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Stic-Hebdo

No 61. 12 septembre 2005

Sommaire : Trois questions à Denis Berthier | L'actualité de la semaine | Théories et concepts | Enseignement | La recherche en pratique | Dans les entreprises et les administrations : | Manifestations | Bibliographie


"A une époque ou l'IA ressurgit des limbes et où des agents artificiels apparaissent un peu partout, il me semble crucial de disposer d'une compréhension de leur capacités qui ne choque pas le sens commun."

Trois questions à Denis Berthier

Professeur à l'INT

Stic Hebdo : Votre ouvrage Méditations sur le réel et le virtuel, récemment paru à l'Harmattan, prend une position forte, presque nietzchéenne, sur le virtuel, en le définissant comme "ce qui, sans être réel, a, avec force, les qualités de"... ?

N'ayant pas trouvé de définition existante acceptable, j'en crée une nouvelle, en me basant sur deux choses : une étude étymologique d'une part, des références scientifiques d'autre part (optique géométrique, réalité virtuelle, …). Il serait d'ailleurs plus exact de dire que j'explicite un sens du mot qui n'apparaît pas dans les définitions qu'on en donne habituellement, mais qui existait déjà implicitement dans ces différents exemples.

Du point de vue étymologique, contrairement aux usages, je dérive virtuel de vertu (virtus) et non du pseudo latin virtualis, qui n'existe pas en latin, mais a été inventé par la Scolastique au Moyen-Age ; pour moi, est virtuel ce qui - sans être  réel lui-même, évidemment - a les vertus de... et donc qui les a avec force, parce que dans vertu (virtus, vir, avec sa connotation humaine, héroïque même) on trouve sous-jacente l'idée que ces qualités (au sens de qualia) ont une certaine force de présence. Je n'oppose donc pas le virtuel à l'actuel, comme le font par exemple Bergson, Deleuze ou, à sa suite, Pierre Lévy. Pour moi, le virtuel est pleinement actuel, il n'a rien de potentiel - contrairement à ce que disent aujourd'hui tous les dictionnaires et encyclopédies.

Je conforte cette définition basée sur l'étymologie en regardant du côté de l'optique géométrique, où  l'image virtuelle n'a rien de potentiel - ce qui permet de comprendre qu'elle ait des effets bien réels et actuels. L'exemple que je prends en permanence, c'est le reflet dans un miroir. Le reflet est vu comme si il était réel - plus précisément, il s'impose à la vue avec autant de force que l'objet réel, qu'on le veuille ou non et qu'on sache ou non lequel est le reflet et lequel l'original - mais évidemment j'aurais du mal à  le prendre dans la main. En outre, je peux interagir avec lui dans l'ordre visuel (dans sa pleine dimension sensorimotrice, c'est-à-dire que je peux me déplacer), mais seulement dans le cadre opératoire adéquat, qui est ici défini en gros comme la modalité visuelle, limitée au cône de réflexion dans le miroir. Cette notion de contexte ou de cadre opératoire est inséparable de celle de virtuel.

S.H. : Ce "contexte" conduit à la notion d'interopérabilité, très importante pour vous.

D.B. Oui. Au moins dans le monde des Stic, la notion d'interopérabilité est duale de celle de virtuel. Si le concept de virtuel relève de notre description spontanée des phénomènes et est immédiatement compréhensible par tous, celui d'interopérabilité relève d'une démarche plus analytique, plus technique aussi - de même que le phénomène du reflet dans un miroir trouve une explication scientifique en termes de rayons incidents et réfléchis.

Ce n'est dès lors pas un hasard si cette réflexion sur le virtuel fait suite à mes travaux  sur l'intelligence artificielle, exprimés dans mon précédent livre (Le savoir et l'ordinateur, L'Harmattan 2002), dans lequel j'introduisais l'idée d'interopérabilité sémiotico-cognitive entre l'homme et l'ordinateur, et présentais celle-ci en étendant progressivement les divers niveaux techniques "classiques" de l'interopérabilité des systèmes informatiques et des réseaux de communication. Le concept d'interopérabilité permet d'exprimer un lien très fort entre les objectifs de la RV et ceux de l'IA. Et, dans les deux cas, la notion de cadre opératoire en est indissociable.

