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L'informatique libère l'humain

3. Vivre la relativité digitale.


Construire, aménager l'univers matériel

Pour le commun d'entre nous, le développement personnel s'exté-riorise dans la construction d’objets et l'aménagement du territoire au sens large, et d'abord d'objets et d'espaces matériels. Ce peut être à titre personnel (cuisine quotidienne, entretien et décoration du logement, activités expressément artistiques), à titre professionnel ou dans le cadre des collectivités locales, nationales, mondiales.

Ces constructions font de plus en plus appel à nos décisions. Dans les sociétés développées, tout objet est porté par un flux décisionnel, un ensemble de valeurs dont l'utilité strictement "fonctionnelle" ne constitue plus que le noyau. Les aliments que nous proposent les magasins sont soignés non seulement du point de vue de leur valeur nutritive, mais aussi de leur goût, de leur texture, de leur aspect, de leur emballage, par exemple.

Ces objets sont de plus en plus immatériels, virtuels. Mais le monde matériel garde une importance majeure ; il est la base de tout l'édifice. Et il progresse lui-même, contrairement à ce que voudrait croire une forme fréquente de passéisme qui tend à survaloriser les objets du passé.

Digitalisation

Les objets se digitalisent, non pas par leur décomposition en pièces détachées indépendantes, mais par une structuration qui exprime un travail de plus en plus volontaire et digital. Avant d'être produits, ils ont été étudiés sur des consoles de CAO (conception assistée par ordinateur), qui ont remplacé les tables à dessin d'avant-guerre. Avant d'être produits, ils ont aussi été destinés à une catégorie bien définie de consommateurs. Et, de plus en plus, ils sont conçus dès l'origine pour UN client déterminé (marketing one to one).

Cette conception descend dans les plus petits détails. Boulons, chevilles... et jusqu'au sein même de chaque pièce, avec les maté-

riaux de synthèse, assemblés fibre par fibre, voire atome par atome, pour certains circuits digitaux actuellement étudiés en laboratoire. Les matériaux naturels, avec leurs aléas, ne permettent pas une telle richesse décisionnelle, sauf si, au contraire, pour la production de luxe par exemple, ces défauts et ces aléas sont intégrés comme autant de données intéressantes dans le travail du fabricant, de l'artisan créateur.

L'agro-alimentaire va très loin, même et surtout pour les produits de qualité. Les processus traditionnels cèdent le pas, ou s'appuient  sur des machines fiables et pilotées par ordinateur. Ce n'est plus un vigneron au nez rouge qui fait le soi-disant bon vin dans un chais poussiéreux orné de moisissures plus ou moins nobles, mais un artiste qui est aussi un ingénieur, travaillant proprement dans des cuves en acier inoxydable dont il peut ajuster constamment la température au cours du processus de fermentation.

Complexité des objets

La digitalisation des objets va de pair avec leur montée en complexité. Tout  est étudié pour que le client veuille les acheter, pour satisfaire son goût, entraîner sa décision, une décision éventuellement dévoyée par une publicité qui vise "au dessous de la ceinture" ou les procédés excessifs de commerciaux indélicats.

Ce goût du public n'est pas une entrave pour le concepteur, bien au contraire. La chaîne commerciale fait remonter vers lui un flux per-manent de réactions qui stimule son imagination pour trouver des solutions créatives.

Par exemple, sur Internet, les techniques de push proposent de nous informer régulièrement de ce qui se passe dans les domaines qui nous intéressent. Et pour le faire, elles demandent aux utilisateurs de décrire ces domaines, c'est à dire leur « profil ». Nous construisons donc un objet (en l'occurrence, d'ailleurs, une image de nous-mêmes).  Et  les  responsables  des  sites  émetteurs peuvent en permanence évaluer leur travail en fonction de ces désirs exprimés avec précision, tout autant qu'avec le taux de consultation effective de leur site.

La créativité des concepteurs s'appuie aussi sur l'autonomie des produits. Même matériels, ils comportent des "puces", incorporant une masse de décisions sous forme de logiciel. Et cela augmente considérablement le nombre de bits intégré à chaque machine, tout en permettant, pour le concepteur comme pour l’utilisateur, la combinaison du standardisé avec le personnalisé.

Cette poussée vers le détail de la créativité et de la réactivité des concepteurs implique une rigidité, ou plutôt une rigueur accrue, le long de toute la chaîne de fabrication. Les industries graphiques, par exemple, mettent en place des chaînes intégrées, allant directement de l'écran du créatif à la gravure des clichés d'impression. Elles ne laissent plus de place à l'erreur ou à l'interprétation des intermédiaires. Il y a là une déperdition, une disparition  de certains métiers, mais la créativité se retrouve maximisée aux points majeurs de la chaîne, et de nouvelles formes de responsabilité et de créativité émergent en aval des créateurs.

