Association Française des
Sciences et Technologies de l'Information

Hebdo
No 80. 24 juin 2002

Sommaire : L'actualité de la semaine | Théories et concepts | Enseignement | Entreprises | Enseignement | La recherche en pratique | Le livre de la semaine | Détente.

ACTES DE NOTRE JOURNEE DU 15 MAI. Dans ce numéro, les interventions de : Colette Hoffsaes (Creis), Gilles Dowek (Inria), Eddie Soulier (UTT).

Participez à l'enquête "Stic, recherche et éthique" : d'un simple clic téléchargez le questionnaire élaboré par le groupe de travail.
Afin que nous puissions traiter votre questionnaire, pensez à nous l'envoyer avant le 8 juillet 2002 !
Votre participation aidera le groupe à définir le cadre de sa réflexion en partant de vos pratiques et en intégrant vos souhaits et suggestions que nous vous invitons à formuler. Nous vous demandons de répondre à ce questionnaire sous forme électronique, et le cas échéant de le compléter par toute information ou document utile. Vous pouvez nous contacter pour un complément d'informations au (01) 41 74 06 19 ou à l'adresse électronique : marcheix@club-internet.fr. Les résultats seront publiés sans mention nominative et les données ne seront conservées que le temps du traitement.
Nous vous remercions par avance de votre collaboration.
Annie Marcheix

Les Asti-Dej font relâche jusqu'à la rentrée. Nous vous proposerons, début septembre, une nouvelle formule. Sans doute un petit-déjeuner, de 8h30 à 10 heure, chez Paul (forum des Halles). Qu'en pensez-vous ?

Stic, un carrefour de langages

Nous poursuivons la publication des "Actes" de la journée Asti du 15 mai.

Dans ce numéro, les communications de Colette Hoffsaes (Creis), Gilles Dowek (Inria) et Eddie Soulier (Université de technologie de Compiègne).

Accès à l'ensemble des documents relatifs à cette journée

Les photographies (en "lumière disponible") sont de Joël Gardes.


Colette Hoffsaes

Co-fondatrice et première présidente du Creis

"Le vocabulaire technique tend à occulter les enjeux"

Le Creis, centre de coordination pour la recherche et l'enseignement en informatique et société, est une des associations fondatrices de l'Asti. Le nom est trop long, peu attractif, mais nous n'avons pas trouvé mieux pour exprimer la réalité de ce que nous voulions faire.

Et puis, le sigle sonne bien, : contrainte bien étrangère à ce que nous voulions signifier !
- coordination = pour échanger, s'entraider, stimuler,
- lier la recherche et l'enseignement = réfléchir et comprendre d'une part, agir en faisant savoir, en posant des questions, en soulevant des problèmes.

Informatique et société : le terme est insatisfaisant, parce qu'il semble mettre en exergue une technique, alors que nous avons toujours pensé que la société était première. Mais société et informatique ne nous a pas semblé meilleur et nous n'avons pas trouvé mieux. Enfin la liaison "et" est trop vague, mais il aurait fallu beaucoup de termes relationnels.

Notre objectif : étudier les enjeux politiques, économiques, sociaux, philosophiques... de l'informatisation, c'est-à-dire de l'informatique vue comme un projet collectif ou comme instrument d'un projet collectif.

Ces termes flous, insatisfaisants nous ont cependant permis d'ouvrir des voies nouvelles, de défricher des terres inconnues. Au fur et à mesure de nos travaux, le terrain se balise et les termes se précisent.

Au sein de l'association, j'ai participé à deux actions liées au thème de cette journée :
- j'ai animé un groupe de réflexion commun au Creis, à l'AILF et à l'Afcet sur "Histoire et épistémologie de l'informatique",
- j'ai participé à un groupe de travail qui a rédigé un lexique "Informatique et société".

Histoire et épistémologie de l'informatique

Qu'est-ce que l'épistémologie ? Je ne sais pas vraiment et je me suis laissé dire que l'Asti non plus puisque le débat sur ce thème n'a pas abouti à un accord. Je le définirai par les buts que j'ai poursuivis en animant un groupe de ce nom pendant plusieurs années au nom de la défunte Afcet, de l'AILF et du Creis. Il s'agissait de tenter de comprendre ce qu'on fait quand on intervient comme informaticien, ou en utilisant les techniques informatiques. Quelques exemples de questions :
- Pourquoi le développement de telle technique et pas de telle autre ? (d'où l'importance de l'histoire). Pourquoi le minitel en 1980 et Internet en 2000 ?
- Quelles conséquences d'une informatisation ? (sociales, économiques...)
- Plus globalement, quels enjeux ? qui les porte ? dans quels buts ?
- Quelle validité ? ce qu'on fait est-il conforme à ce qu'on veut faire, à ce qu'on annonce ?

et bien d'autres, qui n'ont pas toujours de cohérence entre elles.
Ceux que cela intéresse pourront trouver un document où sont résumées les discussions qui ont été menées au sein de ce groupe.

Ce groupe a, en particulier, participé à l'élaboration du chapitre "épistémologie" du lexique mis au point par notre association.

Lexique "informatique et société"

Dans ce lexique, nous n'avons pas eu pour ambition de définir tous les termes utilisés en informatique, mais ceux qui portaient une problématique en terme d'enjeux sociétaux.

Chaque définition, en principe, comporte d'abord une définition minimale (ce que ce terme désigne généralement) puis un commentaire évoquant les questions qui ont déjà été soulevées à ce propos.

Le rôle du vocabulaire

J'ai utilisé cette brève présentation pour montrer le rôle du vocabulaire : même imprécis, insatisfaisant, un terme peut soutenir un projet sur lequel se dégage un certain accord. La discussion sur ce terme permet de préciser des points communs mais chacun en a sa propre idée. L'action est cependant possible jusqu'à ce que des conflits d'enjeux se fassent jour. La discussion doit alors reprendre pour élucider, préciser à la fois les enjeux et le vocabulaire.

C'est ainsi que la défunte Afcet, créée comme Association française pour la cybernétique économique et technique, a éprouvé le besoin de changer la signification de son sigle quand le développement de l'informatique a supplanté les visées de la cybernétique.

Bref, le vocabulaire est à la fois le reflet et le support d'un projet collectif. Cette journée est donc bien loin d'être anodine et la retraitée que je suis craint d'être bien ringarde. J'évoquerai ici quelques thèmes qui me paraissent toujours d'actualité.

La représentation est la projection d'un projet sur la réalité

C'est un concept fondamental pour les STI, qui ne travaillent que sur des représentations, informations, données...

