1948-1953. La Pierre-qui-vire

Je n'ai pas encore dix ans quand mes parents m'annoncent, un peu avant Pâques, que je vais aller en pension et non pas terminer ma scolarité chez les sœurs Roullier (deux demoiselles qui, typiques de leur génération, n'avaient pas trouvé mari après la guerre de 1914 ; de petites classes, sérieuses mais quasi-familiales, et proches de la maison). Je n'en suis pas tellement attristé : partir à la Pierre-qui-Vire, c'est rejoindre mon grand frère Jean-Marie, qui ne s'en plaint pas. Et je pouvais espérer la protection de l'oncle Luc.

 

Le monastère

Un espace consacré

Quand on arrive à la Pierre-qui-Vire à la fin des années 40, où les destructions de la guerre justifient encore le gazogène pour le camion qui vous amène de la gare d'Avallon, après quelques heures de train, rapide jusqu'à LaRoche-Migennes, tortillard après, avec trente kilomètres de petites routes qui serpentent dans le bocage morvandiau, puis dans la forêt... on se croit aux antipodes de toute civilisation, au pur royaume d'une puissante communauté monastique.

Cela tient pour une part au site, particulièrement bien choisi pour un monastère, surtout cistercien. Le père Muard, fondateur, l'aurait demandé en raison de son caractère malsain. Au bord d'un plateau assez vaste et assez plat, le Trinquelin a creusé une sorte de cirque, dans lequel s'avance un éperon rocheux sur lequel est construit le monastère. Dès qu'on s'éloigne assez, notamment vers l'arrière du monastère, vers la ferme, cela devient beaucoup plus banal. En revanche, on garde des impressions très montagnardes soit en descendant le torrent vers le village de Trinquelin et la Cure, soit en allant vers Saint-Léger-Vauban, on passe à "La Borne" avec une profonde descente vers Saint-Andeux.

L’espace est marqué par les vastes et solennels bâtiments, cernés de toutes parts, et de plus près alors qu’aujourd’hui, par la forêt.

La disposition même de l’église abbatiale, telle que l’ont conçue ses architectes et qu’elle estt encore en 1950, exprime fortement la séparation de la communauté monacale par rapport à l’espace, accessoire en quelque sorte, des fidèles non religieux. Espace, bien entendu, situé plus bas.

 

Le choeur

De là, la volée de grandes marches qui montent vers le transept (la partie centrale du déroulement de la liturgie) est encadrée par deux petits escaliers qui s’enfoncent en tournant vers les cryptes, vers le mystère sépulcral de leurs reliques. Pas de communion des vivants sans rappel des trépassés. Aux principales heures, toute la communauté défile en silence et rejoint les stalles étagées du choeur des moines.

Tout autour des bâtiments de granit rose, le parc fermé (la « clôture ») monastique, puissamment marqué par la topographie du site choisi à la fondation. Le monastère, du haut d’un escarpement, domine une petite vallée presque fermée ou passe un torrent, le Trinquelin, et son permanent bruit de fond. Autour, le vert sombre des sapins et des grands feuillus traditionnels, chênes et hêtres.

C’est vraiment une « clôture » dans l’espace, religieusement marquée par le cimetière, les grandes stations en granit du chemin de croix et, pour la procession de la Fête-Dieu, les tapis de sciure colorée où passera le Saint Sacrement.

Tout proche, le dolmen de la « pierre qui vire », ou plutôt qui « virait », car ses mouvements suspects de paganisme ont été bloqués d’un peu de ciment et couronnés d’une grande statue de Notre-Dame.

Une temporalité liturgique

Formidable machine humaine qu'un monastère, avec ses mouvements réglés par un saint accord des rythmes de la nature avec ceux de la liturgie, avec des travaux qui ne sont eux-mêmes qu'une forme de prière, un espace d'activité entre deux "heures", mot qui ici signifie lui-même prière (prime, tierce, none, vêpres, complies, matines...).

Le temps est scandé dès 6 heures du matin et jusqu’à 9h du soir par les cloches, petites ou grosses. La messe quotidienne du matin.

Et ce cycle quotidien s’insère dans le cycle annuel des saisons et des temps liturgiques. L'Avent accompagne la descente vers la lumière cachée de Noël et du solstice d'hiver. Le carême, au long de ces interminables mois de l'hiver et du premier printemps, monte doucement, puis de plus en plus durement vers Pâques. Majestueux spectacle total, convergence des coeurs et des corps, vers la printanière nuit pascale.

Alors, après les duretés naturelles du froid et des courtes journées, après les duretés choisies du jeûne, après la terrible quinzaine de la Passion, où même les cloches ont cessé de batte, remplacées par l'aigre raclement de la crécelle, après les noires cérémonies des Ténèbres où, dans la chapelle  sans lumières, les mains frappent sur les bancs pour évoquer le tremblement de terre à la mort de Jésus...

Et l’on arrive à la veillée pascale, lancée par la réforme liturgique vers 1950. Jusque là, on disait la messe du samedi saint le matin, avec un petit foyer apporté dans le chœur pour présenter le feu.  Avec la nouvelle liturgie, l’assemblée se groupe devant l’église, on allume un vrai feu de camp, et de là le gros cierge pascal. Alors on entre dans la nuit de l’église éteinte, tous allument leur bougie et s'élève la voix pure d'un jeune diacre entonnant l'Exultet. https://www.youtube.com/watch?v=-6ckA6RA94o (pas tellement bien chanté dabs cette vidéo. En général, ce chant est aujourd’hui remplacé par des versions françaises ; il faut dire que le texte latin est trop long et monotone, une fois lancé de l’ouverture).

 Et le coeur sait, et le corps sait que demain, dimanche de Pâques, il y aura du vin et du gâteau sur la table du réfectoire.

