Lycée Saint-Louis, lycée Charlemagne, Le Lioran

Première aquarelle "sur le motif.

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Saint-Louis

1952.55 De l'Ecole Sainte Marie de la Pierre-qui-Vire au Lycée Saint-Louis du boulevard Saint-Michel, les noms évoquent une certaine continuité dans le religieux. En fait, en cette rentrée de 1952, je dois affronter un véritable choc culturel. Du milieu hyper-fermé d'une abbaye, me voilà jeté, sans beaucoup de transition, dans les vastes mouvements d'un grand lycée parisien. Certes il fait sa place à la religion, avec sa statue du saint protecteur au milieu de la cour, sa chapelle ouverte au moins le dimanche, son local d'aumônerie avec son aumônier attitré. Mas il est aussi ouvert au marxisme et surtout, de toutes parts, marqué par un laïcisme exigeant.

Encore une dure mutation pour gamin de treize ans, habitué encore aux culottes courtes et à la protection des bons pères. Intellectuellement, je suis au niveau. Le proviseur (Mr Mandoul) s'en est d'ailleurs assuré en me faisant passer un bref examen écrit, mais le prestige de Marcel et la présence de Jean-Marie ont été sûrement plus décisifs. Quant à la maturité morale, elle est limite, face des garçons plus âgés, habitués à la vie urbaine et pour certains au moins, ne faisant pas mystère de leurs conquêtes amoureuses (réelles ou pas, peu importe, pour moi c'est un monde encore étranger, et de toutes façons défendu).

Durs aussi les transports, avec matin et soir 1,7 km pour descendre à la gare, dix minutes de train et encore 1,5 km de Montparnasse au lycée.

Le tout dans de vastes locaux de pierre sale et usée, plus ou moins bien repeinte, avec des salles de classes où bancs et bureaux ne sont que des planches tenues par des poteaux de fonte, et largement ornées et sculptées par quelques générations de potaches... Il n'y a qu'une seule belle salle (baptisée de Pange), avec tables et chaises individuelles en tubes et contreplaquée.

La cantine, pour les demi-pensionnaires, est correcte, mais les adolescents ont toujours faim. Jean-Marie m'introduit à une table qui s'est donné une règle : le plat tourne autour de la table, et chacun se sert aussi largement qu'il veut. Tant pis pour le "culot", s'il ne lui reste rien... demain c'est lui qui sera le premier à se servir. Système égalitaire, mais non sans aléas : il vaut mieux tomber culot le vendredi, jour de poisson et d'austérité relative, que le samedi, avec poulet et glace. Ca, c'est plutôt un bon souvenir.

Au demeurant, les professeurs ne manifestent pas une clémence particulière à l'égard d'un garçon qui n'a rien de bien exceptionnel. De toutes façons, les classes nombreuses (environ 25 en seconde, une quarantaine en math-elem) ne leur laissent guère loisir de personnaliser leurs prestations.

Je m'en aperçois dès les premiers jours, aux vifs reproches lancés à mon égard par le professeur de physique, parce que j'ai marqué ma copie d'une petite croix bénédictine et du mot Pax, conformément à l'usage monastique. Et, plus prosaïquement, je prends 12 heures de colle (tout un dimanche au lycée) pour n'avoir pas présenté un cahier d'exercices conforme aux exigences de Mr Lerat, le professeur de mathématiques.

Les professeurs. Ils nourrissent mes doutes

Plusieurs de ces professeurs sont intéressants, certains brillants.

Rougier, en physique, un peu ridicule, mais passionné. Il emploie le riche matériel de laboratoire du lycée (dont nombre de pièces seraient aujourd'hui considérées comme monument historique) pour nous donner le maximum de contact possible avec la réalité expérimentale.

Guillin, le professeur d'Histoire, est contesté par tous. Je suis un des seuls à l'apprécier. Un homme à contre-emploi, qui ne sait pas séduire une classe de secondaire, encore moins se mettre dans l'idée de la préparer à passer le bac. Sa vaste érudition serait plus utile à l'université, où ses cours doctoraux trouveraient leur auditoire. Il faut dire qu'il ne peut aborder un personnage historique sans commencer par "Mon grand ami Pierre le Grand... J'ai passé trente ans de ma vie à étudier son règne", et la semaine d'après la même chose avec un autre. Ridicule... Mais il se lance aussitôt dans une description de la cour de Moscou, si vivante et si précise qu'on à l'impression qu'il vient d'en arriver, juste à temps pour faire son cours. Il fut le premier à me parler de Louis XI comme un grand roi, et non pas seulement comme le méchant persécuteur encageant ses victimes.