Le concept de représentation désigne à la fois le processus par lequel nous représentons les objets réels et le résultat de cette opération. L'idée de représentation permet d'imaginer le phénomène de la connaissance comme la constitution d'une transcription de l'objet réel, considérée comme simplifiée mais fidèle (= digne de foi). L'analyse de ce concept montre que nous n'avons pas d'accès direct au réel, mais que nous l'appréhendons toujours à travers la culture, le langage et les débats (et projets) d'une collectivité. La représentation implique l'abstraction, une sélection de certaines propriétés de l'objet, une construction.

Il existe des représentations de représentations (l'informatique travaille sur des représentations du langage, lui-même représentation de la réalité).

Il ne suffit pas de se demander si une représentation est conforme (= a la même forme que) la réalité qu'elle représente car toute réalité est complexe, multiforme. La bonne question est de savoir si cette représentation est adéquate au(x) projet(s) de la collectivité sur cette réalité.

Alfred Korsybski disait que la carte n'est pas le territoire. J'ajouterai que si la carte doit être exacte, elle doit surtout être adaptée au but : une carte routière ne convient pas pour une randonnée pédestre, ni pour un trajet aérien. A la limite, mieux vaut une carte imprécise, voire fausse, qui donne quelques détails pertinents, qu'une carte très précise mais mal adaptée.

Il s'agit pour moi d'une question fondamentale, trop peu explorée et prise en compte. Le discours technico-scientifique a tendance à rester unidimensionnel : c'est vrai ou faux, cela marche ou ne marche pas, les buts et les enjeux sont passés sous silence.

Toute représentation n'est pas seulement une image de la réalité, mais la projection d'un projet sur la réalité; elle n'est jamais entièrement neutre ou objective, mais toujours relative à des buts annoncés ou non-dits.

La valorisation de la technique à travers le vocabulaire

L'Asti concerne les sciences et technologies de l'information:
- science indique la connaissance, la recherche,
- technique signifie le savoir-faire, l'action.

Beaucoup, pour faire valoir que les sciences modernes sont tournées vers l'usage et non vers la connaissance gratuite ou noble, parlent de techno-sciences, souvent de façon péjorative. Ils rappellent que les grandes découvertes ont été fortuites, et sans autre but que la passion de la découverte.

On a inventé le mot technologie (étymologiquement discours sur la technique) pour parer la technique du lustre scientifique. Le terme est passé dans le langage courant pour désigner les techniques de pointe modernes et complexes. Ce n'est pas le seul exemple de glissement du vocabulaire visant à valoriser.

Le vocabulaire est en phase avec notre société technicienne (selon le terme de Jacques Ellul) qui a tendance à voir la technique comme solution à tous les problèmes. Je vous en donnerai une brève illustration.

A la fin d'un stage d'initiation à l'informatique, j'ai proposé un jeu de rôle dans lequel les stagiaires étaient les responsables d'un service du personnel qu'on se proposait d'informatiser. Chacun avait un objectif défini : améliorer la rentabilité du travail, moderniser les structures, changer les relations dans le service, protéger sa position d'autorité etc. Le choix de l'automatisation impliquait donc de dépasser les divergences des visées. Après une courte discussion, ils ont conclu en demandant à l'informaticien de leur proposer un projet sur lequel ils débattraient plus facilement. Un projet technique leur semblait plus objectif et susceptible d'ouvrir la voie à un accord.

Habermas nous a pourtant mis en garde contre l'emploi abusif de la logique instrumentale (ou technico-scientifique) pour les activités qui sont d'ordre politique ou éthique, autrement dit visant à définir un but commun, à rechercher un consensus minimal indispensable à la vie en société. En restant dans une logique instrumentale, en recherchant seulement les meilleurs moyens pour faire "passer" la décision "rationnelle" par une "bonne" information et communication, on peut exercer une véritable manipulation. La logique instrumentale doit être réservée à l'obtention de buts auparavant définis par le débat démocratique, dans la perspective d'Habermas. La logique pour définir les orientations culturelles et politiques d'une société est d'ordre communicationnel et non instrumental.

La sur-valorisation de la technologie et de la science alliée à l'incontournable difficulté à affronter les conflits d'enjeux ouvrent la route à la dérive qui consiste à considérer la technique comme la solution universelle à tous les problèmes, y compris en cas de désaccords. En outre, le vocabulaire technique ne facilite pas la compréhension des enjeux.

Le vocabulaire technique tend à occulter les enjeux

Je ne vais qu'évoquer cette question, que vous connaissez bien. Les sigles, les jeux de mots, les évolutions perpétuelles ne facilitent pas la compréhension.

L'exemple de la télématique est exemplaire. Télématique = contraction de télé-informatique (informatique et télécommunications). Le projet était en fait beaucoup plus politique que ne le laisse saisir ce terme. On peut maintenant analyser ses options centralisatrices et économiques par opposition avec Internet qui présente une connotation beaucoup plus démocratique. Pourtant, les deux systèmes ont leur raison d'être, mais l'absence de lisibilité, les annonces de lancement et la concurrence économique ont obscurci les enjeux.

Et les deux ont par ailleurs été "détournés", l'un par les messageries roses (la messagerie avait été ajoutée, presque par raccroc, au dernier moment) et l'autre par les réseaux pédophiles.

Là encore, il y a collusion entre plusieurs phénomènes :
- la difficulté réelle des techniciens à parler aux autres de leur technique avec des mots simples,
- les évolutions perpétuelles des techniques et du vocabulaire,
- la tentation des techniciens d'obscurcir leurs explications pour protéger leur indépendance,
- la volonté des commanditaires des systèmes techniques d'imposer des changements sous les prétextes d'efficacité et de modernité.

La "résistance au changement des utilisateurs" dont on a tant parlé me paraît une explication bien commode pour éviter de se poser tous ces problèmes.

En guise de conclusion

Si les activités politiques sont négligées ou occultées par les technologies (STI notamment) et dominées par l'économie, où et comment va s'élaborer le fondement culturel consensuel indispensable à la vie en société ? Ne peut-on voir dans ce déficit structurel une des origines des soubresauts et de la montée des extrémismes actuels ?

Je voudrais seulement exprimer ma conviction profonde qu'il est urgent de revaloriser le débat politique ( au sens large de définition des orientations collectives ) en le libérant de l'emprise technocratique. La responsabilité des techniciens à ce niveau est de faire apparaître les enjeux du projet technique, notamment en donnant au vocabulaire technique toute la clarté possible et en lui restituant sa dimension totale de projection d'un projet sur la réalité.


