De la foi à l'athéïsme

Comme pour la plupart des catholiques de ma génération, la foi ne fait pas problème jusqu'à l'adolescence. Il me reste quelques souvenirs de forte émotion religieuse, par exemple "Le voici, l'agneau si doux" chanté à ma Première Communion. Les années à la Pierre-qui-Vire ne font que renforcer cette adhésion sans problème critique, en tous cas dont je me souvienne. Sinon le petit épisode de ma confirmation, qui me montre que le dogme n'est peut-être pas chose aussi intemporelle, au dessus des marées, qu'il peut s'en donner l'air.

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Description générée automatiquement Les Lefebvre, vers 1958

Mon milieu familial est très solide de ce côté, en particulier du côté des Lefebvre, avec ses six beaux ménages unis et ses deux prêtres, qui ne quitteront jamais l'état sacerdotal. Seul mon père, à l'occasion, exprime ce que l'oncle Antoine appellera "une foi inquiète".

Les doutes de l'adolescence, puis de l'intellect

Les choses changent évidemment, et classiquement, à Saint-Louis. Je pose par exemple des questions au Père Baudry, vicaire à Saint-Pierre-Saint-Paul, sur l'opposition réalisme-idéalisme. Il me tranquilise assez facilement en se référant à Saint Thomas (d'Aquin) et à son réalisme équilibré.

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Description générée automatiquement La grande cour du séminaire

C'est à Saint-Sulpice que mes interrogations commencent à prendre de l'importance. Malgré les attitudes évidemment très croyantes de l'environnement, du corps professoral et des autres élèves (Jean de Bonald excepté, peut-être), le doute commence à s'infiltrer sérieusement dans ma conscience, comme en témoigne principalement ma dissertation de deuxième année sur le problème du mal et mes abondantes notes personnelles sur le scepticisme. Mais des questions se posent aussi (comme à Renan, un siècle plutôt et dans ce même séminaire), sur l'écriture sainte. Nos professeurs réussissent assez bien à faire une présentation rationnelle et cohérente de la Bible, mais le simple fait de passer d'une adhésion révérencieuse à une attitude critique ouvre la voie aux interrogations impertinentes.

Cependant, à cette époque encore, et malgré quelques lézardes, le projet catholique a encore toute sa grandeur. Il a su faire oublier ses compromissions vichystes, il soutient l'Action Catholique, mouvement puissant, dynamique, diversifié selon les milieux, riche déjà de plusieurs décennies de traditions. . Il laisse espérer une grande synthèse, sinon teilhardienne (interdit à Saint Sulpice), du moins à la Teilhard de Chardin(voire à la Pauwels/Bergier dans "Le matin des magiciens") et une évolution de l'Eglise, sinon vers une démocratie, du moins vers un partage mieux équilibré des pouvoirs, entre prêtres et laîcs, entre hommes et femmes. En face, pour ceux qui veulent ouvrir les yeux, le communisme de l'URSS s'est bien éloigné des rêves de Marx !

Retraite à la Bouenza. Mystique ?

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Description générée automatiquement La chapelle du monastère, par un                                                        artiste africain

Pendant le service militaire, les questions continuent à trotter dans ma tête. Bénéficiant d'une permission spéciale, je rends visite à mon oncle Luc, au monastère de la Bouenza. Informelle sans doute, mais tout de même une retraite spirituelle. Lui-même n'est pas du genre à se poser ce genre de questions. Pour lui, c'est simple (je tente de retrouver ses mots) : "Je n'ai pas besoin de preuves de l'existence de Dieu, je vois sa présence dans le Monde".

