SOMMAIRE
Hypermonde et représentation politique
La télévision
Actualités de l'hypermonde
Le 31 mars dernier, une présentation de la télévision française d'Etat fut organisée dans la salle du théâtre des Ambassadeurs. Elle fut précédée de trois allocutions: la première du ministre des P.T.T., la seconde de M. Jean Perrin, de l'Académie des Sciences, la dernière de M. Marcel Prévost qui préside la section littéraire du Conseil supérieur de Radiodiffusion. Voici le texte de cette dernière allocution.
Monsieur le ministre des P.T.T. et mon célèbre confrère, le professeur Perrin, ont traité, tous deux, avec une précision et une clarté que j'admire, le problème de la Télévision française au point de vue technique comme au point de vue social. De ce côté, ils ne m'ont réellement laissé rien à dire qui puisse valoir ce qu'ils ont dit.
D'autre part, s'il est vrai que, dans un passé lointain, j'ai entretenu quelques relations polytechniciennes avec la mathématique et la physique, mon rôle, à la radiodiffusion, est aujourd'hui strictement littéraire, et vous ne serez certes pas étonnés qu'après les lumineuses considérations savantes et pratiques que vous venez d'entendre, je veuille insister surtout sur le domaine, -comment dire ?- émotif et psychologique que la télévision est appelée à conquérir à travers le monde.
Non seulement en lui procurant un divertissement nouveau, d'une qualité exceptionnelle, analogue par exemple, à celui qu'a inauguré le cinéma mais en atteignant l'être humain au delà de ses réceptivités physiques et en exerçant comme une intervention soudaine, magique, au plus profond de sa sensibilité.
Toutes les trouvailles de cet ordre, notons le, avaient été réalisées antérieurement, dans un but purement utilitaire: faciliter les échanges et, pour cela, réduire le temps que la distance oppose à cette facilité. Pareille réduction, l'homme primitif l'a demandée d'abord à l'allure accélérée de sa marche, puis à la vitesse de sa monture, au vent qui gonfle les voiles. Sa parole avait utilisé le porte-voix; il avait allumé sur les collines le feu des signaux. Mais, notez-le bien ! à partir d'une date, déjà lointaine, ces réalisations n'ont progessé que lentement. On peut dire sans paradoxe que Louis XIV n'avait à sa disposition, dans cet ordre d'idées, que le matériel et les moyens des rois mérovingiens: perfectionnés, embellis surtout, mais, au fond, les mêmes.
C'est le XIXe siècle, surtout dans ses vingt dernières années, qui amorça les prodigieux résultats du présent. Aviation, téléphone, navigation sous-marine, etc... Tout cela, la fin du XIXe siècle en légua au XXe non pas seulement l'idée, mais une réalisation partielle. Au siècle héritier, le nôtre, était réservé par le destin un achèvement presque intégral.
Notre siècle avait trouvé dans l'héritage du précédent la possibilité d'une communication jugée prodigieuse: le texte d'une pensée humaine pouvait se transmettre, dans un délai assez rapide, d'un point du globe à l'autre! Mais déjà c'était trop peu pour le génie moderne. La froideur et la concision télégraphiques ne suffisaient plus. Dans la littérature du passé, combien de fois déjà l'être humain s'est plaint de ne recevoir la pensée des absents que figée, glacée sur une page ? L'aspiration du monde vers la parole à distance fut bientôt trop pressante pour ne pas activer le génie des inventeurs.
Un jour vint où non seulement la pensée, mais la voix humaine surmontèrent l'espace. Il faut reconnaître que cette réalisation fut extraordinairement rapide. Ce qui était de bon augure pour les problèmes encore non résolus. Ceux-ci, la science les attaqua tout aussitôt.
Le premier problème qu'elle attaqua, je vous prie, chers auditeurs, de considérer qu'il était tout à fait nouveau, profondément différent des autres, vraiment insolite. Les réalisations précédentes avaient, avant tout, je vous l'ai signalé, un objet utilitaire: transmettre à distance, par la voix même, des informations pratiques.
