FAIRE VITE EN GESTION
Mme en gestion, il faut faire vite Pour mieux vendre, pour rduire les stocks... et surtout pour ragir vite, les entreprises performantes associent micros, rseaux et grands systmes. Pour lancer des "coups stratgiques", elles structurent plus fortement leurs architectures.
Essilor, leader du verre de lunettes, lance un nouveau "produit": les verres sur mesure. Avantage pour le client: un gain de poids de 20%. Avantage pour l'opticien prescripteur: un prix plus rmunrateur que le verre ordinaire.
Pour Essilor, il s'agit d'un "coup stratgique" pour faire la diffrence face aux concurrents. L'importance de l'investissement, principalement informatique, ne permettra pas tous de suivre car, nous confie Marc Giraud, le DOI, "le ticket d'entre est coquet". Il a fallu en effet faire cooprer des spcialistes pointus. Des spcialistes en instrumentation our mettre au point le petit appareil install chez les opticiens. Des as du calcul et de l'optique pour le logiciel technique implant sur un micro-ordinateur. Et des tlcommunicants pour relier le tout, depuis le minitel chez l'opticien jusqu'au micro-ordinateur gr comme priphrique des grands ordinateurs degestion.
L'innovation nat la base Cet exemple illustre la rponse typique des entreprises performantes la question "L'informatique de gestion amliore-t-elle la prise de dcision et la comptitivit". Elles commencent par citer un projet ou une ralisation particulire, un "coup stratgique". La crativit des utilisateurs s'exprime d'abord par des innovations spectaculaires, propres "faire la diffrence" avec les concurrents.
Parmi les cinq domaines classiques de l'informatique de gestion (commercial, production, achats/stocks, finances, personnel), seul le personnel semble rester en dehors du mouvement.
L'informatique, au mieux, permet d'absorber en douceur la CSG, ou de fournir des donnes synthtiques aux dirigeants. On n'en fait pas un outil de comptition, encore moins une vitrine.
Absence d'innovation, ou dissimulation d'applications qui pourraient agiter les partenaires sociaux, ou la commission Informatique et liberts?
De son ct, la gestion financire chevauche le coursier informatique et tlmatique pour gagner des jours de valeur. Entreprises performantes ou pas, ces systmes appuys sur la tlmatique sont dsormais... monnaie courante. Mme dans de petites firmes, puisqu'un minitel peut suffire. Quant aux plus grandes, ce sont des heures et des minutes que leurs salles de march sont supposes leur faire gagner. Des systmes autonomes, sur micro ou mini-ordinateurs, peuvent se mettre en place sans intervention du systme informatique central. Et la rentabilit est facile prouver une poque o- l'argent est cher.
La GPAO polarise la crativit Mais la crativit, l'originalit stratgique, fleurit tout naturellement en gestion commerciale. Sans aller jusqu' des investissements aussi lourds et complexes que le verre sur mesure d'Essilor, les commerciaux font feu de tout bois. Ordinateurs portatifs pour les devis et les prises de commande.
Systmes experts et prsentations graphiques sophistiques pour le conseil en assurance et plans de retraite...
Mme dans les services, les aspects les plus techniques des produits se conoivent en liaison avec la gestion.
Les serveurs tlmatiques n'auraient pas vu le jour sans le concept de "kiosque", c'est- -dire d'une facturation par le rseau public de tlcommunications.
Plus pointu encore: Canal Plus concentre son attention se concentre sur la gestion des abonns et plus particulirement de leurs codes d'accs. Les techniques de cryptage au niveau lectronique et la gestion de grands fichiers jouent comme deux volets d'un mme outil technique et commercial.
On pourrait multiplier les exemples dans les entreprises performantes: Louis Vuitton et ses bagages de luxe fignols sur ordinateur, Altran Technologies et son ingnierie avance, les grands distributeurs o- les caisses lectroniques se bardent de priphriques, les transporteurs et leur suivi des colis par codes barres... ou des voyageurs par piste magntique, avec le nouveau billet d'avion normalis qu'a repris aussi la SNCF.