J'ai gardé mes notes de retraite. Une douzaine de pages manuscrites. Analyse de mes interrogations, résumé de mon itinéraire spirituel. Puis questions précises : Qu'est-ce qui me pousse à quitter la foi ? Quelles valeurs m'attirent dans l'Eglise ? Et une phrase catégorique, encadrée : "En fait, peur d'affronter une négation profonde du milieu". Mais, plusieurs pages plus loin... "Tout à l'heure, le Seigneur, est-ce lui, m'a donné une petite lumière. Comme la certitude qu'il était dans ce tabernacle. Qu'il en soit remercié. " Ce moment va me tenir ferme dans ma foi pendant très longtemps. Ce n'est pas ce genre de question qui me fera quitter le séminaire plus tard, et j'enverrai au bain Jean de Bonald qui se fait insistant sur cette question lors d'une rencontre.

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Description générée automatiquement Sans légende !

Puis viennent les engagements professionnels et familiaux. Ce n'est plus l'heure des hésitations. Marie-Thérèse et moi trouvons tout normal de transmettre notre foi à nos enfants. Seul Cyril sera tout de suite réfractaire. Tout en admettant qu'il y a quelques problèmes, nous espérons toujours qu'il y aura convergence entre la foi et la raison, entre gauche et droite, entre bourgeois et ouvriers, entre ex-colonisateurs et pays en émergence.

A Saint Jean Baptiste de Belleville comme à Saint Nicolas de Maisons-Laffitte, nous sommes de bons paroissiens actifs, voire militants, et ne nous posons pas trop de questions, cherchant simplement un bon équilibre entre des positions trop progressistes ou trop traditionaliste. Nous espérons toujours que le Vatican reviendra un jour sur son refus de la contraception et de l'avortement, sur le célibat des prêtres et l'accès des femmes aux ordres sacerdotaux.

Jean-Paul II : la fin des illusions

Le doute va cependant revenir. Vatican II s'avère décevant. L'Eglise française est déchirée par le schisme de Monseigneur Lefebvre. Nous ne sommes absolument pas attirés par la "droite" et regrettons l'orientation de Jean-Marie et Monique. Nous apprécierons d'ailleurs qu'ils renoncent au schisme et reviennent assez vite dans le giron de l'Eglise romaine.

Entre temps, toute la montée du laïcat et d'une forme de démocratie, qui se construisait dans les mouvements d'action catholique est définitivement abandonnée. Le clergé et la Curie romaine reprennent toutes les rênes en main.

Je suis, intérieurement, de plus en plus critique vis-à-vis de l'Eglise conciliaire, en particulier telle qu'elle vit à Maisons-Laffitte. Semaine après semaine, je suis de plus en plus frappé par l'inconséquence d'un clergé (le père Sauthier, l'oncle Antoine,) qui se rattache à une tradition bi-millénaire mais ne cesse pour autant de répéter : "Ce n'est pas comme on vous a dit... il faut comprendre que.." et font sauter par dessus les clochers tout ce qui ne leur convient pas (à commencer par les anges, le diable, l'enfer..) et jusqu'aux obligations sacramentelles de la confession. Accessoirement, ce ne sont pas les nouvelles liturgies qui donnent grande envie de persévérer : musique bien pauvre des cantiques, chorales renvoyées au monde séculier, sermons désormais étroitement encadrés par l'obligation de commenter les textes du jour (Alors que j'avais connu, par exemple dans la paroisse proche du séminaire, des séries de sermons sur un thème donné, qui permettait au clergé d'approfondir une question et d'y intéresser les fidèles). Il fallait voir les acrobaties rhétoriques des prêtres pour essayer de recoller avec les réalités de la communauté qui les écoutait. Je pense par exemple au sermon à Senneville pour notre réunion de famille. Ou, dans un autre genre, des interprétations "accomodatices" d'un père Hascouet, très traditionaliste, voyant dans les Noces de Cana la preuve qu'il ne faut pas faire l'amour avant le mariage.

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Description générée automatiquement Ambiance « cool » au conseil pastoral, aux équipes liturgiques.  Au centre, le père Sauthier, notre curé.

Cela dit, la vie paroissiale à Maisons-Laffitte est passionnante. Une certaine forme de démocratie s'instaure avec le Conseil Pastoral. J'admire que le père Sauthier, malgré son tempérament assez autoritaire, accepte de se plier à certaines de ses... pressions. Et je gère en bon catholique le Groupe scout, en affirmant à la fois sa forte relation à la communauté catholique locale et l'indépendance de ses orientations pédagogiques. Le Père curé joue le jeu.

