Mes ancêtres

 

Mes parents n'en savaient rien mais, s'il faut en croire notre cousin François-Marie Uchard (et il faut le croire : c'est un historien !), nous pouvons remonter sans discontinuité jusqu'à Philippe Auguste, Charlemagne et au-delà d'eux, les Francs ripuaires, soit quelque 45 générations en partant de mes petit-enfants.

De ce côté, tous ne sont pas admirables. On n'est pas obligé d'aimer Philippe Auguste, grand roi mais mauvais mari et excommunié. Et encore moins Guillaume Le Boutellier, qui vendit Rouen aux Anglais pendant la guerre de Cent ans. Un de ses descendants, seigneur de Baillon, acheva la phase noble de notre famille : ruiné, il maria ses filles à des roturiers. Dans notre cas, à Pierre Lebel, marchand de vin à Neauphle-le-Château (aujourd'hui dans les Yvelines).

 

Ce Pierre Lebel, on peut le penser (mais ce n'est pas prouvé) était venu de Paris, étant issu d'une veille famille d'imprimeurs, presque aussi vielle que Gutenberg soi-même. Cette branche a toujours été "non conventionnelle" (dit mon épouse). On y rencontre nombre de figures aussi passionnantes que surprenantes. A une Eulalie Lebel, "figure emblématique de l'imagerie religieuse au XIXe siècle", selon le dominicain Frère Amalric, répond sa belle-mère Henriette Bouasse, fille à soldats versaillaise. Et des personnages aussi divers que la série des Lebel, François Froullé, les deux fils d'Eulalie (Bouasse-Lebel et Bouasse-Jeune), Julia...

 

Dans cette branche, on vit tout autant de légendes que de réalités. On se flatte de descendre d'un bâtard de Louis XIV (ou Louis XV), et l'on croit se revendiquer d'un marquis. J'y ai trouvé surtout une remarquable continuité dans l'audace, mais dans une ambiance, j'allais dire un biotoe, qui évoque Balzac ou Mauriac bien plus que Victor Hugo.

 

Deux autres branches de mes ancêtres remontent jusqu'aux débuts du XVIIIe siècle : les  George (ancêtres de mon père Jacques Berger) et les Boulan (ancêtres de ma mère Paule Lefebvre). Ici, les arbres généalogiques sont un peu secs, avec quelques fruits charnus, comme le cardinal Mathieu ou la riche nébuleuse décrite par Anne-Marie Boulan dans ses "mémoires". Dans les deux cas, il s'agit de familles saintes, saines et stables (ce qui n'exclut pas quelques épisodes scabreux), plutôt bourgeoises chez les Boulan, plutôt agricoles ches les George.

Pour les Berger à proprement parler, l'arbre s'arrête tôt, avec le père du grand-père Marcel Berger.

 

Faut-il être fier d'un si bel arbre ?

 

Je ne cache pas y trouver un certain plaisir. Et pourtant mon intérêt pour la généalogie, et surtout pour l’histoire familiale qu’elle charpente, est plutôt venue d’un besoin de déconstruire la mythologie familiale des Berger-Lefebvre, dont les belles-soeurs des quatre fils Berger ont unanimement noté l'orgueil.
 
C’est notamment pour y voir plus clair que je me suis intéressé à la généalogie, reconnue aujourd’hui comme une forme douce d’anamnèse psychanalytique d’ailleurs. Elle a été un thème de recherche, de curiosité et de réflexion parmi d’autres, avec de longues périodes peu actives, et quelques moments forts, comme par exemple, le contact rétabli avec les Touchard (branche Bouasse Jeune) puis avec les Uchard (branche Bouasse Lebel),  la reprise de la généalogie Boulan , celle des  George par un cousin Bourceret. Et tout récemment l’envoi généalogique « Philippe Auguste ».
 
Les connaissances et le niveau d’intérêt de ces histoires varie selon les branches.
 
Pour les Berger à proprement parler, nous n’allons pas au-delà de 1830. Des paysans lorrains, assez entreprenants quand même. Et capables de tout sacrifier, y compris la dot de la sœur, pour envoyer le jeune Marcel à Paris faire ses études d’architecture. Des recherches d’archives à Nancy permettraient sans doute d’aller plus loin. Je m’amuse à penser que ces Berger, très nombreux en Lorraine, sont en fait des Allemands (Berger : l’homme de la montagne, le mineur), des catholiques émigrés au moment où les protestants les persécutaient. Mais c’est pure hypothèse, et peut-être gardaient-ils les moutons comme Jeanne d’Arc… Un guichetier de la SNCF aurait dit à Marcel (mon frère) "On vient tous du pays de Bade". Et le mot ne viendrait pas de Berg (montagne)mais de verbeck, brebis.


