Hebdo
No 120. 16 juin 2003

Sommaire : Trois questions à Stéphane Callens (Université d'Artois) | L'actualité de la semaine | Théories et concepts | Enseignement | La recherche en pratique | Manifestations | Le livre de la semaine | Détente


" Comment concilier démocratie et technique, comment éviter la technocratie ? En France, pourtant pays de Condorcet, les chercheurs en sciences politiques restent peu attirés par les démarches formalisées."

Trois questions à Stéphane Callens

Economiste et historien des sciences, Université d'Artois

Asti-Hebdo : Vous avez publié récemment "Démocratie et télésurveillance"(Presses universitaires du Septentrion), où vous présentez les problèmes posés par cette technologie et une forme nouvelle de prise de décision, le "jury citoyen". Vous êtes économiste, comment avez-vous été conduit à réaliser cette étude ?

Stéphane Callens : Il s'agissait d'une réponse à un appel d'offres du Centre de prospective de la Gendarmerie nationale. Elle s'inscrit dans ma carrière de chercheur, centrée sur l'histoire des sciences (où j'ai passé ma thèse, à l'EHESS), après des études de mathématiques et donnant ensuite une large place à l'économie (au sens de la "nouvelle économie politique", comme on dit aujourd'hui). Ce choix des sciences économiques s'explique par le bon accueil que j'ai trouvé dans cette communauté. Outre l'Université et le CNRS, j'ai travaillé pour des organismes bien différents, depuis le Centre d'études pour l'emploi jusqu'au Collège de France. Un des avantages de la recherche, c'est qu'elle permet de circuler dans des domaines très divers, dans des espaces inattendus. Le fil qui relie mes recherches, c'est le risque, depuis que (il y a maintenant longtemps), j'ai été appelé à faire un rapport sur Tchernobyl pour ce qui était alors le secrétariat d'Etat à l'environnement.

Je suis devenu un expert en catastrophes. Une spécialité un peu particulière, peut-être, mais qui se donne des moyens d'analyse, par exemple la base de données Em-dat (Emergency database) qu'a constituée et qu'entretient une équipe belge (le Cred, The centre for research on the epidemiology of disasters, Université catholique de Louvain/Bruxelles) avec l'Ofda (Office of US foreign disaster assistance). Elle recense quelque dix mille catastrophes, sur 25 ans, avec le lieu, la date, le type d'événement, les interventions, les conséquences...

A.H. : A quoi peut servir une telle base de données sur les catastrophes ?

S.C. : La première conclusion, qui saute aux yeux, c'est l'inégalité des pays face à ces drames. Pour un même type d'événement, le type des conséquences varie du tout au tout selon la situation. Dans les pays les plus pauvres, les effets se mesurent en nombre de morts. Dans les pays émergents (la Chine, le Viet-Nam), c'est le nombre des sinistrés qui compte. Dans les pays avancés, avec les assurances, on mesure les coûts financiers. Il y a beaucoup moins de morts ou de sinistrés. La situation matérielle se rétablit rapidement. Il a suffi de trois mois à la ville japonaise de Kobé pour repartir, après l'énorme tremblement de terre de janvier 1995.

L'information, est la seule chose qu'on a réussi à globaliser. Aujourd'hui, un expert en catastrophes, depuis son bureau ou son domicile parisien, est informé sur les catastrophes qui se produisent dans le monde entier dans les heures sinon les minutes qui suivent, dès que la télévision commence à envoyer des images. (Et son réflexe est de diagnostiquer immédiatement les erreurs commises par tel ou tel acteur). Il suffit en revanche de peu de choses pour perturber la globalisation des marchandises. Le Centre-Afrique, par exemple, produit un coton recherché pour sa qualité, notamment du fait qu'il est récolté à la main. Mais la production est bloquée actuellement, et va peut-être disparaître complètement, car la région est accablée par une série de guerres civiles. Et il suffit de trois bandits armés de Kalachnikov pour que les camions ne passent plus. Pendant ce temps là, le téléphone continue à fonctionner.

Je viens de participer à un congrès sur l'économie de développement. Un intervenant nous a raconté qu'une des premières choses qu'avaient fait des émigrants en revenant dans un village reculé du Sénégal, c'est d'installer une cabine téléphonique. Cette image que nous pouvons nous faire, du rond de cases traditionnelles avec la cabine PTT standard au milieu, c'est une bonne image de la réalité de la globalisation. Et, de retour chez nous, cet intervenant commentait : "Les nouvelles du village, je les ai plus rapidement quand je suis ici en France, que dans le village voisin, parce que l'information circule parfois difficilement d'un village à l'autre".