Avec l'arrivée de Jean-Paul II et la grande célébration au Bourget, l’atmosphère change radicalement. Non seulement il sonne le glas, après tant d'espoirs (Paul VI, Jean-Paul II) d'une évolution de l'Eglise sur le fond, mais il met radicalement la barre à droite. En gros : arrêtez de réfléchir, baissez la tête et priez à genoux. J'y vois d'abord un retour salutaire à la méditation et à la prière, trop négligée par le clergé de l'heure (Je me rappelle des excès de l'Action Catholique de l'Assurance à l'abbaye du Bec Helloin. Malgré le splendide et priant cadre monastique, nous avons très peu de temps our l'oraison, beaucoup pour la discussion voire le tourisme aux environs. Je m'en plains à l'aumonier, le Père Durosoy, qui me répond sans ambages : "On est ici pour communiquer". Mais c'est passer d'un extrême à l'autre.

C'est donc clair : Il faut choisir entre la foi et les lumières. Il n'y a pas place pour une église "moderne". Le serment antimoderniste, remis à l'honneur, le confirme bientôt. En 2002, ma belle-mère me dira : "Maintenant il faut s'adresser aux vieux prêtres pour trouver des ides modernes. Les jeunes sont réactionnaires, doloristes. "

Au départ, j'admire les efforts du pape pour renouveler la communication de l'Eglise, ses messes à grand spectacle (et son courage après l'attentat dont il est victime, y compris de rendre visite à son meurtrier). Mais mon avis devient de plus en plus négatif : il centre toute l'attention sur sa personne devenue super-star, ruine les diocèses avec le coût de ses voyages et ne facilite guère pour autant la vie des paroisses.

Voulant me faire en direct une idée de la pensée de l'Eglise, au-delà de ce que peuvent en dire mon curé ou les chroniques de Jean-François Tincq dans Le Monde, je m'abonne à la Documentation Catholique. Déception là encore.

Par ailleurs, mes enfants sont maintenant tous éloignés de la religion, soit totalement, soit en tous cas fort loin du type de foi engagé, pratiquante et militante qui a été ma vie jusque-là. Ma responsabilité vis à vis de leur foi n'est plus engagée.

Le doute devient assez fort pour que je refuse nettement au Père Sauthier de prendre la responsabilité de l'enseignement catéchétique dans la paroisse. Et lui dis assez clairement (me semble-t-il) que ma foi n'est plus assez solide pour que j'envisage de l'enseigner. Je continue quand même à participer activement à l'animation liturgique.

De son côté, Marie-Thérèse aussi est de plus en plus rebelle. Depuis longtemps, elle se faisait critique, exprimait des doutes.

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Ces questions, je les remets entre vos mains.

Un épisode confirme cette évolution de l'église. Un synode paroissial est organisé en octobre 1989. Toute la paroisse se met à concocter des questions à lui poser. Quelques unes (et je n'y suis pas pour rien) vont droit aux thèmes difficiles : sacerdoce des femmes, autorité dans l'Eglise.. On se demande ce que répondra l'évêque... La réponse est théâtrale : il vient à l'ambon, à la rencontre du président du conseil pastoral, lui tend nos feuillets et déclare : "Ces questions, je les remets entre vos mains ... " Beau geste (je fais une photo). Sur le moment, je suis impressionné : il nous rend responsables. Très vite je comprends qu'il s'agit tout simplement de ne pas répondre, de ne pas dialoguer. Le président du conseil pastoral me le confirme : "Et maintenant qu'est-ce que je vais en faire, de ces questions ?"  On n'en parlera plus.

Commentaire de Marcel : mêmes expériences dans d'autres synodes, avec les trois questions qui reviennent partout : mariage des prêtres, ordination des femmes, sort des divorcés remariés.