Gilles Dowek

Inria

La case oubliée dans la classification des sciences

Gilles Dowek

Inria

Où sont les Stic (dans la classification des sciences)

Tout le monde sait ce qu'est l'informatique... mais personne ne sait ce qu'est une science. Pour le grand public, il n'est pas trop difficile de comprendre ce qu'est la cométologie. En revanche, il est difficile de comprendre le contenu de la science informatique et tout autant de la situer par rapport aux autres sciences. Une manière de tenter d'expliquer ce qu'est l'informatique est de chercher à la situer dans la classification des sciences.

La classification d'Auguste Comte

Auguste Comte a proposé une classification des sciences, qui reste très présente aujourd'hui (y compris dans l'organisation des institutions scientifiques) :
1. Mathématiques
2. Astronomie
3. Physique
4. Chimie
5. Biologie
6. Physique sociale (sociologie)
(7. Morale)

Cette classification suit l'ordre chronologique et de la complexité croissante. Elle va du général au particulier, et elle permet un principe d'héritage : chaque science hérite de la précédente dans l'ordre donné. Ainsi, les objets biologiques sont soumis à la gravité, alors que les objets physiques ne sont pas soumis aux lois de l'évolution.

Dans cette classification, les sciences s'organisent en trois domaines concentriques : la nature (astronomie, physique, chimie), la vie (biologie), l'homme (sociologie).

On fait classiquement cette classification un certain nombre de critiques :
- elle classe les sciences (des discours qui décrivent le monde) et non les technologies qui le transforment (moteur à explosion, coeur artificiel, ordinateur), et qui relèvent de plusieurs niveaux (on peut noter que le mot "chimie", par exemple, désigne à la fois une science et une technique, mais pas le mot "physique",
- elle ne distingue pas des autres la description des propriétés des objets artificiels ;
- la psychologie n'y a pas sa place, l'homme n'y est vu que comme "homme en société".

Les mathématiques ne trouvent pas leur place dans ces trois domaines concentriques (nature, vie, homme). On peut leur faire une place en considérant un quatrième domaine, plus vaste que la nature, et qui est le domaine des "mondes possibles", ce qui conduit à un autre schéma :



Kant, Poincaré, Frege

Cette opposition entre le domaine des mondes possibles et la nature nous amène à séparer les sciences en deux grandes familles : les mathématiques - analytiques - d'un côté, les sciences du réel - synthétiques - (astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie) de l'autre.

Kant a insisté sur le fait qu'en mathématiques, on arrive à connaître sans faire d'expériences. Il y a donc des connaissances a priori et des connaissances a posteriori. Kant considère pourtant que les mathématiques, bien qu'a priori, sont une science du réel, et donc synthétiques. En géométrie en particulier, on ne fait d'expériences, mais uniquement des démonstrations. Cependant on atteint ainsi, pour Kant, une forme de connaissance sur l'espace physique, pas sur tous les espaces possibles.

Pour Kant, seules les connaissances qui découlent directement de la définition des termes employés sont analytiques.

Poincaré en géométrie, Frege en arithmétique, puis Carnap mettent, peu à peu, en évidence le caractère analytique des mathématiques. Les mathématiques quittent peu à peu le domaine de la connaissance synthétique a priori pour celui de la connaissance analytique a priori. On se trouve donc ramené à deux grandes catégories seulement :
- d'une part les mathématiques (connaissances analytiques a priori),
- d'autre part les sciences expérimentales (astronomie, chimie, biologie, physique sociale), synthétiques e a posteriori.

Où sont les Stic ?

Les assertions des Stic sont elles vraies par définition ou comme propriétés de la nature ? En informatique, faisons-nous des observations et des expériences, ou uniquement des raisonnements ? .

Commençons par quelques exemples. La proposition "Il n'y a pas de programme qui décide la terminaison d'un autre", autrement dit "le test d'arrêt n'existe pas" est une proposition analytique, qui peut se démontrer formellement. La proposition "Quicksort est en n ln(n)" également.

En revanche, que penser du tableau suivant :

(Preliminary benchmark results (on a Pentium III 450 MHz), in Benjamin Grégoire et Xavier Leroy, A compiled implementation of strong reduction).

Le fait que t2 = 0,13 secondes est le résultat d'une mesure. Et la manière dont on présente ces résultats (en précisant les outils utilisés...) rappelle beaucoup la manière de présenter des résultats expérimentaux.

Pourtant, connaissant chaque ligne du programme, chaque ligne du compilateur et le temps d'exécution de chaque instruction du processeur, on pourrait déduire que t2 = 0,13 secondes par un raisonnement exclusivement. Ce résultat est purement analytique, et il ne dépend, pas exemple, de la constante de gravitation. Mais, en pratique, l'expérience est plus facile à réaliser que le raisonnement à construire.

Une fois => toujours

Une observation de la nature donne une observation sur la nature. Comment en déduire une information sur "tous les mondes possibles" ? Prenons l'exemple d'un théorème de mathématiques : 2 + 2 = 4. On peut établir ce résultat par une expérience qui consiste à mettre deux balles de ping-pong dans une boite, puis deux autres, et à compter les balles dans la boite à la fin de l'expérience.

Comment cette expérience particulière, réalisée avec des objets particuliers, peut-elle nous permettre d'établir le théorème, c'est-à-dire que dans tous les mondes possibles, si on met deux objets quelconques dans une boite, puis deux autres objets, il y en quatre à la fin ?

Cela est possible, car on sait :
- qu'il existe un unique nombre tel que 2 + 2 = n
- que si on met dans une boite ces deux objets particuliers, puis ces deux autres objets particuliers, il y en a 4 à la fin.

Donc ce ne peut être ni 0, ni 1, ni 2, ni 3, ni 5, ni 6... par élimination, c'est donc 4

On a donc pu ainsi établir qu'un énoncé est analytique en faisant une expérience. On peut parler de connaissance analytique a posteriori.

Cela est vrai de n'importe quel calcul mécanique : compter sur ses doigts, utiliser un boulier, utiliser un ordinatuer, utiliser une soufflerie..

La case oubliée

Dans cette optique, l'ordinateur est un outil expérimental pour parvenir à une fin : établir une connaissance analytique. On peut alors définir les Stic comme métathéorie de la construction de ce savoir analytique a posteriori, de même que la logique est métathéorie de la construction du savoir mathématique.

On explique ainsi les liens des Stic avec mathématiques, par l'unité des fins (analytique), et avec les sciences de la nature (ordinateur quantique en ) : particulier), par l'unité des moyens (a posteriori).