Malgré les difficultés, on accède à Internet aussi efficacement depuis le Burkina Faso que depuis nombre de bureaux parisiens, universitaires en particulier. Et un étudiant chinois n'hésite pas à mettre un courriel à Brest ou Arras pour trouver un lieu d'accueil en France (Il faut dire que le retour sur investissement d'une formation supérieure est certain, dans ce pays en forte croissance : un étudiant qui rentre en Chine avec un mastère ou une thèse est sûr de trouver un emploi intéressant).

Cela dit, la globalisation de l'information se heurte à des restrictions, qui sont par exemple la volonté du pouvoir politique de contrôler les contenus. Un économiste chinois a récemment été condamné à quatre ans de prison pour avoir mis un article en ligne directement sur Internet, sans passer par les autorités compétentes.

A.H. : Les Stic permettent-elles de progresser dans le fonctionnement de la démocratie ?

S.C. : Ce qui m'a intéressé dans la télésurveillance, c'est qu'elle est un point d'entrée dans la démocratie technique. Et qu'elle pose le problème de toute nouvelle technologie : comment concilier démocratie et technique, comment éviter la technocratie ? Ce qui préoccupe ici l'économiste, c'est que la technocratie ne permet pas d'atteindre l'allocation optimale des ressources. Typiquement, on parle de "défaillance de la démocratie" quand les jugements sont "mal informés", par exemple quand les questions soumises au vote sont pauvres, mal formulées, par rapport à l'ensemble des décisions techniques à prendre. Ou encore quand les décisions sont faussées par toutes sortes de biais, notamment les groupes de pression.

L'économiste se donne pour tâche de construire de meilleurs procédures, répondant au cahier des charges d'une bonne démocratie tout en évitant les travers connus. Les conférences citoyennes, (on dit aussi jurys citoyens, c'est le terme que j'ai employé dans mon livre) sont une des réponses aux défaillances de la démocratie. Leur champ d'application est limité, du fait notamment de leur durée et de leur coût non négligeable. Mais elles s'appliquent bien à des choix portant par exemple sur la télésurveillance dans une ville.

Ce type de recherche intéresse beaucoup de chercheurs, américains en particulier. En France, les chercheurs en sciences politiques sont peu attirés par les démarches formalisées. Il y a pourtant eu tout le mouvement de la recherche opérationnelle, et j'ai été formé par un de ses premiers promoteurs, Georges Guilbaud. La plupart des auteurs qui parlent du rapport de la démocratie avec les nouvelles technologies, surtout d'ailleurs pour en stigmatiser les menaces, font preuve d'une étonnante paresse intellectuelle et jugent sur des a priori. Nous sommes pourtant au pays de Condorcet !


Actualité de la semaine

Dossier du ministère sur la décentralisation

Le ministère met en ligne un grand dossier consacré à la décentralisation. On y trouvera notamment l'intégralité du projet de loi ainsi qu'un question-réponse à destination du public.

Nouveau président du Club EEA

Lors de son congrès de Besançon, le club EEA a élu pour président René Soenen. Il succède à Olivier Bonnaud, que nous avons interviewé dans notre numéro 106

Nouveau président au Syntec informatique

Jean Mounet, directeur général de Sopra Group devient président de Syntec informatique. Il succède à François Dufaux, arrivé au terme de son 2ème mandat non renouvelable. Il entend profiter de son mandat pour faire valoir, auprès des entreprises et des pouvoirs publics, cinq axes de progrès prioritaires:
- améliorer l'image de la profession,
- faire reconnaître l’apport des technologies de l’information dans la compétitivité des entreprises,
- favoriser l'industrialisation des sociétés du secteur,
- accroître la flexibilité du travail,
- prêter une attention particulière à la formation.

Parallèlement, sont également prévues des actions spécifiques de soutien à la recherche et à l’innovation.


Théories et concepts

Culture de l'information

Brigitte Juanals dans La culture de l'information, du livre au numérique (Hermès/Lavoisier) analyse les divers dispositifs de médiation aux information, notamment la pratique éditoriale de l'Encyclopedia universalis.

Réseau ambiant

- "Un réseau ambiant doit pouvoir acheminer des données très diverses", estime Andrzej Dud, de l'Ensimag, qui prévoit un développement rapide de ces réseaux au service de la mobilité. (http://lettres.01net.com/u.asp?a=106495:816:3)

Parutions chez Springer

Approximation. Klaus Jansen and Samir Khuller (Eds.) : Approximation algorithms for combinatorial optimization. Third international workshop, Approx 2000, Saarbrücken, Germany, September 5-8, 2000. Proceedings.