Nous avons une généalogie considérable des George (la mère de Marcel)  mais sèche, avec tout de même deux personnalités marquante : le fiancé d’Einville et le cardinal Mathieu. Et un personnage qui donnerait envie d’en savoir un peu plus, le « saint » Georges, avec ses 13 enfants.
 
Pour les Lefebvre, rien pratiquement au-delà de René, qui vient d’un milieu semble-t-il assez simple. Avec un oncle Maurice qui était considéré comme vulgaire (jeux de mots) par Mamie. On laissait dire que Jules Lefebvre (vérifier), assez connu, aurait été un oncle, mais il n’en serait rien, en fait.
 
Je n’ai pas encore eu assez d’envie, ou de courage, pour reprendre sérieusement l’histoire de la famille Lefebvre de 1918 à 1940. Les éléments rassemblés sont assez tristes, contrastant violemment avec la légende dorée familiale. En gros : erreurs répétées de gestion par René Lefebvre, fortune dilapidée, et une imprévoyance qui fait qu’à la mort de René, Anne-Marie ne disposait d’aucune ressource, et qu’elle a donc dû être prise en charge par ses enfants.  Ce serait tout de même très intéressant de le faire, mais il y a peu de documents et les souvenirs des uns et des autres glissent doucement vers les tombes. Mon oncle Jacques Lefebre était tout à fait opposé à ces recherches : « J’ai la conviction que mon père s’est conduit deux ou trois fois comme un imbécile, et j’aime autant que ça ne se sache pas ». Avis partagé, pour des raisons plus sentimentales, par ma cousine Virginie.
 
Pour les Boulan, tous les ancêtres sont du Nord (Valencienne, Lille), de milieux bourgeois. Il y a quelques papiers intéressants, datant du premier empire, chez le cousin Boulan. Assez prosaïques, visant notamment à échapper aux obligations militaires et fiscales. Ou notre dossier de la faillite Boulan, le frère d’Anne-Maie. Dans l’ensemble, la vie de cette branche semble évoquer ce que décrit Marguerite Yourcenar dans « Archives du Nord ».
 
Citons un épisode assez noir, récemment appris par ce même cousin, d’un drame familial, vers la fin du XIXe.  Un père de quatre enfants décède. Le tribunal nomme un tuteur pour assister la jeune mère, un de ses oncles. Il tombe amoureux de sa nièce, quitte son épouse légitime et se met en ménage avec elle. Quelques années après, il tombe gravement malade, et fait le vœu, s’il guérit, de reprendre une vie régulière. Il guérit, rejoint son épouse… et la nièce se suicide.  .
 
En revanche, du côté Bouasse,  je me suis beaucoup plus investi, et pour plusieurs raisons :
 
- désir de comprendre la psychologie de mon père, pour mieux comprendre la mienne,
- désir de renouer les contacts avec les autres branches, après les brouilles de 1860 (avec les Bouasse-Lebel) et 1939 (avec les Bouasse-Jeune), et de faire la part de la méchanceté des autres branches et des faiblesses de la nôtre, mais aussi de chercher une réconciliation,
- possession d’assez substantielles archives familiales (que j’ai versé récemment aux Archives de Paris, boulevard Sérurier),
- origines mystérieuses de la famille : la courageuse mère de famille, le marquis guillotiné…
- richesse et complexité des personnages,
- affinité personnelle de goûts et de métier avec cette branche d’artistes et de techniciens de l’information.
 
Je n’ai pas été déçu par ces recherches. Il y a là une vaste saga familiale, au fil des générations, que j’ai relatée dans « Deux siècles ». La généalogie apportée par François-Pierre prolonge ce mélodrame permanent dans les siècles précédents, avec l’épisode pittoresque de Catherine de Baillon émigrant au Canada (http://paleographie.free.fr/site_1_12_2004/notices/PDF/6607cb.pdf) , les méfaits de Guy  Le Bouteiller (http://www.montjoye.net/chateau_de_la_roche_guyon). ou  la commanderie templière de Ghistel et, au-delà, les grandes familles seigneuriales de l’Europe occidentale.
 
