@SURTITRE:ENTRETIENS D'OPIO

@TITRE:

Les grands chefs

rassérénés

@CHAPO:Malgré les menaces et les difficultés techniques et humaines, les responsables informatiques des plus grands comptes français abordent l'année 93-94 avec confiance: les informaticiens ont l'avenir pour eux... en raison même de la difficulté de leur métier.

@TEXTE:Tellement stressés au départ qu'ils avaient pour la première fois exclus les journalistes de leurs débats, les participants au séminaire Opio 93 en sont revenus rassurés sur l'avenir de leur métier, sinon sur leurs chances de garder leur fauteuil. Rappelons en effet que cette manifestation, dont c'était la quatrième édition, réunit essentiellement des responsables informatiques de grands comptes, dont le poste est particulièrement fragile par les temps qui courent.

La série des tables rondes devait dans l'ensemble confirmer les positions de Jean Bisseliches dans son exposé d'ouverture: "Permanences et évolution du métier informatique", dont voici les principaux développements.

@INTER:L'ingouvernable logiciel

@TEXTE:Malgré le déluge de l'innovation informatique subsiste une inertie relative des techniques et des hommes. Cobol, par exemple: les grands centres informatiques modernes commencent seulement à abandonner leur langage traditionnel pour... Cobol 2. Autre exemple: la spécification des logiciels: nous ne disposons toujours pas d'outils qui nous permettraient de démontrer leur cohérence ou leur exhaustivité.

On ne sait toujours pas évaluer a priori le coût ou le délai de développement d'un logiciel, pas plus que la charge machine qu'il induira en exploitation. "Je pense connaître à peu près toutes les techniques et toutes les ficelles de l'évaluation, que je ne méprise pas d'ailleurs. Mais j'observe que le développement des logiciels n'obéit qu'à une loi simple, celle des gaz, qui occupent tout l'espace alloué. Les logiciels prennent tout le budget et tout le délai accordé, plus x%". Les meilleures entreprises, qui savent motiver comme il faut leurs équipes, arrivent à contenir ce dépassement dans une fourchette de 5 à 10%.

La comptabilité continue de poser des pro lèmes de tous ordres, que consomment toujours autant de temps et d'énergie. "Nous attendrons encore longtemps les systèmes ouverts dont nous rêvons, conformes à des normes universelles et univoques, évoluant par versions qui respecteraient une compatibilité parfaite, couvrant tout le champ de nos besoins en architecture de base (matérielles comme logicielles".

La dynamique de l'innovation et de la concurrence reste toujours plus grande que celle de la normalisation raisonnée et concertée. L'exemple réussi de la norme X25 ne se renouvelle pas. Et même si ces systèmes idéaux étaient disponibles aujourd'hui, il resterait beaucoup de travail pour les mettre en place en continuité avec l'existant, qu'il s'agisse des équipements ou du capital applicatif.

@INTER:Comment garder les chefs de projet?

@TEXTE:Humainement, le syndrome du NIH (Not invented here) reste fort chez les informaticiens. "On vous démontre que l'application n'était pas la même, que le matériel était différent, que le travail précédent avait été cochonné, mal documenté... et on refait le même travail, ni plus propre, ni plus réutilisable".

Ainsi se gaspille un bon 50% de nos hommes.jours. Sans parler des risques. La crise économique, avec la rigueur qu'elle impose, pourrait aider guérir ce syndrome, "à condition de créer un état d'esprit qui facilite et valorise très fort les échanges d'expériences et de compétences".

Autre insuffisance persistante: la carrière des chefs de projets. Ils suivent des formations sur le plan technique, sure les méthode et les outils, et même sur le plan comportemental, pour apprendre à motiver les équipes, à dialoguer avec les "clients" internes et externes. Mais il leut faut aussi un apprentissage, de projet en projet, au sein d'équipes dont les responsables leur transmettent leur savoir-faire.

Mais les meilleurs chefs de projet, une fois la réussite obtenue, sont promus... dans d'autres fonctions de l'entreprise. "Un peu comme si Le Corbusier avait abandonné l'architecture pour mieux progresser dans sa carrière en devenant promoteur ou agent immobilier. Vous voyez le gâchis".

