@SURTITRE:BUSINESS PROCESS REENGINEERING
@TITRE:Le retour des organisateurs?
Porter le fer au coeur de l'entreprise
@CHAPO:Qu'ils le souhaitent ou non, de nombreux responsables informatiques doivent participer à une opération de "BPR", remise à plat radicale d'un ou plusieurs "processus" de l'entreprise. S'appuyant sur les technologies de l'information, ce type d'action relève plus encore de l'organisation et de la motivation des hommes.
@TEXTE:Plus de 3000 personnes ont payé l'an dernier quelque 2000 dollars pour assister aux séminaires de Michael Hammer, le prophète du "Business process reengineering" expression pratiquement intraduisible en français, sinon par des approximations comme "transformation d'entreprise". Son livre, cosigné avec James Champy (voir bibliographie), caracole en tête des meilleurs ventes. Bien que l'expression soit protégée par un Copyright, ses créateurs la laissent assez largement utiliser par la plupart des consultants de direction générale, qui contribuent à le répandre. Quelques réfractaires, cependant doutent de la réelle originalité de ce concept à la mode. Ou y voient le dernier alibi trouvé par le patronat pour justifier les licenciements les plus massifs.
Impossible, en tous cas, d'ignorer le mouvement. La CEE elle-même vient de lancer une étude pan-européenne baptisée Cobra (Constraints and opportunities in business restructuring, an analysis), sous la direction de Colin Coulson-Thomas (Adaptation Ltd), avec des participants britanniques, grecs, allemands et belges. Tentons donc à la fois d'en préciser le contenu et de cerner le rôle que peuvent y jouer les responsables informatiques.
@INTER:Une démarche radicale
@TEXTE:"Faire du reengineering, c'est à proprement parler repenser à la base (fundamental rethinking) et radicalement re-concevoir (radical redesign) des processus d'entreprise pour obtenir des améliorations dramatiques (sic) en matière de performances actuellement critiques, comme le coût, la qualité, le service ou la vitesse", écrivent Hammer et Champy. Ils précisent que la définition contient quatre mots clés: fondamental, radical, dramatique, processus. Trois adjectifs, pour ne pas dire trois superlatifs, pour un mot technique, processus.
D'emblée, Michael Hammer s'était signalé par le caractère provoquant de sa doctrine: "Don't automate, obliterate" (N'automatisez pas, supprimez), titrait-il un article de la Harvard Business Review (juillet-août 1990). Ce cri venait au bon moment, dans une Amérique qui sentait le besoin d'opérations chirurgicales face à des concurrents asiatiques efficaces. Des démarches comme celles Jack Welch à General Electric (voir article joint) montraient la voie. A tous ceux qui voulaient donner un coup d'accélérateur à la transformation des entreprises, Hammer et Champy apportent une potion magique. Elle dosse efficacement les récits de guérison, le recours à la technologie et l'innovation méthodologique.
@INTER:L'informatique doit prendre les devants
@TEXTE:Le sandwich BPR, entre deux grosses tranches d'organisation et de méthodologie, ne se conçoit pas pour autant sans une couche discrète mais puissante d'informatique. Ses auteurs sont d'ailleurs plus informaticiens qu'organisateurs. Hammer a enseigné la "computer science" au MIT, Champy préside CSC Index, du groupe Computer Sciences Corporation.
Leur livre consacre un chapitre aux technologies de l'information. Mais l'ordinateur ne doit servir à résoudre les problèmes posés par les utilisateurs, à automatiser l'existant (pensée "déductive", selon nos auteurs). Il doit permettre de "commencer par faire percevoir une puissante solution(sic), puis à chercher les problèmes qu'elle peut résoudre, et dont l'entreprise n'est probablement même pas consciente" (pensée "inductive"). Suit une rafale d'applications: bases de données pour diffuser l'information partout où elle est nécessaire, systèmes experts pour confier à des généralistes le travail précédemment réservé à des spécialités, réseaux de télécommunications pour bénéficier à la fois de la centralisation et de la décentralisation, etc.
N'en déduisons pas, pour autant, que l'initiative appartient à l'informaticien et donc au DIO. Hammer et Champy définissent quatre rôles-clés: le leader (un dirigeant assez courageux pour déplacer les montagnes), un "propriétaire de processus" (responsable opérationnel), un comité de pilotage et un "tzar de reengineering", autrement dit le spécialiste méthodes, en quelque sorte. Rien n'empêche les informaticiens de revendiquer un ces rôles... ni de rester en marge comme de simples gestionnaires de plates-formes.
@INTER:L'approche par processus
@TEXTE:Quatrième mot-clé de la définition du BPR, le processus n'a certes pas attendu Hammer et Champy pour entrer dans le vocabulaire des organisateurs. Ils parviennent cependant à lui donner une force nouvelle. En le posant par exemple comme un concept transversal par rapport à l'organisation existante, avec ses divisions, services, ateliers, bureaux, agences, etc.