J'essaye (nous essayons) de résister avec une "communauté de base" (avec notamment M. Pelzer). Cela ne marche pas. A une proposition de formation à la paroisse, je réponds que, étant donné ma culture, je n'admets plus désormais de participer à un groupe de réflexion que si moi aussi j'ai quelque chose à enseigner.

Les réunions du club de l'hypermonde contribuent à me détacher. D'une part il m'apporte un groupe de réflexion, une relation humaine, qui remplace celle que je trouvais autrefois dans les groupes d'action catholique ou autres groupe paroissiaux. D'autre part certains membre, notamment Chiaramonti, me poussent au dehors. Critiquent en particulier la partie religieuse de "Maintenant l'hypermonde" : Ce n'est pas la peine d'aller jusque-là pour en revenir à des fables du moyen-âge".

Rupture, nostalgies... vers l'opposition active ?

Finalement, je décide d'attendre le pèlerinage paroissial à Chartres, et d'en faire une sorte de retraite avant tout choix. Le test est décisif. Ce que je vois et entends du clergé comme des laïcs avec que je dialogue, me convainc définitivement : je ne suis plus de ce monde-là ! Au retour, je téléphone au presbytère pour dire que je n'animerai pas le dimanche suivant, comme il était prévu. Je n'en dis pas plus, ne souhaitant pas faire de vagues. Et personne de la paroisse ne viendra me demander pourquoi, ni tenter de me faire revenir.

Je ne quitte pas seulement l'Eglise, mais toute religion. J'ai fait quelques excursions à l'église protestante de Maisons-Laffitte, lu un peu le Coran et la Baghavad-Gita. Je n'ai rien trouvé qui m'y attire. L'Eglise anglicane ressemble comme une soeur à la catholique, saut que la liturgie est encore plus pauvre, et qu'on y dit du mal du pape. Le Coran, horreur. La Gita, bof. Tant qu'à partir, ce sera radical. Je serai athée, à tout le moins agnostique.

J'annonce la nouvelle à ma famille. Marithé ne dit rien. Les enfants non plus, que je me souvienne. Seuls, Marcel et Odile viennent aux nouvelles : "Alors, maintenant, tu es un petit païen ?". Je reste ferme. Eux aussi d'ailleurs !

Restent, un temps des nostalgies. Puis elles s'estompent. Un peu comme l'envie de fumer. Oui, la religion est un drogue. A petite dose, elle peut être nécessaire. Comme le dit ma belle-mère un jour ou nous en discutons "Arrêtons, Pierre. J'ai besoin de croire, de croire à l'efficacité de la prière". Lucide au fond ! Joël écrit : "La croyance, au sens large du terme, est nécessaire à l’équilibre psychique de l’homme (protection des angoisses." A forte dose, la drogue est dangereuse. Et, dans tous les cas, elle a de fâcheux effets secondaires.

Mais alors, il faut assumer ma liberté. Si Deus non est, unde bonum (Si Dieu n'existe pas, d'où vient le bien ?, volet complémentaire du problème du mal : Si Deus est, unde malum ?). D'où, de 1992 à 1999, la poursuite d'une réflexion pour construire ma propre doctrine, pour construire une croyance sans effets secondaire, ou un minimum. Cette recherche débouche sur mon livre "L'informatique libère l'humain". Cohérence retrouvée, un peu vague peut-être. Et qui ne convainc que moi : en dehors de Joël, personne ne lira jamais vraiment ce texte que j'ai voulu clair, et qui est visiblement ... illisible. Peut-être suis-je simplement trop en avance ...

