Hebdo
No 119. 10 juin 2003

Sommaire : Trois questions à Christophe Binot (Total)| L'actualité de la semaine | Théories et concepts | Enseignement | La recherche en pratique | Entreprises |Manifestations | Le livre de la semaine | Détente


" La gestion de connaissances est en train de se structurer pour devenir une discipline à part entière. Au coeur, les hommes et leurs communautés de pratiques. Pour les soutenir, l'infrastructure des systèmes d'information. Et des outils, de préférence simples, rapides à mettre en oeuvre. Mais aussi des outils "intelligents", comme l'ELM, pour détecter les communautés possibles et les encourager à se constituer "

Trois questions à Christophe Binot

Responsable du département gestion et valorisation de l'information à la DSI de Total

Asti-Hebdo : A la différence de la majorité des informaticiens d'entreprise, vous coopérez de manière substantielle avec les chercheurs en Stic. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Christophe Binot : Cela tient pour une part à l'un de mes principaux domaines d'activité, la gestion de connaissances (knowledge management, ou KM, disons-nous souvent dans notre communauté), qui est favorable à cette coopération. Je bénéficie en ce moment, par exemple, d'un contrat Cifre, avec Aurélie Dudézert, qui appartient au laboratoire de génie industriel de l'Ecole centrale de Paris. Elle travaille sur les méthodologies d'évaluation des connaissances en entreprise. Par elle, nous sommes en contact avec tout un réseau de chercheurs et spécialistes du domaine.

Par ailleurs, je donne des cours à l'Ecole des Mines, à HEC, Sciences-Po et à l'ESIEE. Tant pour enseigner que pour y trouver des jeunes intéressés par ces matières, et que je peux ensuite prendre en stage, éventuellement en thèse ou pour une coopération de plus longue durée.

Cette respiration est importante pour notre développement. Et elle est orchestrée de manière intensive, au niveau de notre groupe, par une Direction scientifique forte, qui est l'un des premiers pourvoyeurs de thèses du CNRS, certes plutôt dans les domaine de la recherche pétrolière, de la chimie mais aussi du pilotage des raffineries et plus généralement des automatismes.

A.H. : Quelles disciplines mettez-vous surtout à contribution dans votre spécialité, la gestion et la valorisation de l'information, des connaissances ?

C.B. : La gestion de connaissances émerge aujourd'hui d'une manière nouvelle. Du point de vue industriel, nous avons connu plusieurs étapes, ou strates successives : les grands enthousiasmes des années 1998-99, où l'on proposait d'impressionnants outils ; puis la bulle Internet et son effondrement ; et aujourd'hui, une reprise, avec l'apparition de nouveaux outils et produits, moins prétentieux peut-être mais répondant mieux aux besoins des entreprises.

Du point de vue universitaire, nous sentons qu'une véritable discipline de la gestion de connaissances est en train de se structurer à partir d'origines multiples. D'abord, bien sûr, tout ce qui vient de l'intelligence artificielle, de la cognitique, où l'important est de mettre la connaissance sous forme "actionnable" pour s'en servir. Mais, en parallèle, les sciences de la gestion ont montré l'importance du management des compétences. Différentes écoles sont présentes sur ce thème, y compris les sociologues. Ici, le KM c'est essentiellement des gens qui se parlent, qui montent des réseaux, des communautés de pratique.

Certaines initiatives qui se sont lancées au niveau européen font sentir que ces différentes composantes commencent à se "mettre en musique" de manière plus concrète ou si l'on préfère, en ordre de bataille. Chacun tend bien sûr à tirer la couverture à soi. Sociologues, psychologues, cogniticiens, ingénieurs des process... et dans les entreprises, DSI et DRH. Mais tout le monde commence à travailler ensemble, comme on peut le voir par exemple sur site du (www.knowledgeboard.com) Knowledge board, qui rassemble 4500 praticiens venant aussi bien de l'industrie que des universités. Je crois que nous allons arriver à faire du KM une discipline scientifique au même titre que d'autres qui ont pignon sur rue et ont bien structuré leur champ d'intervention.

A.H. : Quels thèmes majeurs émergent de ce nouveau bouillonnement, ses "core components", pour parler le langage de l'heure ?

