19/11/1996

ref: concours/chocult1.doc JPBaquiast

INTERNET ET L'ADMINISTRATION: LE CHOC CULTUREL

résumé de note, qui pourrait être développé en article puis ouvrage à la signature collective d'Admiroutes

Introduction: poser le problème.

Internet apporte-t-il une dimension véritablement nouvelle à l'action administrative, ou bien ne représente-t-il qu'un développement technologique faisant suite à beaucoup d'autres, le téléphone, l'ordinateur puis le micro-ordinateur?

Autre façon de poser le problème: la “ culture Internet ”, se développant chez les utilisateurs de ce réseau, semble aux antipodes de la culture administrative traditionnelle. Les deux cultures peuvent-elles s'enrichir l'une l'autre?

Ces questions se posent particulièrement dans les pays de droit écrit, à structure administrative fortement hiérarchisée et centralisée.

Rappel : que faut-il entendre par le terme global d'Internet?

Au plan technique:

- des standards communs en matière: de communication (protocole TCP/IP), de nommage et adressage (URL), de présentation de fichiers (http) et de codification de textes (html). De nouveaux standards sont en cours de développement.

- un réseau développable à l'infini (mondial) de postes de travail, serveurs et lignes de télécommunications rendus compatibles (susceptibles de se reconnaître et de transmettre des messages) des lors que des logiciels conformes à ces normes sont utilisés .

Au plan fonctionnel:

- en matière de communication, possibilité de relier par messagerie les postes connectés au réseau. D'abord limitée aux échanges de fichiers et textes, cette messagerie inclut progressivement le transfert de l'image fixe, de l'image animée et du son.

- en matière de documentation, possibilité d'accéder (librement ou sous conditions) aux textes numérisés. L'hyper-texte permet de naviguer d'une source à l'autre dès lors que des liens ont été établis. Les textes, d'abord constitués d'écrits, incluent progressivement tous types de documents numérisés (images fixes et animées, sons, etc).

- en matière de travail (recherche, production, enseignement, gestion), généralisation du télétravail et du travail en groupe, à partir des deux fonctions précédentes.

Ces fonctions peuvent être exercées dans un espace ouvert (INTERNET) ou dans un espace fermé, aussi petit que souhaité (INTRANET).

1. La société de l'information

Si révolutionnaire que soit Internet, tel que défini précédemment, il ne faut pas oublier qu'il se superpose, en les amplifiant, à des évolutions déjà engagées depuis quelques années, que l'on peut résumer par trois concepts:

1.1. La société de l'information.

- généralisation de l'informatique et des réseaux, y compris chez les particuliers.

- dématérialisation des sources documentaires et des procédures.

- valorisation de l'information et des métiers permettant de la recueillir, la traiter, l'enrichir, la consommer...

- globalisation (universalisation) des échanges et des stratégies.

- remise en cause des statuts et des compétences (public/privé, national/international...)

1.2. L'Entreprise numérique:

Quelles que soient leur domaine d'activité, leur taille et leur nationalité, les entreprises doivent s'adapter à la société de l'information, qui se caractérise pour elles par:

- la valorisation des informations produites ou utilisées.

- l'insertion au sein de réseaux de clients, fournisseurs, concurrents, administrations (l'entreprise étendue).

- la mondialisation de la concurrence.

Le “ commerce électronique ” résume à lui seul un grand nombre des enjeux que doivent affronter les entreprises: mondialisation de la concurrence, menace pesant sur certains métiers

d'intermédiation (intermédiaires commerciaux, services bancaires), apparition de nouveaux métiers, par exemple rapprochant le producteur du consommateur.

1.3. L'Etat défié

Ce terme signifie que si l'Etat (Etat proprement dit ou administrations et services publics), ne sait pas, lui aussi, s'adapter à la société de l'information, il disparaitra. Il lui faut prendre en compte le développement des réseaux, la dématérialisation des activités, la mondialisation de la concurrence, dans ses différents domaines traditionnels de compétence:

- la représentation, la régulation et la prescription d'ensemble.

- le régalien: police, justice, fiscalité...

- l'offre de services publics non-marchands et marchands.

2. Les dimensions de renforcement apportées par Internet.

Conséquences pour l'Etat. Le cour terme.