En tous cas, au fil des ans, rencontres et lectures ne font que renforcer mes nouvelles convictions. Quelques exemples. Sur le plan intellectuel :
- faiblesse de tous les textes chrétiens que je regarde (Kung, encycliques, Bonhöfer, et Teilhard lui-même, à le relire de plus près, et le commentaire mi-figue mi raisin de son confrère archéologue l'abbé Breuil "la grande de Teilhard s'est envolée, nous laissant sur terre avec nos semelles de plomb".
- l' Histoire religieuse de la France contemporaine, de Cholvy et Hilaire,
- confirmations archéologiques convergentes sur le fait que la Bible est essentiellement un texte construit pour des raisons politiques (notamment au retour de Babylone), et qui d'ailleurs continue d'être utilisé pour la même fin par les sionistes ; et donc, aveuglement (plus oui moins volontaires) de l'Eglise qui nous l'a présenté comme directement inspirée par Dieu, même en y mettant toutes sortes de bémols,
- persistance de l'absence de bonnes solutions au "problème du mal",
- découverte des textes d'Onfray, parfois excessifs ou trop commerciaux, mais néammoins constructifs,
- ...

Sur le plan moral :

- l'Action catholique a été sabordée, le projet de l'Eglise n'a donc plus rien à voir avec celui qui pouvait enthousiasmer mes jeunes annés,
- meilleure prise de conscience de la faiblesse de l'Eglise (pas seulement de PIe XII, mais aussi de tous les évêques français) à l'époque du nazisme,
- un texte très sévère sur "la fabrication des saints", à propos notamment de Thérèse de l'enfant Jésus(disponible en ligne http://terrain.revues.org/index3116.html)
- inconscience de l'Eglise par rappport aux problèmes de l'heure (Sida en Afrique, par exemple),
- machisme confirmé du clergé, surtout au plus haut niveau,
- plus récemment, révélations accumulées sur la pédophile du clergé,
- arrangements du Vatican avec les intégristes et, plus grave encore, avec des sectes comme l'Opus Dei, allant jusqu'à la canonisation en processus accéléré du père Escriva; très probablement pour des raisons financières, ces groupes étant puissants, à un moment où les finances du Vatican sont catastrophiques (en particulier à cause des voyages de Jean-Paul II, mais évidemment aussi par la quasi disparition de communautés autrefois très vivantes, notamment aux Pays-Bas,
- plus concrètement et proche de moi : haute tenue morale de la famille Delorme, pourtant absolument étrangère à toute préoccupation religieuse,
- par contraste, le comportement fiscal de bons chrétiens que je ne nommerai pas,
- confirmation, au fil des ans, de la réponse positive à une gentille question d'Odile "Es-tu plus heureux comme cela ? ",
- et, à l'automne 2010, cette belle phrase de Luc Ferry .. " pour la première fois peut-être dans l'histoire, l'amour est devenu le principe fondateur d'une nouvelle vision du monde, le véritable foyer qui redonne sens et réorganise aujourd'hui les valeurs.. in "La révélation de l'amour. Pour une spiritualité laïque".

Peu à peu, la nostalgie a fait place à un certain dégoût.
- Pour ces nus torturés mis en place centrale dans nos églises, et commentés par les stations du chemin de croix, quand ce n'est pas par des tableaux de martyre.
- Pour des mélanges choquants entre les pouvoirs et la foi. Je pense à cette petite église de Versailles, où fut enterré notre oncle Pierre Carlier, et où la Vierge trône, par dessus l'autel, sur un amoncellement de canons. Et où, de plus, le célébrant n'eut pas honte de placer la sébile au pied de l'autel, non pas à l'offertoire, mais au moment de la communion, en insistant lourdement sur les besoins matériels de la communauté.
- Pour les textes bibliques : j'ai ré-ouvert récemment la Genèse pour mieux comprendre la symbolique de l'échelle de Jacob, chère à Marcel. Il y a bien des passages admirables. Les deux premiers chapitres, surtout. Mais ensuite, comment a-t-on pu, pendant des siècles, nous présenter comme sacrés une telle suite d'histoires aussi crapoteuses ? Ce n'est pas pour rien que le texte bilblique complet est resté longtemps caché aux simples fidèles!
- Et même, hélas, pour les chants liturgiques et le grégorien. Je pense à ce Salve Regina que j'ai tant aimé, de la Pierre-qui-Vire à Silvacane.... , si tendre, si apaisant, dernier chant de Complies avant les "noctium phantasmata" (...) Mais heureux ceux qui ne savent pas le latin et ne réfléchissent pas aux paroles ; vallée de larmes, intervention de cette étrange vierge mère qui devrait avoir pitié de nous.... Il est vrai que la Marseillaise, aujourd'hui, pose le même problème.