De même en géographie "Je dois aujourd'hui vous parler de la Corse et du midi languedocien. je vais commencer par le Languedoc, sinon je resterai toute l'heure sur la Corse". Et il reste toute l'heure sur le Languedoc. On sent bien qu'il est allé partout en France. Il parle du Limousin et de ses mauvais chemins, à moi qui me suis crotté à La Lande. Il dessine d'un trait le plomb du Cantal, j'en arrive. Il dit des mots sur l'Afrique dont la vérité me frappera quand j'irai au Congo (notamment la faible densité de population et l'énormité des distances, dont l'extrême difficulté de rentabiliser les routes, chemins de fer et lignes téléphoniques). Il nous fait sa chronique de la guerre du Vietnam, assez différente de ce qu'en disent les médias. Mais il lance des sujets de composition qui laissent toute la classe pantelante :"Vous êtes à Clermont-Ferrand et vous regardez à l'Ouest. Décrivez le paysage".

Et d'ailleurs, dans notre classe, tout avait mal commencé pour lui dès le premier jour. Question  à la cantonade "Notre programme commence en 1610. Que s'est-il passé en 1610". Silence absolu. Il insiste, et finit rouge de colère "Mais c'est la mort de Henri IV ! Comment pouvez-vous ne pas savoir une date aussi importante. L'ambiance était cassée. Sans appel.

Fuzellier, professeur de lettres (français, latin, grec) en seconde (je crois) et première, a la réputation d'avoir rédigé le livret des Indes Galantes. Ses cours sont animés. Il sait mimer tous les personnages d'une pièce au point de faire croire qu'ils sont plusieurs sur la chaire. Et il est peut-être le seul à me trouver de l'intérêt, en raison de ma relation avec le latin (renforcée à l'oral car j'y applique l'accentuation apprise en cours d'italien, et le résultat a une certaine allure). En revanche, il ne peut déplorer la sécheresse de mes rédactions. L'inspiration et l'abondance ne viendront qu'au séminaire, et encore en deuxième année, un jour en mercuriale d'histoire de l'Eglise. Son appréciation sur le livret scolaire : "Excellent élève ; travail régulier et intelligent. En français, les résultats sont encore moyens, à cause d'une certaine sécheresse dans le développement ; mais en latin, la précision grammaticale, le sens de la langue, l'aisance et l'élégance de la traduction sont remarquables, les résultats en font foi".

Lerat (celui qui m'a mis douze heures de colle la première semaine), boit un peu trop et est toujours plein de craie. Mais est considéré comme un excellent professeur de mathématiques.

Avec Monjo, le professeur d'Italien, les relations sont au mieux. Nous sommes sept élèves, et je passionne pour cette nouvelle langue, son accent et sa culture. Premier prix (le seul!). Une passion qui vient peut-être du fait que c'est la seule matière que ni Marcel ni personne d'autre à la maison n'a pratiquée et où donc, je ne crains pas la critique. Mais Marcel se moque quand même un de mes premières récitations en italien ("A l'extremo orizonte, i grandi pini... a uno, a uno...).

 Le second professeur de physique, en math, est un voltairien convaincu, qui fait passer son épistémologie avec ses cours :
- "Attention, je ne dis pas ... "ceci est vrai", mais "tout se passe comme si, TSPCS"...
- "... et cela, vous pouvez le vérifier par vous-mêmes,  ce n'est pas comme... " (implicitement, les croyances religieuses) ;
et il émaille son cours d'une série de bons mots excellents (mais que les redoublants apprécient moins, car ce sont les mêmes d'une année sur l'autre)

Le plus fort de tous, c'est Verdenal, le professeur de philosophie en terminale. Communiste convaincu, il ne met pas ses idées dans sa poche. Mais il s'y entend à séduire ces jeunes qui ne rêvent que de science : il leur parle de maths, mieux que le prof de maths ! Plusieurs années avant l'arrivée au lycée des "maths modernes", il leur explique le paradoxe du cardinal des ensembles infinis : un carré n'a pas plus de points qu'un de ses côtés, car on sait faire une application b-univoque de l'un sur l'autre. Génial. Son appréciation : "Elève intelligent qui peut bien faire".