Aux plus grandes fêtes, la messe est "pontificale", et le père Abbé quitte sa stalle pour prendre place sur le trône épiscopal, entouré du diacre, du sous-diacre et du prêtre assistant. Et toujours les libres, priantes et inspirées du grégorien, quelquefois remplacées ou soutenues par un petit orgue de choeur. Encens balancé par le thuriféraire, mouvements autour de l'autel, déroulement de cet extraordinaire spectacle total qu'est une grand-messe, depuis les humbles invocations du confiteor, l'appel au secours du kyrie, la célébration du Gloria, l'acte de foi du Credo, puis l'offrande, puis la concentration croissante vers la consécration et l'élévation, têtes baissées.

Puis la participation au mystère, matérialisée par la communion, et le retour à la sérénité, au calme, jusqu'à l'envoi final. Ite, missa est. A-t-on jamais fait mieux, même le GesamtKunst (art total) wagnérien, que cette célébration qui n'est ici que le sommet d'un immense et permanent iceberg de silence partagé ?

La classe du Père Maur, monastère en réduction

La classe de cinquième est dirigée par le père Maur comme une sorte de petit monastère à elle toute seule. Avec des méthodes à la fois archaïques et, d'un certain point de vue, très modernes.

Lever 6h en semaine. 7 h le dimanche (je crois), avec la cloche de l'Eglise qui donne le signal. La journée commende avec la messe, dans une chapelle qui nous est réservée. Copiant le modèle (on dirait aujourd'hui la scénographie) du choeur de l'église monastique, il célèbre la messe face aux enfants et a installé, au fond, un petit trône pontifical. On y joue son rôle à proportion des résultats scolaires et des notes de conduite. Le meilleur joue le rôle du Père Abbé, les seconds l'entourent. Il y a donc une réelle participation à la liturgie, très en avance pour l'époque.

On dit l'office du jour, avec des variations si les fêtes sont de 1e classe, 2e classe. Le jeu des oraisons, etc. Le père Maure offre ainsi toute une initiation active à la liturgie, mais une liturgie arrangée un peu à sa façon.

Le dimanche, messe conventuelle en milieu de matinée. Avec une participation plus ou moins importante aux rôles de la messe pontificale : céroféraire, thuriféraire et porte livre, et porte cierge pour la messe pontificale. Et pour ne pas perdre les deux grands moments de la vie liturgique, l’école exigeait (malgré le désir de la majorité des parents) que les vacances de Noël et de Pâques ne commencent qu’au matin de ces fêtes. 

Le réfectoire est une grande pièce carrée, avec un pilier au milieu et quatre table. La table principale est présidée par le père Grégoire, durant tout le temps de mon séjour. Dans le coin à droite, la chaire du lecteur.

Les repas se prennent en silence. On lit un petit passage d'évangile au début (il me semble) ou on change un bénédicité. Puis un élève, du haut d’une petite tribune, fait la lecture. Je me rappelle de Biggles, du Bossu de Paul Féval, de Treize à la Douzaine de Gilbreth, d’Ibn Saoud.. On lit recto-tono. A la fin, lecture du martyrologe.

La classe elle-même (en tous cas les dernières années) a aussi une structure hiérarchisée. Au fil des mois, les compositions (les contrôles, dirait-on aujourd'hui) permettent d'acquérir successivement des grades universitaires : bachelier, licencié, agrégé, docteur... et chaque grade a de petits avantages, par exemple double ration de chocolat au goûter. Vers Pâques, un concours entre les docteurs désigne l'académicien (ce fut moi quand j'ai redoublé ma cinquième), qui a droit à un bureau surélevé et encore plus de petits privilèges.

Vers 1995, j'écris : "Comment oublier cela, comment ne pas le regretter en quelque manière, cinquante ans plus tard, quand on a renoncé même aux consolations de la transcendance. Personnellement, j’ai aujourd’hui radicalement quitté l’Eglise et tout cet environnement. Les dispositions traditionnelles avaient au moins l’avantage de la logique et de la grandeur (mais pas sur tous les points, comme je l’ai indiqué pour la messe du samedi saint). S’il y a quelque chose que je regrette (en 2021 encore) c’est la liturgie !

L’école

Sur le moment, je n’ai sans doute pas apprécié tout cela autant que dans mon souvenir d’aujourd’hui. Pour un jeune, tout cela était long et ennuyeux, bien que l’encadrement du collège ait fait quelques efforts. Par exemple le père Maur, en organisant pour ses sixièmes, puis ses cinquièmes, une liturgie qui faisait participer tout le monde. L’école était un vivier d’enfants de cœur, pour les messes répétitives de la semaine (l’Eglise interdisait à l’époque la concélébration) et pour les équipages plus sophistiqués des dimanches et surtout des grandes fêtes avec leurs messes pontificales. Hélas pour moi, ma distraction me rendait peu apte à ces prestations, et les vivais dans la crainte constante de l’oubli ou de l’erreur. Même par la suite, après des années d’animation en paroisse (de 1975 à 1992), mon plaisir et ma fierté de diriger les chants ont toujours été gênés par la crainte de l’erreur ou de l’étourderie.

Je ne suis certes pas insensible aux beautés de la machinerie liturgique (pardonnez mon irrespect). J'aime assez les cérémonies, malgré leur longueur. Jusqu'à quatre heures pour la consécration épiscopale du père abbé Placide de Roton. Il faut dire que la liturgie de cette époque a une grandeur baroque qui entretient l'attention, et que les moines chantent un beau grégorien. (Sur ce point, je comprends les traditionalistes, qui ont stigmatisé l'austère monotonie de la liturgie post conciliaire et de ses cantiques. Une vieille affaire, depuis la Réforme déjà...).

De plus, le père Maur et les autres professeurs, intelligents, nous font parfois sortir brièvement en cours de route, et nous encouragent même à emporter un peu de lecture. En revanche, ma distraction naturelle me fait redouter d'être choisi comme céroféraire (porte cierge), car j'oublie régulièrement de me lever ou de m'agenouiller au bon moment.

L'école  comporte une grande salle de récréation au rez-de-chaussée, où chacun a son casier individuel pour quelques vêtements, les chaussures, quelques gâteries envoyées par les parents.

