@SURTITRE:SYSTEME D'INFORMATION SANTE

@TITRE:Alea, carta est!

@CHAPO:La carte santé aura bien du mal à s'implanter dans les délais fixés. Mais l'ordonnance a résolument lancé un mouvement de modernisation radicale du système de santé français.

@TEXTE:"Il fallait y aller, mais ce sera dur", pourrait-on résumer l'avis de la plupart des spécialistes de la carte santé. Après des décennies de tergiversations, de discussions stériles et de projets-pilotes plus concurrents que coordonnés, il fallait qu'une volonté politique marque clairement le chemin à suivre. L'ordonnance du 24 avril ne laisse aucun doute sur l'engagement du gouvernement, sur la précision des objectifs fixés et sur le calendrier de mise en oeuvre (voir l'encadré et notre précédent numéro). Le 4 juin, Gérard Rameix, directeur du principal acteur concerné, la Cnam-TS (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) donnait à la presse le détail de son application (LMI du 7/6/96).

@INTER:Des investissements par milliards

@TEXTE:En l'absence de tout chiffrement global officiel du projet, quelques volets majeurs se dégagent: des millions de cartes, des centaines de milliers de postes de travail, une infrastructure globale intégrant des centaines d'organismes de remboursement.

D'ici à l'an 2000, il va falloir distribuer 57 millions de cartes d'assurés et de bénéficiaires. Et même plus, puisque la Cnam prévoit des distributions intermédiaires d'un modèle provisoire (Vitale 1). Elles coûteront au moins 20 F pièce, même sans y inclure la photographie prévue par l'ordonnance. Soit un premier milliard.

Ensuite l'équipement des professionnels. Sur les 400 000 concernés, une moitié au plus est déjà équipée en informatique, et tous devront recevoir (aux frais de la Cnam ou des autres régimes) le lecteur de cartes spécial. Cela fait au moins 200 000 postes, d'un prix atteignant pratiquement 20 000 F, en y comprenant un minimum d'assistance et de conseil. Soit un minimum de 4 milliards de F, à la charge des professionnels eux-mêmes.

Quant à l'infrastructure; depuis les réseaux jusqu'aux architectures techniques des organismes, l'évaluation se perd dans les budgets informatiques généraux. Ils auraient en toute hypothèse continué à évoluer. Et pourraient même aller à la baisse du fait de la rationalisation du système global de santé. Mais, notamment à la Cnam-TS, il reste beaucoup à faire sur la conception et notamment l'ergonomie des postes de travail des gestionnaires.

Un point au moins s'avère particulièrement lourd: la mise au point du fichier national permettant l'émission des cartes d'assurés, et a fortiori l'extension aux cartes de bénéficiaires. Les "petits régimes" seraient ici mieux placés que le régime principal (salariés) qui, jusqu'à présent "géraient des remboursés", selon un observateur, plutôt que des assurés. Les expériences-pilotes ont montré la lourdeur de ces tâches, même là où les fichiers de base semblaient relativement bons.

@INTER:Des économies difficiles à chiffrer

@TEXTE:Le rapport accompagnant l'ordonnance, en termes choisis, annonce clairement les objectifs: "Ces instruments de maîtrise médicalisée (comme le codage des actes, des prescriptions et des pathologies, le carnet médical, les références médicales opposables) et une meilleure organisation des soins permettront... de concilier la qualité des soins et le respect des contraintes financières." Gestionnaires et politiques disposeront en effet de données on ne peut plus précises pour savoir qui dépense quoi et pour quoi.

Restera à trouver le mode de dialogue approprié. Le corps médical ne peut accepter ni un flicage rapproché ni un intéressement trop direct aux résultats économiques. Et l'ordonnance entend respecter les principes de la médecine libérale, en particulier la liberté de choix du médecin, la liberté de prescription, le paiement à l'acte et le secret professionnel. Il y a une nouvelle culture à construire.

Une part des économies viendra de l'accroissement de productivité des caisses, principalement par suppression de postes de saisie. Ces chiffres n'ont cessé, au fil des ans, de se réduire. Il y a une quinzaine d'années, on parlait de 30 000 suppressions de postes. En 1992, de 16000 environ. Gérard Rameix le ramène à 8000, à partir de la fin du déploiement du projet. Ce qui représenterait une économie annuelle de l'ordre du milliard de F (en supposant une masse salariale moyenne de 125 000 F par poste de saisie).