Sur le moment, ma foi n'est pas ébranlée. Elle s'éprouve fréquemment en récréation dans de vives discussions avec les élèves communistes (fachos contre cocos). Elle est confortée par les réunions organisées par l'aumônier du lycée et par l'environnement familial et par deux camps "JEC" au Lioran (Cantal).

A la même époque, Le frère Paul Marc, frère mariste, intervention même après décision d'aller au séminaire ? en tous cas, je me suis posé la question, et cela n'a pas plus à ma mère. Il avait une agrafeuse qui me plaisait bien et me faisait beaucoup de compliments. Bref, un tempérament libanais... Ses locaux étaient rue de Paris à Clamart. Il avait fait à Papi une grosse commande d'affiches représentant leur fondateur, le père Champagnat.

Charlemagne

Je n'ai finalement pas trop mauvais souvenir de ces trois ans à Saint-Louis, qui m'amènent au baccalauréat C (mathelem). Hélas avec un trop mauvais livret pour entrer en Math Sup à Saint Louis. Mes parents sont pris de court par mon succès.

Au vu de mes notes, ils avaient prévu que je serais recalé, et m'avaient inscrit dans un collège de jésuites dans le Nord (Amiens ? ), qui m'auraient remis en bonne voie. Le jour des résultats, ma mère est furieuse de mon : "Tu ne sauras jamais travailler". Elle a raison, d'une certaine façon . Mon père me prend à part, sur le perron du pavillon de Clamart, et me dit :"Je t'ai quand même acheté une montre".

En effet, un surveillant antillais interprète mal une finesse au second degré. Si j'avais été brillant, le proviseur aurait sans doute arrangé les choses, en l'occurrence, bon débarras

Que faire ? Marcel intervient, cette fois encore, pour me faire entrer en hypotaupe à Charlemagne (professeur Mr Valiron, Le Val, dans la tradition taupine de l'époque ; il enseigne des mathématiques bien sages, pas du tout "modernes"). Rétrospectivement, c'est une fausse bonne idée de mettre en hypotaupe. Aujourd'hui. Mes parents, mieux informés, mieux aidés, trouveraient je pense une meilleure orientation à ce moment crucial pour mon avenir. Mais, à l'époque, Il n'existe pas de conseillers d'orientation dans les lycées. Et tout l'environnement familial, y compris mon parrain René Pauly, n'imagine pas autre chose pour un garçon prometteur que les grandes écoles scientifiques. HEC me tente. Mais n'est pas considéré comme sérieux (peut-être un peu cher aussi ? ). La "fac" ? Pas question. On n'y travaille pas sérieusement. Il est vrai que j'ai à peine seize ans, bien jeune pour les libertés universitaires !

Il faut dire que d'autres désirs, d'autres appels, me détournent du droit chemin de l'esprit "prépa". La peinture me tente. Et les demoiselles. Cela reste encore très vague, je ne dirais pas platonique, mais très peu associé à des images concrètes de relations physiques. Une tendance quand même à voir froidement les choses. A Port-Blanc, un des amis rencontrés chez les Postel-Vinay se réjouit qu'une jeune fille ait accepté de partir seule avec lui faire une promenade en bateau. Le lendemain, je lui demande crument "Ca a marché ?". Il est choqué et j'en suis surpris.

Quant aux amitiés, elles s'élargissent d'un coup quand j'entre dans le rallye Moufle. . Cela commence par hasard. Jean-Marie était le cavalier de Martine. Un jour, empêché, il (ou Mamie) me demande de le remplacer. Je suis encore bien jeune, et je n'ai jamais dansé. J'y trouve grand plaisir aux soirées de ce "rallye". Malgré mon ignorance, je danse toute la soirée et apparemment, je plais et en tous cas j'amuse. En tout bien tout honneur, certes. Même si mon père me lance "Ce qui est bien, avec la valse, c'est quand la tête tourne à ta cavalière, et qu'elle te tombe dans les bras". Il n'est question, à cet âge, à cette époque et dans ce milieu, ni d'amour "pour la vie" ni, moins encore, d'amour physique. J'ai l'impression, peut-être erronée, qu'à cet âge je ne pratiquais pas les déshabillages et les imaginations de scènes de lit qui deviennent souvent comme un automatisme avec l'âge.