La grande porte d'entrée (rarement utilisée par les élèves).

Une salle de classe. Ce bâtiment a été construit juste avant la guerre, certainement avec un budget substantiel, car les vitrages, en particulier, étaient de grandes baies, largement ouvertes sur la vallée. Probablement avec l’apport du père Prieur, ancien vice-président de la Confédération helvétique.

Au bord de la piscine. Bain surveillé par le père Edmond. Noter le peu de précautions sécuritaire à l'époque. Le père n'est pas en maillot de bains. Je doute qu'il ait un BNS (brevet de nageur-sauveteur). En outre, la piscine est un réservoir de retenue pour la petite centrale électrique. Il y a donc au fond une prise d'eau qui pourrait être dangereuse pour un nageur imprudent.

La messe du matin à toutes les petites chapelles. Hypoglycémie
recrutement pour le monastère : oui, mais pas de pression
corps enseignant pas diplômé, un peu au petit bonheur


père Ephrem, qui avait beaucoup voyagé ; mais caractère ombrageux. Obic

Travaux manuels tous les après-midis, 3/4 d'heure. Chorale, peinture avec le père Luc (élève de Maurice Denis, qui nous initie surtout à l'aquarelle, mais aussi à l'arabesque. Je cherche à dessiner le tympan de Vézelay en le réduisant en ligne simples sur du papier quadrillé. Paresse, ou inventivité, intuition du cubisme ou de la digitalisation ?).

L'école a été fermée dans les années 1960 Une raison probable : l'impossibilité pour le monastère de se conformer aux normes de plus en plus exigeantes pour les établissements d'édu ation, que ce soit pour les sanitaires ou la formation des professeurs. Pendant longtemps, on se débrouillait avec les compétences disponibles parmi les moines. Luc raconte notamment qu'on lui a demandé d'enseigner l'anglais, où il était pratiquement nul.
On a parlé aussi d'une évolution fâcheuse vers l'extrême droite et le "sang bleu".

A Frédéric Mittererand, alors ministre de la Culture, qui rend visite à l’abbaye, le père abbé lui dira : « Nous avions cent adolescents  et cent moines dans un milieu isolé. Ce n’est bon pour personne ».

Scène du film avec danse du ventre
dessins animés ; une très petite collection (Popeye, Mickey  ou Laurel et Hardy) que nous redemandions toujours)
initiation sexuelle

Peu de moyens de bricolage créatif. Coupe papier. Trucs en papier genre hydravion

L'enseignement de l'école est peu technologique bien que, fait rare je crois à l'époque, ne séance quotidiennes (45 minutes) soit consacrée aux "activités" : chorale, peinture ave cle Père Luc, un élève de Maurice Denis, qui me fait découvrir l'aquarelle, essentiellement en copiant ses oeuvre, mais aussi le décoratif (arabesque). Pas très créatif, mais gentil.

Quelquefois des sorties plus loin. Chateau d'Is sur Tille. Pontigny. Etants pour faire notamment du Canoé. Nous y allons tous montés sur une grande remorque tirée par le tracteur de la ferme.

Chacun a son casier dans la salle de récréation. Un placard vertical genre vestiaire, ou mettait aussi une boite avec de petites réserves alimentaires. Un autre volume en bas pour les chaussures.

Coucher dans un très grand dortoir sous les combles (pour les petites classes, à l'étage en dessous pour les grandes classes). 35 élèves sur deux rangs, lavabos avec petits robinets, eau froide uniquement.

Noter à l'extrémité de la piscine, le plongeoir (2m et 4m). Un frère âgé y venait quotidiennement, même par temps frais, faire son plongeon et se rhabiller ensuite

Pour le 2 février, tous les ans, "fête de l'école", théâtre. On installe une scène sur tréteaux en bout de la salle de récréation et l’on dispose des bancs, pour les élèves qui ne jouent pas et pour les moines à qui cela fait une petite distraction.

Et les élèves jouent le rôle de moines, notamment Père Abbé.

1949-50 Légion de Marie. Structure très simple, adaptée à mon âge (11-12 ans). Mais système de planification/évaluation/motivation bien construit.

//Il faisait froid en hiver, et pourtant je me souvenais plutôt d'avoir eu trop chaud, du Père Grégoire disant "Il ne faut pas dire tout le temps ;.. Il fait chaud".
Une vie très régulière, très organisée, hiérarchique. Le chef de classe.
avec l'exception annuelle, le 2 février, de la Fête de l'école avec renversement des rôles
Activités manuelles tous les après-midi

Le Père Grégoire a été débarqué assez brutalement quelques années après mon départ et envoyé à Saint-Benoit sur Loire. Soupçon de pédophilie ? Limite d'âge

 

 

Moi, dans cet univers

Je rentre à 9 ans . Pâques sans doute, encours d'année. Pour soulager Mamie. Il y avait urgence ?
Une première phase à deux, 7eme, avec le Père Grégoire, puis assimilé à la 6e avec le père Maur, avec lequel je ferai trois ans. Une sixième et deux cinquièmes (je redouble sur l'insistance de mamie),
il fait le latin et le français

En 7e, nous sommes deux avec Jacques Olagne (?) dans une sorte de classe de 7e improvisée, avec le père Grégoire qui s'occupait de nous, mais avait peu de temps, étant directeur de l’école. Aberrant. Pourquoi avait-il accepté ? Sans doute pour rendre service à mes parents.

Assez vite, cette petite classe est rapatriée sur la 6e du Père Maur. Un gros saut de niveau, mais pour peu de temps. La alors c'était plutôt dur; enfants plus grands, mais relativement immature.
La classe est au bout de "la baraque", bâtiment de bois récupéré après la Libération.