Sur la personnalité de mon père Jacques Berger, et en particulier sur ses activités sous l’occupation, ce que j’avais écrit dans Deux Siècles a été complété par deux ouvrages parus depuis (« Lutetia » de Pierre Assouline et « Edition, presse et pouvoir en France au XXe siècle » de Jean-Yves Mollier).  Ces dernières parutions, complétant nos souvenirs et notre documentation, permettent de comprendre tout à fait les choix et les rôles qu’il a assumés. Une personnalité complexe dans une situation complexe. Pas de quoi claironner sa fierté car, tout de même, par exemple, il accepte de gérer les Armes de France qui est en fait une entreprise juive spoliée (mais, à lire Mollier, cela pourrait s’interpréter comme une protection des propriétaires). Et des attitudes nettement pétainistes… mais quel bon catholique, à l’époque, ne pensait pas de même, vivement encouragé dans cette voie par un épiscopat qui ne sera sauvé à la Libération que par la volonté réconciliatrice de De Gaulle (dont nos parents ont mis très longtemps avant d’admettre la grandeur). Admirons quand même qu’à quarante ans, sans entrainement particulier, il ait fait régulièrement Paris-Limoges en trois jours à bicyclette, le sac à dos chargé, et sur une « Bastide » qui n’avait pas les équipements Shimano d’aujourd’hui ! 
 
Conclusion : tendresse et complexité
 
A cette phase de mes recherches (de nos recherches, si j’y inclus François-Pierre), mon sentiment dominant n’est pas spécialement la fierté.
 
Il y a certes du plaisir à se connaître tant d’ancêtres. A se dire qu’à tout moment de l’histoire de France, on peut nommer quelques uns de nos aïeux et, pourquoi pas, se demander ce qu’ils faisaient le jour d’Azincourt, de Marignan ou de Waterlo.
 
Il y a quelques personnages franchement admirables, comme le cardinal Mathieu. Je suis particulièrement attaché à François Froullé, ce provincial, très probablement d’origine noble mais ayant dérogé, montant de son alençonnais natal à Paris comme colporteur, y faisant une brillante carrière de libraire éditeur, au point de compter Jefferson parmi ses clients, pour finir guillotiné pour trop de liberté dans ses publications (commentaire de Marie-Thèrèse : il avait perdu sa femme quelques années auparavant ; si elle avait vécu, elle ne l’aurait pas laissé faire des bêtises).

D’autres ne sont guère recommandables, par exemple Guy Le Bouteiller II, qui trahira la ville de Rouen en la faisant tomber aux mains des Anglais, et recevra en récompense le château de La Roche Guyon.

 

D’ailleurs, demande Marithé, « Si vous êtes partis de si haut, comment êtes vous arrivés si bas ? ». Je repère deux causes principales, chez nous comme dans d’autres familles
- des décès prématurés (Marcel Berger l’architecte, Paul Boulan, Alphonse de Baillon)
- des fautes de gestion (René Lefebvre, Jacques-Auguste Lebel).
 
Mais surtout, plus on connait ces personnalités, plus on en découvre la complexité derrière des images simplistes, et plus on s’y attache.
 
Je pense par exemple à Edouard Gandilhon (ce n’est pas un ancêtre, mais presque), que nous ne connaissions que négativement, comme un vieux monsieur grincheux. Le dossier trouvé chez Line montre un héros de la guerre des tranchées. Il n’eut qu’un tort : recevoir une balle dans l’épaule et non pas en plein front, et s’écrouler quinze jours plus tard dans une dépression nerveuse qui ne sera jamais guérie.
 
Je pense à Eulalie Bouasse-Lebel, « figure emblématique » de l’édition religieuse au XIXe siècle et efficace femme d’affaires, mais sale caractère (fille de suicidé, il faut le dire), perdant son mari (on ne sait comment, mais elle y a probablement mis du sien), déshéritant son fils aîné et lui faisant procès, et accablant son cadet de reproches jusqu’à la fin de ses jours !
 
Je pense à Julien Bouasse, sauveur héroïque et un brin masochiste de la maison Bouasse-Jeune, mal marié, tuteur professionnel de son neveu Jacques, mais peu aimé de lui, au point que, quelques jours après sa mort en 1938, Jacques dit avoir eu plus de peine aux obsèques d’un de ses imprimeurs qu’à celles de son oncle.
 