Gilles Dowek nous signale son article "À propos de quelques démonstrations pas très convaincantes", accessible (en PDF) son site à l'Inria, qui reprend certaines idées développées dans la dernière partie de son intervention à l'Asti.


Eddie Soulier

Université de technologie de Troyes (UTT). Laboratoire Tech-Cico

"Les Stic "enrichies" par les sciences humaines et sociales"

Les universités de technologies constituent un réseau de trois pôles : Belfort-Montbéliard, Compiègne et Troyes. L'UTT comprend six équipes de recherche :
- nanotechnologie et instrumentation optique,
- modélisation et sûreté des systèmes,
- systèmes mécaniques et ingénierie simultanée,
- optimisation des systèmes industriels,
- technologie de la coopération pour l'innovation et le changement organisationnel,
- étude interdisciplinaire du développement durable.

Le laboratoire Tech-Cico (Technologie de la coopération pour l'innovation et le changement organisationnel) traite de la modélisation des activités coopératives médiatisées. Il s'agit d'analyser et de comprendre le fonctionnement des activités coopératives engendrées par le développement des TIC et d'assurer une gestion efficace des connaissances dans les activités humaines organisées avec les nouveaux environnements technologiques.

L'épistémologie des Stic, une exigence

Certains sont réticents par rapport à une approche épistémologique des Stic. Ils y voient au mieux une perte de temps (la valeur d'un travail de recherche se juge en terme d'efficacité et de résultats) et au pire une forme moderne d'inquisition.

Pourtant, l'épistémologie a un rôle fonctionnel : elle fait partie de la pratique scientifique de toute discipline. Et ce rôle est même primordial dans le cas des Stic, car il faut répondre aux exigences des sociétés démocratiques avancées face au progrès scientifique et technique.

Partons, quant à nous, de la définition de l'informatique donnée par l'Académie française, en 1966 : "Science du traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l'information considérée comme le support des connaissances humaines et des communications dans les domaines techniques, économiques et sociaux".

Cette définition peut correspondre à deux groupes de disciplines sensiblement distinctes :
- l'ensemble des technique mises en oeuvre pour l'utilisation des ordinateurs (electronic data processing, en anglais),
- une science nouvelle, qui n'est pas fondamentalement liée à l'utilisation des ordinateurs, ces derniers en constituant cependant un outil majeur (computer science, en anglais).

Ces deux thèses comptent des partisans distingués. La seconde a été particulièrement affirmée en France par le professeur Jacques Arsac dans son ouvrage La science informatique (Dunod, Paris 1970). Si l'on s'en tient à l'empirisme de la première thèse, on peut remarquer que le traitement automatique de l'information, tout spécialement par ordinateur, met en jeu un grand nombre de disciplines scientifiques dans un champ d'application très voisin de l'organisation (scientifique, industrielle, administrative).

Les Stic ont défini leur champ de recherche autour des systèmes et des technologies de l'information et de la communication. Elles font porter l'essentiel de leur attention sur les processus qui président à la conception, à la construction et au fonctionnement de ces systèmes ainsi qu'aux interactions que les humains réalisent entre eux. L'ampleur du programme a pour conséquence que les sciences de l'information et de la communication constituent un champ fondamentalement pluridisciplinaire.

Une tension entre paradigmes

Ces sciences sont liées aux sciences et techniques par le fait même que ces dernières fournissent des supports de plus en plus puissants et efficaces pour conserver, traiter et présenter l'information. L'aspect que nous nous proposons de présenter ici est la dimension humaine, sociale et cognitive de la mission des Stic.

La question centrale de tous les débats est : "Qu'est-ce qui est le plus théorique en informatique ? " .

Certains pensent que l'informatique théorique est une informatique proche des mathématiques et/ou de la physique. Que "plus c'est formel, plus c'est scientifique" et que le reste doit être relégué dans les applications.

Mais où est le coeur de l'informatique ? S'il s'agit de problèmes de modélisation, alors on peut s'appuyer sur des disciplines comme la sémiotique, l'anthropologie cognitive, l'intelligence artificielle, l'ingénierie des connaissances, les interfaces homme-machine et les sciences humaines et sociales pour construire de l'intelligence partagée et du sens.

Dans cette optique, la théorie de l'informatique ne relève pas des mathématiques mais de l'ingénierie des connaissances. C'est une forme d'IA. Les mathématiques ne sont qu'un outil. Ce sont les sciences cognitives qui fournissent les sources. Il faut s'inspirer des systèmes de traitement de l'information biologiques (système individuel, organisation, société), et des lois du raisonnement plus que de celles des sciences de la nature. .

La boucle cognitive

Le système cognitif humain constitue lui-même un support naturel d'information. Les sciences de l'information et de la communication peuvent s'inscrire dans le champ des sciences cognitives. A ce titre, les Stic sont en mesure de contribuer à l'évolution de la cognition humaine et plus largement au progrès de la société de l'information.

Si les Stic veillent à la conception et au développement des technologies offrant des possibilités de stockage et des procédures d'accès à l'information, il est important qu'elles maintiennent la cognition humaine dans la boucle informationnelle qui relie (de façon bidirectionnelle) les humains et leurs artefacts.

Toutes les grandes fonctions cognitives (perception, représentation, apprentissage, mémoire, raisonnement, planification) sont donc mises à contribution dans la boucle du traitement de l'information et de la communication. Cela rend essentiel leur prise en compte dans une approche compréhensive des phénomènes abordés par les Stic.

Nous reprenons là, dans les champs des Stic, le vieux débat anti-positiviste initié par D. Dilthey dans son ouvrage inaugural de 1883 (L'introduction aux sciences de l'esprit). Dilthey y considère que le modèle des sciences de la nature n'est pas adapté à l'étude de phénomènes faisant intervenir, à quelque titre que ce soit, les résultats de l'activité humaine. Ce modèle n'est pertinent que pour étudier les aspects naturels ou physiques des phénomènes. Le modèle scientifique adéquat à l'étude des phénomènes impliquant l'humain est celui des sciences de l'esprit. Par la suite, de nombreux scientifiques multiplieront les mises en garde concernant l'imitation service de la méthode des sciences de la nature à tous les secteurs du savoir humain.

L'enjeu scientifique

Les Stic ne peuvent assurer pleinement leur fonction sans prendre en compte les disciplines centrées sur l'homme en tant que système de traitement de l'information et agent de communication.