Toute de même assez vite ont venir les grandes vacances.

puis 4eme avec le père Maïeul (de Dreuille), qui fait les maths, formation à la démonstration
prof d'histoire : le rouquin
frère Edmond

puis la troisième. Jacques Olagne chef de classe . Pajot (? )
(revoir dans l'annuaire des anciens élèves, si je ne l'ai pas jeté)
le père Jean... prof de français, lit textes de Marine (Paul Chack, je pense)
père Anselme en anglais

 

Mes idées

Intellectuellement, je n'ai pas de problèmes. J'arrive à suivre... même si, faute d'une classe de septième, on m'a fait directement passer en sixième, me donnant deux ans d'avance sur les habitudes de l'époque. C'est sur demande expresse de ma mère, inquiète de mon manque de maturité, qu'on me fera redoubler la cinquième. Je n'aurai donc pas grand mal à tenir les premiers rangs... pourtant le niveau n'est pas mauvais, et je tiendrai mon rang sans trop d'effort presque jusqu'au bac (nous en reparlerons).

J’ai très tôt l’esprit curieux et critique, ce qui me pousse à poser des questions pas toujours bien appréciées.  Je me rappelle d’une au château de Til, à propos des prisonniers en basse fosse… je n’ai pas eu de réponse.

Cela me restera toujours.  Par exemple en vacances dans une propriété dont le service est assuré par un ménage toute l’année, alors que les propriétaires parisiens n’y viennent qu’à l’époque des vacances : « Que faites-vous en hiver ? ». On sous-entend que j’ai voulu dire « vous n’avez rien à faire.. ».  Je comprendrai plus tard qu’ils ont leur propre maison avec son potager, et ont donc de quoi s’occuper.

Mais cette forme d’esprit conviendra tout à fait par la suite, dans ma carrière de journaliste. Je n’étais jamais le dernier à poser des questions, et pas toujours celle qui plaisaient au service de pressse !

En revanche, j’ai une tendance à ne pas aller au fond des choses, à profiter de mon aisance relative pour laisser mon cerveau baguenauder à sa guise.

les 7 dons du St Esprit

A cette époque, pas de doutes sur la religion dont je me souvienne

Un petit souvenir : on ne fait pas de communion solennelle au collège (elle n'a pas de base historique solide), en revanche la confirmation prend toute son importance, et l'on profite d'un passage de l'évêque pour la conférer. Nous y sommes préparés spirituellement et intellectuellement par des pères dont la culture biblique va bien au-delà du catéchisme des paroisses. Au cours de la cérémonie, quand monseigneur fait le tour des confirmants pour tester leurs connaissances, il me pose la question de base : "Combien y a-t-il de dons du Saint-Esprit". Je lui réponds, à sa grande surprise, répétant le cours : "Dans Isaïe, il n'y en a que six, mais l'Eglise en a ajouté un septième". Il paraît que tout le monastère en a fait des gorges chaudes. Ce fut peut-être aussi, pour moi, l'amorce d'un sens critique à l'égard de n'importe quel dogme !

 




Mes bricolages

Ma psychologie



Je ne comprendrai que des années plus tard, au cours d'un déjeuner à Dalibray, à quel point cette décision était lourde, sinon choquante. Pourquoi cet exil, cruel, et en cours d'année ? Ma mère était fatiguée, principalement par Joël dont la santé n'était pas facile, sans compter "la vielle Armande" qui devenait plus encombrante qu'utile, et ma grand-mère Gandilhon, montée de Paris dans la maison voisine. D'ailleurs, à l'époque, la pension ne semblait pas aussi monstrueuse qu'aujourd'hui.

Commentaires de Marcel et Odile (novembre 2010) :
- Jean-Marie s'y plaisait bien
- peut-être une idée de No-Maman, pour qui la pension était une solution normale quand il y a avait un problème avec les enfants.

Commentaire de Joël : "J’ai vécu ces épisodes, souvent de loin, mais ils impactaient mon paysage émotionnel. Les départs à la Pierre qui vire n’étaient pas joyeux. "

Dur dur, quand même. Un climat froid, mais à l'époque je n'y suis pas sensible, ou pas consciemment. Une nourriture sobre, c'est le moins qu'on puisse dire, surtout les premières années, où les restrictions de l'après-guerre sont encore sensibles. Des moines au costume sévère certes, mais comme on l'a dit les bénédictins ont les manches larges, à la différence des jésuites. Ils sont souvent gais, et donnent le plus souvent l'impression d'une communauté sereine et affectueuse. Toute tendue vers Dieu, mais pas insensible à la caresse d'un rayon de soleil, à la saveur d'une fraise des bois. Mais un moine n'est pas une maman, un condisciple n'est pas un frère et encore moins une sœur ! Jean-Marie fera son possible, mais il ne pouvait pas beaucoup. Et l'oncle Luc n'a jamais semblé se soucier de moi.

Et certes pas de femmes, à l’exception des deux demoiselles, d’âge largement canonique, qui tiennent la petite « hôtellerie », hors les murs de la clôture, et sans lien avec l'école. Il n'y a de lien avec la famille que les lettres hebdomadaires (qui sont lues par le directeur avant envoi). Pas question de téléphoner, à cette époque. Et, incroyable peut-être pour les plus jeunes qui liront, Internet n'existait pas encore, même pas en rêve. Parfois, au milieu d'un trimestre, une visite des parents... qui change un peu de l'ordinaire mais fait couleur les larmes quand ils s'en vont.

Psychologiquement, c'est une autre affaire. Vivant très largement en solitaire à Clamart, je ne suis absolument pas préparé aux dures réalités sociales d'un pensionnat. Les autres me paraissent méchants. Je me défends d'autant plus mal que je suis nettement plus jeune, que je n'aime pas me battre, et que, d'une certaine manière, j'ai une sorte de conscience morale au dessus de mon âge.

Puis grande récréation avec jeux collectifs (je n'aime pas).

 

Il y a tout un côté masochiste dans l’histoire et la mentalité du monastère à l’époque qu’elle me marque, trouvant sans doute chez moi un côté favorable.