Je pense aussi à la famille Lefebvre. Derrière les glorieuses photographies des huit enfants et des six conjoints autour de No-Maman à Clamart, derrière les si belles histoires racontées par No-Maman dans ses mémoires, relayées par le journal de Juliette Billiet pendant la guerre de 14…
 
Ma pensée va surtout, bien sûr, au couple Jacques Berger/Paule Lefebvre, qui a cumulé un maximum de complexités. Santés fragiles mais finalement d’assez longues vies, sexualités hésitantes mais finalement parents mieux que passables,  un peu artistes, un peu intellectuels, un peu entrepreneurs, peu sûrs d’eux-mêmes et d’autant plus orgueilleux de leur statut social (pour ne pas dire, de leur classe !), généreux mais gestionnaires lucides, admirés par les uns et peu appréciés par d’autres…
 
Mes chers ancêtres, je vous aime bien. Et votre histoire, vos histoires, petites ou grandes, continuent de m’intéresser d’autant plus que je deviens moi aussi un ancêtre, et que je vois s’ouvrir devant mes descendants un avenir aux mille dangers et aux millions d’opportunités. Pour regarder loin devant, il faut planter des jalons derrière, aussi loin et aussi précis que possible. Pour aimer l’avenir des jeunes, je crois bon d’aimer aussi un passé qu’ils partagent avec nous.
 
La généalogie a quand même un danger : elle est une forme de « racisme positif ». Attention, et comme disait ma mère « Ce n’est pas mauvais d’être content de soi, tant qu’on n’est pas mécontent des autres ».
 
Tentons maintenant quelques portraits et quelques "photos de famille". Dessinés avec amour, mais sans complaisance : j'aime mes ancêtres tels qu'ils ont été, pour autant que nous len savons, et non tels qu'ils auraient sans doute (certains, mais tous) souhaité qu'on en garde l'image, passée au pochoir rose et entourés de dentelle blanche comme les images pieuses (version luxe) qui ont fait longtemps la fortune des Bouasse.

 

Anne-Marie Boulan ou la famille imaginaire[PB1] 

Voir dossier séparé

 

 

Les racines lorraines

Pour les Berger à proprement parler, notre généalogie s'arrête assez vite, sur un acte de partage entre le père (Joseph Berger) et les oncles de Marcel. Joseph est le premier dans cette branche dont nous ayions ne photo. Il semble avoir eu une carrière assez mouvementée, entre exploitation agricole, artisanat et petit commerce.

Pour les George (la mère de Marcel), un document généalogique que m'a prêté un Bourceret m'a permis de remonter certains branches jusqu'au début du XVIIIe siècle. Il s'agit pour l'esseniel, de paysans sérieux.
- L'aieul qui fait référence est ... qui a eu treize enfants. (voir généalogie)
- Les fiancés d'Einville (voir notice)
- La puissante personnalité du Cardinal Mathieu. (voir notice).

C'est par cette branche George que nous nous rattachons aux de Raucourt et aux Van Turenhout.

Marcel Berger, l'architecte

 

Marcel Berger, l'architecte, est celui de mes ancêtres que je regrette le plus de ne pas avoir connu. De corps puissant, sportif, il évoque assez le monde des Beaux Arts que décrit Zola dans L'oeuvre. On l'imagine bien, lui aussi, déambulant dans les rues de Paris avec les bandes joyeuses et passionnées des ateliers.

 

S'il monte à Paris, c'est grâce à la volonté de son père, et à l'accord de sa soeur, dont la dot selon la tradition familiale, aurait été pour le moins écornée afin de soutnir le brillant sujet envoyé dans la capitale. Il gardera toujours des liens et de l'attachement pour son village natal de Dombasle-sur-Meurthe. Il sera notamment l'architecte de sa nouvelle église, comme l'atteste une plaque (apposée au fond de l'aile gauche du transept), ainsi que la petite truelle de la pose de la 1ere pierre (actuellement, à ma connaissance, chez Isabelle Berger-Wagon).

 

Marcel Berger, un solide lorrain, né en 1867 à Dombasle-sur-Meurthe. Une jolie vallée lorraine... à l'ombre des énormes machineries des fours à soude Solvay, au bord d'un canal où les péniches ne portaient pas des fleurs, et où bien des champs étaient remplacés par des bassins de décantation. Son père Joseph est un semi-rural, mi-agriculture sinon vigneron, mi-serrurier et autres petits métiers qui fleurissent sur les différents documents qui nous restent de l'époque. Descendant vraisemblablement, comme "tous" les Berger de la région, d'émigrants venus de Souabe en un temps où les persécutions outre-Rhin étaient symétriques des françaises, et où un catholique avait de bonnes raisons de venir chez nous. On n'en sait ni ne devine pas plus.

