean-Philippe : Artistes sans art. Editions Esprit, 1994.

[33] Gimenez, op.cit.

[34] Voir, parmi d'autres sources, les livres de Fred Forest: Pour un art actuel. L'art à l'heure d'Internet. L'Harmattan 1998. et Contre l'art contemporain officiel, pour un art actuel. Galerie l'Octave, 1994.

[35] Bernard Edelman et Nathalie Heinich L'art en conflits. La Découverte 2002.

[36] Dans son interview à Stic-Hebdo http://www.asti.asso.fr/pages/Hebdo/sh27/sh27.htm#Troisques

[37] Serra Marianne. Interview dans Stic-Hebdo du 14 juin 2004 http://www.asti.asso.fr/pages/Hebdo/sh22/sh22.htm

 [38] Beck Ulrich : La société du risque¨Sur la voie d'une autre modernité. Flammarion 2001 (Original allemand Risikogesellschaft, Suhrkamp 1984).

[40] - Turckle Sherry . Les enfants de l'ordinateur. Denoël 1986). Titre anglais original : The second self. Computers and the human spirit. Ed. Simon and Schuster - N.Y.

 

[41]  Le texte intégral est disponible en français  sur la toile.

[42] Intervievé dans Stic Hebdo  http://www.asti.asso.fr/pages/Hebdo/sh27/sh27.htm#Troisques

[43] Il faut d'ailleurs contester à l'art numérique l'exclusivité de cette intégration globalisante, telle que la décrit  Jean-Pierre Balpe  : "Au centre de la conception... musique, texte et scénographie ne sont pas la mise en commun par ce maître d'œuvre qu'est le metteur en scène de trois expressions artistiques diverses, mais la production simultanée et indivisible de trois générateurs, un générateur de texte, un générateur de scénographie et un générateur de musique tous pilotés par le même programme". 

 Une telle production "simultanée et indivisible" a été recherchée bien avant lui.  Elle est déjà explicitement présente dans le Gesamtkunswerk  wagnérien. Et le maître de Bayreuth, qui n'hésita pas à faire construire à grands frais un nouveau théâtre pour présenter ses oeuvre,  n'aurait pas apprécié que l'on considère ses oeuvres comme la mise en scène de trois expressions diverses. Il est au contraire"un génie dramatique complet, se suffisant à lui-même et ayant pour principe inné que la plus haute puissance tragique ne se peut obtenir que par l'union intime et de tous les instants entre la musique et la poésie aidées de la mimique", nous dit Albert Lavignac (Le voyage artistique à Bayreuth. Delagrave 1900).

 Et cet effort lui même, cet art nouveau profondément intégré, (nous dit encore Lavignac) "dérive de l'ancien théâtre grec... (où sont)... réunis sous le seul nom de musique trois arts qui à présents nous semblent distincts, la poésie... la musique... et la danse... Et l'on n'a jamais entendu dire qu'il fût question en ce temps là, comme de nos jours, d'une collaboration entre un poète, un musicien et un chorégraphe ; la tragédie entière sortait, tout armée, du cerveau d'un seul et unique auteur, lequel était un philosophe poète et musicien".

 L'œuvre de Wagner a montré à la fois la puissance d'une telle conception globale, qui la réserve à quelques créateurs exceptionnels. Elle a aussi montré ses limites. Et la place qu'il faut laisser au travail d'équipe mais aussi aux arts séparés.

 [44] Le centre de la scène est occupé par l'univers multimédia mondial de plus en plus intégré et automatisé. Les arts "partiels" ne peuvent trouver leur place qu'en se situant par rapport à ce espace central.

La poésie (au sens propre de texte structuré selon des canons esthétiques particulier) est certainement l'art le plus mort de tous. Sauf quand elle sait s'intégrer au système, en particulier par le biais de la chanson. Maints textes chantés par  Renaud, Dutronc, Halliday, Madonna, Gainsbourg... sont de grands morceaux de poésie, tant par leur qualité phonétique que par ce qu'ils expriment.

 La musique n'a pas de problème avec la machine. Technique par nature, elle accueille toujours des instruments nouveaux, le piano au XIXe, le synthé au XXe etc. Et comme moyen de diffusion naturel. Même quand Bjork revient à un travail purement vocal, les synthèses qu'elle construit ne pourraient se concevoir sans une électronique acoustique sophistiquée.