Ma personnalité : déjà un peu décalé, en partie en raison de mon avance en âge. Mais aussi par l'attrait de recherches personnelles. Envie de se singulariser. Difficulté à me situer par rapport aux autres. Efforts du Père Grégoire.

 

Ni mes bons résultats scolaires, ni mes cours de morale n'avaient de chance de me faciliter la vie en récréation ! De toutes façons, je déteste jouer (cela n'a guère changé depuis) et la vraie corvée quotidienne, c'est la partie de balle au camp après le déjeuner ou les batailles de foulards. Pire, le foot ! En revanche, un certain nombre de "grands jeux" à la scoute, parfois dans des rochers vaguement aménagés dominant le Trinquelin ont leurs charmes. On s'y bat à l'élastique : des rondelles découpées dans des pneus de camion, que l'on peut tirer à quatre ou cinq mètrse et sans aucun danger.

Je perçois les autres enfants comme méchants
mais je devais être emmerdant, leur faire la morale
sommet de ce point de vue en cours de 3e
le père Maur nous donne la discipline

Le père Grégoire a certainement de l'affection pour moi
L'arrivée à la PQV fut certainement un choc très rude, ien que pas tellement ressenti comme tel au départ. Syndrome de Stockholm ?

 

Pour des vacances d''été, le père Grégoire à Mamie : il faut qu'il finisse quelque chose. Je ferai une sorte de carriole à partir de la vieille poussette.

Distraction. J'aime assez les cérémonies, malgré leur longueur. D'autant que (surtout vers la fin, il me semble, et surtout pour les longues cérémonies "pontificales) on nous encourage à emmener un peu d lecture.

En revanche, ma distraction naturelle me fait craindre d'être choisi comme céroféraire (porte bougie), car j'oublie régulièrement de me lever ou de m'agenouiller au bon moment

Machines : bricolage et imaginaire

Il n'y a pas que la liturgie et la classe. Mon intérêt pour les machines se développe, malgré mon peu d'adresse manuelle et mon manque de persévérance dans certains projets. Je regrette la rareté de l'outillage disponible aux élèves, loin des facilités de l'atelier de mes parents à Clamart, où l’on m’a offert un petit établi, et où je peux même disposer d’une perceuse, outil encore rare à l’époque.

Je lis et relis un vieux livre illustré de la bibliothèque des troisièmes, qui énumère une série de solutions plus ingénieuses les unes que les autres pour faire fonctionner régulièrement une lampe à arc. Les bons pères auraient quand même pu trouver mieux, ne serait-ce qu’un abonnement à Science et Vie.

Mes créations restent parfois dans l’imaginaire pur. Par exemple, comme la toilette m'a toujours fort ennuyé, j'imagine une sorte de cuve qui ferait le travail sans que j'aie besoin de m'en occuper, grâce à un tourbillon de savon et de poudre abrasive. J

Ou bien, pour suppléer à mon manque de muscle, je pense à des moyens de me renforcer. Pas encore l’exosquelette, quand même.

Dès que nous avons "étude libre" (nous devons rester en étude mais nous pouvons faire ce que bon nous semble), je dessine et fais des maquettes en papier de diverses machines imaginaires, par exemple une sorte d’hydravion.

Je monte aussi un petit jardin sur le bord de la cour de récréation. Résultats des plus médiocres dans ce sable granitique que j'engraisse comme je peux avec du fumier de poule pris sous le grillage du poulailler de l'hôtellerie. Mes radis ne sont que de petits filaments rouges. Honneur à mes camarades : ils n'ont jamais démoli mon jardin.

Mais ma plus jolie réalisation, c’est mon petit moulin. A quelque 200 mètres de la cour de récréation, facilement accessible car rien n'est fermé, un très petit ruisseau. Je fais un tout petit barrage et parviens à y installer une roue à aubes, certes simpliste.  Mais elle tourne, ô Galilée ! Et j'aime entendre son petit bruit régulier, à distance, quand je reviens. (Cela ne dure pas longtemps, quand même, car le ruisseau fait limite de propriété et mes travaux se sont enhardis jusqu'à le détourner de son parcours cadastral).

 

Une minimale turbine. Quatre petites pales et deux clous comme axes... mais j'ai bien peu de moyens pour bricoler. L'essentiel est là : elle tourne très bien avec le petit filet d'eau que je peux lui envoyer.

Rien en « technologies de l’information », sinon de petits essais de fichiers et de radio à galène.

Mais une belle machine, pour moi, dès cette époque, c'est une machine qui tourner toute seule. Mon robot Max et mon logiciel Roxame, des décennies plus tard, prolongeront mes premiers bonheurs avec un petit moulin sur le filet d'eau qui descend dans la forêt.

Cette passion pour les machines ne reste pas inaperçue du Père Grégoire qui, en fin de cinquième me dédicace ainsi un livre de prix : "Rappelez-vous, Pierre, que la plus belle machine à inventer est celle qui rend les hommes heureux". En 2021, c’est toujours au cœur de mes activités.

Réflexions plus distanciées

Par la suite, au fil des ans, ma réflexion sur cet environnement deviendra mieux informé, et plus critique, bien entendu, sans faire oublier toute cette grandeur.

Le monastère

Pauvreté ? Oui sous certains aspects (nourriture, vêtement), non sous d'autres (locaux grandioses au milieu de vastes domaines, grande bibliothèque, petit nombre d'heures de travail), et donc nécessité, autour du monastère, d'un réseau de soutiens économiques sinon de propriétés gérées en bons capitalistes. Et sans avoir à supporter les charges économiques et les fatigues de parents.

Chasteté ? J'étais trop jeune pour me poser la question. En tous cas, il y avait globalement une certaine joie de vivre qui aurait été impossible, je pense, si les moines avaient été quotidiennement torturés par le désir de sexe. Il y avait certainement une part de masochisme organisé, avec les séances (hebdomadaires je crois) de "discipline", où chaque moine se fouettait dans sa cellule, fenêtre ouverte, et tous chantant ensemble le miserere.

