Management

LES ENTREPRISES APPREHENDENT L'EURO

Loin du sommet d'Amsterdam de juin dernier et de son pacte de stabilité, les entreprises françaises commencent tout juste à réaliser ce qui les attend.

Selon une étude d'Eurocommerce, le coût du passage à l'euro pour la distribution européenne est estimé à 172 milliards de F. La Fédération des entreprises du commerce et de la distribution et l'Association françaises des trésoriers d'entreprise (1) pensent, elles, que ce coût représentera entre 1 à 2 % du chiffre d'affaires selon les entreprises.

A côtoyer leurs banquiers, qui s'acheminent irrémédiablement vers la date fatidique du 1er janvier 1999 (voir LMI n°713 et LMI n°669), certains groupes se préparent déjà. "Plus tôt on s'y prendra, moins les investissements seront lourds", affirme l'association pour l'Union monétaire de l'Europe (AUME) présidée par Philips et réunissant près de 70 grandes entreprises (Rhône-Poulenc, Volkswagen, Agfa-Gevaert, Airbus Industrie...). Philips a d'ailleurs déjà annoncé qu'il présentera en euro dès 1999 ses comptes d'exploitation et ses bilans trimestriels. Une récente étude commanditée par IBM Europe révèle que 33 % des entreprises françaises et même 64 % de leurs homologues allemandes songent sérieusement à basculer dès 1999. Certaines administrations - fiscales notamment - pourraient aussi prendre des dispositions en faveur de l'euro dès le 1er janvier 1999. Auquel cas, le système comptable pourra soit émettre les documents comptables en euros et assurer la comptabilité en francs, soit émettre les documents en francs et assurer la comptabilité en euros. Même le Gie Cartes bancaires se dit prêt dès la première échéance "pour traiter les opérations en euro au choix des commerçants et/ou des clients". L'évolution des terminaux de paiement se fera alors par téléchargement. Le système informatique des entreprises devra donc être modifié plus tôt que prévu pour qu'il puisse commencer - durant la phase transitoire janvier 1999/janvier 2002 - à traiter les opérations en monnaie nationale et en euros, grâce aux "convertisseurs". Mais pour l'association pour l'AUME, cela risque d'abord de commencer par une pénurie de compétences. "Il est probable, précise-t-elle, que les experts informatiques soient fortement sollicités d'ici à 1999. De nombreux programmes actuellement utilisés ont été écrits dans des langages obsolètes, tels que Cobol, par des informaticiens peuvent avoir entre temps quitté la société. Il pourrait être difficile de trouver des programmeurs qualifiés, connaissant bien ces langages, étant donné que la formation est généralement axée aujourd'hui sur des langages plus modernes".

Attentisme avant une éventuelle pénurie

Partant du principe que la maîtrise d'oeuvre sera en général conservée en interne, le Cigref estime qu'entre 600 et 3000 personnes pourraient être ainsi recrutées en entreprise autour de la problématique euro. Pourtant, l'Association française des trésoriers d'entreprise (Afte) montre dans une récente enquête que 60 % des entreprises "attendent d'y voir plus clair" avant de créer une "cellule de réflexion"... Il faut dire que bon nombre de PME (surtout si elles ne sont pas cotées, ni exportatrices, ni actives sur les marchés financiers) pourront attendre la deuxième échéance de 2002. Dans 90 % des cas, le nouveau "monsieur euro" émane de la direction financière. Normal puisque les logiciels de gestion comptable (comptes, bilan, résultats...) et les applications de gestion de trésorerie vont être touchés de plein fouet, comme le seront d'ailleurs les comptes bancaires et les lignes de crédit. "Les logiciels de gestion devront non seulement intégrer l'euro mais aussi proposer une conversion des données historiques en euro (1 à 2 ans pour la comptabilité et 2 à 5 ans pour le contrôle budgétaire)", rappelle Sage, le numéro un mondial des logiciels de gestion sur micro. Des changements informatiques seront aussi à prévoir dans la gestion clients-fournisseurs (réception et émission de factures, encaissements et décaissement, suivi des stocks...).

Pour les entreprises fonctionnant déjà avec des logiciels de gestion multidevises, la phase de transition sera mieux vécue. Pour les échanges de données informatisés, la norme Edifact multidevise devrait également faciliter les choses. Plus rares, certaines grandes organisations utilisent depuis plusieurs années l'Ecu (créé en 1979). C'est le cas par exemple d'Amadeus, pour lequel rien ne changera ou presque (voir encadré). Qu'ils soient baptisés Euroflux, Euronaute ou encore Europrogiciels, les outils de conversion ou les versions eurocompatibles tardent en tout cas à arriver sur le marché. Mais plus l'entreprise soustraite à son cabinet d'expertise comptable, moins elle aura à faire de modifications. De même, plus une entreprise externalise son informatique, moins elles aura à se préoccuper de convertir ou de migrer ses données.