 

En revanche, en épousant Félicité George, il s'unit à une famille lorraine ancienne. Des agriculteurs, mais de bon niveau, eux aussi grands catholiques. La très vaste tribu se reconnaît comme aïeul XXX George "le saint", qui eut treize enfants, eux même fort prolifiques. Parmi eux, la grande figure du Cardinal Mathieu, une des gloires de l'Eglise à la fin du XIXe siècle, une gloire méritée par son dynamisme et son ouverture.

 

Joseph et Félicité ont deux enfant, Marcel (1867) et Marie. Marcel est brillant, et avec (si j'ai bien compris), Marie renonce à sa dot pour que son frère puisse venir faire des études à Paris.Belle réussite. En 1896, il se met en société (de fait) avec M. Maistrasse, et louent un atelier au rez-de-chaussée du 46 rue du Bac, et il aurait "marqué son temps", dit Bernard Wagon, l'époux d'une de ses arrière-petites filles.

 

Un bon vivant, sportif, voire vulgaire dirait-on aux critères d'aujourd'hui, parce qu'à l'époquue on n'était pas trop regardant à l'époque sur le calembour ou la gaudriole (comme en témoignent par exemple les vieux textes d'histoires et de chansons "pour mariage" qu'on trouve dans les archives Alarcen). Il était à bonne école avec son oncle cardinal. La légende disait que, quand il était reçu dans une fammille bourgeoise et que la maîtresse de maison l'entendait arriver, elle lançait "Le cardinal arrive, Mesdemoiselles, montez dans vos chambres" (Voir notice par ailleurs). Menait-il joyeuse vie avec les petites parisiennes comme pouvait l'y pousser son milieu des Beaux-Arts. Pas sûr. Je parierais qu'il avait une personnalité assez forte pour se conduire sagement tout en restant bon chrétien.

 

Pour se soutenir, il participe à un grand nombre de concours d'architecture, au point que ses médailles, plusieurs dizaines, donneront l'idée à son épouse d'en faire l'ornement d'un meubleà tiroirs pyrogravé, dit dans la famille "le meuble à médailles", pendant longtemps affecté particulièrement à Paule Berger. Les dessins du concours Chenavard ont été accrochés dans la Grande Pièce (me semble-t-il) puis à Castéra.

 

Selon Bernard Wagon, s'il avait vécu plus longtemps, il aurait "marqué son époque". Il s'intéresse au béton armé, en particulier. Il a du succès, des commandes. Essentiellement artiste, dessinateur il s'associe avec un ingénieur pour fonder le cabinet Berger-Maistrasse

 

Professeur de dessin, il doit s'assurer l'affection de ses élèves, puisqu'ils apposent une plaque dans la tombe du Père Lachaise.

 

Il consacre beaucoup de temps à l'aquareelle, qu'il pratique en vacances (Normandie, souvent), mais aussi beaucoup à Paris, le matin en allant au travail, ce qui explique ses lumières matinales sur les bords de Seine... qui n'ont pas tellement changé depuis son époque.

 

Il consacré à la place Stanislas de Nancy un grand dessin quarellé, qui fera l'admiration des garçons Berger, à Clamart (et qui est maintenant chez Jean-Marie). C'est plutôt un travail technique, à la planche à dessin, d'après une gravure.

 

Pourquoi avoir épousé Marie Bouasse ? Quoi de commun enctre ce gros lorrain qui retrouve aux Beaux-Arts les plaisanteries un peu lourdes auxquelles sont oncle, le cardinal Mathieu, l'avait habitué ?

 

Marie, petite dernière d'un famille bourgeoise spécialiste d'art Saint-Sulpice... en fait, elle devait avoir elle aussi un tempérament d'artiste. A la fois très religieuse et bougeoise, elle est aussi non-conventionnelle, comme toute cette branche de notre famille.

 

Les Bouasse, d'ailleurs, ne sont pas une famille de tout repos au moment où ils se connaissent. Marie a perdu son père en 1883 (vérifier). Sa mère et son aînée Julia se sont lancées dans des aventures industrielles et financières qui se sont terminés par une faillite (vérifier) tout en menant un train de vie déraisonnable. En témoigne par exemple un portrait de Marie par un peintre à la mode.

 

Pour autant, ce milieu protège la chasteté des filles, au point que Marie arrive au mariage en n'ayant aucune idée de ce qui l'attend. Le soir des noces, quand Marcel engage des manoeuvres rapprochées, elle est d'abord surprise, puis révoltée.
- "Je vous assure que c'est bien cela qu'on l'on doit faire dans le mariage".
- "Je vous aime et je vous crois, mais je ne peux ps m'y résoudre. Si vous me touchez, je me jette par la fenêtre".
- "Bon, j'attendrai"..
et Jacques ne naquit que plusieurs années plus tard.