Obéissance ? Comment des hommes, des adultes, pouvaient-ils accepter de se mettre à genoux devant le père abbé pour obtenir un timbre et écrire à leurs parents ? On nous présentait la vie religieuse comme une forme supérieure de vie chrétienne. J'y vois plutôt le choix de l'irresponsabilité. Mais un bon Père Abbé savait déléguer. Et la pratique du "chapitre" était aussi une forme de démocratie et de responsabilité collective.

On trouve une histoire détaillée des origines de la Pierre-qui-Vire dans Le temps des moines.

Par la suite, je le verrai à une visite des anciens, l’église a été réaménagée. des planchers (dans les années 60-70, je crois), mettra tout le monde sur le même plan. L’esprit démocratique se traduit dans le nouvel espace comme dans le costume des moines, qui viennent aux offices (pendant les jours de semaine en tous cas) dans leur tenue de travail, bleu de chauffe le cas échéant. Il se traduit aussi par le choix du français comme langue liturgique. On comprend la nostalgie de ceux qui regrettent la grandeur archaïque des coules (cette grande cape blanche monacale), du latin…

Il y a deux sortes de moines : les pères, ordonnés prêtres à la fin de leur noviciat, et les frères « convers », qui sont en quelque sorte les domestiques.

L’abbé, élu à vie, a droit à une obéissance fondamentale et à des signes de respect impressionnants. J’ai vu un frère convers se mettre à genoux devant le père abbé pour lui demander des timbres afin d’écrire à sa famille.

Il y a cependant une forme de démocratie au « chapitre », que j’ai mal connue.

Il y a eu une grosse évolution quand le Père Denis est devenu père Abbé, avec changement de tenue des moines, aménagements différents de l'Eglise, etc.

A mon arrivée, les activités d’hôtellerie sont pratiquement inexistantes. Il y a quelques chambres dans un petit bâtiment annexe tenu par les deux demoiselles Sauter. Essentiellement, il me semble, pour accueillir des visiteurs venant rendre visite à des moines de leur famille. Cela changera considérablement par la suite, l’hôtellerie devenant une des activités importantes du monastère, y compris pour les revenus qu’elle procure.

On peut considérer l’ensemble du « dispositif » (pour parler comme Deleuze) comme une puissante mécanique, poussant très loin le ritualisme et la précision des paroles et des gestes (position des doigts du célébrant au moment de la consécration), dont d’ailleurs  un minimum est nécessaire pour que le sacrement soit valide.

(Un sacrement est « valide » s’il opère ce qu’il est censé faire. Notamment la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et le pardon des péchés dans la confession. Par exemple, l’hostie doit être de pain de blé. On n’autorisera pas l’Asie à utiliser le riz.
Mais si ces règles de base sont appliquées, les effets en découlent « ex opere operato ». On a vu un prêtre consacrer le pain de toute une boulangerie, et le séminaire voisin est venu emporter tout le pain pour le manger respectueusement.

Autour de ce minimum, il y a des pratiques licites. Le célébrant qui ne les respecte pas est coupable, mais le sacrement s’accomplit quand même.

Des précurseurs d’Iso 9000…

Les bénédictins ont une culture surtout littéraire, comme le clergé en général. Mais il y a souvent des vocations tardives qui y apportent leur culture d’ingénieur.

La sensibilité politique

Pendant la guerre, le monastère, comme toutes les organisations françaises, a été plus ou moins collaborateur, quitte à « résister » quand cela était possible sans trop de risques.

Politiquement, à l'époque où j'y étais, le monastère était globalement assez à droite. Un peu collabo pendant la guerre (dit Maurice, le camion du monastère a servi à emmener les travailleurs du STO). Lectures de Benoist-Méchin (Ibn Saoud) au réfectoire. Chants à Jeanne d'Arc, voire paramilitaires (gentiment).

 

Idéologie plutôt traditionaliste.
Le père Fulbert Gloriès, puis Placide de Roton, puis Régis (?)
Prieur : VP de la confédération helvétique


 


tradition : Bao Dai, le prieur ex président CH, nobles (tournera mal pour l'école)

 

Les technologies


les super-tanks du père Angelico

Machines ? Bien peu encore. Une petite centrale électrique au fond du vallon, est alimentée par un réservoir disgrâcieux qui sert de piscine (froide comme l'eau du torrent). Le central téléphonique ne dessert que deux postes. Un peu plus remarquable pour un enfant habitué à un domicile familial, particulier, la grosse chaudière à air chaud pour la chapelle, qui laisse dégouliner ses cendres vers les dalles en béton recouvrant les fosses d'aisance. Même les moines

Et plus la grande cuisine de collectivité, Un atelier de menuiserie aussi, avec sa scie à ruban, sa dégauchisseuse, sa toupie (attention, n'y laissez pas traîner un doigt).

Une toute petite imprimerie, avec un plus gros atelier de reliure.

A mon époque, travaux pour le tennis. On fait sauter les rochers à la dynamite.

Tout va à changer pendant ces années. Indispensable de toutes façons pour le moral. Un monastère, comme tout organisme vivant, doit construire, se reconstruire en permanence. Des mines qui font sauter la roche. Bulldozers et pelleteuses construisent la nouvelle hôtellerie (béton, mais aussi beaucoup de granit rose). Puis un local en parpaings pour une vraie imprimerie qui produira les éditions du Zodiaque (une meilleure affaire, celle-là, heureusement). 