C.B. : Le coeur, c'est clairement les hommes, avec leurs compétences et leur savoir-faire. Et sans élitisme. Un ouvrier sur sa chaîne de montage a des connaissances qui sont aussi importantes que celles des cols blancs. Les grands industriels français l'ont compris. On n'en est plus, comme dans les années 1990-95, à viser la disparition de l'expert après qu'il ait mis sa connaissance dans un système. On pense plutôt à aider un expert qui va prendre la suite d'un autre, avec une phase de recouvrement de trois mois, par exemple. L'ancien met beaucoup de choses dans la machine, mais c'est pour les mettre au service de son successeur. Les hommes constituent des communautés pour transmettre et pour échanger leur savoir faire, leurs expériences.

Pour soutenir les hommes et les communautés, il faut bien entendu une infrastructure de systèmes d'information qui favorisent les échanges, qui les fluidifient. Avec des interfaces ergonomiques pour mettre les connaissances à disposition aussi bien que pour les utiliser.

Quant aux outils, ce sont des outils simples (messagerie, bureautique, Internet, pair-à-pair...) qui font la différence. On ne prône plus les super-portails-cathédrales, avec leurs catégoriseurs-indexeurs-sémantico-lexico-contextuels. Le concept threedegrees de Microsoft, avec media-player, messagerie instantanée et partage de fichiers, est typique de l'orientation actuelle. Il permet de créer instantanément une communauté d'intérêt autour d'un fichier MP3 ou d'un film, qu'on écoute ou regarde ensemble, et d'échanger en temps réel avec dix autres postes de travail dans le monde entier.

La philosophie d'Internet joue à plein : quelque chose me plaît, j'ai envie de le dire à d'autres, d'échanger de l'information avec eux. Voilà le type de KM qui donne les meilleurs résultats. On fait part de ses trouvailles, de son travail en cours, chacun apporte son idée, on brasse le tout... Nous sommes aux antipodes du montage de grandes architectures où l'on passe six mois avant de monter un projet et de savoir s'il y a des chances d'en sortir quelque chose.

Quant à la conduite du changement, dont certains consultants parlent avec beaucoup d'enthousiasme... il en faut, bien sûr. Mais il faut la chercher avant tout dans les mentalités et les façons de travailler. Quant on met les nouveaux outils à la disposition des gens, le changement s'opère tout seul. Même si, bien sûr, il reste toujours une frange d'irréductibles qui ne veulent rien partager et préfèrent rester dans leur coin.

Il y même des outils "intelligents" qui aident automatiquement à la constitution de telles communautés. En effet, comment trouver des partenaires dans l'immensité d'Internet ou dans un groupe industriel qui compte 120 000 personnes. Si l'on veut créer une communauté, comment le faire savoir... ?

L'idée est de mettre en place un système qui crée automatiquement des métadonnées et des métaconnaissances sur le quotidien des gens. Sans changer leurs habitudes de travail, avec leur disque dur, leur outils de groupware, leur progiciel de gestion intégré... un outil crée de la connaissance sur ce qu'ils sont, leurs profils, leurs centres d'intérêt, leurs compétences... Si une personne reçoit des mails de partout sur un thème donné, c'est qu'elle est un point de convergence de l'entreprise sur cette question. Ces concepts ont été lancés et expérimentés il y a une dizaine d'années, y compris dans le groupe où je travaille, mais la puissance des outils n'était pas au rendez-vous. Aujourd'hui, les machines et des réseaux son là. Une dizaine de start-ups se sont lancées sur ce créneau depuis 18 mois : c'est l'ELM (Expert location management).

Ici encore, il faut que la confiance règne, que l'on n'ait pas à craindre le "flicage". D'ailleurs le but n'est pas d'atteindre l'automatisme complet, mais, grâce à une détection pertinente, de proposer et d'encourager à la constitution de communautés de pratiques, de réseaux sociaux. Les intéressés s'envoient un courriel, se téléphonent... se rencontrent physiquement, créent un portail ! Et la communauté du KM, nous l'avons vu, n'est pas la dernière à mettre en oeuvre ces nouveaux outils.


Actualité de la semaine

Dossier du ministère sur la décentralisation

Le ministère met en ligne un grand dossier consacré à la décentralisation. On y trouvera notamment l'intégralité du projet de loi ainsi qu'un question-réponse à destination du public.


Théories et concepts

Signature électronique : insuccès

"Trois ans après la loi qui lui conférait la même force qu'à la signature manuscrite, le paraphe électronique et les foncions de chiffrement qui lui sont associées tardent à se généraliser. La complexité de l'organisation nécessaire rebute les industriels.". Ainsi titre Hervé Morin, dans Le Monde du 23 mai, en rendant compte du salon Infosec.

Cybersurveillance, vidéosurveillance

La cybersurveillance des salariés dans l'entreprise est techniquement facile, mais pose des problèmes juridiques non triviaux. Emmanuel Jez dans Expertises de juin, en fait le tour.