Il y a un enjeu fort à inclure les disciplines centrées sur l'humain dans la démarche globale des Stic, non pas comme simple "valeur ajoutée" mais comme objectif inhérent au programme même des Stic. Faute de le faire, on risque de dévoyer les objectifs et de ralentir la maîtrise des Stic dans une optique de développement durable.

La technologie de l'information concerne toutes les formes d'aide méthodologique ou matérielle permettant à l'homme de concentrer son attention sur les aspects les plus importants des messages.

En ce sens, la technologie de l'information est apparue avec le langage parlé, puis avec l'écriture et le calcul. Les machines même ne sont pas récentes, puisque les abaques, les bouliers constituaient déjà, il y a quelques milliers d'années, des outils assurant des fonctions importantes de traitement. Le recours à l'électronique a certes permis d'amplifier le rôle des machines dans le partage des tâches d'exécution pure, et de réaliser effectivement certains calculs hors de portée pour nos ancêtres. Mais il n'y a pas de différence qualitative majeure entre les types de travaux réalisés à l'aide de grands ensembles électroniques et ceux qui n'avaient l'aide que de machines plus rudimentaires ou qu'une feuille de papier et un crayon.

L'illusion que la puissance de jugement soit accrue parce que les robots fonctionnent avec une très grande célérité est fort répandue, bien qu'il suffise d'aborder quelques problèmes de nature combinatoire, qui se posent constamment dans la vie pratique, pour constater qu'il est strictement impossible de les résoudre par la simple énumération de toutes les combinaisons, même si l'on dispose des outils les plus puissants et les plus onéreux.

Pourrait-on même asservir tous les atomes de l'univers qu'ils ne suffiraient pas à représenter certains nombres que l'esprit conçoit sans peine. Les plus extraordinaires perfectionnements de matériel ne sauraient donc dispenser de rechercher sans cesse l'amélioration des méthodes et d'y apporter tous les raffinements possibles.

Les familles et les regroupements

D'après Daniel Andler

Les Stic citoyennes

Les Stic doivent rester centrées non seulement sur les techniques, mais aussi sur l'homme utilisateur de ces techniques. Une focalisation exclusive sur la technologie au détriment des écologies sociales et humaines risque d'avoir des répercussions collectives négatives. L'affirmation de la primauté des besoins sociaux et humains est au coeur des Stic.

Il est impératif de corriger une tendance prioritairement technologisante si l'on veut prévenir, dans les années à venir, les risques de pollution technologique, d'illectronisme et de nouveaux clivages sociaux. Pour cela, la primauté des besoins et des capacités humaines doit être inscrite dans l'orientation des recherches sur les technologies de l'information et de la communication.

Face à l'augmentation des risques scientifiques et techniques (OGM, ESB, déchets nucléaires, téléphones mobiles, amiantes, tabac, diagnostic génétique, vache folle...), le thème de la démocratie scientifique et technique, qui cherche à relier systématiquement la technique aux choix est besoins humains et sociaux, devient un enjeu central. Pour "enrichir" les Stic par les sciences humaines et sociales, nous avons choisi cinq points d'entrée parmi plusieurs autres possibles : l'anthropologie des sciences et des techniques, les sciences de l'artificiel (design), les applications des Stic dans la société de la connaissance, les interactions humaines et la cognition, l'application des Stic aux sciences humaines.

Critique de la science pure

La connaissance scientifique doit-elle revendiquer un statut spécifique ? Dans le positivisme traditionnel (Auguste Comte), les connaissances ne tiennent qu'aux "lois la nature" (naturalisme), à la "logique" (logicisme) ou à "l'expérience" (empirisme et induction).

Or les ethnosciences actuelles cherchent à analyser les pratiques scientifiques effectives. Il convient de replonger l'étude des sciences et techniques dans la société. L'idée de science est souvent associée à celle d'un monde à part, un monde qui diffère de la société de tous les jours. L'image du savant isolé, se passionnant pour des choses incompréhensibles, marque encore fortement notre perception des sciences.

Parmi les auteurs qui ont analysé cette fracture, notons :
- Bachelard (science/non-science),
- Popper (falsificationnisme, contexte de la découverte/contexte de la justification),
- Kuhn (paradigmes).

Et pourtant... "les scientifiques vivent et mangent des sandwiches comme tout le monde".

La dimension sociale de la science

La science est une institution sociale, un système d'échange, une production sociale.

La sociologie fonctionnaliste américaine (Robert Merton) analyse les mécanismes de régulation comme les normes éthiques (universalisme, communalisme, désintéressement, scepticisme organisé), les normes techniques, la transmission des normes (système de gratification symbolique, contrôle social exercé par les pairs, modèle de démocratie, etc.).

On en vient, plus tard, à l'analyse des fraudes, du secret (contraire aux normes mertoniennes), de l'attachement aux idées (contrairement au désintéressement), etc. Puis à l'étude de l'organisation et de la profession scientifique : la profession est responsable d'un corps de connaissances spécialisées. Elle a une autonomie de recrutement, de formation et de contrôle de ses membres. Elle a un système propre de récompenses pour motiver et contrôler ses membres... On peut aussi étudier les conditions institutionnelles d'émergence de nouvelles disciplines.

Pour Warren Hagstrom, le contrôle social du comportement des scientifiques ne tient pas à un système de normes mais à un système d'échanges entre scientifiques : un espace de circulation et d'échange comparable aux marchés des économistes, dont la principale motivation est l'extension de la reconnaissance personnelle (accumulation du crédit scientifique chez Bourdieu, cycles de crédibilité...). Apparaissent des méthodes d'analyse comme la scientométrie, c'est-à-dire l'analyse quantitative du développement scientifique : nombre de publications, quantité de résultats par laboratoire, par pays, par discipline, etc.

Il s'agit, principalement, de regarder les conditions de production de la science et pas seulement ses résultats. La notion de "paradigme" se précise comme "modèle, qui domine en phase de science normale, qui est transmis par l'éducation et l'apprentissage". Chez Kuhn, contrairement à Popper, il n'y a pas de logique inhérente au développement des connaissances. Le passage d'un paradigme à l'autre relève d'une "conversion mystique" irrationnelle. Il s'explique par des facteurs extra-scientifiques.

Autour de ces notions s'organise le débat preuve/consensus. Pour les rationalistes, une preuve correcte s'impose par elle-même, au moins aux personnes compétentes et sans préjugés. Pour les relativistes, il n'y a pas a priori de critères absolus et universels de rationalité. La preuve est relative. Le consensus est social, au sens où fait preuve ce qui est reconnu en tant que tel par le groupe. Le bon fil rouge, c'est l'étude des controverses scientifiques.