Faire tomber les murs entre atelier et bureau
Cette association intime de la technique et de la gestion ne doit rien au hasard. La ractivit l'impose. Pour grer vite, pas question d'interposer une couche de paperasse entre l'atelier et le circuit commercial. Mme l'affichage des prix, dans les super-marchs comme dans les stations service, doit s'obtenir par tlchargement. Casino pratique les "tiquettes lectroniques", Rallye met en place des "bornes minitel", et les pompes essence ne se conoivent plus sans cristaux liquides. On prend soin de rassurer le client en l'assurant que "le tarif ne peut en aucun cas tre modifi en cours de livraison".
Enfin, dans les ateliers, l'innovation technique s'associe troitement aux circuits informationnels de la gestion.
Le signe GPAO, gestion de production assiste par ordinateur, traduit cette synthse de spcialits autrefois bien spares: automaticiens dans les usines, comptables dans les immeubles du sige.
Le mur entre bureaux et ateliers s'efface par exemple la Cogema (combustibles et retraitements nuclaires). A l'usine de La Hague, par exemple, le chef du service d'"informatique de gestion technique", Yves Berthion, vient du CEA o- il particip, comme physicien, aux tudes de conception et de scurit. Dans cet environnement bien particulier, l'information de base nat au niveau des automatismes et s'insre dans les procdures complexes d'une gestion qui exige scurit et visibilit autant que rapidit.
Ainsi, sauf peut tre pour les ressources humaines, toutes les phases de la gestion innovent en informatique pour aller plus vite. Mais, si beau mdiatique ou directement rentable qu'il soit, un "coup stratgique" ne porte qu'appuy sur une architecture bien conue, sur une approche globale. Et tant pis si les termes de cohrence ou d'intgration font l'effet de clichs trop uss.
Attention aux gadgets mdiatiques
Mais, ajoutent les informaticiens, les applications les plus spectaculaires ne doivent pas faire oublier l'essentiel, une informatique globalement performante. Juxtaposer des gadgets informatiques peut attirer les mdias sans amliorer srieusement les performances. L'EDI, par exemple, s'est au dpart vendu comme une conomie de papier et de frais postaux. Les gains ne sont rels que sur de gros volumes, des changes bilatraux rguliers. Les entreprises s'aperoivent ensuite que l'informatisation des changes ne paye qu' condition d'aller jusqu'au bout, c'est dire de faire communiquer entre elles les applications, pas seulement les ordinateurs. Supprimer les bons de commande, c'est bien. Faire passer l'information directement de l'application stocks du client l'application commande du fournisseur promet de rapporter beaucoup plus... mais beaucoup exige des investissements plus lourds. Une grande implication des hommes, une orientation "qualit totale".
"L'informatique doit tre considre comme une usine", commente Marc Giraud. "Elle fabrique des logiciels, dispense de l'nergie informatique. La dcennie 90 lui apporte l'ouverture, la varit des choix, cl d'enjeux conomiques gigantesques. Chez Essilor, le budget informatique reprsente 30% de la marge nette." Et il se flicite d'avoir fait baisser son budget en francs courants, malgr une monte en comptences et la prise en compte de nouveaux quipements.
C'est globalement aussi que l'informatique doit apporter la ractivit. La Snecma (moteurs d'avions) s'engage dans la refonte de son systme de gestion gnral. "Au lieu d'empiler les couches administratives", explique Jean-Louis Berrendonner, contrleur de gestion, "nous voulons saisir les vnements conomiques ds la base".
Tout flux physique matriel, tout mouvement financier se verrait pris en compte sous 24 heures. Un objectif ambitieux, mais partag par nombre d'entreprises performantes (y compris Essilor et la Cogema).
Pour que l'information remonte vite, elle doit tre mise automatiquement depuis l'endroit o- elle nat. D'o- l'importance des terminaux de points de vente et de leurs nombreux priphriques (lecteur laser de code barres, lecteur de carte de paiement). Ils informent directement le service commercial, les points de stocks pour rapprovisionnement, et le service financier pour la gestion de trsorerie.
