@SURTITRE:INFORMATIQUE HOSPITALIERE

@TITRE:Jusqu'où peut-on laisser le pouvoir

aux "utilisateurs" ?

@CHAPO:Pour mieux coordonner les investissements informatiques des hôpitaux, l'autorité de tutelle se prépare à renforcer ses moyens. Reste à en définir la forme et les responsables.

@TEXTE:Après plusieurs années de liberté laissée aux établissements hospitaliers pour leur informatisation, le temps semble venu de renforcer la régulation et la coordination des investissements. La publication par le Canard Enchaîné (26/10/1994) d'un article au vitriol traduit l'impatience de certains face aux lenteurs du processus d'audit engagé il y a plusieurs mois par l'Igas (Inspection générale des affaires sociales). D'autant plus que l'influence de l'Elysée s'est fait sentir, et qu'il y a lieu de préparer le terrain pour la phase nouvelle qui s'ouvrira au printemps prochain.

@INTER:1989: le pouvoir aux utilisateurs

@TEXTE:La circulaire du 6 janvier 1989, signée du ministère Claude Evin lui-même, avait lâché la bride aux établissements hospitaliers. Tout y poussait: abandon de la politique industrielle nationale, idéologie libérale dopée par la chute du mur de Berlin, montée de la vague "micro", revendication des utilisateurs, essoufflement des CRIH (Centres régionaux d'informatique hospitalière) et de leur informatique de type classique et limitée aux applications de base. Pour parler comme Bruno Lussato, le petit chaudron l'emportait sur le grand.

La nouvelle doctrine laissait donc jouer les lois du marché. Les CRIH se transformeraient en SSII. Et les instances nationales comme l'Andih ou le CNEH se dessaissiraient de leurs activités lourdes (développement de logiciel en particulier) pour se concentrer sur le conseil.

Pour assurer néanmoins un minimum de régulation et de coordination, la circulaire du 19 avril 1991 mettait en place le CISH (Conseil de l'informatique hospitalière et de santé). Il devait réunir, démocratiquement, toutes les parties en cause. Et s'appuyer sur le CNEH pour son secrétariat et les études à mener.

@INTER:Un marché de quatre milliards et plus, mais difficilement rentable

@TEXTE:En pratique, ce modèle se heurtait aux inerties comme aux complexités du monde hospitalier français. A commencer par son hétérogénéité. Les établissements publics et privés fonctionnent de manière diversifiée, sans compter les statuts intermédiaire. Les dimensions varient de la clinique ou du petit hôpital local aux immenses CHR (centres hospitaliers régionaux). De plus, dans les grands métropoles, les établissements relèvent d'organismes techniques et administratifs puissants: Assistance publique de Paris et de Lyon, Hospices civils de Lyon.

De plus, qui est vraiment l'utilisateur? Jusqu'à 1989, il s'agissait essentiellement des services administratifs. Dans les services médicaux, les applications se limitaient à quelques travaux de recherche dans les établissements universitaires ou sur les micro-ordinateurs personnels de quelques médecins passionnés. Il en va autrement dans les phases actuelles: la constitution des SIH (systèmes d'information hospitaliers) concerne tous les personnels, et même les malades. Or médecins et directeurs d'hôpitaux ont bien du mal à s'entendre. Ils ne partagent ni la même culture, ni les mêmes responsabilités, ni les mêmes intérêts.

Cela ne facilite pas la constitution d'un marché cohérent et rentable de progiciels et de services. Et conduit à des évaluations très différentes des perspectives commerciales: les uns comptent les milliards (dépense annuelle de quatre milliards environ, ce qui n'a rien d'énorme, notamment par rapport à la banque), les autres soulignent risques et difficultés. Ces problèmes n'épargnent ni le secteur privé (de grands opérateurs se sont retirés du marché), ni les CRIH dans leur effort de mutation. Ils n'avaient guère été préparés à un rôle de SSII. Transformer de vieilles équipes de programmeurs Cobol et d'opérateurs traditionnels en développeurs et commerciaux de produits industriels... plus facile à dire qu'à faire.

@INTER:Les faiblesses de la tutelle

@TEXTE:L'expérience de cinq ans montre aussi l'incapacité de l'Etat à exercer le rôle que lui donnait la circulaire de 1989. Tout d'abord par manque de moyens internes. La direction des Hôpitaux ne dispose que d'une demi-douzaine (au plus) de personnes pour suivre l'informatisation du secteur. Ni les inspecteurs des affaires sociales, ni les personnels des directions régionales ou départementales ne sont des professionnels de l'informatique.

Le ministère ne s'est même pas doté d'un appareil statistique suffisant pour évaluer la situation. Il existe bien une enquête annuelle. Mais elle ne porte que sur échantillon d'établissements, et n'analyse pas en détail les investissements. Quant aux contrôles comptables effectués par le ministère des Finances (Comptabilité publique), ils n'apportent guère d'outils de gestion et de pilotage.

On aurait pu espérer que les organes mis en place par la circulaire de 1991 suppléeraient à la faiblesse des services ministériels. Mais le CISH comporte trop de membres pour exercer un réel pouvoir. Et surtout, les moyens d'action qu'il s'est donnés manquent de crédibilité du fait de leur histoire comme de leur statut juridique.