Le mastic du frère vitrier

Un piano mécanique à l'école, l'orgue de la chapelle (le genre de bizarrerie qui arrive dans les monastères au caprice des donateurs et peut-être des nouveaux entrants)

A la ferme arrive, avec le plan Marshall (je crois), un joli petit tracteur Ford
Il y a aussi, déjà fascinante pour un fils d'éditeur en particulier, un petite imprimerie avec sa presse (lente et simpliste), ses casses, ses tubes et flacons d'encre, son atelier de reliure (le plus important)
Atelier de menuiserie, dégauchisseuse. Dangereux. Scierie, stocks de bois;
La pelleteuse pour les travaux d l'hôtellerie.
La dynamite pour le tennis (servira pour la future hôtellerie)
mastic du frère vitrier

Pour une abbaye cistercienne, peu de techno

 

 

 

La vie économique

Cette grandiose construction de la foi et des émotions qu'elle appelle, ne peut tenir sans corps, sans vie économique. Un monastère, c'est un de travail, mais trop codifié pour faire vivre une communauté à ce niveau. C'est donc aussi une grosse pompe à finances, qu'à l'époque le père Léon va régulièrement actionner au volant de sa traction avant, le pied à fond de plancher, le bréviaire ouvert au milieu du volant. Mais le monastère vit encore à l'ère agricole et la ferme, à quelque distance, est une activité majeure. L'on cultive même la petite parcelle, très infertile je pense, qui s'étend au pied du monastère près du Trinquelin. On y entendra vrombir le joli petit tracteur Ford à essence, cadeau du plan Marshall dit-on. Puis on profitera du flux d'eau fraiche pour pratiquer la pisciculture

En 2010, je suis nettement plus sensible au prix que tout cela coûtait, moralement et économiquement, tant aux moines eux-mêmes qu'à deux qui supportaient, dans tous les sens du mot, le poids d'une telle machine.

 

Le monachisme bénédictin a deux piliers, la prière et le travail (Ora et labora). L’un comme l’autre ont un intérêt économique :
-  la prière parce que des fidèles font des dons, souvent très importants, pour que la prière des moines obtienne le salut de leur âme (voir notamment Duby)
- le travail puisqu’il sert à nourrir la communauté et vendre des produits à l’extérieur

 

Un peu surréaliste : à la fois très pauvre, tout est "notre", et en même temps un immense espace (en divisant par 100, ça fait combien), pas d'enfants à élever (en revanche, il y a un troisième âge à entretenir) Système d'information interne : silence, bibliothèque, gestes

 

Il y a toujours eu contradiction entre la pauvreté, affirmée par un vœu solennel, et une relative aisance. Dans ce que j’ai vu à la Pierre-qui-Vire, sans me poser trop de questions :
- la vie est ascétique mais bénéficie d’amples bâtiments et d’un grand parc ; 
- la nourriture est limitée, mais régulière et correcte ; pendant et après la guerre, bien entendu, elle est limitée ici aussi par de restrictions, mais sans doute pas autant que dans les grandes villes :

- les moines n’ont pas de famille à faire vivre, ni de temps pris pour s’en occuper/

 l’hygiène suit celle du temps. Pas d’eau courante dans les cellules. Et peu de douches.  A notre visite en… un complément a été ajouté pour permettre des douches à tous les étages. Commentaire du père « Les jeunes ont d’autres exigences ».

Un curé du voisinage a dit à mon frère Marcel :  "Ils font le voeu de pauvreté, mais c'est nous qui la vivons".

 

L’abbaye est un propriétaire terrien non négligeable. Et comme, souvent, techniquement en avance sur le monde agricole qui les entoure. D’où certainement des incompréhensions et des jalousies.

Au moins une année, on a tenté de faire jouer au foot une équipe de l’école avec les habitants du village voisin (La Provenchère ?).

La sexualité

Le revers de la médaille, ce sont les punitions corporelles. Le père Maur les pratique avec constance, et parfois qu'on suspecterait aujourd'hui d'un brin de sadisme. Un jour, par exemple, pour des règles de grammaire latine, les élèves sont tous debout autour de la table du maître, qui circule discipline (le petit fouet des moines) en main, et frappe les mollets nus si la citation n'est pas exacte.

C'est d'autant plus grave que c'est encore ce père qui passe la nuit avec nous au dortoir. Et certains examens de propreté des oreilles, lampe électrique à la main pour voir leur transparence, sont franchement malsains. Pas de "discipline" au dortoir, mais quelques minutes à genoux les bras en croix. Cet environnement explique, pour une part, certains aspects de ma personnalité d'adulte. Mais ils n'ont peut-être fait que prolonger des problèmes qui remontaient à ma petite enfance et à la psychologie de mes parents eux-mêmes. Mais aucun attouchements suspects. Dans ce domaine.

Il faut dire que le fondateur même de l'abbaye, le Père Muard, allait loin dans le sens des pénitences corporelles, et que les moines se donnaient la discipline sur le dos nu à intervalles réguliers. Il n'était donc pas anormal pour eux de la donner aussi aux enfants.

Un des pères était réputé "mains baladeuses", mis je ne crois pas que ce soit allé loin. Mais on disait qu'un autre était envoyé à la PQV pour fautes sexuelles ailleurs, donc en quelque sorte en punition ici. Mais on lui confiait quand même la surveillance des récréations.

Plus étonnante, la conduite du directeur, le Père Grégoire. En troisième, il se rend compte que mon ignorance en matière sexuelle devient fâcheuse, car j'ai parfois des attitudes ou des réflexions naïvement impudiques. Il me prend dans son minuscule bureau, m'assied sur ses genoux, me fait déculotter et me fait un petit cours de "leçons de choses", gestes précis à l'appui, que même un médecin ne se permettrait pas aujourd'hui. Rien de plus, cependant, et il reste dans l'attitude digne du professeur. Pédophilie ou inconscience ?

Une chose est sûre : à la différence des victimes de pédophiles, je suis ressorti de son bureau sans honte, content au contraire d'avoir appris des choses importantes. Et je lui en ai tellement peu voulu que, quelques années plus tard, c'est à lui que je suis venu demander conseil sur mon choix de la vie sacerdotale. Syndrome de Stockholm ? Je lui garde le bénéfice du doute. Ce genre de choses est peut-être une des raisons qui conduira quelques années plus tard le Père Abbé à fermer l'école. Plus vraisemblablement, la fermeture s'est imposée parce que les normes de l'Education nationale sont devenues de plus en plus exigeantes, et que le monastère ne pouvait ni fournir par lui-même un corps professoral de niveau suffisant, ni rentabiliser, sur de si petites classes, un personnel salarié.

