@SURTITRE:PERSPECTIVES

@TITRE:Soyez un "DI mutant"

@CHAPO:Attendre la pré-retraite ou la FMisation ? Les DI dynamiques préfèrent passer à l'attaque. La généralisation du "numérique" ouvre des perspectives inattendues.

@TEXTE:Les informaticiens ont peur pour leur avenir? Oui, mais les autres aussi. Et même, plus précisément, ils ont peur de l'informatique. Mieux vaut donc passer à l'attaque qu'organiser la défensive.

Dans l'imprimerie, par exemple, tout le processus se numérise. Depuis l'écriture en traitement de texte et l'image fournie par la CAO ou le scanner, jusqu'à la "presse numérique", totalement asservie à l'ordinateur qui la pilote, sans demander aucun délai pour passer d'un ouvrage à un autre. L'imprimeur, formé aux subtilités de l'encre et aux caprices du papier, ne raisonne pas naturellement en pixels, Mips et giga-octets. Or son travail va de plus consister à gérer des flux numériques, à commuter des sources variées vers toute une gamme de supports. Ce qu'Apple a baptisé le "cross media".

Le management d'une imprimerie, si le mot d'ailleurs garde son sens, ne pourra donc éviter de recourir aux méthodes et aux techniques d'évaluation, de conception, d'exploitation que l'informatique a mûries en trois décennies. Après tout, l'imprimerie n'a que trois siècles. L'imprimerie Jouve, par exemple, aurait pu continuer à s'endormir dans sa Mayenne profonde. Mais l'équipe informatique a depuis longtemps poussé à la diversification des activités en profitant de toutes les innovations technologiques, notamment la photocomposition puis la télématique. Chez Jean Didier aussi, la plus dynamique des grandes imprimeries en héliogravure, la nouvelle usine a joué à fond le "direct to press".

Mêmes craintes dans l'audiovisuel, où la numérisation se prépare à conquérir les téléviseurs et à leur donner une "voie retour" pour des applications nouvelles. Le DI de France2, a carrément organisé un salon multimédia pour tout le personnel, à commencer par le président Elkabbach. Il se pose ainsi en force de proposition et en acteur incontournable des évolutions à venir.

Une banque ressemble aujourd'hui à un gros ordinateur entouré de guichetiers et de commerciaux bien plus qu'au bureau capitonné des financiers d'hier. L'informatique fait partie de son métier. Hors les ambiances infernales de salles de marché, la banque consacre une grande part d'énergie à créer et à gérer des flux binaires avec ses clients, les autres banques, la Bourse et les organismes de tutelle. Pourquoi un DI ayant passé quelques années dans la profession ne pourrait-il postuler à un poste opérationnel ?

Dans l'industrie, le DI peut devenir directeur d'une usine ou d'une autre direction fonctionnelle. Pas de problème s'il vient d'un service utilisateur, qu'il pourra retrouver, ou prendre en main un autre service. Comme Yves Bamberger à EDF-GDF au début de cette année 1994. A la différence du secteur tertiaire, l'informaticien partage ici avec les autre une culture technique, souvent un diplôme d'ingénieur, ce qui facilite les transitions.

Enfin, dans l'administration, l'évolution du DI a des chances de se trouver bloqué par le jeu des corps, de leurs statuts et de leurs privilèges respectives. Mais les informaticiens de l'administration appartiennent souvent à de SSII. Et quand ils appartiennent au sérail, l'informatique n'est souvent qu'une étape dans une mobilité essentielle à la fonction publique française. En cas de malaise, le DI n'a pas de difficulté particulière à retrouver d'autres responsabilités. La mobilité peut s'avérer plus difficile dans des services publics comme les organismes sociaux.

Plutôt qu'un changement de service, le DI qui s'ennuie peut tout simplement chercher à élargir ses responsabilités. Au fil des années, l'organisation et les télécommunications, les sigles DOI, DIO ou DSIT sont souvent apparus pour exprimer cet accroissement de surface. A la Sofinco, la politique d'un Michel Bucher retient l'attention. Responsable d'un gros centre de traitement, il s'est intéressé à l'ensemble de l'intendance administrative de son établissement financier. Avec le titre de "responsable du centre de traitement et réseaux et des services généraux", il peut maintenant prendre d'intéressantes initiatives et proposer des innovations décisives dans le secteur concurrentiel du crédit. Il peut arriver aussi qu'un DI se lasse de son D, et préfère retrouver les plaisirs de la technique au sein d'une équipe intéressante. Mais rares sont les entreprises qui laissent suivre un tel itinéraire dans des conditions avantageuses de salaire et de statut.

