Et la tendresse virtuelle ! Bordel !
En 2007, j’ai expérimenté pour la première fois un phénomène mystérieux d’amplification émotionnelle générée par les avatars numériques des mondes persistants, que certains attribuent aux neurones miroirs. Et que j’avais évoqué lors de mon intervention sur les avatars à la SCAM le 1er Avril 2009 https://www.dailymotion.com/video/x8v5bq
Mon amie était à New York et moi à Paris.
La veille nous avions communiqué en vidéo via skype, et nous avions clos notre conversation en mimant avec la main un petit baisé symbolique.
Le lendemain, nous avons plutôt choisi de communiquer au travers des avatars du monde persistant de second life. A la fin de notre conversation, mon amie a activée une requête de “Hug” via l’interface du viewer de Second Life. Et la j’ai vu nos deux avatars dans le monde virtuel s’approcher, s’enlacer et s’embrasser, provoquant chez moi une émotion tellement intense, que j’en ai eu les larmes aux yeux. L’embrassade des deux avatars avait généré un sentiment de tendresse bien plus efficace et puissant que le baisé échangé la veille en vidéo pourtant visuellement photo réaliste.
C’est ainsi que j’ai pris conscience que les mondes persistants du cyberespace, avec leurs avatars numériques en 3d animés, pouvaient générer des émotions autant, sinon plus intenses que la littérature, la vidéo, ou même le cinéma, et qu’en particulier, c’étaient de puissants amplificateurs de tendresse, des générateurs de tendresse virtuelle.
09/04/2008 avatars dansant autour de minuit, dans le "Bélvédère" sur la sim du NøøDonjon dans la région d'Aogashima sur MainLand dans Second-Life.
Dans un excellent documentaire de Laure Michel pour arte, sur les relations amoureuses dématérialisées, CyberLove 8/10 j’y témoigne avec mon épouse Linda comment les métaverses ont amplifiées nos relations de tendresse et d’amour via l’immatérialité cyberspatiale, comme d’ailleurs, beaucoup d’autres en ont déjà témoignés depuis que les avatars des mondes persistants et MMO se propagent.
https://www.arte.tv/fr/videos/065772-008-A/cyberlove-8-10/
Aout 2017. Célébration de mariage virtuel dans la parcelle du NøøMuseum dans la région de Nigorigawa sur MainLand dans Second Life
J’ai nommé Cyberesthésie cette capacité du corps et de l’esprit à pouvoir étendre ses exterioceptions et notre empathie à un dispositif technique, un outil.
http://lecube.com/revue/empathie/de-lempathie-a-la-cyberesthesie
Et la tendresse est une émotion qui se prête particulièrement bien à une transmission et amplification cyberesthésique au travers des réseaux sociaux numériques de type MMO ou métaverses.
Les réseaux sociaux numériques sont avant tout des outils, et d’un point vue inspiré par Marshall Mac Luhan, les outils sont des amplificateurs de nos fonctions physiques et cognitives, et pour comprendre les effets de l’utilisation d’un outil sur notre esprit, le plus simple pour moi c’est de se poser la question de ce qu’il amplifie.
Tout comme l’automobile en amplifiant la marche, amplifie les tropismes de compétition de chasse et d’attaque associés à la course, les réseaux sociaux numériques sont des amplificateurs existentiels, qui amplifient nos tropismes d’affirmation et d’expression sociale identitaires (entre autre).
Mais, une dimension que je pense vertueuse, c’est qu’outre d’être des amplificateurs existentiels, (et cybersexuels), les mondes persistants, les métaverses et certains MMO sont aussi de puissants amplificateurs de tendresse dématérialisée, tout comme le sont depuis toujours les échanges épistolaires ou téléphoniques.
Ainsi nombreux sont ceux qui ont passé de longues heures à échanger au téléphone des propos amoureux et tendres. Sensation d’amour, et de tendresse amplifiée par le contexte de la séparation physique, et de la seule communication verbale à distance.
Avec les mondes persistants nous faisons maintenant l’expérience massive selon moi, d’un processus d’amplification de la tendresse par la genèse d’une forme de tendresse dématérialisée spécifique à ce nouveau médium.
Métaverse hérité des MMORPG, accessible en ligne depuis 2003, Second-Life est un réseau social 3D immersif, qui permet de tester et d’évaluer relativement facilement les pratiques et comportements dématérialisés les plus populaires, et ainsi d’estimer les besoins des utilisateurs au travers de leurs pratiques les plus répandues.
Ainsi, les aficionados de Second Life, comme des open-sims, mais aussi de certains MMO comme Wow, savent, par leur utilisation intensive de ces outils, qu’échanger des actes de tendresse virtuelle via les avatars est une pratique omniprésente et courante dans la plupart des métaverses du cyberespace.