La sociologie de la recherche

Bruno Latour en fournit le schéma suivant :

1. La mobilisation du monde. Elle s'appuie sur des instruments, des expéditions, des enquêtes, des collections. Toutes les disciplines doivent mobiliser le monde d'une certaine façon, c'est à dire le mettre en mouvement et créer des institutions à l'intérieur desquelles ce monde est mis sous des formes "mobilisables", c'est-à-dire lisibles, manipulables, recombinables de diverses façons.

2. L'autonomisation de la recherche conduit à trouver des collègues, c'est-à-dire des gens capables de comprendre ce qu'on fait et ce qu'on dit (professions, institutions, autorités...).

3. On s'allie ensuite avec des gens que l'on peut intéresser à la réalisation des opérations précédentes : mobilisation du monde (avec un financement idoine) et la constitution-autonomisation de collègues (Etat, industrie, armée, éducation, intérêts).

4. Ces activités s'élargissent aux relations publiques, prises au sens très large de la "mise en scène" de l'activité scientifique en général, du marketing scientifique.

5. Enfin, on en arrive au contenu de l'activité scientifique, avec ses fameux concepts, ses fameuses idées. C'est ce contenu qui va permettre de relier, d'attacher en ensemble les quatre horizons ci-dessus. Et les concepts seront d'autant plus forts qu'ils lieront un plus grand nombre d'horizons.

Autrement dit, la sociologie des pratiques scientifiques (ethnométhodologie) nous apprend que, loin d'être inhérent à une quelconque rationalité humaine transcendant les contextes pratiques, les énoncés et faits scientifiques sont, comme toute chose humaine, résultat d'une production sociale.

Une science de la conception

Les sciences naturelles visent la connaissance des objets. Les sciences de l'artificiel visent celle des phénomènes artificiels (Herbert Simon). Les sciences de l'artificiel sont apparentées aux sciences de l'ingénierie, qui comportent des notions d'intention, de but, de besoin humain.

Le modèle des sciences de la nature et du vivant n'est pas adapté aux sciences de l'ingénieur (sciences appliquées). Le processus central de l'innovation n'est pas la science, mais la conception.

L'ordinateur est un artefact. Pour Herbert Simon, l'informatique est une science empirique. Comme il le dit "Cette extrême aptitude des ordinateurs à l'abstraction a rendu facile l'introduction des mathématiques dans l'étude de leur théorie. Elle a aussi conduit quelques experts à la conclusion erronée que si une science informatique émerge, elle sera nécessairement une science mathématique plutôt qu'une science empirique (...) La possibilité de bâtir une théorie mathématique d'un système... ne dépend pas de la disposition d'une microthéorie adéquate des lois naturelles qui régissent les composants du système. Une telle microthéorie s'avère, dans de tels cas, sans intérêt. Cela nous conduit à la possibilité d'une science empirique des ordinateurs, science distincte de la physique des états solides ou de la physiologie de leurs composants".

La démarche consiste à construire des systèmes et à observer la façon dont ils se comportent.

S'orientent vers les sciences de la conception aussi bien des ingénieurs, des architectes et des juristes que des médecins ou des gestionnaires. Le domaine d'étude de ceux qui oeuvrent dans l'artificiel est l'analyse des mécanismes par lesquels se réalise l'adaptation des moyens aux environnements. Au centre de cette analyse, nous trouvons justement le processus de conception. Pour Simon, une science de la conception est possible, en mobilisant la sociologie, l'ergonomie, la psychologie cognitive et l'anthropologie.

L'innovation

Il n'y a pas d'innovation sans
- sanction par le marché,
- conception,
- entreprise innovante,

Applications des Stic dans la société de la connaissance

Il y a donc lieu d'étudier les démarches, processus, activités et méthodes de la conception, en particulier la modélisation, en s'intéressant en particulier au rôle des connaissances et des raisonnements heuristiques (créativité, processus coopératif, résolution de problème), à la démarche de concepteurs et au rôle des usages (on peut parler de "conception assistée par l'usage").

Dans cette entrée, nous souhaitons signaler simplement qu'aujourd'hui le développement scientifique et technique dans le domaine des Stic est de part en part immergé dans l'économie et la société de la connaissance.

On peut d'ailleurs établir un tableau des innovations majeures/mineurs à partir des travaux d'Atlshuller (1984). Quelques exemples dans les quatre premiers cas :
- transistor, pénicilline, polymères,
- moteur à combustion interne, circuit intégré, ordinateur personnel,
- pneu radial, stylo à bille, VTT, souris pour ordinateur,
- air conditionné, boite de vitesse automatique pour l'automobile.

Les innovations push sont les produits d'avancée technologique. Les innovations pull sont tirées par le marché. Les premières sont plus radicales que les secondes. Mais la demande joue un rôle totalement moteur dans la stimulation de l'innovation et sa diffusion. Une célèbre étude de Schmooker conclut "Malgré la popularité de l'idée selon laquelle les découvertes scientifiques et les inventions majeures sont les principaux stimuli de l'innovation, l'examen des innovations importantes dans des domaines tels que le raffinage du pétrole, la fabrication du papier, les chemins de fer et l'agriculture ne permet pas de déceler un seul exemple où des découvertes scientifiques soient à l'origine du processus d'innovation".

A la recherche "confinée" s'opposent donc les perspectives d'une recherche collaborative et ouverte. Elle prendrait en compte le rôle croissant des usagers et des entreprises dans la dynamique de production des Stic. Elle se mettrait ainsi en mesure de comprendre les besoins, les usages, le marché, la société dans son ensemble. Elle ouvrirait sur la gestion des risques et des incertitudes dans le cadre d'une "intelligence collective".

Les interactions humaines et la cognition

La quatrième entrée vise à conceptualiser les interactions humaines dans leur dimension biologique, cognitive et sociale et dans leur relation aux médiations techniques des Stic. L'une des orientations actuelles est de favoriser l'autonomie des artefacts techniques, accroissant ainsi leur capacité à s'adapter aux conditions changeantes de l'environnement, à acquérir de nouvelles connaissances de manière dynamique et enfin à construire de manière progressive des solutions adaptées au problème à résoudre.

Parallèlement, on cherche à minimiser l'opacité des systèmes, pour préserver leur intelligibilité et leur capacité de communication.