Cette baisse des estimations a plusieurs raisons. D'une part des réductions déjà effectuées, grâce à la montée en puissance des échanges de données informatisés (notamment pour ce qui concerne le tiers payant). D'autre part l'accroissement constant des dépenses de santé et du nombre d'actes à enregistrer chaque année, qui aurait obligé les caisses à embaucher dans des proportions significatives en l'absence d'investissements technologiques. Enfin, les tâches et les compétences nouvelles exigées par la "maîtrise médicalisée" qui va bien au delà les contrôles administratifs traditionnels.

Un autre milliard sera annuellement économisé directement par les assurés, qui n'auront plus à poster leurs feuilles de maladie (en tablant sur un tiers des feuilles envoyées par la Poste avec un timbre à 3 F). Pour eux a carte santé a de plus l'avantage de supprimer la préparation des feuilles de soins, à joindre aux ordonnances munies de leurs vignettes, puis à mettre sous enveloppe ou à porter à la caisse la plus proche pour remboursement immédiat. Les pères et mères de famille qui passent parfois des soirées à ces tâches fastidieuses ne les regretteront pas. En revanche, il leur faudra impérativement emporter leur carte chez le médecin, l'infirmière, le laboratoire... alors qu'elle est rarement indispensable aujourd'hui.

Le réseau a fait l'objet, au fil des années, de bien des discussion, projets et abandons. Noémie, RSS (Réseau santé social)... les idées ne semblent pas s'être beaucoup clarifiées. Gérard Rameix se contente de répondre "Nous avons le réseau Ramage, qui nous permet de travailler". Mais, conçu plutôt pour les liaisons entre organismes des caisses, cet outil s'adaptera-t-il efficacement à la collecte de l'information chez les professionnels. A terme, une solution Internet devrait logiquement s'imposer, du fait de sa neutralité vis à vis de tous les partenaires et de son faible coût. Tous y pensent, en fait. Mais concluent que pour l'instant le Web n'est ni assez mûr ni assez sûr.

Outre l'infrastructure, le choix des protocoles et des standards de messages (syntaxe, contenus) reste à définir. Certains font remarquer qu'il n'aurait pas été difficile de faire évoluer les messages mis au point pour les expériences pilotes vers une normalisation Edifact, comme le pratiquent déjà plusieurs pays européens. Ici encore, la Cnam semble purement et simplement vouloir imposer ses solutions propriétaires.

@INTER:Des difficultés structurelles

@TEXTE;Les structures de la sécurité sociale ne facilitent pas une marche ordonnée vers des solutions rationnelles et équilibrées. Ni même simplement un minimum de transparence sur les enjeux financiers. La situation peut se comparer à celles de l'informatique hospitalière, dont les désordres sont bien connus. Au plus haut niveau, l'autorité de tutelle manque de moyens. Une demi-douzaine de personnes à la Direction de la sécurité sociale, de compétence plus administrative qu'informatique. A la base, des acteurs de taille disparate. A l'énormité du régime général obligatoire et de la Cnam-TS s'oppose l'éparpillement des petits régimes, des caisses complémentaires, sans parler, au sein même de la Cnam, des écarts entre les différentes caisses primaires et les centres de calcul. L'informatisation ne peut donc suivre les principes d'une saine économie classique de marché, ni se conformer à des plans élaborés par une autorité unique.

La Cnam joue donc nécessairement un rôle dominant. Assumant le plus gros des dépenses, elle revendique l'essentiel du pouvoir, ce qui ne facilité pas le dialogue. Cependant, dans l'urgence actuelle, les partenaires semblent prêts à coopérer. Les mutuelles complémentaires iraient, dit-on, jusqu'à accepter que la Cnam règle leurs prestations en leur nom et ne les débite qu'à posteriori... Mais il reste beaucoup à faire pour organiser la coopération, comme le précise le GAP (voir encadré). Les professionnels de santé eux-mêmes représentent une population des plus hétérogènes (voir article joint). Il ne sera pas facile d'organiser pour eux des marchés efficaces, diversifiés et capables d'assurer en deux ans la logistique nécessaire et les services associés.

Enfin, il semblerait indispensable d'organiser le recours à une sous-traitance. Les SSII françaises ont acquis avec la monétique un savoir-faire rodé auprès de millions de porteurs de cartes et de commerçants. "L'acquisition des feuilles de soins électroniques sur plusieurs centaines de milliers de terminaux, l'assistance téléphonique aux professionnels de santé... autant de domaines où les grandes sociétés de service sont prêtes à mettre leur compétence au service des promoteurs du projet", rappelle Jacques Maugin (Sligos).