A cette époque, je fais aussi deux grandes randonnées à bicyclette, sur la bicyclette de mon père, que j’ai fait rénover. C’est celle qu’il a utilisée pendant la guerre, notamment pour aller en Limousin. Ce n’est pas la technologie du 20eme siècle, mais il y a quand même trois vitesses.

Intellectuellement, je continue à phosphorer, pas bêtement, je crois, mais en marge de ce que le monde des prépas attend d'un élève. Trois exemples :

- En physique, une fois au moins, pour résoudre un problème, je m'écarte de la méthode ordinaire qui consiste à calculer progressivement des résultats, et j'essaie de faire d'abord tous les calculs de façon formelle, pour ne rentrer qu'in fine les valeurs concrètes des paramètre. Ce qui présente l'avantage non négligeable d'éliminer les erreurs d'arrondi. Cela aurait peut-être marché si j'avais été un bon manipulateur d'expressions formelles. Mais je me perds vite dans des formules qui s'allongent déraisonnablement. Et la note ne fut pas bonne, je pense. En quelque sorte, je commençais déjà à chercher une solution programmable.

- En dessin, au lieu de m'appliquer à bien dessiner le plâtre soumis à nos exercices canoniques, je tente une solution cubiste, ou au moins cézanienne : tout doit se ramener à des cubes et des cylindres. Le professeur fait un -petit- effort pour me comprendre, mais ne trouve pas les mots qu'il faut pour me motiver à rester dans le droit chemin.

- En mathématiques, malgré mes mauvais résultats, j'éprouve parfois de vraies jouissances à méditer sur les développements de Taylor ou le calcul intégral. Je me rappelle, pédalant sur la route de Port-Blanc, du plaisir que j'avais à penser que l'on aurait pu calculer la déformation du pneu en fonction du poids qu'il devait supporter.

Bref, mon année de math-sup à Charlemagne s'avère bien médiocre. En fait, je ne suis pas vraiment doué pour les maths, tout en trouvant cela passionnant (comme le poète Jacques Roubaud, à peu près à la même époque). L'année se termine par un renvoi sans appel : un surveillant antillais interprète mal une finesse au second degré... et m'envoie chez le proviseur. Si j'avais été brillant, il aurait sans doute arrangé les choses. En l'occurrence, il y trouve un excellent motif pour se débarrasser d'un élève qui n'aurait pas enjolivé les statistiques de l'établissement.

Que faire de moi ? Marcel et mon père réussissent une opération sauvetage en "taupe atomique", à Jeanson-de-Sally. Mais entretemps, sans relation de cause à effet me semble-t-il, en tous cas consciente, je me suis posé la questions de la vocation sacerdotale. Une retraite à la Pierre-qui-Vire, dirigée affectueusement par le père Grégoire, confirme l'orientation. Une autre histoire va commencer !

Quelques amis, dont Jean-Louis Greffe, que je n'ai perdu de vue que dans les années 80 et, je ne sais pourquoi, avec qui je n'ai ensuite jamais réussi renouer. Il est décédé vers 2018, Marie-Thérèse l’a vu dans Le Monde. Un garçon timide, sérieux. Séduisant par son travail, (son côté "polar", que je brocarde dans un petit texte humoristique), prestigieux par son père polytechnicien, son grand appartement au 181 boulevard Saint-Germain, sa boite de peinture à l'huile (initiation à ce média suprême et à "la touche impressionniste"), sa boite de Philoptic pour monter des télé-loupes et autres dispositifs optiques originaux, l'encyclopédique Quillet dans la bibliothèque, le tableau "coeur de reine" dans la salle à manger, et son adorable mère.

François Clarac, près de la porte d'Orléans. Sa mère faisait des confitures et, pour goûter, nous en prenions un pot chacun et le finissions sans problème.

Les camps du Lioran

Le chemin de crête entre le puy Mary et le puy Griou. Le toit du monde... Quelle aventure à 14 ans !

Un moment fort, ces deux camps d'été plus ou moins JEC, conservant simplement une tradition assez longue qui remonte avant-guerre. Quinze jours au Lioran ; dans le Cantal. Ils sont destinés à des garçons plutôt plus âgés que moi, mais je suis accepté (14 ans, il me semble).

