2. ELEMENTS


2.1 Le processeur, atome de la systémique

Le principe sera donc, plus ou moins nettemen selon les auteurs, de considérer que le système est un réseau borné de processeurs.

Un processeur, c'est quelque chose qui transforme quelque chose en autre chose, qui effectue un traitement, qui traite quelque chose (on lit parfois "il effectue un processement, il processe quelque chose). Le "quelque chose" peut être un produit, un flux, continu ou non.

Synonymes de processeur (à ce degréd'analyse) : objet, entité, module, composant, acteur,opérateur

On n'a pas besoin, a priori, d'avoir d'idées précises sur le contenu de la boite. En ce sens, l'analyse de systèmes est essentiellement fonctionnelle. L'organe ne l'intéresse guère en tant que tel, c'est la fonction qui compte : ce que font les processeurs, et non comment ils le font, ni de quelles parties, de quelles pièces, de quels matériaux ils sont constitués... sauf pour quelques uns particulièrement intéressants.

Un processeur est décomposable.

On peut toujours, dans le modèle, décomposer un processeur en plusieurs, notamment pour faire apparaître et bien isoler certaines fonctions. Au fond, il ne s'agit que d'une convention de langage. Il faudra faire attention à ne pas transposer trop aisément cette facilité au monde réel. Ne pas oublier que :

- dans la réalité, on ne peut pas découper n'importe comment, en particulier (mais pas seulement) quand il y a des humains en cause,

- à partir de la convention de modélisation "un processeur plus un processeur égale un processeur", on passe facilement à un principe inquiétant s'il est appliqué sans précaution : "une propriété fondamentale des machines est leur possibilité de couplage. Deux machines ou plusieurs machines peuvent être couplées pour former une machine unique" (Ashby)", qui conduit tout droit au mythe de la méga-machine. La réalité, heureusement, n'est pas si simple.

Enfin, un système réel ne peut pas en général se réduire à un réseau borné de sous-systèmes ou de processeurs nettement identifiés. Il reste toujours du tissu conjonctif, des services généraux, des "overheads", une colonne "divers" en comptabilité, etc.

Neutralisation des relations

Il est souhaitable de réduire les liaisons entre processeurs à un lien purement formel. Ou, au contraire, à tout centrer sur les relations, les noeuds devenant purement formels. Cette solution est duale, et on peut en montrer l'équivalence avec celle que nous choisissons ici (?).

Autrement dit, ce qui entre à un bout de la ligne exprimant la liaison entre deux processeurs est strictement identique à ce qui en sort pour entrer dans le processeur suivant. En particulier, la liaison n'introduit ni déplacement spatial, ni délai, ni dégradation d'énergie ou de forme. S'il y a lieu d'introduire de telles transformations, elles seront représentées par des processeurs spécifiques (à moins de choisir d'autres conventions).

Dans la pratique, cette règle n'est pas toujours strictement respectée, et c'est sans importance si l'on ne réintroduit pas implicitement de telles transformations. Notons en particulier que si les processeurs sont réalisés par des organes matériels, leur existence en un même lieu est impossible, et les relations représentent toujours plus ou moins implicitement un déplacement spatial. Cela n'a pas d'importance... tant qu'on ne fait pas de la logistique ou du routage de composants sur un circuit électronique.

Degré de couplage. Selon Bertalanffy:

- si le système est un ensemble d'équations différentielles,
- le changement d'un élément quelconque ne dépend que de cet élément, sommativité physique ou indépendance,
- décroissance progressive des interactions: mécanisation
- élément dominant: centralisation progressive.
On devrait pouvoir rattacher cela à la redondance.
Ces concepts sont statistiques. On peut en souhaiter des versions dynamiques.

Sans que cela soit clairement explicité par les auteurs, la disposition spatiale des processeurs sur le papier des orientations assez intuitives : le temps progresse de gauche à droite, et les processeurs placés plus haut dominent ou contrôlent les processeurs placés plus bas sur la feuille. Mais ont peut faire toute autre convention, ou pas de convention du tout.

Les liaisons étant réduites à cette pure jonction, on peut définir des valences, nombre d'entrées et de sorties que peut accepter un processeur (entrance, sortance). Bien entendu, on pose en principe que les liaisons ne se diviseront ni ne se réuniront en dehors des processeurs (un respect strict de cette convention ne serait indispensable que si l'on traitait automatiquement ces figures ...).