Plutôt qu'une analyse abstraite, le livre explique le processus par un exemple. Le traitement d'une demande de financement chez IBM Credit prenait huit jours. Deux managers expérimentés prirent la peine de suivre un dossier de bout en bout. Ils virent que le temps de traitement réel ne dépassait pas une heure et demie, le reste du temps étant consommé par la circulation d'un service l'autre. Plus près de nous, le cas du "traitement des espèces" à la Bred (article joint) illustre clairement cette manière de faire table rase de l'organisation traditionnelle.
Les techniques de la gestion électronique de documents et de workflow, bien que non citées par l'ouvrage américain, devraient montrer ici toute leur force. Non seulement pour accélérer les circulations, mais d'abord pour les analyser. Najah Naffah (vice-président Open systems and software, Bull) note ici un renforcement réciproque du BPR et de la technologie. Les outils de workflow donnent en effet une visibilité sur les processus administratifs nettement plus rapide, précise et quantifiée que les analyses traditionnelles des circuits papier. Ils se combinent avec des outils de modélisation et de simulation des processus, qui permettent par exemple de déceler les zones d'engorgement créées par le retour de dossiers mal traités.
@INTER:Réduire les effectifs tout en motivant les hommes
@TEXTE:On accuse souvent le BPR de pousser aux licenciements massifs, voire de leur servir de justification doctrinale. De fait, des améliorations de performances "radicales" et "fondamentales" ont quelques chances d'avoir des effets... "dramatiques" pour le personnel (voir l'article sur General Electric).
Dans la situation actuelle de l'emploi, des pressions s'exercent maintenant pour pousser l'entreprise à développer de nouvelles activités. Gemini Consulting, par exemple, propose son schéma des 4R: la restructuration génératrice de productivité et les mouvements de portefeuille (suppression d'activités peu rentables) se compense par des actions de "revitalisation": régénération des activités existantes et développement d'activités nouvelles.
De leur côté, Hammer et Champy insistent surtout sur le nouveau rôle des hommes. Individuellement, les nouveaux types d'organisation enrichissent leurs tâches, réduisent les contrôles, font porter la motivation sur la satisfaction des clients plutôt que sur le contentement du chef. Là réside le paradoxe majeur du reengineering: tout en faisant peser lourdement la menace permanente des "restructurations", il demande à tous l'adhésion à un exigeant système de valeurs au service de l'entreprise.@SIGNATURE:PIERRE BERGER
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@SURTITRE:OU ACHETER DU BPR?
@TITRE:Une offre de services diversifiée
@CHAPO:Le BPR se pratique essentiellement avec les ressources internes de l'entreprise. Mais une aide extérieure peut apporter un oeil neuf et quelques compétences spécifiques. Comment choisir ses partenaires?
@TEXTE:Tous les grands groupes de conseil, et nombre de firmes plus petites voire de consultants individuels) visent à se placer sur le marché du BPR. Les constructeurs d'ordinateurs veulent aussi leur part, qui va de pair avec le rôle d'intégrateur qui leur semble essentiel à leur avenir.
Bull fait le lien avec ses produits de work flow (Image Works) et son architecture ouverte DCM. En particulier, à la récente foire de Hanovre, sa division OSS (Open systems and software) a indiqué qu'elle "s'attache à mobiliser les technologies de l'information au service de la refonte des processus de travail des entreprises, dont le fonctionnement est de plus en plus coopératif".
IBM confie plutôt ce type d'interventions à sa filiale IBM Conseil et plus précisément à son département "ingénierie d'organisation". Sa méthodologie repose sur deux modèles conceptuels: stabilité dynamique et alignement stratégique.
Parmi les consultants et SSII, quelques unes communiquent sur leur offre en BPR.
CSC, en France comme aux Etats-Unis, a trouvé dans le BPR un excellent levier pour le développement de ses activités. Michael Hammer a aujourd'hui quitté CSC pour se consacrer à sa propre société, axée sur la formation au BPR. Des recherches communes aux deux firmes pourraient se poursuive dans le cadre d'une "Fondation CSC" récemment créée.
Gemini Consulting, dont les activités BPR sont animées par Francis Gouillart, s'exprime notamment à travers sa revue "Transformation", où interviennent des gourous comme Bob Kaplan ou Chris Argyris. Dans le numéro Un, Dan Valentino présente la doctrine maison des "4R": renouvellement, restructuration, recadrage, revitalisation.
Sema-Group propose une "démarche globale, qui couvre le cycle complet du BPR". Elle s'articule en trois phases. D'abord "le développement de la vision": identification et définition des processus à refondre, anticipation des risques, vision qui fédère et implique les hommes et les structures. Puis la "reconfiguration des processus" précise les sources d'information, les outils et techniques nécessaires, les équilibres entre champ et profondeur de la refonte, les étapes de mise en oeuvre. Reste, troisième phase, à conduire le changement lui-même.
