@SURTITRE:ARCHIVAGE A LONG TERME
@TITRE:La pérennité dépend des supports,
mais surtout des normes de conservation
@CHAPO:Disque optique, microfilm... ou flux normalisé de recopie? Faute de solution parfaite, les grands organismes ou services de conservation choisissent et combinent les moyens.
@TEXTE:Une société est supposée durer 99 ans à partir de sa création. Mais les données de son système d'information iront-elles jusque-là? Avec l'ère du numérique, trop de dirigeants ont le sentiment que la mémoire de leur entreprise est devenue immortelle. "La numérisation facilite l'exploitation des données d'origine analogique mais ne règle en aucun cas le problème de l'archivage", tient à rappeler Gérard Cathaly, responsable technique (1) à la Bibliothèque Nationale de France. La pérennité des documents s'obtient par le choix de supports de longue durée, mais aussi par la mise en place de procédures régulières de recopie. Les solutions choisies par la BNF, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), Renault ou Office international des brevets illustrent les limites actuelles des différents procédés.
@INTER:Disques optiques à la BNF
@TEXTE:Si l'on se fie aux tests de vieillissement accéléré, deux supports seraient capables de perdurer tout au long du XXIe siècle: le CD-Rom sur verre et la bonne vieille microforme (film et fiche). Le premier est encore trop coûteux, l'autre est relativement peu cher mais reste analogique, avec les limites de fidélité que cela implique.
La Bibliothèque Nationale de France (BNF) serait bien tentée par le CD-Rom sur verre, et à plus forte raison par le futur DVD (Digital video Disc) sur verre à 4,7 Go, "garantis deux siècles". Mais le prix de 2000 F par disque réalisé par un prestataire (comme la société normande Digipress avec sa solution Century Disc) ou à 8 millions de F l'investissement pour en presser soi-même, est dissuasif.
En attendant, la Bibliothèque se contente du CD-Worm (write once read many) : 100 000 ouvrages sont en cours de numérisation chez Kodak-Pathé en France et Pindar en Grande-Bretagne, tandis que 260 000 images fixes vont être confiées à des prestataires français.
Dans le prestigieux site de Tolbiac, les microformes sont (ou seront) elles aussi bien présentes - 76 000 microfilms et 950 000 microfiches - mais difficilement consultable sur bureautique. "C'est un support stable chimiquement et physiquement, non volatile et non biodégradable, sur lequel l'écriture (photographique) et la lecture (universelle) sont fiables. Il suffirait à la limite du soleil et d'une loupe pour les lire", reconnaît Gérard Cathaly.
@INTER:A la Cnav, pas de retraite pour les microformes!
@TEXTE:La Cnav doit gérer des archives sur plus de cent ans. Deux de ses caisses régionales - celle de Marseille, où Jeanne Calment est la doyenne avec ses 120 ans, et celle de Rouen, où le doyen a 106 ans - ont hésité entre le disque magnétique, le disque optique et le microfilm. Le microfilm l'a emporté, comme l'explique Henri Bouchet, directeur à Marseille (60 000 nouveaux dossiers et 90 000 révisions par an) :"Les disques optiques et magnétiques ont l'avantage de la rapidité de prise de vue et de restitution mais ils sont plus coûteux que le microfilm, dont l'atout principal est sa durée de vie estimée à environ 100 ans".
Ce choix réside se matérialise par une solution hybride de restitution automatique de ces images d'origine photographique sous forme numérique : "Nous avons investi 5 MF sur trois ans dans une caméra Scandex et un robot Megasar de Bell & Howell (300 bobines de microfilms de 4500 vues chacun), interfacé à un système de scanner automatique pour obtenir en quelques secondes à l'écran d'un PC l'image numérique d'un microfilm préalablement identifié par code-barre et accès séquentiel", explique Jacques Le Loup, directeur à Rouen (30 000 nouveaux dossiers et 25 000 révisions par an). L'application, qui va être généralisée à l'ensemble des 16 caisses régionales de la Cnav, s'appuie sur la solution Image Engine de la société américaine Imnet, distribuée en France par la SSII Advisoft.