Oui, mais alors, pourquoi être resté si longtemps ? Ce retournement de mes idées, et même de mes sentiments m'oblige, à me justifier vis-à-vis de moi-même, et à front renversé par rapport au reste de mon existence. A l'époque de mes doutes, puis de ma décision de rupture, il fallait trouver les bonnes raisons de partir. Maintenant, il me faut, à tout le moins, expliquer ma si longue persistance dans l'Eglise.

La réponse est relativement simple, mais à deux niveaux.

D'abord, la qualité de mon environnement familial, le dévouement sincère, le courage de ces ménages, de ces prêtres, justifiaient que je ne m'en écarte pas à la légère. Et, une fois engagé dans cette voie comme père de famille, la crainte légitime de mettre en cause un système de convictions qui formait la base de l'éducation de mes enfants. Qu'il y ait eu là-dedans une part d'illusion plus ou moins volontairement entretenue, je n'en jugerai pas encore définitivement.

Au deuxième niveau, comment expliquer que ma famille soit elle-même restée religieuse à ce point, comme une grande partie de la bourgeoisie française, alors même que depuis les Lumières, les progrès scientifiques (notamment à la fin du XIXe siècle, en matière d'archéologie biblique et de crtiique littéraire) et l'avancement des idées morales (démocratie, féminisme) rendaient de plus en plus contestables la doctrine de l'Eglise. Des lectures historiques, aussi bien qu'une analyse des textes disponibles sur la famille (notes de Juliette Billiet, d'Anne-Marie Boulan), me conduisent à une conclusion simple : c'est la peur du communisme.

Le manifeste du parti communiste, de Marx et Engels, date de 1848. La commune de Paris vient un peu plus tard. Pour des familles bourgeoises, certes méritantes, comme nos ancêtres du Nord en particulier, la religion, et une religion simple, ne se posant pas de questions, était le meilleur rempart d'une supériorité essentiellement économique. C'est à cette époque que le père d'Anne-Marie Boulan se convertit devant le cruxifix. Quant aux Bouasse, la source même de leurs revenus provient de la religion, celle de l'Art Saint Sulpice, qui n'a rien d'une foi éclairée et critique. J'entends encore l'oncle Luc se demander si les Berger pouvaient ête fiers de ce passé.. C'est cette bourgeoisie-là qui a construit le Sacré-Coeur sur cette colline dont descendaient les "partageux",et qui y a cloitré sa fille Germaine. Gallia poenitens et devota !

De tout cela, il n'était pas question de discuter sérieusement chez les Lefebvre ni chez les Berger. Et j'ai donc eu de bonnes raisons d'attendre, si de bonnes raisons suffisent en ces matières.

Mais, aujourd'hui, l'heure n'est plus aux nostalgies, mais plutôt à l'indignation. Devrais-je aller, aujourd'hui, jusqu'à un militantisme antireligieux actif ? C'est un peu tard, vu mon âge et mon état de santé. A l'heure où je termine ce chapitre de mes mémoires,les bombes éclatent. Au nom du Dieu miséricodieux, des sunnites se font exploser sur des marchés chiites aux heures d'affluence ! Comme on le dit de la démocratie, l'athéïsme est la pire des religions, à l'exception de toutes les autres.

Je doute qu'il faille aller jusque là. En tous cas dans mon cas personnel.

Je crois :

- La terre que nous habitons, et l'humanité plus encore, sont extrêment improbables. Il y avait bien peu de chances qu'ils apparaissent dans l'univers, et ils auraient dû, statistiquement, disparaître depuis longemps. Les hommes sont en moyenne trop bètes et trop méchants pour mériter de subister. Alors, puisque malgré toutes les prévisions rationnelles, ils subsistent depuis des millions d'années, il n'est pas déraisonnable de parier sur le fait que cela continuera encore pendant assez longtemps, malgré les multiples raisons qui poussent à prévoir leur fin prochaine.