Internet apporte de nouvelles dimensions à la société de l'information, qui en renforcent le caractère mutagène (révolutionnaire). L'Etat, s'il veut survivre, doit prendre en compte ces dimensions.

Il faut distinguer des évolutions immédiatement perceptibles, et des évolutions en profondeur, découlant de l'interaction des premières avec des facteurs structurants ou déstructurant à l'oeuvre par ailleurs.

2.1. Dans l'immédiat, une communication moins formelle et plus facile, un cadre de travail assoupli.

- La messagerie, prolongée par la visio-phonie, déformalise la communication entre agents publics et administrés, entre niveaux hiérarchiques différents au sein d'une même unité, entre unités différentes au sein d'un même pays, entre pays différents.

Ceci intéresse la faculté de se connecter proprement dite (j'envoie un message au directeur...), mais aussi le formalisme interne au message: langage plus court, plus direct, illustré d'images, etc. (Bonjour, au revoir...).

Comme précédemment pour le téléphone, les règles de courtoisie ne disparaissent pas, mais se transforment, dans le cadre d'une nouvelle étiquette plus efficace en termes de rapidité et clarté de la transmission.

Certes, des garde-fous peuvent être érigés pour protéger les récepteurs de l'intrusion des émetteurs, mais, d'une façon générale, la tendance semble irréversible, du fait de la multiplication des accès.

- Le Web, que ce soit en Intranet ou en Internet, enlève toute excuse à la non-transparence. La numérisation et la mise en ligne des textes de toutes natures produits ou utilisés à tous les niveaux de l'Etat constitue, comme la messagerie, une tendance irréversible.

La mise en ligne s'accompagne d'un effort continu pour améliorer la facilité d'accès aux textes, dans la perspective d'une communication plus aisée avec diverses catégories de populations, plus ou moins aptes à déchiffrer le langage administratif: appel aux images, aux échantillons ou versions simplifiées, etc.

Cette facilitation de l'accès est initialement conçue par les détenteurs des “ pouvoirs administratifs ” pour améliorer le dialogue avec les “ assujettis ” ou “ administrés ”. Elle peut à cet égard dissimuler toutes les manipulations propres aux langages de la propagande ou de la publicité. Mais inexorablement, là encore, une transparence plus grande, et donc une démocratie plus grande, en découleront, du fait de la concurrence des sources.

- Le télé-travail enfin, indépendant ou en groupe, pour toutes les activités, même de terrain, fait éclater les cadres anciens du bureau, des horaires, des localisations. Ceci n'est pas un luxe, mais une nécessité. Au concept d'entreprise étendue correspond celui d'administration étendue. Même si de nouvelles contraintes en découlent, l'individu, quel que soit son grade, y gagne plus de responsabilité, plus d'auonomie.

3. Les dimensions de renforcement apportées par Internet.

Conséquences pour l'Etat. Le long terme.

Ces premiers effets d'Internet vont dans le sens d'une évolution en profondeur des sociétés démocratiques, et des cultures et organisations administratives au sein de ces sociétés....évolution qui présente des aspects positifs, au regard d'une certaine conception du progrès, mais aussi des aspects négatifs ou dangers contre lesquels l'on peut essayer de se prémunir Il devient impossible de dissimuler que ces phénomènes, paraissant encore anecdotiques, manifestent des évolutions plus profonde, pouvant conduire à une disparition de l'Etat national traditionnel.

3.1. Plus grande autonomie des individus ou des hiérarchies subalternes (voire des exécutants) par rapport aux pouvoirs centraux et aux échelons hiérarchiques supérieurs.

Cette autonomie, qui se caractérise par un plus grand pouvoir d'initiative, est rendue possible par l'accès à l'information (évaluation croisée et auto-évaluation, aide à la décision), et par la facilitation de la communication et du langage.

Le phénomène atteint les agents publics eux-mêmes, dont il convient dorénavant de redéfinir les devoirs et droits d'expression sur les nouveaux médias, au regard par exemple du devoir de réserve ou du respect aveugle de l'autorité. Des limites restent nécessaires à l'initiative individuelle, même bien intentionnée, mais elles doivent être d'une part aussi restreintes que possible, et d'autre part, comprises et admises par les individus.

