@SURTITRE:ENTREPRISE ET RESEAUX

@TITRE:Quelle Europe pour le contrôle aérien?

@TEXTE:Faut-il piloter de Bruxelles tous les vols, ou laisser à chaque pays, voire à chaque avion, la responsabilité de la sécurité aérienne? L'informatique de contrôle, toujours plus puissante, laisse le choix aux politiques.

@TEXTE:"Le commandant de bord s'excuse pour le retard, mais notre vol de Bordeaux à Marseille doit attendre l'accord de Bruxelles". L'agacement du pilote et le clin d'oeil nationaliste aux passager exprime une réalité: depuis le 27 avril dernier, le centre opérationnel de Brétigny, près de Paris, a déménagé pour s'intégrer au CFMU (Central flow management unit) d'Eurocontrol, près de Bruxelles. La France témoigne ainsi de son engagement européen, tout en renforçant sa position de principe: le contrôle des vols à proprement parler reste du ressort des pays, Eurocontrol doit jouer essentiellement un rôle de coordination.

Cet épisode marque une étape dans l'informatisation du contrôle aérien. Une course permanente de vitesse entre la technologie et l'augmentation du trafic, de 5% par an au moins. Dans un espace de plus en plus encombré, les "aiguilleurs du ciel" ont besoin d'outils de plus en plus performants. L'Aviation civile ne renâcle pas devant les investissements. Les équipes de développement sont passées de 80 personnes en 1985 à 200 en 1993. Mais il s'agit de faire évoluer, ou migrer, de grands systèmes, et toujours progressivement, sans baisse de la sécurité ni bien sûr arrêt du trafic.

@INTER:La longue marche du Cautra

@TEXTE:Pour le contrôle aérien français, une forte migration s'est achevée en 1993. Le système de contrôle des avions en vol, Cautra (Coordonnateur automatique du trafic aérien) est passé en cinq ans d'une plate-forme Bull Mitra sur quarante machines Data General. Il s'agissait pourtant d'un simple portage, conservant le langage français temps réel LTR 2. Mais il s'appliquait à 1,5 millions de lignes de code. Le projet prit un an de retard, pour différentes raisons, notamment un manque de puissance du matériel qui obligea à renforcer la configuration. Rien de surprenant pour un projet informatique, mais le trafic en pâtit en 1991 et 1993, car l'ancien système ne parvenait plus à suivre la charge. Et l'Aviation civile privilégia toujours la sécurité, le moindre risque, au respect des horaires.

Sur cette nouvelle base s'appuient plusieurs projets nouveaux. Ecrits cette fois en Ada: nouveau programme de "poursuite" des avions, nouvelle interface pour les contrôleurs. Celle-ci comporte par exemple une entrée tactile, le Digitatron. Mais le poste de travail du contrôleur fait vraiment un saut avec le projet Phidias, dont le déploiement va commencer et ne s'achèvera que vers 2005. Il emploie un grand écran carré Sony à haute définition (2000x2000 pixels) qui permet une ergonomie soignée, progressivement mise au point pour prendre en compte les caractéristiques particulières du poste: données complexes, interventions en temps réel, risque de stress dès que l'espace s'encombre un peu trop. Le développement, sur machine Unix avec interface graphique Motif X-Window, se fait essentiellement en Ada et C++.

@INTER:Contrôler, mais aussi communiquer

@TEXTE:A l'intention des aéroports, et toujours dans le cadre de l'Aviation civile, Sigma (écrit en C sous Unix, avec Oracle DMMS et des communications X.25 maîtrise d'oeuvre Cap Sesa pour le logiciel) diffuse des informations émanant notamment du Cautra. Toulouse et Marseille, par exemple, les intègrent dans leur propre système d'information, à base de PC (réalisation Europe Informatique). Le Cautra fournit aussi des données aux centres de contrôle militaires (Strida), réalisés avec Alcatel-ISR.

