@SERGE SELETZKY, VICE-PRESIDENT DU CIGREF

@TITRE:"Processus = équipe = groupe"

@INTERVIEW QUESTION:Croyez-vous au BPR comme une base sérieuse pour les entreprises françaises ?

@INTERVIEW REPONSE:Le Business process reengineering est forcément sérieux, puisqu'il rencontre un grand succès aux Etats-Unis, le pays des grands cabinets internationaux de conseils. La France est retard. Aux Etats-Unis ces questions font la une de revues générales comme Business Week ou Fortune. Pas seulement dans la presse spécialisée en technologies de l'information. La presse française ne s'en fait que rarement l'écho.

Mais, le BPR, lancé par CSC qui a du coup pris une position privilégiée dans ce domaine, n'est-il qu'une manière de redorer le blason d'approches traditionnelles, une approche vraiment nouvelle? A tout le moins, il rompt avec le passé par son caractère radical. Plus de réorganisations incrémentales, plus de rafistolages. L'entreprise se remet complètement à plat. Elle repart de zéro. Elle élimine tout qui existait auparavant. Cette révision radicale du processus, et non pas de l'organisation, a quelque chose de vraiment nouveau. Disons qu'il comporte au pire 20% d'idées anciennes ré-habillées, pour 80% de vraiment nouveau.

@INTERVIEW QUESTION:Comment les directeurs informatiques, membres du Cigref, voient-ils leur rôle en matière de BPR?

@INTERVIEW REPONSE:Ils pensent que le BPR n'a pas à émaner de la direction informatique. S'il concerne toute l'entreprise, l'initiative doit venir du directeur général. S'il se limite à une des grandes structures de l'entreprise, d'un directeur opérationnel.

Mais le Cigref se doit de mener une réflexion sur le sujet. Car le directeur informatique doit se montrer prêt, quand le directeur général ou opérationnel envisagera ce type d'opération, à montrer comment les technologies de l'information peuvent y contribuer.

L'informaticien peut aussi, modestement, sensibiliser les directions, les mettre au courant des avantages concurrentiels que les technologies de l'information peuvent apporter.

Parmi les technologies qui peuvent jouer un rôle essentiel dans cette transformation de l'entreprise en profondeur, citons d'une part le poste de travail communicant (le groupware) et d'autre part les systèmes ouverts répartis, qui permettent de calquer sur une structure organisationnelle décentralisée une infrastructure en adéquation. Ce right-sizing ne constitue pas une idée neuve, mais hier elle ne pouvait se réaliser concrètement. Citons aussi les progiciels, qui peuvent se présenter comme un puissant outil de restructuration de l'entreprise, mais aussi comme une réduction appauvrissante au plus petit commun dénominateur.

Les grands intégrés, comme SAP, ont le grand avantage commercial d'offrir à la fois un squelette commun solide (et rentabilisé sur un grand nombre de clients) et une adaptation à l'entreprise qui leur permet de soutenir ses avantages concurrentiels spécifiques.

Nous sommes actuellement engagés dans un phénomène de rupture. Nous passons d'une informatique fonctionnelle à une informatique organisationnelle.

@INTERVIEW QUESTION: Une informatique organisationnelle?

@INTERVIEW REPONSE:Organisationnelle dans le sens où l'on touche aujourd'hui plus profondément au mode de travail des individus. Le passage au terminal s'est fait finalement sans douleur culturelle. Nous entrons dans une ère où l'on dit "Plus question de communiquer par petits mots griffonnés. Tout ce qui n'a pas été inscrit électriquement dans la machine est sans valeur. ". Dans le même temps, chacun doit mettre sa connaissance à la disposition de tout le monde. Et aussi aller chercher l'information dans les BBS (Bulletin board services, les forums associés à la messagerie électronique) sans attendre de se la voir adresser nommément.

@INTERVIEW QUESTION:L'individu garde-t-il sa nécessaire part d'autonomie dans un tel système

@INTERVIEW REPONSE:Il n'a que plus d'autonomie, mais il doit renoncer à baser sa position sur la détention d'un savoir qui le rend indispensable. Il s'agit de valoriser les personnes en fonction de leur aptitude à propager le savoir, pas à l'engranger.

@INTERVIEW QUESTION:Peut-on demander une telle confiance à des salariés que la prochaine opération de BPR peut entraîner le licenciement ?

@INTERVIEW REPONSE:Le BPR, malgré les débats actuels, ne signifie pas obligatoirement des licenciements. On peut travailler différemment avec les mêmes équipes. Organiser le travail autour de processus et non pas autour d'une segmentation fonctionnelle des choses. Survivront les entreprises qui auront sauvegardé ce supplément d'âme qu'est l'esprit d'équipe. Cet esprit les fait échapper à la spirale descendante des parts de marché, de la perte de rentabilité et des licenciements forcés.

Il faut motiver autrement les salarié: par le jugement objectif de la satisfaction du client. Et le jugement collectif de l'équipe où chacun a joué son rôle. Le processus est au coeur du BPR. Et processus égale équipe, égale groupe. Les technologies du groupware y joueront donc un rôle majeur. Mais, plus encore que les outils, ce sont les attitudes qui doivent désormais privilégier la synergie, et même la pratiquer méthodiquement: c'est ce que j'appelle la synergétique, comme je l'ai récemment expliqué dans les colonnes du Monde Informatique (LMI du 18/3/94) (@SIGNATURE:Propos recueillis par Pierre BERGER