Le même phénomène entraîne, pour le pouvoir central ou hiérarchique, la nécessité de commander autrement, ou dans d'autres domaines (partage des tâches dites “ nobles ”, régulation générale plutôt que prise en charge du détail, etc).

3.2. Atténuation des frontières traditionnelles entre structures administratives, au sein d'un même Etat ou au niveau international, comme des frontières entre administration et administrés. Généralisation de l'ingérence.

Dès qu'une structure s'affiche par la communication, elle devient plus transparente, et donc cible à l'évaluation, à la critique, à l'ingérence d'autres structures, ou même d'individus, bien ou moins bien intentionnés.

Ceci représente un trouble certain pour les certitudes acquises, dont il peut résulter un bien: meilleure adéquation et plus grande réactivité aux besoins, notamment. En contrepartie, les structures qui ne sauront évoluer disparaîtront ou seront remplacées. Mais il peut aussi en résulter du désordre, de la confusion dans les responsabilités, que les acteurs doivent savoir gérer, non en se refermant sur eux-mêmes, mais en accentuant leurs efforts de transparence.

L'ingérence se généralise, empêchant les Etats, et les administrations, malgré leurs puissantes capacités défensives, de continuer à diriger le monde comme avant: -ingérence des exécutants (ou des syndicats pouvant les représenter) -ingérence des groupes de pression économico-politiques ou des représentants d'administrés-usagers) - ingérence d'entités administratives voisines, douane contre police par exemple -ingérence d'administrations locales ou appartenant à d'autres pays partageant les mêmes intérêts (au sein de l'Union Eopéenne par exemple).

Les structures se trouvent dans la situation bien connue, en physique et en biologie, de la compétition darwinienne entre processus et entités auto-complexificateurs.

3.3. Nécessité d'affronter de nouveaux compétiteurs, voire de nouveaux ennemis.

Le monde est rempli d'intérêts et d'organismes qui ne souhaitent pas voir les Etats conserver les pouvoirs de régulation et de contrôle qui étaient les leurs dans la société pré-informationnelle. Certains de ces intérêts peuvent avoir leur légitimité, au regard de ce que l'on pourrait appeler une nouvelle conception de l'intérêt général: par exemple les entreprises privées, nationales ou internationales, qui pensent exercer mieux que l'Etat un certain nombre de services marchands et non marchands. D'autres acquièrent des pouvoirs qui, à terme, peuvent se révéler dangereux pour la démocratie économique, sociale, voire politique: ceux qu'Alvin Toffler appelait les Nouveaux Pouvoirs (monopoles de l'électronique, de la presse, de l'information en général). D'autres enfin relèvent sans ambiguité de la sphère criminelle.

Tous ces intérêts s'expriment et combattent au sein de la société de l'information. C'est là que les conflits se déroulent, avec des armes nouvelles que les Etats doivent savoir utiliser avec la même dextérité que leurs adversaires. En démocratie cependant, ces mêmes Etats doivent respecter certaines limites dans l'emploi des armes, ce qui, à court terme, réduit leur efficacité.

3.4. Eventualité d'une recomposition des pouvoirs autour d'autres centres que ceux représentés par les Etats nationaux.

Certains observateurs évoquent, avec le développement du commerce et de la monnaie électroniques mondialisés, des communautés d'intérêts transnationales, des autonomies politiques locales (villes, régions), d'une possible recomposition des pouvoirs autour de nouveaux centres de décisions, autres que ceux représentés par les Etats nationaux tels que nous les connaissons.

Les phénomènes sociaux structurants classiques, le pouvoir, l'exploitation toujours possible des faibles par les forts, la nécessité d'une administration assurant un minimum d'ordre, ne disparaîtront pas, mais prendront de nouvelles formes totalement différentes des formes actuelles de l'administration étatique. Les privilèges et statuts de cette dernière auront évidemment, dans cette perspective, disparu depuis longtemps.

Il faut être attentif à ce type d'évolution, non pour essayer en vain de la bloquer, si elle découle elle-même d'une évolution incontournable des réseaux inter-individuels, mais pour en tirer le meilleur au profit d'un intérêt général démocratiquement défini.