"La vidéosurveillance ne fait plus peur", titre Delphine Chayet dans Le Figaro du 6 juin : "Les temps ont changé, le besoin de sécurité est désormais assumé". Sur cette question, rappelons le livre Démocratie et télésurveillance, de Stéphane Callens, que nous interviewons dans le prochain numéro d'Asti-Hebdo.

Bioinformatique

"Orientée à son origine vers le traitement des informations biologiques par des moyens informatiques, dans des branches plus classiques, tels que la physiologie, la biométrie, la pharmacologie, etc., la bioinformatique prend un net tournant en direction de la biologie moléculaire, avec l'exploitation des données issues de l'étude du matériel générique". Cinq pages d'histoire signées par Daniel Guinier dans Expertises de juin.

Dictionnaires

Yves Siarry nous signale les dictionnaires :

- http://www.sciences-en-ligne.com/pages/accueil.htm : dictionnaire scientifique général, sur abonnement,
- http://foldoc.doc.ic.ac.uk/foldoc/index.html (uniquement en anglais, mais pratique).
- Words with unusual etymologies .

Parutions chez Vuibert

Gestion des connaissances. Outils et applications du knowledge management. par Gilles Balmisse. .

Parutions à L'Harmattan

Modélisation. Théorie générale de la schématisation 2. (Sémiotique du schéma), par Robert Estivals. C'est le deuxième tome d'un ouvrage dont le premier était consacré à l'épistémologie des sciences cognitives, et le troisième (à paraître) traitera de la théorie de la communication. Il s'agit, en quelque sorte, d'une épistémologie de l'épistémologie. Les Stic étant grandes utilisatrices de schémas et modèles, ceux qui en sondent les fondements ne peuvent esquiver les arcanes récursives de ce type de réflexion s'ils veulent dépasser les démarches les plus naïves.

Combinaison organisation-technologie. Le travail en réseau, au delà de l'organisation hiérarchique et des technologies de demain. par Pierre-Jean Benghozi, Patrice Pollet, Jacques Trahand et Nicole Vardanega-Lachaud. Un ouvrage bref, 95 pages. Un témoignage sur un séminaire déroulé de 1998 à 2001, et qui "est lui-même le résultat d'un véritable travail coopératif en réseau". Des notations un rien sceptiques : le réseau est vu comme une "tentation" (en transgression du modèle hiérarchique), avec le risque d'un contrôle accru, des effets psycho-ergonomiques à ne pas sous-évaluer. L'ouvrage et donc proposé comme un guide de diagnostic pour expérimentateurs et consultants.

Management et mécanisation. Des postiers et des centres de tri, un management complexe, par Jean-Marc Sauret. L'ouvrage est assez typique du regard que les sciences humaines jettent souvent sur la mise en place des techniques. Alors que le problème de la mécanisation du tri est au coeur des problèmes sociaux depuis des décennies, c'est à peine s'il est évoqué, l'attention étant constamment tenue sur les structures managériales en elles-mêmes. Citons un précédent tout aussi typique : L'usine qui n'existait pas. Aluminium Dunkerque, projet d'organisation nouvelle, par Olivier Du Roy et Christian Mahieu, Editions d'organisation, 1998.


Enseignement

Expérimentation du C2I

Le C2I (Certificat informatique et Internet), destiné aux étudiants des établissements d’enseignement supérieur, sera mis en œuvre, à titre expérimental, à la rentrée universitaire 2003.Les établissements volontaires pour expérimenter cette certification en 2003-2004 doivent se porter candidats avant le 13 juin 2003. (NDLR. Nous n'avons pas eu l'information plus tôt). Contact : Marie-Claude Lesage

Mise en place du LMD dans les universités françaises

L'Amue (Association de mutualisation des universités et établissements) organise le mercredi 2 juillet une journée sur "La mise en place du LMD dans les universités françaises". Au programme, notamment :
- Un espace national pour une influence internationales, par Jean-Marc Monteil
- Témoignages d'universités,
- Comment articuler la construction des parcours, la définition des compétences et l'insertion professionnelle,
- Vers une rénovation de la pédagogie
- Organisation des semestres.
Programme et inscriptions


La recherche en pratique

Sections du Comité national de la recherche scientifique

L'arrêté de la ministre déléguée à la Recherche et aux nouvelles technologies fixant la liste des sections du Comité national de la recherche scientifique vient d'être publié. Cette liste a été arrêtée après consultation du conseil scientifique et du conseil d'administration du CNRS et sur proposition de la directrice générale du CNRS. Consulter l'arrêté .