Cela accroissait le bien-être général, facilitait les échanges, diminuait le danger des catastrophes: en somme cela améliorait les conditions de vie dans la guerre comme dans la paix. Pratiquement, cela suffisait. Un négociant, traitant des affaires au téléphone, n'a pas un besoin absolu de voir la figure du correspondant. Pareillement, un général qui transmet un ordre aux avant-postes... Et puis... mon Dieu ! accessoirement, la vie sentimentale pouvait profiter de cette communication matérielle pour échanger... des propos de sentiments, voire d'amour. Entre gens qui s'aiment, c'est déjà quelque chose que de s'entendre, si on ne peut se voir. Mais un poète latin l'a dit dans deux vers célèbres: bien moindre est l'émotion transmise par les oreilles qui celle qui atteint les yeux. La télévision allait réaliser ce miracle. Désormais, ainsi que l'oreille entendait, malgré la distance, les yeux, à travers l'espace immense, verraient.
Tout à l'heure, on vous a expliqué clairement l'admirable mécanisme de cette réalisation. Moi, c'est du point de vue de ses conséquences intellectuelles et psychologiques que j'ai préféré vous entretenir. J'insiste d'abord sur ce fait capital: par la télévision, c'est la première fois que la science apporte aussi directement à l'humanité non seulement un divertissement merveilleux, mais un tel pouvoir d'enrichissement de l'esprit et une telle source de joie morale.
Je m'explique:
Sur le bienfait intellectuel, inutile de discourir. Deux mots suffisent: cette suprême découverte nous annexe l'univers. le sens du mot voyage est changé: c'est le monde extérieur qui se déplace, vient à nous, s'arrête devant nous. Un écolier - quand la télévision scolaire sera définitivement accomplie - aura fait plusieurs fois le tour du monde... à l'âge de dix ans.
Mais ce n'est pas seulement l'esprit humain que la télévision élargit et enrichit, comme par un effet magique. Elle apporte à l'humanité une capacité nouvelle de joies morales. Sans vaine sensiblerie, osons dire que, désormais, ce mot "séparation" n'aura plus le même sens qu'autrefois. La vue d'une mère séparée de son fils ne sera-t-elle pas transfigurée si, au cours de la séparation, non seulement elle pent entendre la parole de l'absent, mais elle le voit lui parler ?
Ne croyez pas, chers auditeurs, que j'exagère ou que j'anticipe sur un avenir hypothétique, et que je prenne des possibilités pour des réalisations.
Dès à présent, dans deux grandes villes allemandes, distantes d'environ mille kilomètres, des cabines publiques de télévision sont installées, et les interlocuteurs se voient, comme ils s'entendent.
On peut donc prévoir qu'en France, dans un avenir prochain, on aura chez soi l'appareil télévisuel voisinant avec le téléphone. Et, très vite, ce prodige couvrira le monde.
Or, c'est vraiment autre chose, j'y insiste, de voir que d'écouter. Notre parole humaine se détache, pour ainsi dire, de nous quand nous la confions au téléphone; mais c'est nous-mêmes que la télévision rendra présents et vivants, à des milliers de kilomètres, pour les regards anxieux qui nous cherchent.
Voilà pourquoi, chers auditeurs, je vous convie aujourd'hui non seulement à admirer le côté pratique utilitaire instructif ou divertissant de la télévision, mais surtout ce qu'elle contient de possibilités et de satisfacions psychiques, ce qu'elle apporte de purement spirituel, de purement idéal pour accroître le bien-être humain.
Non seulement une commodité, une facilité, une distraction, mais une puissance de réconfortante émotion; osons dire le mot: une puissance de bohneyur. L'absence est le plus grand des maux, roucoule l'un de ces deux voyageurs ailés qui (nous dit La Fontaine) s'aiment d'amour tendre. Eh bien ! nous célébrons aujourd'hui la suprême défaite de ce "plus grand des maux".
Rendons à ce propos hommage à la science. A travers les âges, elle a poursuivi sa tâche bienfaisante. D'abord, elle permit à l'absent d'exprimer instantanément sa pensée; puis ce fut sa parole... Bientôt, vous tournerez un bouton magique, et l'absent surgira devant vous. Regardez-le: il vous sourit, il vous parle, et les mots (qu'un autre miracle scientifique vous apporte), vous voyez sa bouche les articuler.