Ces échanges de tendresses virtuelles passent par différents canaux techniques dont certains qu’on peut qualifier de “traditionnels” remontent aux origines des lettres et de la poste.
En effet, un de ces vecteurs est épistolaire. Via les canaux de “chat” les utilisateurs décrivent leurs émotions, leurs état d’âmes.
Un autre vecteur “la voice” est similaire au téléphone.
Par contre il n’y a pas ou très rarement d’échanges vidéos (1), lesquels sont remplacés par un vecteur émotionnel nouveau, paradoxalement plus efficace et mystérieux : l’avatar 3D.
L’image vidéo de l’interlocuteur, est remplacée par la petite marionnette en 3D animée de l’avatar, laquelle peut simuler, de façon plus ou moins réaliste, différentes attitudes et expressions. Et c’est peut-être cette petite figurine animée qui active le réseau subconscient des neurones miroirs, dits aussi neurones empathiques.
Les utilisateurs pilotent leurs avatar, grâce à différentes interfaces dédiées (UX) : les “Head Up Display”, les “Animation Override”, les "Gestures" (comme le Hug),
Il faut ajouter aussi des dispositifs dédiés permettant aux avatars numériques de simuler différents types de "convivialité" et de relations dont les plus emblématiques sont les fameuses “pose-balls” que les fabricants équipent d’une multitude d’animations diverses et originales (Animation Overriders) qui permettent aux avatars de s’enlacer, s’embrasser, se caresser tendrements, danser (entre autre). Donc de simuler des gestes et des relations où la tendresse joue un rôle important, (comme dans certaines danses).
Pose-Balls proposant différentes façons de s'enlacer aux avatars, chez Bits & Bobs, l'une des plus anciennes boutiques vendant des AO (Animation Overriders) dans Second-Life
Vendus autour de 300 L$, soit l’équivalent d’un Dollar, et souvent gratuits, on va retrouver ces dispositifs de “pose balls” dans la plupart des maisons construites par les utilisateurs, et aussi dans les lieux à vocation public, comme les galeries, les clubs, les donjons, les salles de danse.
Il existe bien sur une myriade de type d’animations différentes qui n’ont pas pour vocation de simuler de la tendresse, mais, je dirais qu’avec le cybersexe, les danses, les combats, les démarches, les simulations d’une relation de tendresse entre deux avatars font partis des types d’animations les plus fréquentes et populaires.
Nous sommes nombreux chez les explorateurs des mondes persistants à avoir vêcu de grands moments de tendresse, étonnants d'intensité, lors de nos "rencontres" virtuelles... d'une telle intensité que je n'hésiterais pas à les ranger dans la catégorie des états de conscience modifiée spécifiques aux métaverses
A la différence de certaines relations simulées par les dispositifs d’animation des avatars, comme le combat, le vol, la danse, cette tendresse dématérialisée est réelle, ou plutôt perçue par notre conscient et notre subconscience comme réelle, avec je pense la même efficacité que certaines relations cybersexuelles.
Alors pourquoi cette amplification par les mondes persistants des relations de tendresse est-elle si efficace ? Et bien je n’ai pas de réponse, seulement ces quelques pistes évoquées plus haut, cela reste un des mystères à explorer et à comprendre, et peut-être, aussi, que c’est mieux que cela conserve sa part de mystère et d’étrangeté.
En guise de conclusion, j’ai envie de croire dans la dimension lumineuse et vertueuse de cette tendresse virtuelle générée par l’utilisation des avatars numériques dans les réseaux planétaires des mondes persistants du cyberespace à venir.
Je veux croire que c’est la tendresse dématérialisée, qui contribuera à harmoniser la coexistence des 10 milliards d’humains, concentrés dans les mégapoles écologiques, et confrontés au collapsus du capitalisme industriel.
-(1) une expérience que j’avais faite en 2009, de projeter sur la face de l’avatar une retransmission vidéo de mon visage, m’avait montré que cela avait tendance à gêner mes interlocuteurs, et à réduire le lien empathique, surtout dans les relations et la sensualité dématérialisées des pratiques cybersexuelles.
Je joins à cet article, avec leur accord, deux témoignages et réflexions qu’il a suscité, de l’artiste Silvie Mexico, et du cyberexplorateur Joss Muller
Yann Minh 23/07/2018
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Joss Muller Ces questions sont délicates. J'ai maintenant quasi 3 ans de SL et encore 3 ans de Opensim avant ça. Mais c'est dans SL que j'ai découvert des capacités de sensations inconnues de moi dans le RL. La communion/fusion avec l'autre est hyper forte quand on est "branché" avec la personne.