Dernier obstacle culturel: la bonne compréhension des rôles respectifs du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage dans l'organisation des projets informatique. "On demande encore trop souvent aux chefs de projet d'être des pros du métier de leur client". De même, les utilisateurs croient trop souvent avoir intérêt à s'entourer d'intermédiaires pour dialoguer avec les informaticiens. "Ces pseudo-organisateurs induisent par leur seule présence une déresponsabilisation du maître d'oeuvre et du maître d'ouvrage. Il est dans l'intérêt de tous que les informaticiens, forts de leur expérience des projets, éduquent une relation adulte-adulte directe";

@INTER:La technologie ne dispense pas de la discipline

@TEXTE:Bien des progrès auraient dû se faire plus tôt. Et l'on attend de la technologie qu'elle résolve les problèmes sans efforts contraignants de discipline. Or le remède miracle se fait attendre. Dès le début des années 80 les ateliers de génie logiciel se vendaient sur les mêmes arguments qu'aujourd'hui. Or ils commencent seulement à répondre aux besoins, et encore à condition de savoir s'organiser pour bien les utiliser.

Bref, conclut Jean Bisseliches: "Le cadre dans lequel les informaticiens exercent leur métier est loin de se renouveler au rythme des technologies". L'inertie des parcs installés (machines et applications) jointe à celle des hommes pérennise les caractéristiques artisanales, expérimentales du métier. l'expérience, le savoir-faire y gardent un rôle important.

C'est rassurant pour ceux qui craignent d'être emportés dans le tourbillon technologique, qui même souhaiteraient une pause, qui bien sûr n'est pas prête de se produire, pour digérer et optimiser tous les moyens dont ils disposent déjà. Mais cela ne doit pas empêcher de promouvoir activement toutes les actions de formation et de management qui permettent de "secouer le cocotier" et de progresser.

@INTER:La bascule des études vers la production

@TEXTE:Si le métier de programmeur est en voire de disparition, et ceux d'opérateurs-pupitrreurs en diminution, le rôle de l'exploitation, devenue souvent "production" prend de nouvelles dimensions. D'une part les analystes d'exploitation se multiplient, à la charnière avec les études. D'autre part le "support", qui conduit à un basculement de la compétence technique informatique des études vers l'exploitation.

L'automatisation réduit les fonctions d'exécution répétitive traditionnellement liées à la production. Mais de nouvelles missions lui incombent: réseaux, gestion des parcs micro, sécurité (gestion des autorisations et des sauvegardes). Les mesures de l'utilisation des ressources et leur optimisation prennent de plus en plus de place.

@INTER:JAD, OO, architecture, trois progrès marquants

@TEXTE:Le JAD (Joint application design) apporte une dynamique nouvelle aux phases amont des projets. Encore faut-il il que les informaticiens apprennent à préparer et à animer ces sessions. Il leur faut travailler quasiment en temps réel, sans la sécurité d'hier quand ils pouvaient tranquillement mûrir leurs projets dans leur bureau.

L'orientation objet situe l'analyse dans une logique terriblement rigoureuse qui exige une grande capacité de recul par rapport aux objet à définir. Quant à son implémentation, elle offre la "voie royale" vers des bibliothèques de composants qui feraient la synthèse du savoir-faire d'une entreprise tout en lui permettant d'acheter des progiciels. Enfin, les architectures ouvertes favoriseront aussi les progiciels applicatifs.

@INTER:Un métier toujours bien spécifique

@TEXTE:Tout cela va influer sur le métier informatique. Mais à quelle échéance? "C'est là que doit s'exercer le jugement des responsables, pour ne pas prendre de retard par rapport aux techniques, tout en restant réaliste quant à leur maturité et à leur applicabilité".

Le métier d'informaticien comporte de fortes caractéristiques spécifiques: construction immatérielle, forte évolution technologique, travail organisé par projets, marché de l'emploi dynamique (jusqu'à la fin de 1991), emploi d'outils générés par le métier lui-même.