@INTER:Déterminer le rôle d'Eurocontrol

@TEXTE:Au Salon du Bourget de 1989, IBM fit une forte pression pour prendre en main tout le contrôle aérien de l'Europe. Les arguments ne lui manquaient pas. D'une part la nécessité d'une coopération au niveau continental pour faire face à la croissance du trafic. D'autre part son prestige et ses grands projets en cours avec la FAA (Federal aviation authority), dont le modèle aurait pu se transposer à l'espace européen.

Par la suite, le Numéro Un a dû modérer ses ambitions, en Europe comme aux Etats-Unis. Il a d'ailleurs cédé ses compétences spécifiques à des entreprises spécialisées. En tant que constructeur, ses positions restent cependant fortes, notamment en Angleterre (système Nerc) et à Eurocontrol. Cet organisme joue actuellement plusieurs rôles.

D'abord, au même niveau que le Cautra français, à partir de son centre de Maastricht (en Hollande) il assure le contrôle aérien du Bénélux et d'une partie de l'Allemagne. Ensuite, il devrait assurer peu à peu l'ensemble de la coordination au niveau de la gestion, chaque pays renonçant à ses centres locaux, comme vient de faire la France. Enfin, son rôle principal, pensent les autorités françaises, devrait se concentrer sur l'harmonisation. Ce troisième rôle comporte notamment la définition de standards et de protocoles à tous les niveaux: radars (Asterix), plans de vol (Adexp), échanges de données (Oldi). Il vise aussi à établir un "plan de convergence" des fonctionnalités avec des échéances précises pour leur mise en application.

@INTER:Des enjeux politiques et industriels

Comment s'organiseront finalement les pouvoirs? Les enjeux deviennent plus politiques qu'industriels. Ni Bull, ni Siemens, ni ICL n'ont aujourd'hui à faire jouer de préférences pour défendre des enjeux nationaux. Eurocontrol, au niveau contrôle, reste plus attaché aux mainframes traditionnels MVS. Mais, dans l'ensemble, les nouveaux projets vont dans le sens des "systèmes ouverts", essentiellement sous Unix. Une position dynamique de la France soutient en revanche les projets d'Alcatel-ISR et surtout de Thomson-CSF, de sa filiale Syseca et de Cap-Sesa (qui emploie 200 personnes dans ce domaine en Europe).

@INTER:Un avenir riche de projets

@TEXTE:Sur les bases actuelles se greffent en effet de nombreux projets. Syseca montrera par exemple au Bourget une station intégrant imagerie et information géographique. Et, plus concrètement, le système Decor (Données environnement contrôle pour Orly et Roissy), qui donne des informations sur la météo, l'état des pistes et l'occupation des parkings d'avions. Il sera livré clés en mains à la mi-95.

Cap-Sesa développe l'outil de prévision de vol et de gestion des régulations Previx (pour l'Aviation civile française). La firme participe au projet d'étude Daarwin "le système de contrôle aérien du 21eme siècle) et notamment à une maquette destinée à en évaluer les fonctionnalités.

Pour le poste des contrôleurs aériens, les laboratoires de Thomson-CSF élaborent des solutions futuristes. Le poste Melodia fait appel au gant sensitif et se rapproche de la réalité virtuelle, sans tout de même remplacer l'écran par le casque. Alcatel s'intéresse en particulier à la planification des opérations (système Pegase).

D'autres enfin se demandent si l'on ne franchira pas encore un pas supplémentaire en rendant aux pilotes eux-mêmes leurs responsabilités. Depuis 1994, en effet, les Etats-Unis imposent à tous les avions gros porteurs de disposer à bord d'un radar anti-collision (TCAS). Cet "oeil électronique" leur permet de connaître les appareils à proximité et de prendre si nécessaire des mesures d'évitement. En prolongeant le concept, le contrôle aérien pourrait se limiter à une régulation générale... On en reparlera en 2020. En tous cas, pour suivre l'augmentation du trafic dans un espace déjà encombré, l'aviation va continuer de demander des solutions à l'informatique. @SIGNATURE:PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:Un poste de contrôle aérien, proche du système Phidias, celui d'Eurocat au Danemark.

@LEGENDE PHOTO:Demain, le gant sensitif pour une interaction encore plus efficace.