Une fois encore, je suis "le petit", souvent à la traine des autres, avec le lourd sac (21kgs je crois, nous l'avons pesé dans une gare) sur les épaules. Mais fier. Sauf cette fois où nous avons terminé par une marche non-stop de 25 km, du camp jusqu'à Riom-ès-Montagnes. A la fin, c'estt trop dur. On voit toujours le clocher qui marque à l'horizon notre point d'arrivée. Mais après la prochaine vague de terrain, il y en a toujours une autre, et le clocher est toujours aussi loin. Je finis par m'asseoir en pleurant, et l'un des aînés vient charger mon sac au-dessus du sien.

L'aventure, bien construite, en vaut la peine. Elle débute par un camp volant. Déposés par une camionnette dans un fond de vallée, on monte jusqu'aux crètes. Souvenir impressionnant, au milieu des champs de myrtilles un soir : on voit les nuages par le dessus, et les éclairs qui les illuminent. Nous sommes très chargés, car il faut porter le couchage, les tentes, et la nourriture pour trois jours pleins dans la nature. On passe au Puy Mary, au Griou, et on redescend sur le lieu du camp fixe pour le reste des quinze jours. La magie naît de l'emplacement du camp : de là, on ne voit absolument aucune habitation. Et tant qu'on n'est pas allé au village (quelques maisons autour de la gare), on peut se croire à trois jours de marche de toute civilisation.

Romantique, surtout pour un ado. Chrétien aussi. De beaux moments avec l'aumônier qui faisait le camp avec nous. Un prêtre du clergé local, ajoutant sa pointe d'accent, sa connaissance de la montagne et sa bonhomie à son appel vers Dieu :
- "Quand un paysan d'ici vous dit "on a eu un bon peu de blé cette année", cela veut dire que les greniers sont pleins à craquer".
- "L'orage monte, mais nous n'avons pas à nous en faire. Il va éclater dans l'autre vallée" (Exact, nous n'avons pas ramassé une seule goutte).
Et de belles veillées, la lecture choisie de quelques textes, comme Gide (Nourritures terrestres) avec le "Nathanaël, quitte mon livre". Ou encore, le questionnaire de Proust. Nous ne sommes plus tout à fait des enfants. Et l'on chante Dieu sur les rythmes jazzy du Père Duval : "Qu'est-ce que j'ai dans ma  p'tit' tête... ". Et bien entendu la messe matinale, dans l'herbe fraîche autour de la croix de métal galvanisé posée là par nos prédécesseurs il y a des lustres, avec les vaches qui viennent voir à quoi nous jouons.

Le lieu de camp lui-même, repris d'année en année, est merveilleusement disposé. Au centre d'un quadrilatères d'arbres ( hètres ou chènes), le feu de camp. Sur un côté, en contre-bas, les feux de cuisine, en allant vers le ruisseau (l'Allagnon).

Sur les autres côtés, selon la fantaisie des groupes, les différentes tentes. Au Sud, le flanc tout de suite ardu de la montagne, avec le chemin vers la route des crêtes. On y voit parfois passer un berger, descendant du buron, sa fourme de cantal, 40 kilos, dans un sac sur l'épaule. Au Nord, de grandes prairies descendant vers le village. Herbe verte, et de grands troupeaux en liberté.

Le lieu de camp ne pourra plus être utilisé après nous, car un garde forestier est passé : désormais, le camping sauvage est interdit. Mais, comme l'abbé lui parle de notre tradition, il dit "Bon, ça ira pour cette fois-ci".

Images : en montagne, de vielles maisons au toit de lauzes (tuiles en pierre). Un garçon (12 ans), qui n'est jamais allé jusqu'à Aurillac. La vie du camp, réglée, sportive, adaptée à ce public de jeunes garçons.

Mais aussi, un beau moment chrétien avec l'aumônier qui faisait le camp avec nous, d'ailleurs du clergé local, ajoutant sa pointe d'accent, sa connaissance de la montagne et sa bonhomie à son appel vers Dieu.

"Quand un paysan d'ici vous dit "on a eu un bon peu de blé cette année", cela veut dire que les greniers était pleins à craquer"

"L'orage monte, mais nous n'avons pas à nous en faire. Il va éclater dans l'autre vallée" (exact).