Coopers et Lybrand élabore des modèles comme le "point de rupture", à partir duquel une amélioration des processus accroît sans commune mesure la perception de la valeur par les clients. (Mark Stanton, intervention au congrès SAP, 25/5/93). Chez Andersen Consulting, Hartmann Knorr met l'accent sur la nécessité d'un changement culturel. Anabel (siège social à Belfort, filiale du groupe canadien LGS) déploie sa méthode In-Vent en une série de sous-produits, de In-Plan (audit et schéma directeur) jusqu'à In-Vest (gestion des bénéfice). Parametric Technologie Corporation propose l'expression: "Reengineering product development", et s'appuie en France sur Hewlett-Packard. Trinzic complète le BPR par le BPA (Business process automation), qui met l'accent sur l'automatisation des procédures et du savoir-faire. Ce dernier point faisant appel aux techniques de gestion de la connaissance (outils textuels, systèmes experts). Etc.
Comment choisir? En toute hypothèse, l'essentiel du travail se fera en interne, avec les dirigeants, les opérationnels et les spécialistes maison. Mais un expert ou une petite équipe venant de l'extérieur, peuvent débloquer la situation. Elle apporte son indépendance (relative d'ailleurs, car elle dépend peu ou prou de l'autorité qui paie ses facture), son expérience dans d'autres entreprises, et le maniement d'un vocabulaire étranger au jargon et aux habitudes mentales de la maison. Des mots nouveaux qui facilitent, a dit Jacques Mélèse, une sorte psychanalyse de l'organisation.
Quatre critères guideront donc l'appel à tel ou tel partenaire. D'abord la qualité de son discours: expressions capables de motiver, structuration en une "méthodologie" cohérente et bien étoffée, appuyée le cas échéant sur des progiciels. Ensuite son image de marque, importante pour emporter la conviction. Puis la compétence et le tempérament des hommes: selon les cas, un profil de hussard ou de diplomate fera le meilleur ou le pire. Enfin, et surtout, les références dans d'autres entreprises. Rien ne remplace ici le bouche à oreille car, sauf exceptions, le BPR a des conséquences trop importantes pour se raconter sur la place publique.
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@SURTITRE: BIBLIOGRAPHIE
@TITRE:Les bons auteurs du BPR
@TEXTE:Le business process reengineering a l'avantage d'avoir été défini avec précision, clarté et concision par les créateurs même du concept, dans le livre "Le reengineering", publié Français par Dunod en 1993. Les amateurs de VO préféreront l'original "Reenginering the corporation", Nicholas Brealey Publishing, London, 1993.
Parmi les ouvrages actuels proches du thème, notons "Le reengineering l'entreprise reconfigurée" de Guy Jacob, proche des classiques d'Outre-Atlantique (Hermès, 1994), ou "L'entreprise en mouvement" de Benoit Grouard et Francis Meston, moins violent que les doctrines américaines (Dunod, 1993).
Francis Gouillart (Gemini Consulting), avec "Stratégie pour une entreprise compétitive" pousse l'analyse en profondeur. Il a le mérite de situer les thèses de Hammer et Champy dans la nébuleuse des gourous américains et l'histoire de quelques grandes opérations (dont General Electric, voir article dans ce dossier). S'il est quelquefois un peu touffu, on appréciera à la fois sa fougue, son honnêteté et la richesse de sa culture.
Pour mieux situer les vedettes américaines du management, on appréciera "Toutes les théories du management", de Carol Kennedy (traduction française chez Maxima, 1993), qui permettra au mieux de relativiser l'affirmation de Hammer et Champy selon lesquels personne n'a innové sérieusement entre Adam Smith et eux-mêmes. On remarquera d'ailleurs que leur livre ne comporte aucune bibliographie, et en particulier se garde bien faire référence à Charles Wiseman et à son "Informatique stratégique" (Traduction française aux Editions d'organisation, 1987), pourtant essentiel, qu'ils le veuillent ou non, au BPR.
Pour achever de retracer la genèse conceptuelle du mouvement, on lira ou relira avec plaisir "L'analyse modulaire de systèmes, AMS", de Jacques Mélèse: dès 1972, tout en parlant de chaînes plutôt que de processus, il nous conviait à une réflexion qui n'a pas trop vieilli (réédition en 1991 aux Editions d'organisation). Le mot même de processus était déjà employé par le Scom (Service central organisation et méthodes du ministère des finances dans "Etude des processus", publié au début des années 70). Mais, selon une habitude mentale qui remonte au moins au début du siècle, les Français adorent importer des Etats-Unis les idées qu'ils ont fait germer dix ou vingt ans plus tôt: le BPR ne fait pas exception.
Enfin, aux informaticiens prêts à tous les efforts pour rester "branchés", conseillons la lecture régulière de la Harvard Business Review. Ils seront aux premières loges pour découvrir le concept génial qui, bientôt, enverra au musée le bon vieux BPR.