Exemples de sortance

- sortance d'un circuit électronique (en analogique et en digital)
- connectivité neuronale
- nombre d'exemplaires d'un journal

- nombre d'auditeurs d'une émission
- id. d'un produit quelconque
- débit d'une machine
- éventail hiérarchique
- nombre de clients
- nombre de psychèmes
- extension d'un concept

Un processeur d'entrance nulle sera appelé source (exemple : pile électrique, gisement pétrolier). Un processeur de sortance nulle est un puits.

Un certain jeu est nécessaire pour assurer la stabilité du système. Il y aura donc, explicites ou non, des processeurs "tampons" (amortisseurs, mémoires intermédiaires, ambassadeurs...).

La notion d'état

La symbolique systémique réduisant, dans un premier temps au moins, le réel à une représentation statique, il faut ensuite ré-introduire la dynamique. On a recours à la notion d' "état" du système ou du processeur.

Pris de la manière la plus générale, l'état peut être une mesure quelconque sur le système ou processeur, par exemple un level chez Forrester. Mais, dans beaucoup de cas, on se donne des espaces d'états plus structurés, en renonçant à la puissance du continu pour entrer dans le dénombrable et même le fini :

- élimination du flou, suppression du bruit, définition d'un espace d'états fini, souvent binaire (ouvert/fermé), parfois plus étendu (degrés d'une d'échelle, liste des couleurs découpée dans le spectre),

- dans le temps, la mesure se fait à des instants bien définis, soit à un phase du cycle de fonctionnement, soit à intervalles réguliers.

Complication et complexité

On distingue complication et complexité. L'accord est loin d'être réalise sur le sens de ces termes, et Morin (La Méthode), en souligne les paradoxes. Pourtant, on y réfléchit depuis longtemps, et déjà la cybernétique se donnait pour tâche essentielle de réduire la complexité des systèmes. Sommairement:

- la complication exprime plutôt un volume global, mais des structures relativement pénétrables ; en pratique, sans qu'il y ait beaucoup de boucles ; à la limite, la complication est proportionnelle au nombre d'éléments ;

- la complexité exprime la richesse des interconnexions, des bouclages ; pour certains auteurs, la complexité serait mesurée par le nombre de boucles ; pour d'autres, elle a un caractère essentiellement subjectif et ne peut donc se mesurer.

A mon avis : la taille et donc la complication ne peuvent croître beaucoup sans buter sur des seuils qui exigent un accroissement de la complexité. Dans une certaine mesure, la distinction est un faux problème.

(Exemple: composants électronqiues : LSI plus de 100, MSI plus de 12, SSI moins de 12 (et aussi définition fonctionnelle) Texas, Data, 1973 ou avant)

Organe et fonction

Ces deux fonctions se renvoient l'une à l'autre

Intuitivement :

- une fonction se définit à partir de fonctions plus vastes, de l'extérieur, des finalités ; c'est le rôle d'un système ou d'un processeur, ce qu'il fait ; on va du haut (logique) vers le bas, du global vers le détail ; une fonction, en quelque sorte, est une propriété externe ;

- un organe se repère physiquement et anatomiquement, par exemple comme un ensemble de cellules identiques (mémoire d'ordinateur, foie). Il se construit du bas (logique) vers le haut, il émerge par différenciation et regroupement.

Une des tâches de l'analyse de système consiste précisément à rechercher, à étudier, et le cas échéant à remettre eu cause la correspondance établie entre fonction et organes. Ou a créer des organes qui accompliront une fonction souhaitée.

En général, il n'y a pas de correspondance simple entre organes et fonctions. Non seulement un organe peut avoir plusieurs fonctions et réciproquement, mais encore certaines fonctions peuvent être accomplies de manière diffuse dans l'ensemble du système, avec unevague spécialisation de certaines parties (génération des globules rouges, rangements dans un bureau), et certains organes, bien repérables physiquement, peuvent avoir des fonctions vagues ou pour l'instant inconnues (ce fut longtemps le cas de bien des organes humains avant la médecine moderne).

Autres textes sur ce thème: organe et fonction Le composant

Le minimum de forme

A la différence de l'élément, cher à la théorie des ensemble, le processeur, atome de la systémique, est d'emblée une forme assez complexe, même quand on la réduit à son expression la plus simple.

Cela rejoint l'idée qu'une "forme" est toujours "prégnante", riche, évocatrice, dès le moment où elle apparaît dans le champ de conscience (voir Lussato, après bien d'autres). Citons aussi Blumenthal : "un module doit regrouper un nombre d'opérations suffisamment grand pour pouvoir constituer un centre autonome économiquement viable".

Capacité cognitive d'un système: pour Galbraith, elle doit être égale à la quantité d'information circulant, par unité de temps, nécessaire pour que soient assurées les tâches de cette organisation. (bof)

2.2 Typologie des processeurs

Il s'agit de donner les grandes catégories de pièces qui figureront dans notre Meccano.