La vie du camp, réglée, sportive, adapté à ce public de jeunes garçons, avec une belle veillée, la lecture choisie de quelques textes, comme Gide (Nourritures terrestres) avec le "Nathanaël, quitte mon livre". Ou encore, le questionnaire de (). ;;

Quant à la foi, déjà quelques doutes, quand même. A la gare de Neussargues, j'achète "Le Mur", de Sartre. Mon père le fait disparaître, je le retrouverai au fond d'un rayonnage, des années plus tard. Et surtout à la sortie d'une retraite JEC, à Evreux (je crois), il faut que l'abbé fasse une nette pression morale pour que je prenne l'engagement JEC, alors que je ne m'en sentais "pas digne". C'est à dire, déjà, pas vraiment convaincu


Le chemin de crête, du Puy Mary au Puy Griou, vu du Puy Mary

Images : en montagne, de vielles maisons au toit de lauzes (tuiles en pierre). Un garçon (12 ans), qui n'est jamais allé jusqu'à Aurillac.

La deuxième année, j’y invite un ancien de la Pierre-qui-Vire, Xavier Leprêtre.

Ces camps du Lioran, cette longue crète entre le cirque de Mandailles et la vallée de l'Allagnon, sur la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée, restent un de mes plus beaux souvenirs. En 1998, quand on me demandera mon secret désir en matière d'informatique, je répondrai "un petit chemin de crête, une pluie fine et, dans le sac, entre la gourde de vin rouge et le couchage, un ordinateur portable et une antenne satellite".

De cette époque date mon premier écrit spontané, six pages serrées tapées à la machine, sur le thème de la "polarisation". Loufoque.

Images : en montagne, de vielles maisons au toit de lauzes (tuiles en pierre). Un garçon (12 ans), qui n'était jamais allé jusqu'à Aurillac

La JEC, à l’époque, chez les Eudistes à Mantes comme au Lioran, s’adresse bien à des ados : libérez-vous de votre culture.

Chez les Eudistes : débarrassez-vous de ce qui vous encombre, que vous ne gardez que parce que cela vient de la tante… . Cela me conduira notamment à jeter une partie de mes archives personnelles.

C’est fort aussi au Lioran. On nous cite Gide « Nathanaël, quitte mon livre ». Et on change le Père Duval « Qu’est-ce que j’ai dans ma p’tite tête », https://fr.wikipedia.org/wiki/Aim%C3%A9_Duval

sans parler de chants plus irresponssables : N’oubliez pas le jour, n’oubliez pas l’amour… mais si oubliez, si ça vous chante, avec qui le rendez-vous.

 

Technologies

Les trains
Les appareils de laboratoire du lycée, monuments historiques
La TV de Bom (ma grand-mère paternelle)
La Traction Avant
Transfo par Papi pour la porte d'entrée

 Mon père m'emmène plusieurs fois visiter le Sicob. Je me rappelle d'y avoir vu des machines à cartes perforée. Notamment, une année, divers essais de "demi cartes" à 40 colonnes, qui n'ont pas eu grand succès. Je me rappelle aussi, une année, le premier photocopieur Xerox, et le système de location qui fut une des grandes idées de la firme.

Mon cousin Vincent Meissonnier travaille plusieurs années au laboratoire de traduction automatique de Grenoble (professeur Vauquois), et je me rappelle d'un été où il me dit "Pour traduire le russe en anglais, nous y sommes presque. Il manque encore quelques mots, mais à Noël la question sera résolue". Du moins est-ce ainsi que je me le rappelle, mais trente ans plus tard, on est toujours bien loin de toute traduction automatique vraiment satisfaisante.

Je découvre le Lego tard, chez les Marcel, avec Isabelle. A l'époque, il y a concurrence avec les "Pierres magiques", plus architecturales, et qu'Isabelle préfère

Mon père m'emmène plusieurs fois visiter le Sicob. Je me rappelle d'y avoir vu des machines à cartes perforées. Notamment, une année, divers essais de "demi-cartes" à 40 colonnes, qui n'ont pas eu grand succès (IBM fera un autre essai, plus sophistiqué, en 1968). Je me rappelle aussi, une année, le premier photocopieur Xerox, et son système de location qui fut une des grandes idées de la firme.

Vincent me procura aussi quelques documents suggestifs, notamment une thèse de doctorat qui comparait quatre langages de programmation (je pense qu'il s'agissait de Fortran, Cobol, Jovial et ...)