 La danse artistique et les arts de performance ne peuvent exister à une échelle significative  que dans une machinerie théatrale qui s'est assez bien transposée dans le monde télévisuel (d'Elvis Presley aux "claudettes"). On pourrait y joindre la liturgie religieuse considérée comme un art, avec Jean-Paul II superstar.

La sculpture est largement marginalisée, sauf quand elle s'intègre à l'architecture ou aux décors du spectacle audiovisuel. Peut-être parce que les technologies d'aujourd'hui ne permettent que difficilement de créer numériquement des scupltures. Il y a eu quelques essais, mais plutôt comme démonstrations de possibilités techniques (machines-outils à commande numérique, "prototypage rapide" à base de plastiques).

L'architecture a depuis longtemps différencié le rôle des artistes et des ingénieurs. Les premiers savent qu'ils ont besoin des seconds, notamment pour les calculs de résistance des matériaux. L'ordinateur a donc trouvé tout naturellement sa place dans ces cabinets. Et l'architecte, ainsi que l'urbaniste, savent que leur travail s'insère dans un environnement urbain... et de plus en plus dans un environnement médiatique...  jusqu'à ce sommet diaboliquement grandiose du 11 septembre.

Il en va autrement pour le peintre, qui garde toute son autonomie avec sa toile et ses boites de couleurs, et vend dans les salons. L'électronique reste pour lui affaire de médias et plus généralement de communication. A la rigueur, la photographie peut remplacer sur le terrain le carnet de croquis, et quelques traitements à l'écran soutiendront son inspiration. Sans plus. Les "estampes numériques" n'on pas vraiment conquis le marché de l'art.

 Cette diversité peut conduire pour les arts aux problèmes étudiés par Ulrich  Beck (La société du risque) : l'hyperspécialisation et la montée des risques. Dans quel mesure l'art participe-t-il à ces risques ? A ma connaissance, la question n'a pas été étudiée, en tous cas par Beck. On pourrait au moins remarquer qu'il peut y contribuer : 

- par sa capacité à  sensibiliser aux risques (rôle critique de l'art, que joue la peinture mais plus encore la littérature et le théâtre),

- par la part qu'il prend dans les risques "moraux" par la propagation de la pornographie et du sadisme.

- dans l'implication périlleuse de la technologie au corps : dopage, piercing, implants en tous genres.

On peut analyser ici  les perspectives du "cyborg", forme anatomiquement intégrée de l'homme culturel. Entre les partisans passionnés et le refus...  Explorons le versant positif, dans la ligne d'Harraway : "La machine est "nous", nos processus, un aspect de notre incarnation. On peut être responsable des machines ; elles ne nous dominent pas, elles ne nous menacent pas. Nous sommes responsables des frontières, nous sommes elles".

[45] Maurice Denis. Théories.  Du symbolisme au classicisme. Présentation par O. Revault d'Allones. Hermann 1964

[46] L'Harmattan 2004.

[47] Cependant la peinture ne se réduit pas complètement au 2D strict, c'est à dire à un tableau de points définis chacun par sa couleur (ton, luminosité, saturation). Elle a une certaine épaisseur :
- par les effets de viscosité du mélange pigment/liant, dont l'artiste joue par la "touche" de son pinceau, ou de son couteau, voire de son pistolet,
- par la superposition de plusieurs couches, donnant des effets qui ne pourraient être obtenus en une fois : d'abord les fonds, puis les couleurs proprement dites, enfin les glacis et vernis.

[48] On pourrait parler ici d'art post-conceptuel :  le concept lui-même devenait géniteur de la peinture. Que l'outil de peinture n'accède lui-même à une certaine forme d'autonomie. Ne soit plus seulement un pinceau docile, mais un pinceau coopératif, au risque (ou au plaisir) de surprendre son auteur ? Le peintre alors devient véritablement un cyborg, gardant sa créativité profonde, mais déléguant à une machine la concrétisation, surprenante peut-être, de ses idées. Ce qui est formalisable est automatisable. Un concept, formellement développé, et mieux encore un modèle, n'est-ce pas tout naturellement un logiciel ?  Ou, autrement dit, un logiciel n'est-il pas la forme autonome et active d'un concept ?