 

C'est vraiment le grand amour, la belle vie. Marie participe la vie professionnelle de Marcel et à ses canulars d'artiste. Un soir, il est invité à un grand dîner, vraisemblablement ennuyeux. "Faisons comme si tu étais ma poule". Marie joue le jeu, s'habille de manière provocante, se farde, di des gros mots. Et ils rient sous cape des airs réprobateurs des convives "Il n'aurait pas dû venir avec sa poule !".

 

Ils achètent un terrain à Fontainebleau et y font construire une maison par Marcel, qui dessine aussi certains meubles, comme cette table faite d'un grand cercle de marbre incrusté, posé sur un solide socle de bois, qui sera longtemps à Clamart, à la Grande Pièce. Dans les années 1960, Jacques fera disparaître le pied et accrochera la plaque au mur du salon.

 

Et puis, tout à coup, c'est le drame. Une appendicite, mal diagnostiquée, mal soigne. Marcel décède brusquement. Marie gifle le médecin.

 

Le ménage n'avait pas fait beaucoup d'économies. La famille Bouasse a fait failite, la maison d'édition subsiste, sur un pied relativement modeste, grâce au courage et à la compétence de Julien Bouasse, frère de Marie.

 

Marie doit donc se remarier. Elle a des relations (notamment des familles juives comme les Gould), et ce seraient elles qui auraient mis Marie (pourquoi, d'ailleurs) avec un bel officier d'infanterie, veuf lui aussi, ayant perdu d'un coup son épouse et sa fille, asphyxiées par une fuite de gaz. C'est Edouard Gandilhon. Mariage de raison... Marie aurait dit à son futur "Je vous préférerai toujours mon fils".

 

 

Un message de Virginie Meissonnier en 2011

 

 

Original Message ----- From: virginie Meissonnier To: pierre berger Sent: Wednesday, February 23, 2011 10:06 PM Subject: RE:

 

Sur la famille voilà, je n'ai pas tout lu, trop dense pour ce soir mais je vais m'y remettre aurait effectivement quelques anecdotes piquantes à te communiquer sur l'éducation sexuelle de mes grands-parents  à mes parents ( racontées à de multiples reprises, il doit y avoir prescription ) quelques histoires aussi, vues du 17 bd henri ruel , sur Clamart, comment il nous était présenté: clamart et son " bon air" ( je crois surtout que ça reposait ma mère de confier les grands à sa soeur en qui elle avait grande confiance pour participer à leur educationr) Sur l'intelligence de ta mère, maman m'en a souvent parlé , l'estimant sur douée , et disant que si elle avait pu faire des études, elle aurait fait une grande école. La photo de tante paule , jeune fille , est restée jusqu'à la fin affichée à Fontenay dans la petite chambre. Mais les trous dans la tête faisaient qu'à la fin , elle ne se rappellait plus trop de détails, me renvoyant toujours à tante françoise, qui elle, me disait elle, se rappellait de toPaule et quasiment pas de françoise. Ca m'a fait comprendre pourquoi j'ai été élevée aussi dans le culte des garçons, ma mère n'ayant connu que ça. Elle " avouait" cependant avoir été la chouchoutte de la famille en tant que petite dernière, appuyant toujours sur le fait que tante Françoise n'avait pas été considérée dans la famille.

 

Années 1960 : La rupture culturelle

 

Il me semble (mais chaque génération n’a-t-elle pas la même impression ? ) que la mienne marque la fin d’un cycle culturel. De mes grands-pères jusqu’à mes frères et moi, se marque une garnde stabilité des idées comme des pratiques. Des niveaux sociaux aussi, et en cela c’est sans doute le fait de ma propre famille plutôt qu’à nos différentes générations.

 

Précisons ce sentiment. Mes grands-pères, Marcel Berger et René Lefebvre, réussissent un saut significatif dans l’échelle sociale. Leurs parrents n’étaient déjà plus des paysans au ras de la glèbe, mais ils s’en détachaient encore avec peine, grâce surtout à leur capacités commerciales, leur sens de l’adaptation. Je le sais avec plus de précision pour Joseph Berger que pour les trois autres arrière-grand-pères. Il apporte à son fils un soutien qui va lui permettre de s’élever. Au prix de sacrifices, bien accepté autant qu’on le sache, par sa sœur Marie, qui restera une paysanne (je vais peut-être trop loin) pendant que Marcel, avec l’argent qui aurait pu faire dot à sa sœur, monte à Paris et y réussit brillamment, puisqu’à 40 ans il en sera architecte voyer. (Rappelons qu’il y meurt très jeune, en 1905, d’une appendicite mal diagnostiquée et mal soignée). Bernard Wagon, mari de son arrière-petite-fille Isabelle, commente « S’il avait vécu plus longtemps, il aurait marqué son époque ».