Décision et créativité ne sont pas l'apanage des créateurs, en effet, car le produit s’intègre dans des services qui font intervenir d'autres humains, au moment de la vente, de la livraison, de l'après-vente.  Les exécutants purs disparaissent, pour la bonne raison qu'une simple exécution peut en général être confiée à une machine. Tous ces intervenants disposent donc d'une marge de manœuvre où on leur demande de faire appel à toutes leurs qualités humaines.

Ne poussons tout de même pas l'optimisme jusqu'à trouver passionnant le travail des livreurs de pizzas ou des "conseillers" qui appellent téléphoniquement les prospects, dans le cadre de procédures préétablies, et sous la surveillance permanente non seulement de leur "chef de plateau" mais de systèmes automatiques de mesure de performances, complétés encore par des "appels mystère", c'est-à-dire de faux appels, destinés à tester leur amabilité même face aux clients les plus difficiles ...

Autonomie des objets

Tous les objets montent aussi en autonomie. Le terme de "concepteur" prend un nouveau sens. Il ne s'agit plus seulement de l'inventeur d'un concept, d’un dessinateur qui lui donne forme, de l’ingénieur qui en fait un produit. Le concepteur, industriel ou multi-média, se rapproche du géniteur biologique. Son produit aura sa propre vie. Il acquerra de ses utilisateurs et du réseau une "culture" qui ne se maîtrise pas.

De même, plus loin dans la chaîne de la conception-utilisation, on a noté il y a longtemps, à propos de certains robots, que leur adaptation à un travail donné relevait plus de l'apprentissage que de la programmation.

L'autonomie des objets et le déplacement du rôle de leurs concepteurs se traduisent aussi dans l'automatisation de leur processus génératif. La chaîne de fabrication est  comme la matrice maternelle où le concepteur-père va voir se matérialiser les concepts qu'il y a inséminés.

Déjà l'outil crée une distanciation avec l'objet produit. Le silex sépare le bois ou le cuir de la main qui les travaille. Puis l'outil devient machine, la main et même le cerveau de l’ouvrier s’éloignent encore de la matière travaillée.  Enfin, la machine automatique finit par fabriquer elle-même, sans intervention autre que de surveillance, les produits désirés. L'ouvrier devient conducteur de machine, opérateur isolé dans une cabine de surveillance, coupé du contact direct avec le processus, parfois géographiquement éloigné de lui.  Et la machine-elle même se digitalise. La boucle est bouclée.

Voir réflexions sur l'émotion , et ce que cela signifie pour les objets en général.

Dématérialisation

Mais les objets deviennent aussi de plus en plus immatériels, et les objets logiciels de plus en plus dominants. Le Logos, la forme, l’emportent. L’âme ?

 

Construire, aménager l'immatériel, l'hypermonde

Il s'agit  de construire des œuvres intellectuelles, "immatérielles", d'écrire des textes, de dessiner des images, de concevoir des médias, des programmes, des sites web... et, plus généralement, de participer à l'auto-construction de l'hypermonde (défini comme l'espace immatériel formé par la convergence des nouvelles technologies).

La conscience de l'univers passe toujours par nous, mais seulement au niveau supérieur. Car l'univers s'informe de plus en plus par lui-même. Les capteurs lui apportent chaque seconde un nombre crois-sant de térabits sur sa réalité concrète, physique. Et peu à peu, il remonte les niveaux, il interprète de plus en plus "intelligemment" ce qu'il perçoit. Pour un moment encore, l'homme est le seul à atteindre le sommet intellectuel et décisionnel, ou du moins, si l'on n'accepte pas la réalité d'un tel sommet, si on le conçoit que comme une limite asymptotique, l'homme en est plus proche que toutes les machines connues.

L'hypermonde nous connaît

En particulier, l'hypermonde s'informe en permanence sur nous, les humains, tantôt de manière volontaire de notre part, toutes les fois que nous saisissons une donnée ou que nous lui demandons de la stocker pour nous, tantôt de manière involontaire, quand des caméras, micros et autres appareils nous captent à notre insu et conservent des images de nous. 