2.2.1 Types de traitement

Trois grands types de traitement : l'objet traité, le produit ou le flux processé, etc. peuvent subir des transformations :

- de temps : entrepôt, mémoire, - de position dans l'espace : transports, communications,
- de forme : usinage, calcul, analyse et synthèse.

La dernière catégorie est un peu fourre tout. On y mettra ce qui ne relève ni du temps ni de l'espace : par exemple un chauffage, l'application d'un algorithme, un regroupement de plusieurs intrants pour former un extrant unique

Dans le monde réel, un processeur n'est jamais d'un type pur : un stockage agit sur les formes (évaporation, vieillissement), un transport prend un certain temps et dégrade les objets transportés, une modification de forme prend du temps et souvent déplace les objets.
Cas particulier intéressant : l'amplificateur : "on met quelque chose à l'entrée et on récupère plus à la sortie". On pourrait placer dans cette catégorie les processeurs réels ou fictifs introduits dans un modèle pour respecter la non-bifurcation des liaisons. Dans le monde réel, on aura : regroupements (pooler, mélangeur, multiplexeur, concentrateur), séparations (filtres, répartiteurs, séparateurs, trieuses, démultiplexeurs, diffuseurs)...

Pour aller vers un "algèbre des processeurs", on pourrait aussi ajouter un élément neutre (entrées strictement identiques aux sorties de tout point de vue).

2.2.2 Types de produits traités

On distingue couramment matière, énergie, information. Ici encore, par de matière sans forme, ni d'information sans support, et de l'énergie un peu partout... D'ailleurs la matière peut se transformer en énergie (e = mc2) et réciproquement. L'information pourra peut-être un jour être mise en équation avec la matière... bien que les bons esprits en doutent.

Il serait intéressant d'introduire des processeurs spécifiques de finances. Bien que ce type de flux soit souvent cité (par exemple les quatre flux de Le Moigne), on identifie rarement ces processeurs spécifiques, qui présentent pourtant des caractéristiques remarquables, intermédiaires entre la matière (addititivé) et l'information (mêmes supports, et tendance séculaire à les rendre de plus en plus légers). Sans parler d'une propriété remarquable : quand on prête de l'argent, il rapporte.

Les processeurs d'information, souvent regroupés dans "le système d'information" par les modélisateurs ou les informaticiens, méritent une attention particulière. Ils tendent à concentrer la complexité des organisations.

Notons les processeurs :
- de régulation (très étudiés en automatique),
- de décision (recherche opérationnelle),
- de résolution de problèmes (jeux)...

Certains processeurs ont pour fonction spécifique d'assurer le passage d'un type de produit à un autre :

- matière ou énergie vers information (capteurs, transducteurs),
- matière vers énergie (moteurs, réacteurs atomiques),
- information vers matière ou énergie (actionneurs).

Selon les cas, on insiste plutôt sur la continuité du passage (l'information, au fil de l'histoire, se dégage progressivement de la matière), ou sur leur séparation étanche (clôture du langage, du système de représentation).

C'est au niveau de ces passages que s'observent les effets les plus puissants et les plus intéressants. A commencer par la bombe atomique (matière/énergie), sans parler de l'alchimie, et même des "sacrements" au sens catholique.

Dans la nature comme dans les systèmes artificiels, la "dynamique", le "progrès", relèvent des bons choix en ce qui concerne ces passages. C'est grâce à eux, sans doute, que le système parvient à des échanges bénéficiaires avec son environnement et parvient ainsi à survivre et à se développer, alors que sa structure, hautement improbable, devrait se dissoudre dans le chaos général.

Même pour les processeurs humains, "le discours est du pouvoir" (Bernard Henri Lévy, Hitler). Ou plus techniquement (Crozier) : "La codification (des zones d'incertitude...) constituera toujours un enjeu majeur dans les conflits de pouvoir qui opposent les membres d'une organisation.

Notes.
Pas d'Histoire, ni de prévision, sans une certaine explicitation des processeurs d'information (l'Etat).

Lussato note qu'à l'entrée, les organes doivent à la fois (ou tantôt) effectuer une dénotation et recevoir des symboles. C'est évident en sortie (???).

On ne confondra pas "émergence d'un système d'information" et "création d'un service informatique".

2.2.3 Discret et continu

Cette distinction porte à la fois sur les processeurs et sur les produits. Tantôt le produit est continu, liquide (électricité, liquides et poudres...), tantôt il est discret (pièces en mécanique).

Dans une certaine mesure, les produits discrets peuvent être traités en continu (gâteaux secs sur un tapis roulant pour les phases de cuisson) et réciproquement (batch, lots, de produits continus).

