GRANDS COMPTES EN LIBERTE

Les responsables informatiques des grands comptes français commencent à prendre conscience de leur force et de leur indépendance. Les "entretiens d'Opio", dont la deuxième édition vient de se tenir près de Nice, ne sont pas pour rien dans cet éveil. L'ambiance tee-shirt encouragée par les organisateurs proscrit le style "col dur" où s'épanouit la domination d'IBM.

Soixante DI, DIO et autres DIS ont répondu cette année à l'invitation de Jean-Michel Feuvre et Odile de Lambertye (Finaki), et du président choisi pour cette année, Serge Seletzky (PMU). Des AGF à l'Unedic en passant par Air France, l'Assistance publique, la BNP, BSN, Dassault Aviation, Elf et le ministère

des finances, ils représentaient au plus haut niveau les grandes entreprises et l'Administration.

Pas de langue de bois. La centaine de représentants des fournisseurs présents durent subir la loi des utilisateurs, sur le thème propice "Relations clients fournisseurs". A tout seigneur, tout honneur. IBM fut maintes fois sur la sellette, contestée notamment en tant qu'intégrateur. Claude Chavy (CEA),

Patrice Degoulet (Hopital Broussais) et Claude Porcherot (BNP) se renvoyaient la balle: quand il obtient la maîtrise d'oeuvre, le numéro Un ne consent à l'hétérogénéité que pour combler les lacunes de sa gamme, préférant même abandonner un contrat que de laisser pénétrer des compatibles. Jean Bisseliche (Caisse des Dépôts) résumait "Le constructeur est pour le moins suspect" quand il assume le rôle d'intégrateur.

Les SSII durent aussi encaisser quelques directs. Sur la profusion et le manque de précision de leur documentation commerciale, par exemple. "La force de notre société, c'est la recherce de l'excellence", cite par exemple Serge Seltezky "Difficile alors de faire la différence". On conteste aussi la

compétence de leur personnel "En pratique, quelle que soit la société, un ingénieur fait son premier jour d'embauche dans la société qui l'utilise". L'indépendance des SSII elles-mêmes fait parfois question, voire franchement rire, quand Andersen Consulting se prétend indépendant d'Arthur Andersen.

La presse même n'était pas toujours à la fête: elle génère du bruit autour des annonces, et les journalistes lancent des concepts discutables, à commencer par "downsizing". Et même les cabinets ministériels où les terminaux "s'harmonisent mal avec le mobilier Louis XV" se voient comparés au dynamisme japonais.

Mais la liberté se paie, oblige l'utilisateur à devenir compétent. "Nous ne sommes pous à la merci d'un constructeur, si puissant soit il. Le DSI est libre maître de ses choix technologiques. Il ne peut donc plus s'endormir" (Pierre Chavy, CEA).

Jacques Stern (ex président de Bull et promoteur d'un projet de super-calculateur) ne promet pas la facilité. "Nous avons une transition à opérer, ce qui implique une instabilité. Pendant longtemps, IBM a dicté sa loi, les prix ne se discutaient pas et la croissance était régulière. Beaucoup de constructeurs

pouvaient vivre sans être très performants. Aujourd'hui, tout est déréglementé, et tout le monde va en payer très cher les conséquences... L'unicité des standards est imossible actuellemnet. Chaque constructeur, chaque grande SSII (come Microsoft) rève de dominer le monde. Le seul arbitre possible, c'est l'utilisateur. Or il s'exprime très faiblement".

De fait, c'est encore assez timidement qu'émerge le "contre-pouvoir" des utilisateurs (voir notre dossier du 17 juin). Mais peut-il s'organiser pour prendre toute sa sofce. Alain Brodelle (Air France, et président du Cigref) invite tous les utilisateurs présents à rejoindre le Cigref. L'idée fuse d'unCigref européen, voire d'une "Opep des logiciels". "Plus on se regroupe, mieux ça marche", confirme Bruno Fontaine (Elf). Mais plus on est nombreux, plus le processus s'allonge, se fait difficile. D'où l'efficacité des groupements sectoriels: les compagnies aériennes ont mis dix ans à mettre au point le billet à piste, mais c'est un succès. Il cite aussi Odette (secteur automobile), ou le Posc (secteur pétrolier). Jean-Paul Baquiast(Ciiba) rappelle le rôle fédérateur des grands projets européens...Aller plus loin? Ce n'était pas le rôle de ces entretiens décontractés bien que studieux. Mais un vent nouveau a soufflé cette année sur la colline d'Opio.PIERRE BERGER