Une des formes de participation à l'hypermonde consiste à prendre conscience et à accepter cette énorme prise de connaissance de l'hypermonde sur nous : administration, banque, assurance, employeur, association dont on est membre, commerçant chez qui on consomme, opérateur téléphonique, poste, organismes de santé... Il faut  mettre en place, et sans cesse adapter et perfectionner les dispositions qui s'opposent aux abus qui en découlent, dans le cadre de  lois  "informatique  et  libertés",   de  processus  et  d'organismes

adéquats pour les faire appliquer, avec des nécessités paradoxales : je n'ai pas le droit de savoir tout ce qu'on sait de moi (en matière médicale, pénale et même commerciale). La montée de ces images de chacun de nous va dans le sens de l'histoire. Nous sommes appelés à y participer de multiples façons.

Positivement :
- en construisant note site web personnel ou celui de notre famille ;
- en construisant  une maison dans des univers virtuels ;
- en négociant notre profil, en contrepartie de services, dans des panels, des systèmes de fidélisation, des systèmes documentaires et le push en général.

Négativement:
 - en contrôlant les images prises de nous, en protégeant les zones de notre intimité ;
-  à la limite, en montant des actions violentes, de légitime défense, pour défendre notre vie privée.

Mais, restant centrés sur le positif, nous pouvons considérer comme un devoir de promouvoir cette présence de nous-mêmes, de notre personnage, dans l'hypermonde. Dans le monde classique, chacun doit "tenir son rang" et, par sa tenue, son costume, participer à la vie sociale. On s'habille, on se pare, et avec des degrés qui dépendent du rôle. Un commercial s'habille plus sévèrement qu'un journaliste, une femme se maquille plus qu'un homme. Et, comme disait ma grand-mère : "Il faut faire sa toilette, pour plaire quand on est jeune, pour ne pas déplaire quand ne l'est plus". Dans l'hypermonde, cela va loin, puisqu'il ne s'agit plus simplement de parer son corps physique, mais de construire ses apparences, ses avatars virtuels.

Vers des niveaux plus volontaristes et plus créatifs

Se laisser enregistrer, c'est bien, mais on peut tout de même envisager d'aller plus loin, viser une production, mieux, une création originale. L’originalité a ses degrés déjà dans ma volonté même de créer. Une part de mes actions reste dictée par les nécessités de l'existence ou par l'exé-cution de mes engagements antérieurs. Mais, et de plus en plus souvent, je "reprends la main", je trouve des occasions de décider et de faire du nouveau. Ma créativité à ces moments dépend de ma volonté de les exploiter ou non.

Même si je veux créer, je peux aller plus ou moins loin dans l'originalité. Si je suis plutôt conformiste, traditionaliste, ou... humble, ma création vise surtout à la reproduction et à la retrans-mission de modèles anciens, à la limite, à la seule production d'objets utilitaires, ce qui n'exclut pas la noblesse, comme la baguette quotidienne du boulanger ou l'histoire racontée à l'enfant pour l'endormir. En fait, la reproduction de modèles anciens conduit souvent à des formes originales, même si elles ne sont pas recherchées comme telles, parce qu'il faut exprimer les modèles dans un environnement et avec des technologies qui ont changé, qui ne sont plus celles des pères fondateurs.

A l'inverse, si je suis surtout un contestataire, je cherche la rupture. Mais je ne dois pas trop me faire d'illusions. Dire "non" au passé c'est n'ajouter qu'un bit au patrimoine existant. Il me reste à trouver de quoi emplir le nouvel espace ainsi ouvert. Tirer des bits au hasard sera en général décevant. Et je trouverai la plus grande part du soi-disant nouveau dans les matériaux existants, à l'extérieur ou dans ma tête. On est toujours le fils de son père. Et l'on refait indéfiniment des néo- quelque chose. Les créations les plus originales, celles qui apporteront un maximum de bits nouveaux au patrimoine, viendront d'une synthèse constamment créative de la négation et de la reprise, et surtout de la construction génétique de nouveau par combinaison des ressources du passé.

De l'outil au dialogue avec la machine

L'informatique m'offre de plus en plus d'outils pour soutenir ma création, concrétiser mon flux décisionnel : traitement de texte, PAO (publication assistée par ordinateur),  DAO  (dessin assisté par ordinateur), CAO (conception assistée par ordinateur)... Ma boîte à outils s'élargit, pour publier sur le web, créer des mondes virtuels, animés, sonores et en relief. Ces outils ne sont pas seulement des amplificateurs et des moyens d'accumulation de mes gestes créatifs. Ils les contraignent, les perturbent, comme le grain du papier s'impose au pinceau de l'aqua-relliste, le fil du bois au ciseau du sculpteur. Mais ces logiciels corrigent aussi mes initiatives, parfois trop, d'ailleurs ; je m'en aperçois avec le traitement de texte, dont les automatismes de cor-rection (orthographique ou typographique) ne sont pas faciles à débrancher pour le débutant.