@INTER:Consensus pour dire "banzai"

@TEXTE:Malgré les coûts et les difficultés, l'engagement du gouvernement répond à la conviction du plus grand nombre. Des milliards à dépenser... oui, mais pour économiser sur des centaines de milliards chaque année. Des résistances culturelles ou éthiques... oui, mais l'absolue nécessité d'une "maîtrise". Aucun informaticien expérimenté ne peut sérieusement croire que 400 000 postes de travail seront vraiment déployés en un peu plus de deux ans, alors que bien des spécifications restent floues et que le succès réponse sur la motivation des médecins. Un dérapage sur les dates n'aura rien de dramatique. Il ne faudrait pas, en revanche, que des catastrophes techniques, même localisées, ne déclenchent des levées de boucliers qui remettraient tout en cause... à l'occasion des législatives de 1998, par exemple. @SIGNATURE:PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTOS:

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Gérard Rameix (Directeur de la Cnam-TS):"Les gains de productivité générés par les échanges électroniques devraient alors être substantiels".

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Déployer 57 millions de cartes et équiper près d'un million de professionnels de la santé

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Le "pharmacien d'officine", maillon essentiel de la chaîne économique et technique de la santé

/////////////////////////4 (FAC)

Un dérapage sur les dates est pratiquement inévitable. Mais il faut éviter à tout prix des catastrophes techniques

//////////////////////////////////Encadré 1

@ENCADRE TITRE:L'ENGAGEMENT DES POLITIQUES

@ENCADRE TEXTE:Le titre IV de l'ordonnance (JO du 25 avril 1996) définit à la fois les objectifs, les principes et le calendrier de déploiement du projet carte-santé. En voici les principales dispositions.

Tous informatisés en deux ans et demi:

- Le 31 décembre 1998 au plus tard, les professionnels, organismes ou établissements... doivent être en mesure... d'émettre, de signer, de recevoir et de traiter des feuilles de soins électroniques... conformes à la réglementation. A la même date, chaque professionnel concerné doit avoir reçu la carte électronique... tout bénéficiaire de l'assurance maladie doit avoir reçu la carte individuelle... ou par dérogation, figurer en qualité d'ayant-droit sur la carte électronique d'un assuré. Cette dérogation prend fin au 31 décembre 1999.

Une phase d'incitation et d'encouragement:

- ... les organismes d'assurance maladie sont autorisés, jusqu'au 31 décembre 1997, à participer à des actions d'accompagnement de l'informatisation au bénéfice des professionnels...

Puis, après une phase "neutre", une pénalisation:

- ...à compter du 1er janvier 2000... les professionnels... qui n'assurent pas une transmission électronique, acquittent une contribution forfaitaire aux frais de gestion.

- ... si le professionnel, l'organisme ou l'établissement est responsable d'un défaut de transmission... la caisse peut exiger... la restitution de tout ou partie des prestations servies à l'assuré.

Un fichier national des bénéficiaires:

- Il est créé un répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie, comportant les informations nécessaires au rattachement de chaque bénéficiaire à l'organisme d'assurance maladie auquel il est affilié et, éventuellement, à un organisme complémentaire de son choix.

////////////////////////Encadré 2 ,plutôt sur fond de couleur

@ENCADRE TITRE:DEFINIR LA MAITRISE D'OUVRAGE

@ENCADRE TEXTE:Pour permettre une bonne démarche de développement de Sesam Vitale, il faudrait d'abord définir la maîtrise d'ouvrage du projet. Pour la maîtrise d'oeuvre et pour les seuls régimes obligatoires, il y a le GIE Sésam Vitale avec ses qualités et ses faiblesses. Mais pour la maîtrise d'ouvrage, rien n'est construit à ce jour. Or dans ces sujets, le "politique" tient le "technique" en l'état! Les assureurs complémentaires souhaitent y être normalement associés pour leur part.

Ils ont depuis trois ans écrit leur attachement au principe de la convergence vers un support carte unique. Cela suppose que le "système carte" associe tous les acteurs (les professionnels de santé, les régimes complémentaires) d'une manière ouverte et partenariale, que les outils mis en oeuvre (serveurs, lecteurs, logiciels...) soient "neutres" vis à vis des métiers de chacun, qu'il y ait une gestion concertée des outils.

@SIGNATURE:ROGER MILLOT,

Directeur adjoint du GAP (Groupement des assurances de personnes).

///////////////////////////Encadré 3, avec le montage photo du poste

@ENCADRE TITRE:DES POSTES PAR CENTAINES DE MILLIERS

@ENCADRE TEXTE:L'importance des marché à servir stimule l'imagination des fournisseurs. Schlumberger en partenariat avec Apple, par exemple, a mis au point sa "feuille de soins électronique, qui se complète d'un coup de crayon et se transmet par téléphone". Elle combine les technologies carte à puce avec l'interface Newton.

////////////////////(avec la photo du poste, ce texte servant de légende)