Vérification du matériel. Laurence Pierre and Thomas Kropf (Eds.) : Correct hardware design and verification methods. 10th Ifip WG 10.5 Advanced research working conference, Charme '99, Bad Herrenalb, Germany, September 27-29, 1999. Proceedings.

Technologies actives pour la gestion des réseaux et services. Rolf Stadler and Burkhard Stiller (Eds.) : Active technologies for network and service management 10th Ifip/IEEE International workshop on distributed systems: Operations and management DSOM'99, Zurich, Switzerland, October 11-13, 1999. Proceedings


Enseignement

Comprendre le multimédia pour progresser

Landes Interactives propose un dossier sur le multimédia : " Comprendre pour progresser : vers une première évaluation".

Condition de vie des étudiants

L'Observatoire national de la vie étudiante publie le numéro 6 d'OVE Info sur le thème Alimentation et santé 14 pages au format PDF

Sexe et manière d'apprendre

Le sociologue Jean-Luc Primon revient sur une enquête menée à l'université de Nice sur les manières sexuées d'apprendre en première année, signale l'Amue.


La recherche en pratique

Revues scientifiques en accès libre

Stéphane Foucard, dans Le monde du 24 mai, signale la création de deux revues scientifiques "gratuites" et commente : Avec un modèle économique fondé sur le libre accès aux résultats de la recherche, un collectif, la "Public library of science" espère concurrencer les grandes revues généralistes. Il indique que l'université de Lund (Suède) a mis en ligne un annuaire des revues à accès ouvert (D0A, Directory of open access).

Cadre juridique du 6eme PCRD

La direction des Affaires juridiques du CNRS a mis en ligne une rubrique consacrée au 6e programme-cadre de recherche et développement. Elle y définit le cadre juridique (textes fondateurs, décisions, règlements...) du programme-cadre et y diffuse des outils juridiques destinés à aider les chercheurs dans la construction de leur projet de recherche (lettres d'engagement, déclaration d'intention, accord de consortium). Une sélection de sites utiles et un lien vers la rubrique consacrée au 5e PCRD sont également proposés.

Internethon : donnez vos ordinateurs réformés pour l'insertion

L'Afnet organise la collecte d'ordinateurs réformés par les entreprises pour les associations actives dans le domaine de l'insertion. Baptisée Internethon, la 3ème édition de cette opération a débuté en mars au cours de la fête de l'internet. Le Gouvernement a souhaité que l'administration apporte désormais son soutien à la collecte.


Manifestations

Hourtin 2003

La 24ème université d'été de la communication aura lieu du 25 au 30 aout à Hourtin (Gironde).
Programme et inscriptions.

Manifestations des associations fondatrices de l'Asti

- Afia
- Afig
- Afihm
- ASF - ACM Sigops
- Atala
- Atief
- Cigref
- Creis
- GRCE
- Gutenberg
- Inforsid
- Specif


Le livre de la semaine

Protéger ses droits en matière de logiciels

L'ouvrage Contrefaçon de logiciel, les solutions juridiques, de Carine Bernault et Ambroise Soreau (Editions des Parques) se place dans une perspective résolument pratique et technique : comment préconstituer la preuve de la titularité des doits, comment apprécier l'existence de la contrefaçon, comment établir la matérialité d'une contrefaçon, comment intenter une action en contrefaçon. En complément : dispositions relatives aux logiciels, adresses utiles.

Le traitement est austère, et marqué par la spécialité des auteurs jusqu'à des points de présentation qui font sourire (au moins les non spécialistes) : certains numéros de paragraphes, sans contenu, sont indiqués avec la mention "réservé". Mais la matière est d'une importance cruciale pour le monde de la recherche et du développement, notamment dans les universités : comment protéger ses réalisations logicielles des pillards en tous genres. Et, symétriquement, comment ne pas devenir soi-même un contrefacteur ?


Détente

Dites moi ceque vous buvez, je vous dirai dans quelle discipline vous travaillez !

Est-ce sous l'influence de la chaleur ambiante, ou de l'anglo-américanisme régnant ? Nous nous sommes récemment rendus pour Asti-Hebdo dans un grand groupe de la région parisienne, et l'hôtesse nous a établi le badge ci-joint. Nous soumettrons à un prochain conseil d'administration l'opportunité de mettre à jour notre sigle, qui pourrait se décliner par exemple : "Information, communication et e-sciences. Théorie,éthique (ou épistémologie...) et applications".


L'équipe ASTI-HEBDO : Directeur de la publication : Jean-Paul Haton. Rédacteur en chef : Pierre Berger. Secrétaire général de la rédaction : François Louis Nicolet, Chefs de rubrique : Mireille Boris, Claire Rémy et Armand Berger. Asti-Hebdo est diffusé par FTPresse.