Les exemples les plus connus en France sont les chanes de magasins franchiss, les stations services, les dbitants de tabac. Sans oublier les banques, avec la montique, les terminaux bancaires et les services sur minitel.
Parler le langage des gestionnaires
Ce couplage troit, rapide, exige l'harmonisation des langages. Usinor-Sacilor, partisan actif de l'EDI, veut tendre les normes Edifact aux changes d'information l'intrieur du groupe. Aux Eaux de Vittel, le directeur de l'informatique P. Perrin s'est appuy sur l'outil conversationnel pour faire communiquer commercial et fabrication.
Mais quel vocabulaire employer? Les informaticiens n'arriveront pas imposer le leur, prcis mais inadapt aux gestionnaires. Ds la base il faut "un langage familier, transparent", prcise Jean-Louis Berrendonner.
Parler simplement... cet objectif tout simple peut pousser des recherches la limite du fondamental. Par exemple la CNRO (Caisse de retraite du btiment), Michel Hatet, chef de dpartement, a investi 700 jours.hommes dans un projet "objets de gestion". Il partait d'un problme premire vue purement informatique: s'assurer que la maintenance des applications est bien faite. Or les utilisateurs sont la source des modifications des applications. Et comment dialoguer avec eux, et avec la direction gnrale, si l'on ne partage pas une "smantique commune"? Alors le vocabulaire naturel de l'entreprise est devenu la base du projet. Les rglements internes ont t analyss pour dgager les objets de gestion et les actions qu'ils peuvent subir.
Oui, les nouveaux outils contribuent aux rsultats des entreprises performantes.
Tantt le progrs part d'un problme local, d'un utilisateur cratif. Tantt il nat au coeur mme du service informatique. Mais, dans tous les cas, rentabilit et ractivit ne se trouvent que dans une coopration entre le "centre" et la "priphrie" de l'entreprise. Il faut mme aller au del : une entreprise ne peut plus progresser seule. Harmonisation des langages, gestion en juste- -temps exigent des accords avec les clients, les fournisseurs, et mme les concurrents qui deviennent aussi des partenaires. Le danger alors, c'est de s'engager dans des normalisations haut niveau, longues et abstraites. Pendant ce temps, la base s'impatiente, et l'innovation progresse dans le dsordre: la boucle est boucle.
PIERRE BERGER
Encadr
LE PROGRES NE VIENT PAS TOUJOURS D'OU ON L'ATTENDAIT
Les technologies bureautiques dites "avances", quelles que soient les applications, ne contribuent encore que bien modestement une gestion performante. La gestion lectronique de documents, par exemple, tarde dcoller. L'UAP avait annonc ds 1986 un "bureau sans papier" base de scanners et de gestion d'images, et envisageait un gain de productivit de 30%. Cinq ans plus tard, le nombre de postes installs ne dpasse pas la cinquantaine. Ne parlons pas des systmes experts, qui restent rares malgr quelques jolis succs. Et encore moins de la reconnaissnce vocale, toujours de l'ordre du fantasme malgr la disponibilit de cartes conomiques si l'on se contente d'un vocabulaire limit.
L'informatique se voit mme contourne par des outils qui lui chappent, commencer par le tlcopieur. C'est l'exemple mme d'un progrs technique rebours, qui rintroduit le papier (et un papier mal imprim, mal coup...) dans des bureaux qui avaient jur de s'en dbarrasser. Mais l'efficacit du "fax", sinon son rentabilit, n'est plus conteste par personne.
Autre concurrent de l'informatique, la vido. Les responsables de stocks dans certaines grandes surfaces envisagent de braquer des camras fixes sur les rayons. Ils enverraient des images directement aux fournisseurs, leur laissant la charge de garnir les cases vides. Plus besoins d'EDI, de gestion lectronique de documents ni mme messagerie lectronique !