La tendresse, l'amour sont bien plus forts et profonds et l'extase ressentie quand elle se manifeste est époustouflante. Le RL ne m'a jamais permis de vivre cela sauf à prendre des psychotropes. Mais avec les psychotropes, l’expérience est personnelle, dans SL on est deux et c'est vertigineux. C'est différent. Je sais/sens que quand je me connecte et que je suis avec ma compagne, il y a une connexion psychique qui s’établit. Nos deux êtres sont liés d'une manière très mystérieuse. Cela se passe au travers de l'écran.
Pour ma part, je pense que dans ces cas-là, des capacités s'éveillent en nous, des choses qui étaient latentes et qui ne peuvent vraiment s'exprimer qu'à travers ce dispositif très particulier que sont les avatars auxquels nous nous identifions. Nous savons très peu de choses de notre cerveau, de notre système nerveux et de la nature de notre conscience.
Mais je pense que les mondes virtuels sont pour nous un extraordinaire moyen de connaissance et d'exploration de notre psychisme et inédit en plus. Je considère SL comme un univers psychique où les esprits et les affects - et les inconscients - peuvent s'exprimer sans limite si on a envie de laisser faire.
Un mot encore sur le corps. Nous associons toujours le corps aux vécus émotionnels parce que nous sommes né avec un corps de chair et que nous pensons que c'est nous. C'est probablement une erreur de croire que le corps est indissociable de l'esprit. L'avatar permet de prendre du recul avec ce concept parce que c'est un autre corps que je m'approprie et auquel je m'identifie. Joss Muller, c'est moi, aussi sûrement que celui qui est dans le corps de chair devant son écran s'identifie à son "lui". Pas évident de jongler avec ces concepts d'identités.
Ce que je pense, en fait, et ce que je veux dire,
c'est que si l'esprit est véritablement indépendant du
corps de chair, alors, il n'y a aucune raison de penser qu'il n'est
pas possible de "migrer" son moi dans le corps de pixel. C'est
ce que j'essaye de comprendre et d'explorer.
Joss Muller, sur Facebook, le 19/juillet/2018
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Oui et tu connais bien mon regard personnel dessus Yann. En revanche pour ma part, j'ai un nouvel élément de réflexion sur le sujet notamment. J'ai été récemment diagnostiquée autiste asperger (sans pathologies associées). Je suis encore très loin d'avoir fait le tour de la littérature sur le fonctionnement du cerveau autiste qui visiblement est très différent de celui du neurotypique, mais si j'ai bien compris, il y a pour l'autiste notamment un déficit (voir une absence de réaction) au niveau de ce qu'on appelle les neurones miroirs. L'autiste ne "ressent" pas les émotions ou états des autres perçues - bien que ses systèmes perceptifs soient généralement plus développés que ceux des neurotypiques.
Il s'en suit une difficulté - voir une
impossibilité à comprendre le langage non verbal souvent confus
autrement que par déduction - déduction plus ou moins possible
selon les autistes. Par ailleurs, le neurotypique étant souvent ambigu
dans l'expression de ses états (signes non verbaux pouvant être
en contradiction entre eux et/ou avec les formulations verbales), l'interprétation
rationnelle s'en ressort difficile et stressante (et demandant beaucoup
de ressources cognitives), ce qui peut épuiser, et par conséquent
rendre le lâcher prise nécessaire à la tendresse parfois
difficile - voir impossible. Les relations au travers d'avatars évitent
complètement cela.
L'attitude de l'avatar n'est pas équivoque.
Elle l'est très peu, et largement moins qu'une attitude IRL. Et je me demande
à quel point la relation entre avatars peut être rassurante - voir
reposante pour les individus appartenant au spectre autistique. Dans mon cas,
c'est une évidence. Et relation sereine conduit forcément
plus facilement à la tendresse notamment.
Aujourd'hui, je me demande (sans n'avoir
aucun moyen pour répondre), à quel point les formes de confusion
de langage verbal / non verbal qu'entretiennent les neurotypiques ne sont
pas justement nécessaires pour eux pour s'approcher et communiquer
/ communier sereinement. Dans ce cas, il y a forcément une perte, voir
un handicap pour eux dans les relations entre avatars qui sont beaucoup claires
et lisibles, mais plus pauvres en expressions (faciales et physiques). Si c'est
le cas (mais je n'en ai aucune certitude), les relations entre avatars et
le cybersexe pourraient être des formes d'augmentations pour les fonctionnements
de types autistiques (moins de 1% de la population env), là où
au contraire elles seraient des diminutions pour les neurotypiques. En tout
cas c'est une question que maintenant je me pose.
Silvie Mexico sur Facebook,
le 18/Juillet/2018
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