Mesdames, messieurs (laissant systématiquement à part le domaine scientifique), j'ai tenu à vous découvrir cet autre émouvant aspect de la télévision, sa force élargissante sur notre esprit, son action bienfaisante sur la sensibilité humaine, son rôle comme instrument d'apaisement moral et de joie.
Dernier acte de la science contemporaine, elle vient, aboutissemnt magnifique, de supprimer "l'absence".
Marcel Prévost, de l'Académie Française.
C'était le 31 mars... 1939. Le texte inédit est paru dans La Revue de France du 1er Mai de la même année.
L'hypermonde, c'est aussi la guerre du Golfe en direct, ou Roland Garros. M. Tout le Monde devant sa télé suivant en gros plan les états d'âme d'Henri Lecompte bien mieux que les "happy few" du Central.
Il y a donc dans l'hypermonde une potentialité démocratique, l'hypercommunication égalisant les chances de chacun d'accéder à l'événement.
L'hypermonde, c'est aussi la fin des "Excellences" comme les téléphones rouges suppriment l'utilité des ambassadeurs...
Comment cette potentialité démocratique pourrait-elle se traduire dans l'ordre politique proprement dit?
Certes, c'est M. Tout le Monde qui désigne déjà ses représentants. Mais pourquoi faut-il encore des représentants?
La démocratie représentative se justifiait du temps où le bon peuple ne savait pas lire et était isolé dans ses villages, à une journée de la préfecture. Aujourd'hui, l'hypermonde permet de consulter le peuple en permanence...
Se passer de représentants ne serait d'ailleurs pas une nouveauté. Quand il s'agit de rendre la justice "au nom du peuple français" et que l'on est devant la Cour d'Assises où sont jugés les crimes les plus graves, c'est le peuple lui-même qui juge et non ses représentants.
Comment? Par le tirage au sort des jurés. Ceux-ci ne sont pas des représentants du peuple, ils sont le peuple et en expriment la volonté.
C'est le tirage au sort qui assure cette identité, de même que les échantillons sont dits "représentatifs" parce que tirés au sort suivant les lois de la probabilité.
Pourquoi alors élire des représentants? Des spécialistes qui finissent toujours par se transformer en Excellences à force, soit-disant, de n'être guidés que par la recherche du bien commun.
Si l'on tire au sort les citoyens qui pourront condamner à la prison à vie leur semblable, qu'y aurait-il de choquant à tirer au sort les citoyens qui choisiront entre une crèche et un gymnase, qui décideront de la paix et de la guerre?
La Sérinissme y a d'ailleurs eu recours au temps de sa splendeur. Non pour supprimer l'élitisme, mais pour se prémunir contre les effets désastreux de l'esprit de clan. Quant il fallait désigner le nouveau doge de Venise, les intrigues des candidats allaient jusqu'à l'assassinat politique entre clans rivaux. Pendant plusieurs décennies, Venise institua alors un système complexe de tirage au sort de collèges électoraux pour éviter le clanisme. A quoi bon en effet s'allier à celui-ci, si c'est celui-là qui va être tiré au sort?
On peut de même imaginer aujourd'hui le tirage au sort parmi la population pour renouveler chaque année le cinquième des conseillers municipaux. Puis le tirage au sort des conseillers généraux parmi les conseillers municipaux, et ainsi de suite avec des collèges électoraux de plus en plus réduits pour les députés, les sénateurs, les ministres, etc.
Pour faire partie de la base de sondage pour l'échelon supérieur, il faudrait avoir été tiré au sort à l'échelon ingérieur depuis au moins trois ans afin d'assurer une connaissance des affaires suffisante.
Les arguments qui viennent à l'esprit contre ce système, quand on y regarde de près, participent obligatoirement de l'élitisme: seuls des spécialistes pourraient soi-disant s'occuper de choses aussi complexes.