 

Cette ascension sociale se marque par le mariage de Marcel avec Marie Bouasse, une jeune fille de bonne famille parisienne. Bien-pensante. En difficultés certes (voir « Deux siècles d’édition religieuse »), mais encore leader de son secteur (comme on dirait à la fin du vingtième siècle), en l’occurrence l’imagerie religieuse et les objets de piété « Saint Sulpice ».

 

René Lefebvre, lui, a été aidé par un parent, Jules Lefebvre, pour s’élever jusqu’à la carrière d’avocat. Lui aussi séduit une jeune filel de vielle famille valenciennoise, Anne-Marie Boulan. Ici aussi, la famille a rencontré des difficultés mais, au moment du mariage, la situation est florissante grâce au génie entrepreneurial de sa belle-mère, Juliette Billiet, veuve de Paul Boulan.

 

Toute cette génération de nos ancêtres partage donc de solides convictions chrétiennes, catholiques, n’allant pas jusqu’au royalisme, mais très éloignées de la gauche. A cette époque, dans ces milieux, sans trop qu’on le dirse, le souvenir de la Commune de Paris et des ses horreurs reste assez vivant pour souder cette bonne bourgeoisie dans la hantise (j’allais dire la haine, mais ils sont trop bon chrétiens pour laisser de tels sentiments atteindre leur conscience, ni même sans doute, que Freud me pardonne, leur subconscient), des communistes aussi bien sinon plus que des Prussiens.

 

Il font aussi le même type d’études, avec une orientation plus artistique pour Marcel, plus juridique pour René, et relativement peu de sciences. Ils ne sont ni polytechniciens ni normaliens mais conservent tous deux, à l’âge adulte, la fibre intellectuelle, le tempérament chercheur.

 

Et leur fils Jacques, comme nous, ses quatre fils, recevront sensiblement le même type de formation de base. Beaucoup de latin, un peu de grec, une fréquentation des bons auteurs, surtout les grands classiques (Rodrigue, as tu du cœur ?). Un peu moins de latin quand même, puisque René pouvait encore faire des vers latins, à quoi ni Jacques ni ses fils ne sauuraient prétendre.

 

Les livres de cours, en mathématiques et sciences, ne changent pas substantiellement de 1880 à 1950.  Au lycée Saint Louis de Paris, j’ai appris la physique avec des appraeils (notamment une machine de Morin, mais aussi des appareils pédagogiques sur la pression des liquides ou les machines électriques) dont les bois vernis et moulurés comme les attaches de laiton prouvaient qu’ils auraient pu être maniés par Marcel ou René.

y

Quant aux idées philosophiques et religieuses, elles sont celles de l’ensemble de la bourgoisie catholique de l’après-Commune. Avec des variantes, mais peu de goût pour les extrêmes. Un solide attachement aux autorités légitimes, au Pape… à Pétain et une opposition instinctie à cet orgueilleux contestataire appelé De Gaulle.

 

La foi et les convictions sont certes bien plus fortes, plus convaincantes, chez les Lefebvre que chez les Bouasse, plus « inquiètes » (un mot d’Antoine Lefebvre) chez Jacques Berger que chez Paule. Mais la fidélité à l’Eglise tient sans faille pendant un bon siècle.

 

On peut citer quelques moments de grande ferveur fusionnelle. Je pense à l’ordination d’Antoine ou à l’enterrement d’Anne-Marie.

 

L’ordination d’Antoine, à en juger par les discours, exprime l’unanimité d’une grande famille dans l’émerveillement d’être regroupée autour de son prêtre, consacrée toute entière par lui, récompensée par lui d’un siècle de fidélité.

 

Les obsèques d’Anne-Marie à l’église de Bagneux sont significatives. La famille est nombreuse, la messe concélébrée par Antoine et Luc. Le tout d’un recueillement serein. Je me dis « le ciel, ce doit être la même chose de l’autre côté ». Mais, Marie-Thérèse, en cette même occasion se rappelle surtout d’avoir bagarré avec Luc et Antoine, qui ne veulent pas chanter le Magnificat en latin.