Pour Jean Bisseliches, l'informatique reste un formidable métier d'ingénieur. Et le meilleur avenir pour les informaticiens. Certains pensent à se reconvertir, par exemple dans le métier spécifique de leur entreprise. Est-ce un bon choix à l'heure où la plupart des métiers compriment leurs effectifs?

@SIGNATURE: Propos recueillis par Pierre Berger

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Sous-papier

@SURTITRE:CHIFFRES A MEDITER

@TITRE:Micro-ordinateurs: ne rêvons pas!

@CHAPO:Si vite qu'elle progresse, l'informatique et la micro-informatique en particulier n'équipera en l'an 2000 que 40% des postes de travail.

@TEXTE:Nombre d'indices confirment le sentiment de Jean Bisseliches: l'informatique n'évolue pas aussi vite qu'on le dit. Le taux d'équipement des postes de travail en informatique, par exemple.

Au début de cette année, on pouvait estimer le parc de micro-ordinateurs professionnels, en France, à 3,5 millions de micro-ordinateurs, plus environ 1,5 million de terminaux passifs. Soit environ cinq millions de postes pour vingt millions d'emplois, ou un clavier-écran pour quatre travailleurs. (Chiffres obtenus en prolongeant les prévisions d'IDC figurant au tableau ci-contre)

En l'an 2000, sauf rupture profonde, le parc de micros et stations atteindra huit millions. Les terminaux passifs restant cohabiteront sur les bureaux avec les micros, et ne devront donc plus s'y ajouter pour calculer le taux de postes équipés. Comme le nombre de travailleurs sera sensiblement du même ordre, nous n'atteindrons donc qu'un taux de quatre postes pour dix travailleurs. Un chiffre élevé par rapport à aujourd'hui, mais encore bien éloigné du "tout informatique"!

Pas question, donc, de généraliser la messagerie électronique à tous les travailleurs, ni de remplacer tout le papier par des cartes multi-services et des relations EDI (Echange de données informatisé).

          1992      1993      1994      1995      1996      1997      

Marché    13,6      11,0      9,0       7,0       5,0       5,0       
professio                                                             
nnel                                                                  

Marché    12,5      9,0       8,0       7,0       5,0       6,0       
scientifi                                                             
que et                                                                
technique                                                             

Marché    10,9      22,0      25,0      15,0      12,0      15,0      
domestiqu                                                             
e                                                                     

Marché    9,2       7,0       5,0       6,0       7,0       7,0       
éducatif                                                              

TOTAL     8,5       12,4      11,5      8,5       6,5       7,3       


Taux de croissance en unités des différents segments de marché de la micro-informatique. (Source: IDC, Marché de la micro. Perspectives 1993-1997)

@SURTITRE:POINT DE VUE

@TITRE:Evolution ou rupture?

@CHAPO:Les perspectives rassurantes partagées par les participants aux journées d'Opio comme par nombre d'observateurs seront-elles confirmées par les faits?

Cela dépendra d'abord de la société dans son ensemble. Les difficultés de la conjoncture peuvent aussi bien freiner les investissements (donc les évolutions) qu 'accélérer une automatisation visant à réduire la masse salariale et les inerties liées aux gros bataillons blanchis sous le harnois.

Mais le changement pourrait venir aussi d'une couche nouvelle d'informatique. Issue de l'informatique personnelle, perçant d'abord discrètement pour échapper aux fourches caudines des informaticiens, elle pourrait être un jour assez forte pour imposer de nouvelles structures et des hommes nouveaux. Comme les informaticiens évincèrent les comptables à la fin des années 70.

Enfin, l'entreprise virtuelle" chantée par Denis Ettighoffer risque aussi de changer trop profondément les structures de travail pour que les directions informatiques, marquées par leurs origines "propriétaires" et hiérarchises ne parviennent pas à les suivre.

Mais toutes ces hypothèses ne convainquent guère. Ni même ne séduisent. La mode des révolutions est passée. Et pour conduire en finesse les changements qui viennent, l'expérience de nos bons vieux informaticiens a bien des chances de s'avérer irremplaçable. @SIGNATURE:Pierre BERGER