Le CNEH, en effet, se trouve investi de responsabilités difficilement compatible avec son statut d'association privée de type 1901. Il est à la fois chargé du secrétariat de CISH et de fonctions plus ou moins étendues d'évaluation et de conseil, pour lesquelles il est rémunéré au pourcentage. De plus, ses services informatiques ont été cédés au secteur privé dans des conditions qui ont fait l'objet un sévère rapport de la Cour des Comptes en 1992.

La politique de libéralisation lancée en 1989 ne pouvait donc suivre le cours, parfois brutal, mais sain et souvent efficace, d'une économie de marché. On a pu parler d' "anarchie féconde", mais n'est-on pas allé trop loin?

@INTER:1995-96: quelles structures mettre en place?

@TEXTE:L'Igas s'est posé la question il y a un an, et pour y répondre, a lancé une vaste opération d'audit (budget de 6 MF, coopération avec deux consultants, Bossard et M&S). Les visites de sites auraient scandalisé les inspecteurs. Les premiers rapports font état d'énormes investissements mal contrôlés: absence de schémas directeurs, développement par un grand nombre d'établissements de systèmes spécifiques aussi coûteux qu'incapables de passer en phase opérationnelle. Les cabinets ministériels concernés prenaient donc leur temps pour faire mûrir le dossier. Jusqu'au mois d'octobre, ou le rapport M&S tombait aux mains de Décision Santé (numéro du 16 octobre) et du Canard enchaîné. Additionnant les millions, ce rapport avance le chiffre de 40 milliards de F qui, sur plusieurs années, seraient investis en pure perte.

Il va donc falloir avancer. Le rapport définitif de l'Igas pourrait être remis aux ministres avant Noël. Il restera alors à élaborer des propositions de solutions susceptibles d'être concrétisées au printemps par le nouveau ministère, quel qu'il soit. Un consensus se dégage sur la nécessité d'une reprise en mains. Mais sous quelle forme, et sous l'autorité de qui? La course est lancée et quelques projets commencent à émerger. Une solution essentiellement "publique" reconstituerait un pôle informatique puissant au sein de la Direction des hôpitaux. A l'inverse, une solution essentiellement privée donnerait un statut de standard à l'un des progiciels existants ou en cours de développement. Des solutions intermédiaires pourraient faire redonner un rôle central, moyennant une évolution statutaire appropriée, à un organisme intermédiaire de type CNEH. Restera, en toute hypothèse, à trouver les moyens appropriés pour associer le corps médical et les infirmières aux nouveaux organismes régulateurs.

Comme ces choix mettent en jeu des milliards de francs et des dizaines de milliers de personnes (notamment les 4000 informaticiens du secteur), la lutte promet d'être chaude. @SIGNATURE:PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:

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La grande diversité des hôpitaux ne facilite pas l'instauration d'un marché rentable et bien régulé.

Le ministère ne dispose pas des personnels nécessaires pour exercer efficacement sa tutelle sur un domaine de plus en plus technique.

//////////Sous-papier

@SURTITRE:

@TITRE:Des dépenses trop élevées?

@CHAPO:Faute d'analyses complètes et détaillées, l'évaluation des stratégies menées par le monde hospitalier reste largement subjective.

@TEXTE:Les hôpitaux se lancent-ils inconsidérément dans des investissements informatiques incontrôlés? La Direction des hôpitaux apporte quelques éléments de réponse, en s'appuyant sur des échantillons d'établissements (dont on peut contester la représentativité, car ils ne prennent pas en compte les regroupements des grandes métropoles Paris, Lyon et Marseille).

De 1989 à 1993, les dépenses informatiques des établissements ont augmenté de 44%, soit sensiblement plus vite que l'ensemble des dépenses. Elles sont passées de 1,23% du budget global de fonctionnement à 1,33%.

La couverture fonctionnelle (nombre d'applications traitées/nombre d'applications possibles) est passée de 35% à 38M dans le même temps. Mais cet accroissement reste inégal selon les domaines (voir tableau joint). Et il doit être pondéré, notamment pour ce qui concerne le fort accroissement de la couverture en matière clinique. En effet, l'application peut être opérationnelle, mais sur une petite partie seulement de l'établissement. Par exemple, sur 20 établissements ayant déclaré avoir une solution de dossier médical informatisé, 8 seulement ont équipé un nombre significatif d'unités de soins.

Les éléments de gestion couramment disponibles actuellement, et a fortiori les quelques chiffres publiés, ne permettent guère de juger si la politique de libéralisation peut se conclure sur un budget "globalement positif". Le rapport M&S, pour ce qu'on en sait par la presse, fait apparaître de graves anomalies. Bossard Consultants, dont le rapport est resté confidentiel, conteste vivement les positions de son confrère et précise même: "Ce document n'exprime que les opinion de son auteur et ne sont pas étayés par les faits constatés par Bossard". Dans quel sens ira le rapport de synthèse actuellement en cours de rédaction par l'Igas?

@SIGNATURE:P.B.

COUVERTURE FONCTIONNELLE PAR DOMAINE

En %               1989               1994               

Administratif      81                 89                 

Logistique         6                  23                 

Clinique           29                 67                 

Médico-technique   27                 58                 

Technique          17                 39                 

Ensemble           35                 58