Quant à mon propre système d'information, le lycée me fait connaître les cahiers à feuillets mobiles, d'abord au format écolier. J'aime assez, j'y vois déjà une certaine capacité d'intégration (depuis les fichiers de mes toutes premières années...), bien que à tort (ou sur ordre de Valiron, mais je ne crois pas), je prenne mes cours de Math Sup sur des cahiers reliés. Je commence à prendre l'habitude, plutôt mauvaise, de dessiner sur mes cours.

Contre les polars...

Je tape un peu à la machine, et imagine un "journal des savants" qui aurait été assorti d'un SVP postal, déraisonnable mais dont les intuitions se sont toujours prolongées, avec Télémapresse puis avec les serveurs du Club de l'hypermonde et de l'Asti. L'idée n'était pas de moi, puisque ma mère m'avait parlé du SVP lancé par les PTT sous Henri-Martin, pour augmenter le trafic téléphonique.

Quelques fiches, peut-être. Peu, en tous cas. Le téléphone, bien sûr. Mis à cette époque on ne s'en sert encore qu'avec parcimonie.

En tous cas je prends soin de mes archives, y compris pour y faire le ménage, puisqu’au retour d'une retraite de JEC, je jette presque tout ce qui me restait de la PQV, conservant heureusement la dédicace du père Grégoire. Ma mère conservera de son côté les lettres que je lui avais envoyées, et que je serai heureux de revoir.

Je dessine et je peins beaucoup. Pas bien sérieusement. Assez pour envisager d'y faire carrière. Mais mon père charge son ami Morel-Fatio, avocat et très bon dessinateur (y compris de BD) d'évaluer mes chances... c'est à dire de m'en dissuader.

Je fais une sérieuse coqueluche. Pour m’occuper, mon père m’offre une belle boite d'aquarelle, une vingtaine de tubes Lefranc et Bourgeois. Cela me décidera à me lancer dans l'aquarelle sur le motif, l'été à Wimereux. J'ai toujours la première aquarelle, la falaise près de Wimereux, avec vue sur le fort d'Ambleteuse. C'est sur cette falaise que j'ai testé mon anémomètre.  (Deux ou trois ans plus tard, dans la même chambre, ce sera une hépatite, avec une boite de 60 crayons de couleur Conté. Mais cette technique ne m’emmènera pas très loin).

Du point de vue des automatismes, je réalise un anémomètre, un été, avec la collaboration de l'oncle Pierre Richard, horloger en retraite, à Wimereux. Correct dans son principe, il fonctionne effectivement. Mais il faut monter par bon vent au haut de la falaise des Rochettes pour que l'aiguille consente à bouger. Il a au moins deux points faibles: d'une part une hélice taillée dans le bois au lieu des coupelles des vrais anémomètres. Ensuite des frottements importants dus à une fabrication très artisanale, malgré le tour d'horloger du vieil oncle.

Idées et lectures

Ce n'est pas à cette époque que je me plonge dans Platon ! Malgré le génie de Verdenal. Je lis bien peu, effleure une ou deux pages des Meyerson de mon père ou des d'Udine de ma mère. Marcel s'en désole. Pour me faire pardonner, je lis méthodiquement toute la bibliothèque enfantine de Clamart. Benjamin Rabier mais aussi un livre assez farfelu de la fin du 19eme siècle, Crackville. J’y trouve notamment des idées qui trouveront des débuts de réalisation bien plus tard : une sorte d’imprimante universelle, qui fait même les repas (concept repris dans Stephenson), le clavier qui commande tout mais conduit à des erreurs, et la voiture autonome.

J’ai aussi de longues conversations avec ma grand-mère paternelle (Bom) qui a une télévision et ... des chocolats. Elle est fan de catch et de patinage artistique.
Elle est à la fois plutôt traditionaliste : si tu deviens un artiste, tu ne pourras pas te marier.

Elle décèdera peu après, et, me dit ma mère : « Elle a eu deux bonnes nouvelles avant de mourir : le mariage de Line et ton entrée au séminaire ».

Malgré les influences des professeurs de Saint-Louis, je ne doute pas encore vraiment. A la paroisse, le père Baudry me rassure en me citant le réalisme de Saint-Thomas.

J’ai surtout beaucoup dansé au rallye Moufle ! Et le renoncement à la danse sera une de mes privations au séminaire. Je souhaitais continuer, mais mon directeur sera formel « La danse, c’est le préalable à l’amour. C’est donc exclus pour un prêtre ».