Commentaire de Marcel : mêmes observations à Juilly. (collège de jésuites).

Les disciplines fabriquées par des bonnes sœur.

Lectures

Relativement peu de livres aussi, bien que le Père Grégoire lise beaucoup (voir notice). Il faut arriver en troisième pour accéder à la bibliothèque, au premier étage. Et plus de livres de saints que de technologie. Il y a quand même un livre sur les lampes à arc. Mais pas le Figuier, qui aurait été ici bien à sa place.
Le journal" Engineer" du père Anselme.

L’art

L’architecture des bâtiments est médiocre. Elle juxtapose plusieurs époques
- un bâtiment ancien, habité par les frères, et abritant la cellule du Père Muart
- un corps de batiment principal avec le cloître, des salles de cours, le logemement du Père Abbé
- un corps plus récent, essentiellement des cellules de moines et le noviciat (« un lieu sacré »)
- l’entrée et l’école, construits soigneusement, à base de granit taillé, construit juste avant la guerre,
- un bâtiment d’ateliers.
- un peu plus tard, une hôtellerie dans des sortes de baraquements
- plus tard encore, la nouvelle hôtellerie, très soignée, dans un style et des matériaux (granit) qui rappellent ceux de l’école.

Enfant, je suis surtout admiratif. Mon milieu familial ne parle guère d’architecture, ni tellement d’art, malgré le caractère artistique de l’édition qui la fait vivre, la participation aux Amis du Louvre et les livres d’Emile Mâle chers à ma mère.

 

 

La critique viendra dans une visite avec Marie-Thérèse. Elle trouvera tout cela mauvais. Et cela ne s’arrangera pas tellement par la suite, avec les nouveaux bâtiments en moellons.

 

L’abbaye édite la revue Témoignages.

Jusqu’à mon arrivée, le Père Luc est l’artiste de référence. Il a orné de grandes fresques la salle du Chapitre et le réfectoire.


le frère qui dessinait des moutons et compare l’art grec et l’art égyptien

Il fera un missel, qui sera interdit. Impossible par la suite d'en retrouver, même en 2021. 


Une nouvelle génération crée l’atelier du « Cœur meurtry ». D’abord avec de la peinture,

 

Quelques pères développent un art sacré aux formes picabiesques, aux couleurs plus joyeuses, à la Matisse parfois. Qui débouchera sur un très moderne "missel du frère Yves"... à la courte vie, car Rome l'interdira


Sans doute avec des sensibilités différentes : le père Angelico surchamp, qui fait deux ou trois grandes fresques dans les bas-côtés de l’église, et d’autres frères.

 

Quand j’y repasserai aves les anciens élèves, les fresques du père Luc et du père Angelico ont disparu. Une petite, que je trouve faible, orne le tympan du porche de l’église.

 

L’artiste… qui fait le tympan de l’hôtellerie et que je reverrai scultper une statue de la Vierge à La Bouenza.

 

 Puis cela débouchera sur la publication d’art avec la série … sur l’art roman, qui fait un franc succès.  Une nouvelle imprimerie est installée à cet effet dans un baraquement. J’y admire notamment une plieuse.

 

Annexes

Références

Bibliographie. Le temps des moines
Annuaire des élèves
Duby et Follett si l'on veut.

Personnes

Dominique Roulleau
Pajot, Ducruet
Jacques Olagne
François (?) Lépine
Calais de Vanssay. Mot de Jean-Luc Surps  « Vous êtes devancé parce que vous surpasse ».
Jean-Louis Jouffroy
François Lenoir (plutôt ami de JM)
//JP Leprêtre, négresse, son frère Xavier

 

Documents

 

 

En témoigne la lettre que j'envoie à ma grand-mère (certainement au printemps 1948, mais elle n'est pas datée) :

Chère no-maman

J'espère que tu vas bien. J'espère que mamie t'a dit en te téléphonant que j'étais passé en 6e. Cette semaine je suis 3eme, je serais premier avec un 18 de français. Mais je n'ai pas beaucoup de mérité à cela car j'ai une très bonne mémoire pour les leçons et aussi je suis un peu et même beaucoup le chouchou des professeurs.

Souvent je pense aux bonnes vacances que tu m'as procurées : j'étais plein de joie pendant que tu travaillais pour ce cher petit Etienne (cousin, fils de Jacqueline) qui malgré tout ne mettait pas de mauvaise volonté dans ses pleurs qui t'agaçaient. J'espère que tu en seras récompensée en passant de bonnes vacances à Pâques dans ce cher Vernoy.

Tous les dimanches, on nous passe du cinéma. On nous passe comme dans les vrais cinémas des documentaires puis un grand film.

Tonton Luc va bien. Lundi pour la fête de l'école on a eu des fêtes. Il y avait Athalie, une chanson militaire, Antigone, puis le moulin du chat qui fume.

On va bientôt avoir la retraite : il y a de la joie, mais malheureusement 25% des élèves sont surtout joyeux parce que pendant 5 jours de suite on va se lever à 7h et demie.

Bien des amitiés à bon papa. Je t'embrasse bien fort ainsi que bon papa, Vincent, Quiquine, Jean-Baptiste.

Suivi d'un mot de Jean-Marie

J'ai beaucoup de travail sur la planche en ce moment. Je vais bin prier pour vous pendant notre retraite du 10-11-12. Demain nous aurons congé. Pierrot s'est bien habitué à la Pierre-qui-Vire. Il a été très content de votre lettre. Hier nous avons du cinéma, ce qui amuse bien les élèves. Tonton Luc se porte admirablement.

Je vous remercie encore une fois des timbres de Suisse si jolis.

Je vous embrasse bien fort ainsi que Bon Papa et tout Fontenay. Merci à Tatate du bon séjour chez elle.