L'Inria bien vu par les informaticiens

Lors d'une enquête réalisée auprès de 1 500 informaticiens par la revue 01 Informatique et l'institut de sondage Ifop, l'Inria arrive en seconde position du classement des " entreprises préférées des informaticiens " pour cette année 2003.
Le communiqué.


Entreprises

Norme comptable IAS

Il y a urgence. Dès l'année prochaine, les entreprises cotées devront être en mesure de fournir leurs comptes consolidés conformément à la nouvelle règlementatio comptable européenne IAS/IFRS. Si ce chantier n'a ni la volumétrie ni le caractère inéluctable de ceux de l'euro ou de l'an 2000, il ne faut pas sous-estimer l'impact de ces normes. L'organisation et le système d'information des entreprises concernées risquent d'être fortement remis en cause. Claire Leroy, dans Progiciel Expert y consacre un dossier de 6 pages.


Manifestations

RFIA

Toutes Informations sur le site Web de la conférence. Nous y reviendrons.

ICSSEA 2003

Lees 16èmes Journées Internationales ICSSEA, Génie logiciel et ingénierie de systèmes et leurs applications auront lieu du 2 au 4 décembre 2003. Comme pour les éditions antérieures des Journées, tous les sujets de l'ingénierie de systèmes et du génie logiciel ainsi que tout domaine d'application (systèmes d'informations, gestion de processus d'entreprises, intégration d'applications d'entreprises, informatique transactionnelle, services électroniques, systèmes reposant sur la Toile, systèmes répartis, systèmes temps réel et embarqués, multimédia, ...) sont éligibles.

Contact : Jean-Claude Rault

Manifestations des associations fondatrices de l'Asti

- Afia
- Afig
- Afihm
- ASF - ACM Sigops
- Atala
- Atief
- Cigref
- Creis
- GRCE
- Gutenberg
- Inforsid
- Specif


Le livre de la semaine

Médecine : intégration et partenariats

Assez peu de technique, dans le recueil d'interventions Médecine et technique (Editions de l'Harmattan), sous la direction de Daniel-Nicolas Laurent, qui reprend une série d'exposés présentés à l'Institut Fredrik Bull. "En amont des progrès que permettent les techniques nouvelles, une approche "intégrative" des désordres survenant dans les fonctions physiologiques, leurs régulations et leurs modes de contrôle, reste à bâtir". L'intérêt vient surtout de la qualité des intervenants, principalement des médecins praticiens de solide expérience.

Le texte de Jean-Louis Funck-Brentano, décédé en 1997, a volontairement été placé en tête, et permet d'apprécier encore une fois la hauteur et la solidité des vues de ce néphrologue, qui fit progresser substantiellement la dyalise rénale, mais qui fut aussi, un temps, l'animateur du Centre mondial d'informatique créé par François Mitterrand. Pour lui, face à la diversité des nouvelles technologies, au flot des informations devenues accessibles au patient aussi bien qu'au médecin et à d'autres intervenants, l'enjeu est de trouver ttouver "une nouvelle forme de dialogue" par lequel "pourra être sauvegardée la cohérence de l'ensemble de l'institution médicale, cohérence qui implique une interactivité de tous les participants".

Parmi la quinzaine d'articles, les spécialistes des Stic apprécieront surtout :
- Lève-toi et marche (restauration artificielle de la marche), par Pierre Rabischong,
- Diagnostiquer à distance, par Jean-Philippe Montagne,
- L'omniprésence de l'informatique, par Jean-Philippe Renard,
- Voir le cerveau penser, par Denis Le Bihan,
- La médecine envahie par la technologie, par Herbert Geschwind.

Le recueil se conclut sur des recommandations pour la formation des médecins. Ils devront être suffisamment informés des techniques pour en faire usage dans leur spécialité. Mais ils devront surtout avoir trois qualités humaines : la curiosité d'esprit, le respect du patient et le sens de la responsabilité. P.B.


Détente

Sifflements sur la hot-line

Si votre ordinateur fume et fait un bruit bizarre, sans parler de l'odeur : ouvrez le capot...


L'équipe ASTI-HEBDO : Directeur de la publication : Jean-Paul Haton. Rédacteur en chef : Pierre Berger. Secrétaire général de la rédaction : François Louis Nicolet, Chefs de rubrique : Mireille Boris, Claire Rémy et Armand Berger. Asti-Hebdo est diffusé par FTPresse.