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Les robots, rois de l'émotion

Siggraph 2008

Emotions et comportements sont à l'ordre du jour, aussi bien chez les roboticiens que les cinéastes d'animation. C'est par exemple un des points les plus intéressants du récent Wall.E (de Disney). Pour cette romance mélodramatique (sur fond d'écologie), les auteurs ont déployé une riche imagination pour faire sympathiser le spectateur avec les sentiments de ces deux robots amoureux, mais d'anatomie radicalement différente.

Le Siggraph 2008 a donné au thème une place d'honneur, en confiant l'un des trois exposés invités (feature speakers) à Catherine Owens, artiste et notamment co-metteur en scène de U2 3D. Mais l'expérience a montré les limites de l'exercice dans l'état actuel des communautés d'artistes et de de développeurs. La veille, au même endroit et à la même heure, Ed Catmull (président de Pixar) avait fait salle comble sur le thème du management. Catherine Owens n'a attiré qu'un auditoire clairsemé. Et n'a probablement pas donné satisfaction à la majorité de ses auditeurs, malgré l'estime qu'ils portent à son film, car elle n'a pas su transformer ses compétences artistiques et son expérience dans un langage qui ressemblerait de près ou de loin à des principes – ne parlons pas de recettes – pour mettre les émotions en musique (pardon, en 3D). Ce fut d'ailleurs la question d'un de ses auditeurs : « Comment pourriez vous transférez les considérables compétences acquises en direction des créateurs ». Réponse : « Il faut constituer de bonnes équipes ». Elle retrouvait ainsi la conclusion de Catmull : les bonnes équipes sont plus importantes que les bonnes idées.

C'est peut-être que le thème est considéré comme bien connu. Il avait été traité au Siggraph 1994, par exemple. (http://www.siggraph.org/education/materials/HyperGraph/animation/character_animation/principles/lasseter_s94.htm). Et le passage au 3D n'apporte pas tellement de ressorts émotionnels nouveaux. Les produits (matériels ou logiciels) consacrés à l'émotion, à l'expression et aux comportements ne se faisaient guère remarquer non plus sur les stands de l'exposition commerciale. Pour l'instant, donc l'émotion, les structures de comportement sous-jacentes et leur expression corporelle et faciale restent donc affaire d'inspiration personnelle et de capacité des artistes à faire passer leur génie créatif dans ces amplificateurs à grand gain que sont la production de jeux ou de films.

L'émotion n'était pas centrale non plus dans l'exposition artistique, cette année largement statique, assez abstraite et orientée vers l'architecture et la complexité.

En contrepoint, ce sont les robots qui entretiennent la flamme. Mais plus pour faire sourire que comme outils vraiment professionnels. Au Siggraph, cela commençait, à l'entrée du « Geek club », par le petit « Quasi the robot » figure d'un autre âge avec ses moteurs et ses câbles apparents. Elaboré à l'Entertainment Technology Center de l'université Carnegie Mellon (en 2004), il est quand même assez sophistiqué pour lire les badges « Hi, Pierre » et entretenir un petit dialogue.

Dans un petit espace, facilement inaperçu du visiteur pressé (et qui ne l'est dans cette immense et multiforme évènement), d'autres robots amusaient le public. Par exemple Nexi, du MIT (Personal Robot Group), datant de 2007. Ici encore, les présentations amusantes de Nexi ne sont que le sommet émergent d'un vaste iceberg, présenté notamment par les ouvrages du professeur Cynthia Breazeal (notamment « Designing social robots » (MIT Press 2002).

Ainsi, deux mondes coexistent au Siggraph sans toujours se rencontrer. D'une part le cinéma d'animation, qui fait du robot est essentiellement un thème à représenter. Soit pour s'en amuser (Wall. E, ou StarWars), soit, plus souvent, pour s'en inquiéter et en conujurer les dangers (I Robot, Matrix, pour ne pas rappeler le Metropolis Fritz Lang en 1937).

De l'autre, une robotique de plus en plus « humaine », que ce soit pour les loisirs (robots de compagnie), pour l'expérimentation sociale (Carnegie Mellon notamment), voire pour des simples raisons d'efficacité technique. Dans ce dernier cas, la modélisation des émotions est surtout un outil pour doter les robots (industriels et sans doute aussi militaires) de comportements adaptés (voir par exemple http://equipes-lig.imag.fr/magma/publications/papers/2004-Bisognin-Pesty-JFSMA.pdf).

La convergence continue de susciter des vocations. En témoigne par exemple le tout récent (Springer 2008, présent sur le stand de la librairie du Siggraph à LA) « Transdisciplinary Digital Art, Sound, Vision and the New Screen » (Randy Adams, Steve Gibson, Stefan Müller Arisona(Eds). Il consacre un chapitre à ces problèmes d'émotion et d'expression. Mais l'interdisciplinarité est difficile. L'animation comportementale, par exemple, reste encore rare. Pour des raisons intellectuelles (doubles compétence requise) mais aussi de carrière universitaire (les individus transdiscplinaires ne sont pas faciles à évaluer, par exemple).

On peut en être d'autant plus reconnaissant aux animateurs du Siggraph. Résistant à la tendance naturelle qui les pousserait à se concentrer sur le cinéma d'animation, il font tout pour justifier son titre « Computer Graphics and Interactive Techniques ».

Pierre Berger