Pratiquer un audit d'impact avant tout

En interne, l'AUME conseille "d'associer étroitement des spécialistes de l'informatique à la réalisation du projet dans tous les services, sans pour autant leur confier la direction de ce projet". Michel-Edouard Leclerc, qui avaient mis en circulation en octobre dernier - mais sans grand résultat - des pièces euros fictives dans certains de ses magasins, a préféré commencer par un audit confié à Ernst & Young Conseil. Un site pilote - celui de Scapnor pour Paris-Nord (l'une des 16 centrales d'achat du groupe) - vient de faire l'objet d'un audit complet (notamment au centre Leclerc de Moisselles dans le Val d'Oise). La banque du groupe (Edel) est, elle aussi, mise à contribution. Avant même que ne soient révélés les résultats de cet abécédaire du passage à l'euro, Leclerc sait que des investissements devront être faits au niveau toutes les caisses enregistreuses, des terminaux de paiement et des imprimantes de chèques dans chacun de ses 510 magasins, ainsi que sur l'ensemble des applications de gestion informatique. Des tables-rondes ont déjà eu lieu entre Scapnor et les fabricants de systèmes (Tec, ICL...). Le double-étiquetage, qui prévaudra durant les six premiers mois de 2002 pour assurer la transition à la monnaie unique (à moins d'être étalée de 1999 à 2002), risque d'être mal vécu par la distribution, plutôt partisante de la chasse aux surcoûts. "L'indication du prix en franc et en euro modifiera la largeur des tickets de caisse. Les balances de pesage devront, elles aussi être modifiées", reconnaît Leclerc. Et une fois convertis et arrondis, les prix en euro seront-ils encore 'psychologique' pour le consommateur ? Quoi qu'il en soit, tout le monde (Institut de l'euro, Cnpf, Afte, Afecei...) est d'accord : "Tenir une double-comptabilité en francs et en euros est exclue par les entreprises, ne serait-ce que pour éviter les erreurs et le surcoût d'une telle pratique"...

Charles de Laubier

(1) L'Association frnaçaise des trésoriers d'entreprise signale l'existence de newsgroup qui traitent de la monnaie unique : alt.politics.ec, eunet.politics, soc.culture.europe, talk.politics.european-union.

(ENCADRE)

AMADEUS A RESERVE LA PREMIERE PLACE POUR L'EURO

Amadeus, qui génère déjà un chiffre d'affaires de 910 millions d'Ecu, sera dès le 1er janvier 1999 parmi les premières multinationales européennes à passer à l'Euro. Amadeus est un système de réservation électronique, auquel ont accès pas moins de 40 000 agences de voyages en Europe. Travailler en Ecu est apparu tout naturel dès sa création en 1987 : le holding et la gestion financière sont à Madrid, le centre informatique à Munich, l'activité développement et marketing à Sophia-Antipolis. Grâce à ce système informatique accessible en ligne, toutes ces agences peuvent effectuer pour tout un chacun des réservations avec 430 compagnies aériennes, 55 sociétés de location de voitures et près de 31 000 hôtels de par le monde... Amadeus utilise déjà l'intégré de gestion SAP en France et en Allemagne, tandis que l'Espagne s'apprête à l'adopter en remplacement de son actuel logiciel JD Heywards (sur AS/400). Malgré son intégré de gestion multidevise, Amadeus prévoit quand même quelques ajustements, en particulier sur les décimales. "La pesetas, par exemple, n'a pas de décimales alors que l'euro en aura deux (sûrement pas quatre sauf pour certaines transactions financières)", précise Juan Zamorano, le trésorier du groupe à Madrid. Au-delà des facilités inhérentes à la gestion multidevise de SAP, l'éditeur de logiciels d'origine allemande prévoit de fournir à ses clients des outils de conversion dès la fin de cette année. Mais pour Amadeus, tout ce qu'elle gère en écu passera tout naturellement en euro grâce à la parité 1 pour 1 entre ces deux générations de monnaies européennes...

C2L

(PETIT ENCADRE)

LE PENSE-BETE A REBOURS

. Hiver/Printemps 1997 : Analyse d'impact *.

. Printemps/Eté 1997 : Définition d'un cahier des charge *.

. Eté/Automne 1997 : Protypage et tests *.

. Hiver 1997/98 : Intégration des convertisseurs *.

. Année 1998 : Mise en oeuvre *.

. Le 1er janvier 1999 : Fixation du taux de conversion. Basculent les places financières, les établissements bancaires (notamment réseau européen interbancaire Target) et certaines grandes entreprises.

. Années 1999, 2000, 2001 (porosité) :

Sensibilisation intentive du public et de la clientèle.

Passage progressif des entreprises à une gestion en euro. . Le 1er janvier 2002 : Introduction des pièces et des billets en euros dans l'économie (entreprises et particuliers). . Le 1er juillet 2002 : Le francs devient "fausse monnaie".

* Etablissements financiers et grandes entreprises