Dans l'histoire universitaire française, l'université Stendhal
de Grenoble
est en passe d'occuper une place éminente : pour la première fois
en France
(et peut être pour la première fois au monde, c'est à vérifier)
elle a
décidé de faire disparaître de ses fonds documentaires en
ligne toute la
production scientifique d'un centre de recherche accumulée depuis trois
ans, après qu'elle ait été soutenue financièrement
par son conseil
scientifique. Brûler des livres ou les anéantir lorsqu'ils sont
sur support
informatique, quelle différence?
Résumons brièvement les faits : en 2000 Francis Feeley, de l'université
de
Berkeley, postule sur trois postes de professeur dans les universités
de
Strasbourg, Tours et Grenoble. Classé premier par les trois commissions
de
spécialistes, il choisit Grenoble où on lui permet de créer
un Centre de
recherche, le CEIMSA (Center for the Advanced Study of American
Institutions and Social Movements). Beaucoup de Grenoblois connaissent la
suite : trois conférences internationales drainant un nombreux public,
des
personnalités américaines de renom invitées à Grenoble
(tel l'historien
Howard Zinn), de nombreux étudiants intéressés par les
activités du CEIMSA,
un rayonnement international nouveau pour l'université Stendhal dans
le
domaine des "Américanistes".
Quelle mouche a donc soudainement piqué les membres du Conseil Scientifique
de l'université pour refuser toute subvention à ce centre de recherche
pour
2004, après l'avoir soutenu pendant trois ans?
Pourquoi le Président de l'université, nouvellement élu,
Patrick Chezaud, a-
t-il décidé de mettre le centre "en extinction" ? Et
surtout pourquoi a-t-
il fait suivre cette "extinction" de l'autodafé électronique
de son fonds
documentaire en ligne, dépositaire notamment des actes des trois
conférences internationales organisées par le centre, avec le
soutien de
l'université ?
Nous disposons de deux réponses officielles à ces questions :
dans une
lettre du Vice Président Michel Lafon au Professeur Francis Feeley datée
du
12 Juin, la raison invoquée est que le fonctionnement du CEIMSA serait
"atypique". C'est par cette lettre que le professeur Feeley apprend
que
son centre est mis "en extinction" et qu'il recevra une notification
du
Président (à la date du 30 juillet, elle ne lui était pas
encore
parvenue...). D'autre part, au cours d'une entrevue avec le Président
Chezaud (en présence d'un représentant du SNESup), le Professeur
Feeley
s'est entendu dire que " le grand nombre de participants aux colloques
internationaux du CEIMSA tend à prouver que le travail de ce centre de
recherche n'est pas "scientifique". Une troisième raison exprimée
oralement
serait qu'un centre de recherche non financé par le BQR doit être
automatiquement supprimé. Aucune raison n'a été fournie
pour justifier
l'autodafé du fonds documentaire.
Bien entendu, il s'agit là de prétextes particulièrement
inacceptables.
Toutes ces décisions ne reposent sur aucun rapport d'évaluation
scientifique sérieux et argumenté des activités du CEIMSA.
En fait, la véritable raison de la suppression arbitraire de ce centre
de
recherche est apparue dans une lettre de la Vice Présidente Odile
Lagacherie du 28 juin, annonçant au professeur Feeley que le site WEB
de
son centre, constitué de plus de 3000 pages de documentation (actes des
conférences internationales, articles, mémoires d'étudiants
français et
étrangers, etc...) serait supprimé du serveur de l'université
Stendhal le
1er juillet 2004. Effectivement, toute cette documentation a été
effectivement soustraite au public français et étranger ainsi
qu'aux
étudiants et aux enseignants-chercheurs de l'université. Si l'on
y
réfléchit, ce geste est pire que brûler une bibliothèque,
dont les ouvrages
peuvent éventuellement être trouvés ailleurs, car il existait
dans ce site
des actes de conférences et des textes de "littérature grise"
non publiés.
L'université Stendhal vient d'inventer l'autodafé du XXIème
siècle : on en
parlera dans les manuels d'histoire, comme on parle de l'inquisition
espagnole du XVIIème siècle...
Et maintenant il faut poser la question : pourquoi cet autodafé? Qu'une
université supprime un centre de recherche, même brillant, ce n'est
pas
nouveau, tant les combats de requins sont fréquents dans les milieux
de la
recherche. Mais liquider un fonds documentaire de plus de 3000 pages en
plein essor, largement utilisé au sein de l'université elle-même
et à
l'étranger, c'est très nouveau. Un vrai "scoop" !
En fait, pour tous ceux qui ont suivi les activités du professeur Feeley
et
du CEIMSA, la raison est claire : au lieu de dispenser au public français
les analyses "politiquement correctes", insipides et pleines de non-dits
des courants de pensée "bien en cour" sur l'histoire et la
société des
Etats Unis, sur leur politique intérieure et extérieure, Francis
Feeley met
en lumière les réalités de ce grand pays, ses contradictions,
les luttes
sociales qui ont traversé son histoire et qui continuent à y faire
rage
aujourd'hui. Bref c'est un "radical" au sens américain du terme
et ne voilà-
t-il pas que l'université d'Austin au Texas demandait à ce professeur
de
l'université Stendhal de faire cours à ses étudiants ?
Il ne fait pas
de doute que pour les courants conservateurs et bien pensants, il devenait
difficilement supportable de laisser le public français et étranger
accéder
librement aux textes diffusés par cet intellectuel critique des pouvoirs
établis. Et pour jeter un site WEB à la corbeille, rien de plus
simple que
de supprimer le centre de recherche qui le développe. .. Les dirigeants
de
l'université Stendhal se sont donc rendus coupables de censure scientifique
pour raisons politiques.
Ce scandale sera-t-il toléré sur les campus grenoblois ? Espérons
que les
protestations de la communauté scientifique locale et internationale
et
celles des étudiants privés de cette documentation irremplaçable
seront
assez vives, pressantes et nombreuses, pour faire comprendre aux collègues
de Stendhal qu'ils font fausse route, et pour les convaincre de revenir sur
le geste inconsidéré de cet autodafé électronique.
Pour ce qui est du SNCS-
FSU, la section du campus de Grenoble envisagera à la rentrée
les actions à
mener pour défendre les activités de recherche du CEIMSA et sauver
son
fonds documentaire. Dieu merci, contrairement à une bibliothèque
brûlée, un
site WEB jeté à la corbeille peut être remis en ligne sans
délai
N'oublions pas non plus que les Etats Généraux de la recherche
tiendront
leur réunion nationale de synthèse à Grenoble fin octobre.
On y reparlera
sans doute beaucoup des méthodes arbitraires du Président Chezaud
et de ses
Vice-présidents, au moment où la Conférence des Présidents
d'Université
voudrait voit les universités piloter toute la recherche publique en
France...
Grenoble, 30 Juillet 2004
Pour le bureau de la section SNCS-campus,
Pierre Saramito
Syndicat National des Chercheurs Scientifiques (FSU)
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