Cela suppose des avancées techniques, principalement dans la compréhension des interactions sociales, homme/machine et des mécanismes cognitifs et langagiers. Il faut en effet :
- augmenter et intégrer les compétences, disposer de capacités pour percevoir, représenter, traiter, raisonner, décider, planifier, contrôler, résoudre, évaluer et valider,
- faire progresser des compétences pour partager, interagir, coopérer et communiquer, avec des aptitudes à l'autonomie, l'adaptation, l'apprentissage, l'explication, la conception, la création,
- qualifier et accroître les performances : rationalité, intégrité, cohérence, validité, fiabilité, adaptabilité, flexibilité, évaluabilité, apprenabilité, utilisabilité, utilité, efficacité, lisibilité,
- comprendre l'information comme un processus, initié par l'humain, à l'intention de l'humain, avec un rôle, une forme, une qualité, un contenu, une structure, des relations, des dépendances, une origine, un devenir, une démarche,
- comprendre la connaissance comme capacité à construire et à agir ; l'action comme multimodale, concourante, conjointe, collaborative ; la communication comme tentative d'ajustement.

Axes

Perception, action, émotion, conscience

Il faut concevoir des artefacts capables d'interaction sensori-motrice, et progresser dans la compréhension des processus sub-cognitifs humains. Il faut élaborer des systèmes pour l'analyse des comportements sub-cognitifs : perceptions (goûter, sentir, toucher, entendre, voir), actions (épistémiques et instrumentales) et affects (traitement des émotions). Il faut concevoir des artefacts capables d'interagir (voir, sentir et agir) de manière autonome (multimodalité, agents intelligents). Il faut étudier l'apprentissage par l'homme et par la machine.

Négociation du sens, communication humaine, ingénierie des connaissances, cultures

Il s'agit de permettre la communication (sous toutes ses formes sémiotiques), de comprendre et d'assister l'élaboration, l'explicitation et la négociation du sens, qu'il s'agisse d'agents humains ou artificiels. S'inscrivent ici le traitement automatique des langues et des interactions non-langagières, l'ingénierie de la connaissance (construction du sens) et les environnements informatiques pour l'apprentissage humain (EIAH). (Cf. J. Bruner. Du traitement de l'information à la construction collective de la signification).

Usages pratiques, médiatisation homme/Machine, nouveaux collectifs en réseau (communautés), mondes artificiels

Il s'agit ici de modéliser les relations, en situation, entre hommes et machines, d'élaborer des méthodes de conception et d'évaluation permettant une meilleure intégration des systèmes dans les pratiques individuelles et collectives. Se dégagent des modèles des tâches, de l'usager et de son profil, de l'organisation sociale et des processus d'entreprise, ainsi que des modèles des systèmes (conception et évaluation). Enfin, l'on identifie et l'on construit les attentes des usages, avec la modélisation des changements organisationnels;

Il s'agit d'une interdisciplinarité qui ne s'articule ni autour d'une prescription par les modèles informatiques, ni autour d'une confrontation humain/non-humain, mais autour de la dynamique qui unit systèmes, humains et environnements vers la quête de connaissances.

De même qu'il n'est pas question de réduire l'intelligence humaine à une machine, il ne peut être question de réduire l'intelligence des machines à sa seule confrontation à l'humain. Se met ainsi progressivement en place une notion d' "informatique sociale".

Application des Stic aux sciences humaines

Le traitement de l'information linguistique courante fait alors déborder l'informatique sur les sciences humaines.

Les applications documentaires ou pédagogiques en particulier, sans parler des essais de traduction automatique des langues, mêlent la physiologie, la psychologie et la psychologie sociale.

Les processus de simulation, la recherche opérationnelle, la théorie des jeux... permettent d'ailleurs à l'ordinateur d'intervenir pratiquement dans tous les domaines de l'activité humaine.

L'idée générale est d'amplifier l'homme (les institutions et les organisations). Selon le sociologue Antony Giddens, les sociétés post-modernes sont marquées par la réflexivité. Avec le formidable développement de la sociologie, de la psychanalyse, du marketing, de l'histoire ou des mass-media, nous sommes sans cesse en représentation, en train de nous observer, de nous analyser, de chercher à nous paramétrer. La réflexivité décrit l'effet en retour de nos propres conceptualisations sociologiques sur notre vécu expérientiel. Nous retrouvons là, sous une autre forme, l'intuition de Simon d'une science de l'artificiel, d'une science des environnements synthétiques, construits par l'homme et pour l'homme.

Et si nous prenons cette idée avec le sérieux qu'elle mérite, alors il est probable que l'accroissement de compréhension, que les sciences humaines et sociales puvent encore nous apporter sur nos propres fonctionnements individuels et collectifs, marque toujours - autant que les progrès de la science et de la technique - une nouvelle frontière pour les Stic.


L'actualité de la semaine

Claudie Haigneré, ministre de la Recherche

Claudie Haigneré a été nommée ministre déléguée à la Recherche et aux nouvelles technologies auprès de Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Le CNRS indique que Claudie Haigneré, 45 ans, était précédemment astronaute pour l'Agence spatiale européenne. Elle a été la première astronaute française à voler à bord de la Station spatiale internationale (ISS).
- Journal officiel du 18/6
- Son curriculum vitae (sur le site du ministère de la Recherche).

Sa première sortie officielle a été consacrée au siège du CNRS ( le communiqué).

Programme d'activités de Specif

Specif a renouvelé son site http://www.specif.org et sollicite tous commentaires permettant de l'améliorer. Les rubriques se mettent progressivement en place :
- actualités (de l'association, mais aussi du Ministère, du CNRS, de l'Inria...), réunions, appels à propositions, informations sur les recrutements,
- emplois, recense les emplois offerts au niveau thèse de doctorat au moins,
- compte-rendu de l'AG de Grenoble sur la place de l'informatique dans les Stic,
- annuaire des laboratoires,
- le prix de thèse (date limite de dépôt des candidatures : 15 octobre 2002),
- spédago en restructuration, devrait redémarrer à la rentrée prochaine,
- une rubrique "textes officiels" regroupe les informations concernant le métier de chercheur (CNRS, Inria) et d'enseignant-chercheur,
- les dernières "lettres Specif".

L'association organise une journée sur le 3-5-8 le jeudi 19 septembre à Paris. Cette journée d'information mutuelle permettra d'affiner la préparation du congrès. La participation à la journée sera gratuite pour les adhérents. Pour les autres, une participation aux frais sera demandée.

Le congrès aura lieu les 16 et 17 janvier 2003 à Toulon. Un de ses objectifs pourrait être de commencer la rédaction d'un livre blanc sur le métier d'enseignant-chercheur en informatique.