Dans mes Méditations sur le réel et le virtuel, les objectifs sociétaux de la RV et de l'IA sont redéfinis respectivement par les deux modes d'interopérabilité qu'elles visent à développer entre l'homme et l'ordinateur : l'interopérabilité sensori-motrice (qui n'est qu'une autre manière d'exprimer les conditions techniques d'immersion avec lesquelles on définit classiquement la réalité virtuelle proprement dite) et l'interopérabilité sémiotico-cognitive, qui fait sens dans l'ordre des signes, du langage et des savoirs, ou "ordre symbolique" (ordre dont on peut rattacher l'approche formelle à Leibniz ou au structuralisme).
Cela correspond aux deux modes fondamentaux de notre relation courante au monde (en mettant de côté d'hypothétiques relations de type mystique). Il y a une certaine autonomie du symbolique, mais cela ne veut évidemment pas dire que le symbolique est totalement coupé du sensoriel ; la relation entre les deux est en fait très complexe, donc aussi la relation entre les deux types d'interopérabilité.

Pour en revenir au lien entre l'IA et le virtuel, il se fait  au moment où j'affirme qu'un "agent artificiel" (au sens technique de l'IA) est un agent virtuel. Un "agent artificiel" (par exemple, un agent de réservation téléphonique) a un comportement dans un certain cadre opératoire, et dans ce cadre, dans lequel, par construction, il interopère avec nous, il nous apparaît naturellement comme un agent, sans pour autant que nous devions affirmer positivement qu'il en est "vraiment" un et qu'il en a "vraiment" tous les attributs cognitifs. Sorti de ce cadre, il s'évanouit en tant qu'agent (comme le reflet si vous sortez du cône adéquat) ; et c'est ainsi que Mycin (système expert en diagnostic médical), pour emprunter un très vieil exemple caricatural de l'IA, diagnostiquera qu'une Chevrolet a la rougeole.

A une époque où l'IA ressurgit des limbes médiatiques et où des agents artificiels apparaissent un peu partout ("chatbots", systèmes d'information, robots domestiques, hôtesses d'accueil japonaises - les fameuses Repliee -, etc.), dont certains semblent faire preuve d'intentionnalité au plein sens phénoménologique (husserlien) du terme, il me semble crucial de disposer d'une compréhension de leurs capacités qui ne choque pas le sens commun et ne soulève pas des levées de bouclier du côté des sciences humaines - qui, autrement dit, ne repose pas sur des discours identificatoires de l'homme à la machine. Il s'agit donc, pour reprendre le titre-slogan d'un de mes articles récents dans Terminal, à l'origine de cet entretien, de penser notre relation à la Machine plutôt que nous penser comme des machines.

Tout cela n'est pas sans conséquences sur des problèmes rémanents depuis des décennies, liés aux interprétations philosophiques de l'IA, à la philosophie de l'esprit, aux sciences cognitives, etc. Car, même si des techniques s'inspirent de l'humain pour apporter concrètement des manières efficaces d'interopérer avec la machine, cela n'implique pas, quel que soit leur niveau de complexité, qu'elles reproduisent l'humain. Se demander si les machines sont "vraiment" intelligentes, c'est entrer dans un faux débat ou chacun déroule sa propre tautologie, et dont il faut bien noter à quel point il s'avère constituer un véritable trou noir de la pensée dans ces domaines. Le virtuel, tel que je le définis, permet d'en sortir.

A partir du moment où l'on dit qu'un agent est virtuel, on peut lui affecter tous les attributs virtuels que l'on veut (pour autant qu'il semble effectivement les posséder - sinon, on ne voit pas l'intérêt) : intelligence, connaissances, intentionnalité, voire conscience. On a désamorcé toutes les conséquences philosophiques que certains voudraient tirer de l'intelligence artificielle (et qu'elle n'est évidemment pas en mesure de justifier),  tout en conservant le fait d'expérience qu'il nous semble naturellement posséder ces attributs (à des degrés variés) - que nous ne pouvons pas éviter de les lui attribuer, même si nous savons qu'il est artificiel. Ces idées sont développées dans un prochain numéro d'Intellectica.

S.H. : Les Stic sont aujourd'hui écartelées entre toutes sortes de concepts et de disciplines. Votre approche ne pourrait-elle contribuer à les redéfinir de manière plus cohérente ?

D.B. Je ne prétends pas aller aussi loin, mais les concepts que j'introduis dans mes deux livres me semblent en effet aller en ce sens, et visent en particulier à combler, dans ce secteur, le fossé entre sciences dures et sciences humaines.

Dans le monde des Stic, si le concept de machine de Turing universelle (MTU) est le signe de ralliement (parfois très, très lointain) pour les sciences dures, nous ne trouvons actuellement rien qui puisse jouer un rôle équivalent du côté des sciences humaines. L'universalité potentielle de l'ordinateur s'actualise dans le réel en une multiplicité d'objets et systèmes techniques, qui en viennent à masquer l'universalité initiale. Dès lors, les Stic sont approchées "de l'extérieur", de manière éparpillée et sous des angles divers, en termes d’usages, d’impact social, de relation à l’imaginaire collectif, de "fictions" et de "récits de légitimation" (que Lucien Sfez démontre nécessaires à l'acceptation de ces techniques), etc. Tout cela me semble parfaitement légitime, cet "écartèlement" est un moteur puissant de la recherche, même si, souvent, la dimension spécifique aux Stic est ainsi perdue.