@INTER:Recopie méthodique pour les brevets
@TEXTE:L'Office européen des brevets situé à La Haye a beau avoir 20 millions de documents à archiver, dont les premiers remontent à 1920, il estime que le microfilm produit une copie analogique dégradée de l'original. "Le microfilm est au disque vynil, ce que le numérique est au CD", estime Marc Krier, chef de projet archivage aux Pays-Bas. Pour cette institution, les 15 à 20 000 brevets consultés chaque jour exigent non seulement une politique d'archivage mais surtout de consultation. "La longévité du disque optique sur deux décennies aurait pu être suffisante mais le support craint la poussière et s'avère plutôt lent en lecture avec ses 100 à 500 Ko/s", poursuit Marc Krier. C'est pourquoi la cartouche magnétique, offrant un taux de transfert de 1 à 5 mégaoctets par secondes en lecture, a été retenue pour faire face aux 13 teraoctets de données! Le robot Storagetek et les cartouches de type 3480/3490 E (15 000 bandes de 800 Mo chacune). "Le support ne dépasse en principe pas les trois à cinq années, reconnaît Marc Krier, mais peu importe puisque tout est dédoublé sur le même robot et le programme détecte les erreurs et les signal automatiquement. Nous avons même fait un test de durée de vie qui dépasse largement les 40 000 lectures sur la même bande".
Renault emploie aussi la cartouche et le robot Storageteck, sans vraiment non plus se préoccuper de la pérennité des cassettes magnétiques. Cela exclut d'office les microfilms, du moins pour l'informatique de gestion et les éléments légaux susceptibles de migrer sur différents supports magnétiques. Quant à l'optique, il est jugé encore trop coûteux et non stabilisé en matière de normalisation (arrivée du DVD notamment). "Peu importe du support, du moment que les données soient régénérées ailleurs en cas de défaillance", affirme Jean-Pierre Baudquin, responsable de la gestion des moyens opérationnels à la direction des réseaux et de l'exploitation de Renault Automobile. Le constructeur s'appuie depuis trois ans sur DFSMS (facility system managed storage d'IBM) sous MVS capable de hiérarchiser automatiquement les données sur différents supports (disques durs ou cartouches) en fonction de critères, de codifications et de scripts. Les systèmes d'enregistrement sur disques entièrement tolérant aux pannes - de type Raid (Redundant array of independant disks) - consolide le tout : les données deviennent virtuellement immortelles.
@INTER:Transmettre le patrimoine informationnel
@TEXTE:Tant que les données ne sont pas coulées dans le bronze, conclut Gérard Cathaly, "il faut mettre en oeuvre des procédures de surveillance et de contrôle d'erreur, en plus des secteurs déjà invalidés effectués par le fabricant". Encore faut-il que ces détections automatiques et dispositifs d'alerte à l'utilisateur soient normalisés. C'est l'objectif que s'est donné un groupe de travail à l'Afnor et à l'ISO au travers du projet ISO 12030. Mais dupliquer les données numériques, au fur et à mesure que leur support présente des signes de faiblesse, peut se révéler coûteux à la longue. Surtout s'il est question de teraoctets. A l'heure où l'homme se sent encore plus motivé par le multimédia pour transmettre son patrimoine culturel à la postérité, l'existence d'un support numérique non périssable fait paradoxalement défaut...@SIGNATURE:CHARLES DE LAUBIER
(1) Gérard Cathaly, ingénieur au CNRS, est détaché à la Bibliothèque Nationale de France en tant que responsable technique à la mission de numérisation au département informatique et nouvelles technologies. Il préside la commission 171 à l'Afnor et à l'ISO , qui traitent des normes en imagerie documentaire.
@ENCADRE TITRE:DUREE LEGALE : PAPIER, MICROFILM OU OPTIQUE ?
@ENCADRE TITRE:Les bibliothèques et les centres d'archivage n'ont pas l'apanage de la conservation. Les entreprises ont aussi des durées assez longues à respecter. Cela va de 5 ans pour notamment les pièces comptables à 120 ans pour les livres de paie, lorsque ce n'est pas sur toute la durée de vie de la société (contrats commerciaux, livres des inventaires, bilans d'exploitation, etc.). Mais les administrations et les entreprises sont-elles vraiment d'accord la force de preuve des supports de conservation ?
Selon l'article 1348 du Code Civil, "est réputé durable toute reproduction indélébile de l'original qui entraîne une modification irréversible du support". Si le papier (hormis le fax) ou les microformes (seuls capables aujourd'hui de remplacer la paperasserie) ne souffrent a priori d'aucune contestation, il n'en va pas de même pour les supports magnétiques qui, au regard de la loi, sont à exclure. Quant aux disques optiques, CD-Rom en tête, leur quinzaine d'années de fiabilité les met hors du champs de l'article 1348. C'est tout juste s'ils commencent à être reconnus dans les faits pour de courtes durées comme - vis à vis de la Direction générale des impôts (voir LMI 657 page 16) - la conservation des comptabilités informatisées sur trois ans.