 

Cependant, même la génération Jacques-Paule commence à se poser des questions à partir des années 60. Et, sinon dans ses dires, au moins implicitement, exprime des convictions peu compatibles avec une véritable foi catholique.  Jacques Lefebvre cherchant à rejoindre plus vite sa Suzanne décédée, (par d’imprudentes promenades en altitude avec un cœur fragile), et plus homme d’affaires que dévot. On ne sent pas de doute ni d’hésitations chez Luc (voir mon jugement dans le dossier que je lui ai consacré). Je n’ai pas eu connaissance d’évolutions sensibles chez les filles de la famille, où cependant le bon sens nuançait souvent les positions officielles de l’Eglise, mais sans affecter une fidélité profonde. « Je suis papiste », disait Paule.

 

En revanche, Antoine évolue beaucoup. Son parcours sacerdotal est impressionnant de constance de courage et d'ouverture aux temps nouveaux. Il se confie parfois à Marcel et sans doute mille fois à Paule, la sœur, l’amie, la confidente, presque le confesseur à l’occation (mais elle ne nous en a jamais rien dit), de quelques petits côtés de la vie sacerdotale, par exemple le fait de faire célébrer par les jeunes prêtres la grand-messe du dimanche, car cela obligeait, à l’époque, à passer toute la matinée à jeun.

 

Mais surtout, il suit courageusement une marche progressive vers les plus pauvres… et vers la gauche… Ce que nous avons de ses discours témoigne de cette évolution. A la béatitude sans partage, à la fierté catholique et familiale des premiers discours de mariage, se substitue peu à peu une attitude plus critique. Il n’est pas impossible que l’attitude de l’épiscopat sous l’occupation ne l’ait déjà poussé à quelques réflexions. Mais le changement a dû se faire nettement plus tard. Le Prado ? La vie des banlieues ? L’environnement général ?

Ce qu’il dit de la mort, à l’enterrement d’Isabelle (vérifier le prénom) Lefebvre comme dans son entretien sur le rôle d’un aumônier à l’hôpital, semble bien éloingé de l’attitude normale (en tous cas classique) d’un prêtre catholique.

 

Symbole dans la famille d'une foi agissante et courageuse, d'une affection intelligente pour tous ses neveux, il a a souffert ce qu'on souffert les prêtres de sa génération, et le prêtre que j'aurais pu être si j'étais resté à Saint-Sulpice : l'immense déception des espoirs de convergence soulevés par Vatican II et les conséquences qui n'ont pas fini d'en marquer la vie des chrétiens et au premier chef de leurs pasteurs. A quoi croyait-il vraiment à la fin de ses jours ? A l'amour, sûrement, et je pense qu'il aurait aimé que Benoit XVI en fasse un de ses thèmes de prédilection.

 

C'est avec la génération suivante (celle de mes enfants mais déjà un peu celle de mes cousins et cousines les plus jeunes) et l'après mai-68, que la rupture se fait presque générale. Au plan des études, les "mathématiques modernes" remplacent les bons vieux cas d'égalité des triangles, le latin se fait exceptionnel et le grec encore plus. Jusqu'aux années 1970, on pouvait encore lancer une citation latine. Ensuite, les chances de se faire comprendre deviennent trop minces pour ne pas paraître pédantes.

 

Dans les paroisses, la mutation est sensible, comme en témoigne l'amusante mais tout à fait réaliste nouvelle "Quatrième vicaire". Entre les frères Berger, les opinions se partagent, et changent au cours de la vie : rupture franche pour Joël et pour moi, rattachement à des sous-groupes de l'Eglise catholique pour Marcel et Jean-Marie. Mais les quatre frères restent unis par une culture de base sensiblement identique. Chez les Berger comme chez les plus jeunes "Lefebvre", les ménages se recomposent. Et, pour la grande majorité de la génération suivante, la religion appartient au passé. La rupture culturelle est consommée, ce qui n'empêche nullement l'affection, la discussion et la compréhension réciproques.


Je vivrai aussi, sans m’en rendre compte alors, cette rupture à Saint-Sulpice. En apparence, j’y trouve une continuité presque parfaite avec l’Eglise d’avant-guerre (y compris la plaque d’inauguration par le cardinal Verdier sur le bâtiment de Philosophie). En fait, un œil plus mûr que le mien aurait bien senti le clivage entre les traditionalistes (Père Harang) et les progressistes (père Boucher), comme entre les séminaristes. Mais cela fonctionnait encore. Quant aux résultats… on m’a dit que 100% des séminaristes de mon année avaient quitté le sacerdoce plus ou moins tôt.

 


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