N'oublions pas, pour conclure, la voie royale: passer de la direction informatique à la direction générale. Un Sarrazin, à La Redoute, montra l'exemple il y a quelques deux décennies. Une voie qui n'est pas donnée à tout le monde, mais qu'on emprunté avec succès, ces dernières années Alain Pouyat (Bouygues), Jacques Sassoon (Crédit agricole de Franche-Comté) ou Philippe Hamel (SNCF), M. Porcherot à la BNP. Pierre Barberis est même allé jusqu'à la présidence du groupe textile VEV. Chose curieuse, leur attitude vis à vis de la technologie informatique varie du tout au tout. Les uns semblent pressés d'oublier la technologie, ses charmes et ses contraintes. Les autres ont à coeur de ne pas perdre la main, n'hésitent pas à se faire communiquer le code source des applications critiques, et recommandent à leur DI d'en faire autant.

Le DI peut devenir patron de l'entreprise qui l'employait. Mais il a d'autres moyens pour se faire graver des cartes de visite de Président Directeur Général. Faire filialiser sa direction, bien sûr. Ou fonder une SSII classique ou innovatrice, comme Jean-René Lyon, Bruno Fontaine et bien d'autres. Mais aussi se lancer dans des aventures plus passionnantes, comme Jean-Philippe Passot: du service informatique de la PME familiale, il est en train de faire un groupe de commerce électronique, aux dimensions internationales, DDP.

Bref, bien des DI mal à l'aise dans leur direction ont su trouver des portes pour en sortir. Mais elles n'ont pas toujours débouché sur le succès. Et, sauf exception, elles ne se sont pas ouvertes toutes seules.@SIGNATURE:PIERRE BERGER

@ENCADRE TITRE:Devenir... un utilisateur

@ENCADRE TEXTE:Exploiter les paradoxes de l'informatique actuelle, accepter de perdre des pans entiers de son métier traditionnel, mais chercher son avenir au coeur du métier même des utilisateurs, voilà une des meilleurs démarches que l'on peut conseiller à l'informaticien d'aujourd'hui. Bref, passer à l'attaque, au moment même où toute l'entreprise semble ne rien avoir de plus urgent que se débarrasser de lui. Prendre conscience, d'abord, que les autres ont aussi peur que lui. L'informaticien se sent menacé, mais on le perçoit aussi comme une menace.

Mais, pour passer dans le clan des "directeurs opérationnels", l'informaticien doit surmonter en lui-même deux complexes qui peuvent d'ailleurs se combiner.

La peur, d'abord. Considéré dans son entreprise comme "généraliste", peut-il oser diriger un service spécialisé, fier de son métier spécifique, de son expérience, de sa culture? En fait, après quelques années dans une entreprise, un DI à l'esprit ouvert en sait beaucoup sur le métier des utilisateurs. Au point d'avoir parfois l'impression, peut-être trompeuse, d'en savoir plus qu'eux. Par ailleurs, les directeurs de spécialités techniques n'y sont pas forcément d'une compétence incontournable.

Le mépris ensuite. L'acceptation d'un métier déterminé, qui l'éloignerait de l'universalisme et de la généralité de sa technique informatique. Un peu comme disait parait-il un directeur de banque, à qui on proposait la direction d'une entreprise alimentaire: "Je ne vais quand même pas vendre des nouilles!". Et pourquoi pas.

Ce mépris semble d'autant plus naturel qu'une bonne part des nouveaux métiers, des nouveaux secteurs en croissance, relèvent plus du ludique ou de l'humanitaire que des activités considérées hier comme sérieuses et dignes d'un ingénieur. A fortiori d'un informaticien. La blouse blanche et le costume trois pièces ont été remisées au musée de l'informatique. Mais de là à se déguiser en clown, à prendre les allures d'un présentateur du 20 heures ou la mentalité d'un médecin sans frontières, il y a de la marge. Et si l'avenir s'ouvrait là, justement?