Les outils portent donc des processus d'évaluation de ce que je crée,  certains pour m'informer simplement (statistiques de lisibilité), d'autres pour m'imposer des obligations, des standards édictés par mon groupe social (feuilles de style, normes ISO 9000).

On peut aussi demander à l'outil de générer des éléments de manière aléatoire, un peu comme un peintre se promène dans la nature pour y trouver l'inspiration. Et certaines configurations aléatoires de formes ou de sons feront naître l'émotion chez le créateur. Le travail artistique proprement dit consistera alors à cadrer et organiser ces éléments en fonction du goût et des règles de l'art (proportion des lignes et des durées, harmonie des couleurs et des timbres).

La machine peut m'offrir d'autres types de relation avec le public. Pour les arts simples de la performance, comme le théâtre ou le concert, le public est en relation immédiate avec l'artiste. Il réagit de manière plus ou moins claire ou explicite. Il applaudit, siffle quitte la salle, ou répond simplement par une qualité de silence qu'acteurs et musiciens savent entendre.

Les nouvelles technologies permettent au public non seulement d'être ailleurs (radio, télévision, télé-enseignement...), mais de réagir à mon flux créatif de manière de plus en plus complexe. On arrive ainsi à la possibilité de créations collectives, faisant la jonction entre les arts plastiques et les arts de la performance. Il s'agit pour l'instant d'expérimentations qui n'ont pas encore tout à fait convaincu.

Réflexion et recherche

Parmi les œuvres immatérielles originales, il faut citer la recherche scientifique, au sens large. Il s'agit de créer des textes, éventuel-lement accompagnés d'images, et souvent formalisés sous forme de tableaux de chiffres, d'équations, voire de programmes d'ordina-teurs. Il y a lieu de penser, d'espérer même que le progrès des technologies fera naître de nouveaux types de formalismes élargis-sant nos capacités de représentation, de connaissance et de maîtrise du réel. L'hypertexte est déjà un tel moyen, bien qu'il soit plutôt considéré comme un simple outil de navigation dans la masse des documents existants, qu'ils soient de nature traditionnelle ou considérés comme ludiques ou publicitaires plutôt que proprement scien-tifiques. Peut-être faudra-t-il employer le terme d'hyper science, pour qualifier ce nouveau type de réalisation et de mobilisation de la connaissance.

Créer de la connaissance nouvelle, c'est essentiellement la mettre en machine. C'est seulement de manière secondaire, médiate, que ces connaissances seront utilisées par des êtres humains, hier des bibliothèques, des musées, des conservatoires, maintenant des systèmes de mémoires. Créer de la connaissance nouvelle, c'est développer, orienter et contrôler le système de capteurs par lesquels la machine s'informe elle même. (Symétriquement, agir sur le monde "réel" consistera largement à développer et piloter les actionneurs de la machine).  Enfin, créer de la connaissance nouvelle, c'est développer les processeurs et les programmes qui gèrent cette connaissance de manière toujours plus puissante et toujours plus intelligente, qui l'indexent, la trient, la sauvegardent...

Ici, l'humilité s'impose. L'ensemble des connaissance stockées par les machines dépasse "infiniment" (plusieurs milliards de fois; on  pourrait le calculer, et cela augmente tous les jours exponen-tiellement) les connaissances explicites d'un individu.  Sa capacité de traitement se rapproche de notre "rationalité limitée". Et même, désormais, de l'ensemble des individus.

La machine travaille elle-même à l'accroissement de ces connais-sances, mais ses qualités de création conceptuelle, d'innovation en matière de modèles restent faibles ; c'est le moins qu'on puisse dire. En pratique, plus de chercheur qui ne soit "monté sur les épaules de géants" (Pascal), c’est-à-dire sur la somme des connaissances accumulées dans les bibliothèques et sur les serveurs.

Les machines échangent ce savoir par leurs réseaux plus vite que les humains. Elles peuvent "apprendre" instantanément par transfert de programmes. Et l'humain doit en tenir compte, négocier au mieux avec son correcteur d'orthographe...