Contact : Michel Riveill, professeur à l'Essi (Université de Nice, Ecole supérieure en sciences informatiques), laboratoire I3S, équipe Rainbow.

Hourtin vise l'avenir

L'Université d'été de la communication a Hourtin (26/30 août) aura pour thème cette année : "Futur(s)"

Théorie et concepts

Urbaniste

Puisqu'on parle d'urbanisation des systèmes d'information... il faut bien qu'il y ait des urbanistes. Véronique Arène, dans LMI du 21 juin, en caractérise le profil : "plus visionnaire que technicien".

Création artistique

A propos de la parution du livre Cognition et création, de Mario Borillo et Jean-Pierre Goulette (Mardaga Editeurs), Pierre Le Hir consacre une page du Monde (13 juin) à "La création artistique sous le regard des sciences cognitives".

Opérateurs virtuels

Les opérateurs virtuels sont des intégrateurs d'opérateurs (de télécommunications). Voir l'article de Jean-Luc Rognon dans LMI du 21 juin. Il s'agit de proposer "un service géré de bout en bout à partir de quelques points de présence placés dans des endroits stratégiques). (NDLR : pendant les vacances, ce sont même les journalistes d'Asti-Hebdo qui vont se faire virtuels)

Complexité et complication en matière de systèmes d'information

Michel Volle publie sur son site plusieurs articles sur ces concepts.

Porte-monnaie électronique

Selon Le Monde du 14 juin, il devrait couvrir toute la France en 2003. Rappelons qu'il s'agit d'une utilisation de la carte à puce pour les petits paiements.

Handicaps

Le Parisien du 13 juin signale "six objets qui vont changer la vie des handicapés". Cinq font appel à des technologies plus ou moins informatiques :
- canne qui voit les couleurs (Téléact 2002, laboratoire Aimé Cotton, CNRS),
- téléphone qui guide (Chambéry),
- répondeur qui dit tout (France Télécom),
- jouet qui obéit à la voix (Association Loisirs Pluriel),
- cuisine qui parle (Brandt).

Associations

A signaler, ce site de référence sur les associations.

Enseignement

La lettre du PCIE

Bonnes nouvelles européennes dans la lettre PCIE de juin.

Les Tice et la rentrée 2002

Le bulletin Cyberécoles (Pour vous abonner) signale que la préparation de la rentrée 2002 dans les lycées d'enseignement général et technologique, en lycée professionnel, dans les collèges, dans le premier degré, a fait l’objet de l’ encart B.O. n° 16. Les usages et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication par les élèves sont particulièrement mis en avant.

Entreprises

E-procurement et places de marché

Le Cigref rend aujourd'hui public son rapport «E-procurement et places de marché ». Nous reproduisons le communiqué.

Ce rapport est le résultat des travaux du groupe de travail du Cigref « carrefours d'affaires sur Internet » et du projet IMP. Ce dernier a rassemblé pendant 14 mois dix grandes entreprises. Le consortium ainsi constitué avait pour mission de mener une étude d'opportunité et de faisabilité de la création d'une place de marché dédiée aux biens et services informatiques et de télécommunications.

Ce rapport analyse dans une première partie la situation dans les grandes entreprises. Il passe aussi en revue les mauvaises pratiques et les raisons qui peuvent conduire à l'échec des projet d'e-procurement ou de places de marché électroniques. Il détaille les attentes des grandes entreprises dans le domaine des achats et met en perspective les réponses apportées par les solutions d'e-procurement et de places de marché.

Dans une partie plus opérationnelle, le rapport s'attache à décrire les différentes étapes de la conduite de projet : de l'étude d'opportunité à la mise en oeuvre, en passant par le business plan ou la recherche des solutions et des outils. Il se focalise ensuite sur les différents acteurs et certains points clés tels que l'intégration technique et fonctionnelle ou les catalogues électroniques.

Le rapport peut être obtenu gratuitement sur le site web du Cigref.


La recherche en pratique

700 millions d'euro pour les nanotechnologies

La Diffusion Paris 7 signale que la Commission européenne investit 700 millions d'euros dans la recherche en nanotechnologies.

Le SNCS rappelle au Président les promesses du candidat

Lors d'un courrier au SNCS en avril dernier, le candidat Chirac a proposé d'engager un plan de mobilisation nationale pour la recherche et l'innovation. Il a fait trois promesses fondamentales pour la communauté scientifique :
- 1) atteindre, à l'horizon 2010, 3% de notre PIB pour la recherche,
- 2) une réelle revalorisation des carrières,
- 3) accroître le programme prévisionnel mis en place par la gauche.

Le SNCS tient, comme d'autres professions, à acter ses promesses puisque le gouvernement a dit que toutes les promesses seront honorées. Le courrier de Jacques Chirac au SNCS est consultable sur le site www.cnrs-bellevue.fr/~sncs).

Contact

Donnez les vieux PC qui vous encombrent

Si vous voulez céder des ordinateurs, obsolètes pour vous, à d'autres qui peuvent encore en faire profit, vous pouvez vous adresser à l'association Jeunes espoir 2000. Avec le soutien de France Libertés, de la fondation Danielle Mitterrand, de la Ligue des droits de l'homme et de la ville de l'Haÿ les Roses.

Le livre de la semaine

Extreme programming

Pour une fois, c'est un industriel dont le communiqué nous signale une parution d'ouvrage. En voici le début :

Business Interactif, qui avait déjà publié un white paper sur les méthodes agiles fin 2001, a participé à l’élaboration du premier livre français sur l’Extreme Programming.

L’Extreme Programming propose une gestion de projet informatique appuyée sur des itérations courtes, redéfinissant complètement le cadre de la collaboration entre le client et le fournisseur. A la clé : une meilleure qualité de développement, des délais respectés et une conformité des applications aux besoins réels des utilisateurs.

L’Extreme Programming fournit un cadre méthodologique, depuis l’analyse des besoins jusqu’aux tests, favorisant la souplesse et le facteur humain plutôt que la définition exhaustive et prédictive des besoins.


Détente

Ces amateurs qui se font plaisir avec nos chères machines

Le ministère de la Culture met en ligne une étude (en PDF) sur musicale "Composer sur ordinateur. Les pratiques musicales en amateur liées à l'informatique".
L'équipe ASTI-HEBDO : Directeur de la publication : Jean-Paul Haton. Rédacteur en chef : Pierre Berger. Secrétaire général de la rédaction : François Louis Nicolet, Chef de rubrique : Mireille Boris et Claire Rémy. Asti-Hebdo est diffusé par FTPresse.