Mon approche, dont c'est dire tacitement l'ambition, conduit à transposer l'universalité technique de la MTU au domaine des relations entre l'homme et la machine; et la notion d'interopérabilité, comme vous l'avez noté, est la clef de ce transfert. Dit brutalement : sous des formes très diverses et à des degrés divers, les Stic visent à développer l'interopérabilité sensorimotrice et sémiotico-cognitive entre l'homme et la machine. Corollaire : toutes les approches que je viens de citer peuvent être revisitées sous cet éclairage - et c'est, en partie, ce que nous tentons de faire dans le cadre du projet de recherche Epistic que je dirige à l'INT.

J'ai tendance à voir dans les deux concepts de virtuel et d'interopérabilité, s'ils sont bien compris dans leur dualité, comme un antimythe, pour l'IA en particulier et pour les Stic en général. Même si je ne doute pas qu'ils puissent aussi en eux-mêmes, s'ils devaient "prendre", alimenter toutes sortes d'images (tant positives que négatives) et de mythes. C'est l'une des raisons pour lesquelles je ne peux me résoudre à dire que les Stic, côté sciences humaines, pourraient se redéfinir totalement autour de ces concepts.

Propos recueillis par Pierre Berger

Les pages personnelles de Denis Berthier.

Actualité de la semaine

Soutenances de mémoires en ligne

A Jussieu, les étudiants du DESS "Applications des réseaux et de la télématique" soutiennent leur mémoire. Les soutenances sont publiques et seront retransmises en diffusion en flux (streaming). Le site.

Théories et concepts

Petite histoire du traitement de texte

Miche Volle raconte sur son site l'histoire du traitement de texte. Cet original essai fait ressortir l'intérêt d'un véritable ouvrage sur la question. En tant qu'ancien animateur de la revue "Traitement de texte", je tiens ma documentation à l'intention d'un auteur (doctorant ? ) intéressé. Michel Volle aussi, cela va sans dire! P.B.


Enseignement

Educatec

Le salon Educatec (Salon des équipements, systèmes, produits et services pour l'éducation et la formation) se tiendra du 23 au 25 novembre à la Porte de Versailles.

TIC et Education

Sur les enjeux et objectifs, le bilan 2004 et les perspectives 2005, on peut relire notamment les pages "ressources numériques", "usages de TIC dans l'enseignement" et "formation aux Tice" dans un dossier (PDF) disponible sur Educnet.

Discours de Gilles de Robien

Le ministre s'est exprimé le 31 août à la veille de la rentrée scolaire 2005. On y trouvera un "abécédaire" et notamment, concernant les TIC, les trois fiches :
- Brevet informatique et Internet : la généralisation se poursuit,
- TIC : protection des mineurs et maîtrise des usages,
- Emplois Vie scolaire.
Le document.

Le C2I niveau 2 «enseignant» et la formation de formateurs: quels enjeux, quels défis ?

On peut télécharger trois conférences audio de ce séminaire qui s'est tenu les 21 et 22 mars à l' IUFM Champagne-Ardennes. L'objectif général de ce séminaire a été de faire prendre conscience de la nécessité de mettre en place, de façon prioritaire, un plan de formation de formateurs spécifique pour que le C2i2e soit bien considéré comme une référence de la professionnalité des formateurs. Le document.

Nouvelle enquête sur le TIC

Équipement informatique, dispositifs de protection et de sécurité, services numériques : l'enquête Etic effectuée par la DT/SDTICE au second trimestre 2005 révèle les derniers chiffres de l'équipement et de l'usage des TIC dans les écoles, collèges et lycées. Pour ce qui concerne les usages, on reste quelque peu sur sa faim ... Le document.

Rubrique réalisée avec la collaboration de Jacques Baudé


La recherche en pratique

Chaîne d'information RSS

A titre d'exemple, pour se familiariser avec le "fil RSS", on peut accéder à celui de Michel Volle (www.volle.com). Il suffit pour cela de recopier le lien http://www.volle.com/rss.xml dans son lecteur RSS favori (pour sa part, il utilise la version gratuite d'Awasu).

Pour plus d'information sur les chaînes d'information RSS, lire s la page ad hoc sur le site de Jean-Paul Figer.


