Manifeste de l'hypermonde (suite)
Il ne suffit pas de "défendre"
l'humain, comme on défendrait la langue française. Il faut
l'illustrer. L'humain a besoin de croître.
Les limites matérielles de notre planète et de ses ressources
ne sont que trop réelles, même si l'on a exagéré certaines
menaces. Les espaces vierges se font rares, et en tous cas sont
stériles et fragiles à la fois. En France seulement, est-il
raisonnable de vouloir construire encore des centaines de
kilomètres d'autoroutes tous les ans?
Quant à l'espace interplanétaire ou intergalactique, ne nous
berçons pas d'illusions: faire échapper un homme à
l'attraction terrestre coûte très cher, du point de vue
financier aussi bien qu'écologique. Dans l'horizon prévisible,
il reste impensable de faire décoller ne serait-ce qu'un million
de personnes... or ce ne serait encore qu'un dix-millième de la
population humaine. Pour l'immense majorité des humains, donc,
l'avenir se jouera "sur le plancher des vaches".
Il ne suffit pas de défendre environnement, de
s'interdire de polluer, pour conserver l'envie de vivre.
L'expansion fait partie de la nature profonde de l'homme.
"Croissez et multipliez vous, dominez la terre" .
L'expansion est dans la nature d l'homme. Il faut croître ou
mourir.
Heureusement, les technologies
électroniques nous ouvrent réellement de nouveaux horizons.
Nous proposons le concept d'hypermonde pour les représenter
globalement.
Aujourd'hui, comme le nouveau monde il y a 500 ans, nous n'avons
ouvert que des têtes de pont isolées sur ce nouveau continent:
tête de pont de la communication avec les médias audiovisuels,
du calcul et de l'automatisme avec l'informatique, de la musique
avec les multiples formes de disques...
Ces têtes de pont, peu à peu, se renforcent. la technologie de
la "réalité virtuelle", lancée en 1984 par Jaron
Lanier à la suite de travaux pour la Nasa, montre bien jusqu'où
nous pouvons pénétrer dans ce nouveau monde, nous y immerger.
Ces têtes de pont, de plus, se rejoignent. Tous les médias,
toutes les informatiques communiquent de mieux en mieux. Le
progrès semble aux uns une véritable cataracte. D'autres, qui
se rappellent des prévisions de Wiener ou d'Orwell, voire même
de Jules verne, ont plutôt l'impression que l'évolution est
bien lente à se concrétiser dans la vie quotidienne.
Mais la colonisation a vraiment commencé. Les paysages sont
passionnants et les terres fécondes. Certes, pas plus que le
nouveau monde américain, l'hypermonde n'est un paradis. Ni
d'ailleurs un enfer. C'est un monde. Voilà tout. Ouvert à nos
explorations, nos capacités de développement. Et c'est déjà
beaucoup à l'heure actuelle.
Dans ce nouveau monde, qu'y a-t-il à
construire? Presque tout encore. Mais souvent, surtout dans les
phases transitoires, ces constructions pourront sembler
abstraites. Comme le Canada faisait à Voltaire (je crois),
figure de "quelques arpents de glaces". Elles prendront
cependant peu à peu consistance.
Médias, informatique, réalité
virtuelle... ne se développent qu'à base de circuits
intégrés, calculateurs, capteurs et actionneurs. La loi de
Moore et les techniques d'industrialisation nous en assurent la
multiplication à un coût toujours plus bas. Il faut aussi des
lignes de communication. Lourds investissements!
Une "thermodynamique de
l'immatériel", à peine esquissée par Shannon. Des
mathématiques mieux adaptées à la complexité, au chaos, aux
limites de la rationalité déductive (Gödel).
Une cosmologie puissante, situant notre voyage vers l'hypermonde
dans la grande histoire du cosmos, depuis le big bang jusqu'à
Gordon Moore.
Une épistémologie renouvelée. l'hypermonde est par essence
cognitif, puisqu'immatériel. Ses perspectives sont, à
proprement parler, "inimaginables", puisqu'elles font
jouer à l'image un rôle tout à fait nouveau, dont le papier et
les médias audiovisuels ne nous ont encore donné qu'une toute
première idée.
L'hypermonde ne pourra pas se contenter
indéfiniment des théories économiques classiques, de toutes
façons à bout de souffle. La reproduction quasi-gratuite des
images comme des logiciels, la délocalisation possible des
activités de production comme de consommation exigent de
nouveaux cadres, des modes de production, un droit de la
propriété... à leur mesure.
La recherche de nouveaux marchés, la création des nouvelles
entreprises ont besoin de fondements économétriques, juridiques
et sociaux largement renouvelés.
Parmi les concepts importants, notons la normalisation et tout ce
qui se décline autour de la "valeur ajoutée"
(réseaux, services).
Nous ne débarquons pas dans l'hypermonde
comme des enfants qui viennent de naître. Comme les passagers du
Mayflower, nous apportons nos traditions, notre littérature,
notre éthique, notre religion.
Déjà le cinéma a repris les grands thèmes littéraires, la
télévision a repris le cinéma. Les jeux de rôle ont
transposé toute la mythologie médiévale comme les grands
affrontements militaires et géopolitiques du passé, voire les
réalités profondes des structures politiques (SimCity,
Civilisation).
Nous allons "évangéliser" l'hypermonde. Mais nous
sommes divers, nous apportons nos différences idéologiques,
religieuses. Il faudra de bons aménageurs pour que chacun trouve
sa place.
Qu'allons-nous faire dans l'hypermonde? Qu'allons-nous faire de
l'hypermonde?
Si la réponse était toute écrite, serait-il aussi passionnant
de s'embarquer pour le voyage?