- L'athéïsme n'est pas très facile à vivre, dit-on. Cela dépend pour qui. Pour une grande parie des humains, et de Français, le problème de Dieu ne se pose pas, en dehors des problèmes que peuvent leur poser les croyants.

- Alors que faire ? Sur quels principes baser mon action, orienter ma vie. J'en disserte assez longuement dans mon livre "L'informatique libère l'humain". Il y a une pyramide de motivations.

Dans mon cas particulier, en décembre 2010 :
- le premier problème est de ne pas trop déranger ma famille ni l'environnement au sens large. Comme disait ma grand-mère Gandilhon "Quand on est jeune, on fait sa toilette pour plaire. Quand on est vieux, on la fait pour ne pas déplaire".
- le deuxième est d'apporter une contribution positive ; et pour l'instant, je considère que mes activités philosophico-artistiques sont ce que je peux faire de mieux pour aider les autres à vivre, à aimer la vie et donc à ne pas se laisser entraîner dans des voies négatives.

La religion

Ma relation avec la religion a suivi un itinéraire qui reflète aussi bien une évolution personnelle qu'un changement profond de l'Eglise et de sa position dans le Monde.

Pendant toute ma jeunesse, un grand consensus familial, élargi à la plus grande partie de mon milieu social, met la religion au premier plan. A la fois par les réels succès qu'elle obtient et par le voile jeté sur ses points faibles. Il suffit de rappeler l'indulgence extrême dont ont bénéficié les autorités ecclésiastiques à la Libération pour situer ces enjeux. Le parcours dans les paroisses de la Vierge du Bon Retour (quelque chose comme cela) a suffi a faire oublier la complaisance marquée par l'Eglise au Maréchal jusqu'aux dernier moment, même après le débarquement de Normandie !

Note le 8 mai 2021.

Je suis monté hier au Sacré-Cœur de Montmatre. J’aime beaucoup cet église et sa structure d’espaces concentriques autour du Saint-Sacrement : le chœur, un espace réservé à ceux qui prient, l’ensemble du bâtiment et, en sortant l’immense vue sur Paris.

De même qu’à Houlgate, l’été dernier, j’ai aimé cette belle église et la parfaite structure de la liturgie de la messe, centrée sur la concentration et débouchant sur l’envoi « Allez, la messe est dite ».

Mais toute la doctrine, tous les textes, me semblent désormais à la fois intellectuellement invraisemblables, et pratiquement plutôt démobilisants. « Donnez nous aujourd’hui notre pain quotidien… » ! Trop facile.

Note le 29 juin 2021.

Récemment, dans mon entourage, on apprend tout à coup qu’un prêtre d’une cinquantaine d’années vient d’être exclus par son évêque, parce qu’il vit maritalement depuis longtemps et a deux enfants.

Ca ne m’indigne pas qu’il ait succombé « aux tentations de la chair ». Mais ça me fait mal, d’abord dans l’intérêt de ces deux enfants, qui pendant des années ont vécu sans savoir qui était leur père. A fortiori leurs grands-parents, oncles, tantes et cousins.

Ca me fait mal qu’il n’ait pas eu le courage de prendre la question courageusement et de trouver une soluti on (qui ne pouvait être qu’un départ volontaire de l’Eglise. .

Ca me fait mal que personne dans son entourage, famille, amis, paroissiens, évéché, n’ait senti depuis longtemps que quelque chose ne tournait pas rond.

Ca me fait mal que, dans ce cas de figure, le prêtre licencié se retrouve à peu près sans indemnités de chômage ni retraite. Et avec u, CV très difficile à vendre à un employeur.

Et personnellement, si mes doutes sur la religion sont nés très tôt de problèmes intellectuels (le problème du mal, typiquement), progressivement c’est pour des raisons morales que l’Eglise me choque. Et, sexualité sacerdotale mise à part, je n’ai pas l’impression que ça se tellement mieux ailleurs.