Chaque modèle, chaque théorie, conquiert ainsi son autonomie ; indépendance de son déroulement, porté le cas échéant par un pro-gramme (démonstration automatique), indépendance de son évolu-tion, de même que les machines évoluent selon des règles qui dépassent la volonté de leurs concepteurs. Ce sont les modèles, les théories, qui se développent à travers la connaissance qu'en prennent successivement les spécialistes et les contributions qu’ils y apportent. Elles sont le cœur de l'arbre ; nous en sommes l'aubier.

Mais n'y a-t-il pas une limite même à la construction de théories ? Oui, s'il y a une limite au nombre de bits que nous pouvons inscrire dans l'univers. Alors, quand nous aurons été jusqu'à la structuration optimale de ces bits en hiérarchies, boucles et autres structures, l'univers matériel sera saturé de notre savoir.

Nous atteindrons cette limite quand nos modèles de description (métainformations), multipliés par le nombre de leurs instan-ciations, atteindra le total des bits disponibles. Alors, il ne restera plus aucun espace libre où nous pourrions faire jouer nos capacités d'organisation, de création. Il  ne restera qu'à se taire ou à détruire le patrimoine pour rendre libre la plaine au galop de nos chevaux mongols ou, qui sait, à imaginer une nouvelle forme de méta-structuration qui libérerait encore de l'espace vierge... ou une autre manière d'implanter les bits dans la matière, qui nous fasse gagner une nouvelle étape.

Jusqu'à présent, on a souvent eu l'impression de s'approcher de cette limite. Mais ces craintes ont toujours été démenties et, en cette fin de millénaire, l'abondance des choses à dire, écrire ou montrer n'a d’égale que l'immensité des péta-octets de mémoire que nous vendent les constructeurs.

Les mémoires. Organiser le souvenir, capitaliser

L'activité de recherche scientifique peut être considérée comme l'accroissement du fonds de connaissance de l'humanité, donc comme l'ajout de textes et autres documents dans ses mémoires : bibliothèques de livres et de plus en plus médiathèques variées.  Une partie de ces documents sont par nature passifs. Ils ne sont des-tinés qu'à être regardés par l'homme. Leur auteur les élabore pour recevoir, communiquer, partager le savoir (et même le plaisir) avec les autres humains.

Mais peu à peu les machines elles-mêmes deviennent capables de se servir de ces documents. Actuellement, elles ne peuvent  tirer parti du son et de l'image (de type photographique) que pour les reproduire ou les exprimer sur un haut-parleur ou un écran. En revanche, elles exploitent le texte de mieux en mieux, d'une part avec cette catégorie particulière de textes que sont les programmes (au sens informatique), qui sont précisément destinés aux machines, d'autre part en  trouvant,  dans les textes ordinaires eux-mêmes, des mots qui permettent, en particulier, de sélectionner les pages pertinentes pour les requêtes d'un navigateur Internet.

Il est impossible de tout conserver en mémoire, surtout l'image et le son, qui produisent des débits binaires de plusieurs méga-octets par minute. Il faut donc décider de ce que l'on garde, tantôt par des décisions au jour le jour, tantôt par la construction de règles de stockage. Mais il devient tout à fait raisonnable, techniquement et même économiquement,  de stocker la totalité de la production tex-tuelle de l'ensemble des humains. Et c'est d'autant moins inutile que les machines peuvent en établir pour nous des extraits plus ou moins pertinents, mais de taille compatible avec nos capacités de travail.

Ne faut-il pas, pour autant, se faire un "devoir d'oublier", et détruire une partie de cette production alors même que, technologiquement et économiquement, rien ne nous y oblige ? La question reste débattue. Peut-être faudrait-il surtout progresser dans la  hiérarchisation des accès, moins négative que l'oubli ou la destruction.

Les systèmes d'information deviennent la mémoire de l'humanité. Il y a énormément à faire dans ce domaine : généalogie, analyses géné-tiques sur des défunts mêmes anciens, mémorial, reconstitution du passé par l'archéologie expérimentale et la réalité virtuelle. Le film Jurassic Park a montré jusqu'où l'on pouvait envisager d'aller et les dangers potentiels que cela représente.

L’art

Il faudrait ici s’étendre sur le rôle de l’art, sur la place de l’artiste dans l’hypermonde. Des films a grand public comme La Guerre des Etoiles ou les recherches contestataires de l'Esthétique de la commu-nication en montrent deux axes orthogonaux.

J'ai par la suite travaillé sur ce domaine, d'une part d'un point de vue théorique (voir Art, Beauté) d'autre part expérimentalement avec le logiciel Roxame. En septembre 2010, considérant les limites, sinon l'échec, de ces recherches, je me suis lancé dans la réalisation d'un dictionnaire critique, diccan.com .


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