Dans les entreprises

Medef : accord national interprofessionnel sur le télétravail

A lire sur le site de l'organisation patronale. Signalé par la Diffusion Paris 7.

Manifestations

Consultez le site des associations membres de l'Asti, où vous trouverez les manifestations qu'elles organisent

Pour les manifestations TIC en rapport avec l'enseignement et la formation, consulter le site Educnet.

Intelligence économique

Les premières rencontres "Innovation, compétitivité et connaissances, intelligence économique, veille, knowledge management et efficacité collective" se tiendront du 28 au 30 septembre au Sofitel de la porte de Sèvre à Paris. Elle réunit les rencontres KM&EC et Forum IE2005. Contact.

Propriété intellectuelle

À l'approche de l'examen du projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), la Fondation pour le logiciel libre (FSF France, à l'origine de l'initiative EUCD.Info) organise un cycle de réunions de travail avec des élus, des avocats et des professeurs de droit.

L'objectif est d'étudier comment pourraient être pris en compte les droits des auteurs et des utilisateurs de logiciels libres qui actuellement ne le sont pas. Ayant constaté que Jean Dionis du Séjour (rapporteur du groupe UDF sur le projet de loi) et Pierre Sirinelli (président d'une commission spécialisée du CSPLA) participent mi-septembre à une réunion chez Microsoft (Voir le document et aussi le site de Jean Dionis), la FSF France convie le député et le professeur agrégé à une réunion de travail.


Bibliographie

Livre blanc « Organisations et logiciels libres »

La société de services et de conseil Di&Mark publie un livre blanc Organisations et logiciels libres qui comprend deux parties principales :
- un manuel pratique: aspects historiques, économiques et juridiques, analyse de la gestion des risques, principaux secteurs d'applications, apports du prestataire extérieur ..
- une analyse de cent dix enquêtes menées auprès d'organisations de toutes tailles et de tous secteurs.

L' April a participé aux relectures et la préface a été réalisée par son délégué général Frédéric Couchet. Dans un contexte de forte expansion du logiciel libre, l'association estime que ce document apporte des éléments convaincants de sa maturité pour un usage professionnel.

Pour une diffusion la plus large possible et assurer sa pérennité, cet ouvrage est publié sous licence Art Libre

Autres ouvrages

Prévision et maîtrise des performances d'un système informatique. par Pierre Kraus. 360 pages, 75 euros.

Cet ouvrage présente de façon concrète trois approches différences, mais complémentaires : une méthode mathématique, une démarche expérimentale et une solution par comparaison. L'approche analytique est fortement détaillée. L'accent est mis sur le côté pratique, en explicitant clairement les différentes étapes du processus d'évaluation et en montrant comment s'appliquent les modèles mathématiques, plutôt que de chercher à démontrer toute les formules. La technique de simulation est illustrée par les caractéristiques de deux produits particulièrement orientés vers la prise en compte des systèmes d'information. Elle est complétée par un exemple. Enfin, l'apport des benchmarks est présenté avec une description des principaux standards dans le domaine et une mise en garde sur les pièges à éviter.

La fusion de la téléphonie dans l'Internet, par Yvon Rastetter. Hermès-Lavoisier, 186 pages, 40 euros.

L'ouvrage donne une vision globale et synthétique des réalisations et des tendances portant sur la fusion de la téléphonie (et plus généralement des différents médias impliquant la télévision et la visiophonie) avec Internet. Il décrit les enjeux, depuis la gouvernance mondiale de l'économie des technologies de la communication, jusqu'à l'offre de proximité. Il traite des services offerts au grand public mais aussi aux réseaux d'entreprises. Il aborde les solutions alternatives aux solutions centralisées gouvernées principalement par les grands acteurs mondiaux.

L'audit technique informatique, par Henri Ly. Hermès-Lavoisier, 240 pages, 50 euros¨

Avec le foisonnement des micro-ordinateurs, l'Internet, la micro-informatique, les centres de serveurs et CTI sont les moyens et outils quotidiens d'exploitation et de travail des entreprises en général et de leurs cadres en particulier. Mais la majorité des utilisateurs ne se soucie guère de la sécurité, de l'optimisation des systèmes et de l'organisation informatisée. L'audit informatique, moyen et outil de la Direction, est donc plus que jamais nécessaire.

Ce livre a un double objectif. D'une part, avec la présentation de l'historique de l'audit, du contrôle de gestion ainsi que des acteurs et de leurs rôles, il permet aux lecteurs de mieux appréhender l'existence et l'importance de ces fonctions au sein d'une entreprise. D'autre part, grâce à des exemples concrets et quelques extraits de rapports, il initie à l'audit informatique et précise l'importance des rôles et des recommandations des auditeurs informatiques.


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