Quand il s'agit d'information, on parle de données ou de processeurs "analogiques" ou "numériques" (plus souvent : digitaux).

Cas particulier : le terme de transaction exprime généralement qu'un paquet d'opérations est appliqué à un paquet de quelque chose, souvent en mettant en liaison deux processeurs. Terme employé surtout pour la monnaie et l'information.

Continu et discret sont toujours un peu mêlés. "Toute morphologie se caractérise par certaines discontinuités qualitatives du substrat" (René Thom, mathématiques de la morphogenèse). Autrement dit, il y a toujours du digital, même dans l'analogique.

Voir Analogique et digital

2.2.4 Caractéristiques temporelles

Il est inévitable qu'un processeur introduise des délais. Cela n'a pas d'importance tant que ce délai n'est pas long par rapport à ceux des autres processeurs (et dans certains cas, par rapport aux caractéristiques des produits, comme le savent les négociants en primeurs et les journalistes). En effet, on peut toujours, dans ce cas, négliger les délais propres à chaque processeur et les rappeler globalement pour l'ensemble du système : on aura par exemple un délai global égal à la somme des délais de la chaîne de traitement la plus longue.

La situation peut se compliquer considérablement si :
- la chaîne de processeurs comporte des boucles,
- certains processeurs ont des cycles propres.

Il peut alors se créer des phénomènes d'accrochage (pompage, résonance, Larsen, ), de battement... dont la suppression sera indispensable au bon fonctionnement du système... sauf bien sûr le cas où ils sont spécifiquement recherchés (oscillateurs).

Les automaticiens sont allés très loin dans l'analyse mathématique de ces questions.

Un cas particulier connu : les systèmes d'information par lots, qui introduisent des phases, par exemple mensuelles, qui ne sont pas sans inconvénient pour l'ensemble du système. Ils sont pour cette raison de plus en plus remplacés par des systèmes transactionnels.

Un processeur peut être dit "en temps réel", s'il n'introduit pas de perturbation dans la durée et les cycles des processus auxquels il participe. En pratique, on réserve l'expression à des processus rapides (exemple : traitement de signaux radar).

2.2.5 Degré d'explicitation

Une procédure judiciaire et un distributeur de billets de banques dont l'un et l'autre des processeurs. On peut intuitivment montrer ce qu'est l'explicitation en classant par explicitation progressive :
- habitude
- méthode
- équation
- procédure
- outil
- machine
- machine automatique
- robot
- homme...


Il y a toujours quelque chose de choquant à considérer un homme comme un processeur, et plus généralement à parler d'un humain comme partie d'un système. On peut employer le terme d'acteur (Crozier). En pratique, il faut bien que nous pensions et que nous agissions, donc que nous nous incarnions dans des systèmes concrets. Restons conscients de cette déchirure entre l'individu et l'organisation, entre l'acteur et le système.

Simondon emploie le terme de "concrétisation" et le développe de manière passionnante. Voir aussi Mélèse (AMS).

Ce problème de la "réalisation" plus ou moins grande est souvent masqué par le mode systémique de représentation. Il pose d'ailleurs des problèmes délicats en matière de systèmes d'information. Représenter une opération, et opérer sur une représentation, c'est tout un. Et Peaucelle note : "Il n'y a pas de différence de nature entre un besoin en information et un système d'information".

2.2.6 Conclusions

Outre ces caractères typologiques, les processeurs peuvent être décrits par des caractéristiques quantitatives relatives soit aux produits traités, soit aux processeurs eux-mêmes.

Cela ne fait pas problème dans les domaines rattachés aux sciences exactes. Par contre, en sciences humaines, la quantification est un problème théorique qui a une certaine portée idéologique.

NOTE : A CHAQUE AUTEUR SON ELEMENT DE BASE

Ashby : machine
Bertalanffy : système, équation
Bourbaki : signe, terme, relation, ensemble, élement, partie
Bruter : objet
Cantor : élément, ensemble
Deleuze : machine (séparée)
Démocrite : atome
Electronique : composant, sous-système
Forrester : rate, level
Galois : groupe
Gille et al. : système (asservi)
Jacob : intégron
Koestler : holon
Markov : source, point d'un graphe
Mélèse : module
Mendéléieff : atome
Minsky : automate (fini)
Paciolo : compte, écriture
Petri : place, jeton
Piaget : système
Scolastique : ens
Simondon : objet (technique)
Thom : objet
Meyer, etc. : objet


Bibliographie

(Lacroix 72) LACROIX Jean. Le Monde, 26-27 mai 1972.


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