C'est oublier le rôle indispensable des fonctionnaires, depuis les services techniques des mairies jusqu'au Conseil d'Etat. Avec leur aide, n'importe quel citoyen est capable d'exprimer une orientation politique.
Permettre à une cuisinière de faire de la politique, comme l'a souhaité en vain Lénine, de même qu'une cuisinière peut de sa cuisine mieux suivre Roland Garros que les happy few du Central... voilà un objectif pour l'hypermonde!
Claude CHIARAMONTI
ACTUALITE
DES CONSCRITS SELECTIONNES PAR DES JEUX VIDEO
Au centre de sélection de Mâcon, un système d'orientation des jeunes conscrits appelé Espace (emploi d'un système de passage automatisé et de correction des examens) fonctionne à la manière d'un jeu vidéo. Le système pourrait être généralisé en 1995.
UN SEMAINE SUR SIMULATEUR = 1,25 MOIS DE NAVIGATION
"Les élèves qui ont effectué un stage complet sur un simulateur de passerelle ou de machines... bénéficient, pour la délivrance du brevet d'officier de la marine marchande ou du brevet d'offier de 2eme classe de la navigation maritime, d'une équivalence de temps de navigation effective en qualité d'élève de 1,25 mois dans le service correspondant".
Bref, on vit cinq fois plus vite dans l'hypermonde que dans le monde ordinaire. Dixit le secrétaire d'Etat à la mer, par son arrêté du 13 mars 1992 (J.O. du 18 mars, pour les sceptiques qui voudraient aller le vérifier).
DETECTION D'INCOHERENCE
L'EDF emploie des systèmes de détection d'incohérence pour vérifier la non-contradiction de ses systèmes experts, a expliqué Marc Desreumeaux (Université de Paris 1) à une réunion du Club de l'hypermonde.
UNE ENTREPRISE VRAIMENT HYPER CHERCHE PARTENAIRES
Parler d'entreprise virtuelle, c'est bien. En faire une, c'est plus courageux. Better Way, animée par Philippe Flichy, a définitivement rompu les amarres avec l'hypo-monde à la fin de juin dernier. Ses 7 salariés travaillent désormais chacun chez soi. Le centre du réseau fonctionne dans le Perche. Des liaisons Numéris assurent la connexion de tous avec le serveur central. L'entreprise ne se réunit physiquement qu'une fois par semaine, dans un bureau de La Défense, et conclut par un déjeuner.
Better Way donne ainsi l'exemple, et commercialise des produits eux aussi très hyper: bornes interactives, lecteurs et enregistgreurs de CD-Rom, mallettes interactives produit de groupware Xanadu (prochainement), et services associés à ce type de produits. Ancien chercheur au Médialab, Philippe Flichy consacre toute son énergie au développement concret, et donc commercial, de l'hypermonde. Toute proposition de partenariat sera la bienvenue. (Le Moulin Renault, 61110 La Madeleine bouvet, Téléphone (16) 37 37 27 77).
CLUNY COMME SI VOUS Y AVIEZ ETE
L'hypermonde pousse vers l'avenir, mais sait aussi reconstituer le passé. Deux reconstitutions en virtuel de l'abbaye de Cluny, détruite à la Révolution, l'une en mode CAO filaire, l'autre en image réaliste animée, permettent de re-visiter ce qui fut la plus grande église européenne jusqu'à la construction de Saint-Pierre de Rome.
ZASHIKI-WARASHI
Cette créature imaginaire du folklore japonais évoque un enfant invisible jouant dans une pièce et apportant le bonheur dans la maison qu'il habite. Elle a donné son nom à des projets d'interface pour réalité virtuelle développés par Matsushita (déjà connu pour son système de conception de cuisines).
DEJA SUR LE MARCHE
Vistapro, de Virtual Reality Laboratories Inc (San Luis Obispo, Californie), offre la réalité virtuelle sur PC (MS-Dos, 640 K, 3 Mo sur disque, carte graphique VGA, souris). Univers proposés: données géographiques de l'Us Geological survey et de la Nasa.
CALENDRIER
Siggraph, du 29 juillet au 1er août 1992, à Chicago. Nous y serons pour vous.
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