Etudes pour un livre qui aurait été intitulé
Vers 1970
Préparée par Pascal, Jacquart, Babbage, puis par les travaux théorioques sur les automates et le développement des machines à cartes perforées,l'informatique poursuit depuis sa naissance - pratiquement contemporaine de la dernière guerre - une vaste croissance qui la conduit à s'assimiler toutes sortes de disciplines et de techniques. Cet appétit de l'informatique parvient d'autant mieux à ses fins qu'il rencontre chez ses victimes des besoins convergents. Chacun peut, de son point de vue, considérer dans une certaine mesure qu'il est l'utilisateur de l'autre.
Le calculateur analogique, par exemple,fut pendant un temps le concurrent du calcul digital. Mais ses limites de précision et la nécessité d'automatiser ses jeux de connexion de plus en plus complexes et d'assurer efficacement mémorisation et entrées/sorties ont conduit au calcul hybfide. Du point de vue de l'informatique, le calculateur analogique apparaît alors comme une unité spécialisée qui est susceptible d'accomplir efficacement certains types de calculs (différentiel notamment).
La carte perforée fut très tôt associée à l'informatique (Babbage) ; elle suivit néammoins, de 1930 à 1950 environ, une sorte de développement autonome, pendant que l'électronique, pendant la deuxième moitié de cette période, conquérait rapidement le monte des automates et du calcul scientifique. Ses besoins de calcul et de programmation, rencontrant les nécessités de fichiers importants de l'informatique de gestion, l'ont conduit à n'être plus qu'un support particulier d'information parmi la gamme de ceux que s'est donnés l'informatique, où la place prédominante est aujourd'hui occupée par les disques magnétiques.
Les machines comptables se prêtent à des remarques analogues.
L'automatisme, d'une manière générale, s'incorpore à l'informatique. Son développement vers la complexité exige l'appel au calculateur, malgré les difficultés de tous ordres qui ont jusqu'à présent limité l'ampleur du mouvement (coût, fiabilité, problèmes techniques). L'automatisme industriel et la conduite des processus tend à devenir le versant "effecteur", le bras des grands systèmes informatiques. Le développement de la gestion intégrée conduit d'ailleurs logiquement à rechercher une exécution rapide et sans intermédiaire des décisions prises par les managers.
La mesure suit le même mouvement. L'évolution de la chromatographie en phase gazeuse est à cet égard instructive. Elle se "numérise" et s'automatise, devient conversationnelle, devient le versant "capteur", l'oeil des systèmes informatiques. La saisie des données en est un aspect particulier et son évolution vers l'incorporation aux grands systèmes est particulièrement nette.
La documentation tend à devenir un aspect de la constitution des banques de données, ce qui est - si l'on veut - la notion la plus puissante en matière de mémoire.
Ainsi constituée par un ensemble d'unités centrales munies de capteurs et d'effecteurs ainsi que de vastes mémoires, les systèmes informatiques se trouvent constitués en réseaux, par assimilation des télécommunications.
Le problème qui se pose alors est celui de la conduite de ces systèmes. Outre tous les problèmes du software, cela pose clairement celui de la définition d'interfaces efficaces entre l'homme et le système.La forme la plus générale de hardware semble bien être le terminal à écran cathodique, mais une analyse plus profonde devra sans doute être menée, car il ne peut se prêter à toutes les applications. L'informatique sera conduite à s'assimiler les moyens audiovisuels,voire l'essentiel des techniques de communication.
Parvenus à ce point, l'on s'aperçoit qu'une part considérable des relations de l'homme avec l'univers physique et avec ses semblables (et même avec lui-même) sera médiatisée par le système. L'homme d'aujourd'hui en est assez conscient, quitte à ne pas donner au mot de système une signification aussi précise que l'informaticien. Et cette prévision est traumatisante, car le système apparaît comme une machine très puissante, et l'on retrouve le vieux mythe du robot révolté sous des formes diverses. La science-fiction, à cet égard, est en général peu optimiste. Or, sans paser à l'autre extrême, il est permis de présenter une vue plus réaliste et plus responsable de cet avenir.
Tout d'abord les systèmes sont le moyen fondamental de solution des problèmes du monde moderne et surtout de sa complexité croissant. L'ordinateur est le complexoscope, et il permet de maîtriser le développement galopant de l'univers technique. Il devient surtout le seul moyen pour une humanité de plus en plus enroulée sur elle-même, de plus en plus centrée sur ses problèmes par delà la maîtrise du monde physique, de se maîtriser elle-même. Il est le moyen de rendr le pouvoir politique à la fois beaucoup plus démocratique et plus efficace.
Quatre points-clés pour penser cet univers.
La décision appartient à l'homme, nul ne le conteste plus. Mais il n'est pas facile de décider, même avec l'aide d'un système d'aide à la décision. Si la machine est dangereuse pour la liberté humaine, c'est parce que l'homme n'aura que trop tendance à lui faire endosser ses responsabilités. De toutes façons, l'acte de décider sera le coeur du monde de demain.
L'organisation des systèmes et des structures sociales sera la question principale et à la limite la seule. L'essentiel sera d'organiser adéquatement les structures de prise de décision et de décider des organisations. au niveau des systèmes informatiques, des problèmes intéressants peuvent être d'ores et déjà posés : hiérachisation, centralisation ou décentralisation (ou plus exactement degré optimal de centralisation), structures minimisant l'action réciproque des entropies.
Les activités ludiques occupperont une place essentielle. Non pas sous l'angle facile de la civilisation des loisirs,mais par incorporation à la vie "normale" de nombreux aspects du jeu, de la fête, de la guerre. Mais aussi parce que la nécessité physique du travail pour se nourrir ayant disparu, la notion même de travail se sera rapprochée de celle du jeu.
De la même façon, l'art et la créativité s'insèreront dans les autres activités et dans l'existence d'un univers systématisé qui sera en évolution rapide (avec un rythme vraisemblablement contrôlé et optimisé), car - et c'est là que bien des prévisions pessimites sont erronées - l'univers informatisé ne pourra être fixiste, du fait même qu'il aura libéré une part importante de l'activité humaine.