 L'art post-conceptuel dépasse l'idée de l'œuvre comme traduction d'un concept. Il déplace le concept vers la création elle-même. Et ce faisant, il propose sans complexes  une nouvelle forme d'art contemporain.

  [49] Yves Michaud, L'art à l'état gazeux. Hachette 2003.

[50] On se réfère ici aux livres du sociologue Jean-Claude Kaufmann et à son oeuvre maîtrise Ego, pour une sociologie de l'individu. (Nathan 2001). Mais ses autres textes, d'un abord plus facile, par exemple Le coeur à l'ouvrage (Nathan 1997) illustrent bien ces rapports nécessaires de la volonté et du "corps" pour maîtriser le tourbillon des tâches quotidiennes et des appareils ménagers. Il emploie lui aussi le mot "danse", d'une manière que l'on serait tenté de rapprocher de celle d'Harraway. 

[51] Garaudy Roger: Esthétique et invention du futur. 10 18 UGE 1971.

 [52] Les principaux textes sur ce thème, à l'exception du Moi robot d'Asimov, ont été réimprimas dans  L'homme fabriqué. Récits de la création de l'homme par l'homme. par Jean-Paul Engélibert. Garnier 2000. (Les récits de Hoffmann, Shelley, Poe, Barbara, Bierce, Schropp, Villiers de l'Isle-Adam, Wells, Panizza, Capek, Huxley , Glish et Carter, avec une introduction et des présentations par J.P.Engélibert, et des extraits d'Ovide, Descartes, La Mettrie, Baudelaire et Truong).

[53] 2100, récit du prochain siècle, sous la direction de Thierry Gaudin. Payot 1990.

[54] Nous rejoignons ici les convictions d'Yves Michaud dans les premières pages de  L'art à l'état gazeux. (Stock 2003)

[55] Le logiciel libre sera peut-être la seule réponse satisfaisante à ces nouvelles perspectives, de même que l'art souffre de sa matrice salonnesque, une forme de "système propriétaire" qui est l'une des causes de la dérive dépressive de l'art contemporain,  enfermant l'artiste dans une sorte de bagne où il doit satisfaire aux impératifs du marché aussi bien pour la nature de sa production que pour la quantité d'œuvres qu'il doit fournir tous les ans.

 [56] Il a fondé le Club de l'Hypermonde, et il est actuellement vice-président d'une structure qui fédère les associations de cette spécialité, l'Asti  htp://www.asti.asso.fr. Il publie chaque semaine, à l'intention des chercheurs et enseignants en informatique, Stic-Hebdo (accessible sur le même site).

[57] - Mendiant égoïste et sarcastique, Max, le robot philosophe. par Pierre BergerL'ordinateur individuel no 6, avril 1979.

[58] L'informatique libère l'humain, la relativité digitale par Pierre Berger . L'Harmattan 2001.

[59] Epître aux Colossiens, 3,10.

[60] Op. cit.

[61] André Gide, Les nourritures terrestres

[62] Accessoirement, notons que Roxame travaille aujourd'hui uniquement à basse résolution (640 x 480 pixels), ce qui parfois lui donne les charmes d'une sorte de naïveté technique, tantôt est fort agaçant et gâche la beauté de certains effets.

[63] Quant au support lui-même, entre l'écran et le papier, on verrait se profiler, plus qu'une substitution, une convergence entre un papier devenu ré-imprimable et un écran devenu aussi plat, souple et léger qu'une feuille de papier. Même si cela se produit, il restera une place pour les arts picturaux. Car le papier, a fortiori des supports plus physiquement présents comme la toile ou le panneau rigide, n'est pas le support neutre et plat qui porte le trait et les taches colorées. Il peut être une matière riche à l'œil et au toucher. Et ce que l'artiste y dépose n'est pas simplement la couche uniforme de pigments qui imite la photographie. La peinture s'organise en couches successives, avec des jeux d'opacités et de transparence, les fonds et les glacis, le mat et le brillant, et l'épaisseur même de la touche (ou de l'impression en taille douce).

[64] Jean-François Lyotard, Le postmoderne expliqué aux enfants, Editions Galilée 1988.

 


 

  

 

Pierre BERGER

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