Gadget ou investissement à long terme, l'informatique fait la trame du tissu de relations qui unit une ville à sa municipalité. Surtout en période de campagne, bien sûr.
Comme par hasard, un certain nombre de grandes villes françaises mettent, en ce mois de mai, des points d'entrée Internet à disposition de leurs administrés. Les mauvaises langues y verront des vues électoralistes. Mais faut-il s'en plaindre? Pas de démocratie sans élections, donc sans efforts de séduction de l'électorat. D'autant que, en général, ces annonces médiatisées s'inscrivent dans des plans à long terme de mieux en mieux pensés. Outil de gestion au départ, l'informatique devient pour les communes un volet important de la communication avec et pour leurs habitants. Dialogue avec le maire et son équipe, mais aussi ouverture sur le monde extérieur. Et, dans une certaine mesure aussi, promotion de la Ville au niveau national voire mondial.
Investissement national, le minitel a d'abord été porté par des autorités locales. "Réussir le passage de la société industrielle à la société de haute technologie et de communication", voila l'objectif que se donnait la région Lorraine... en avril 1985. Le succès n'a pas toujours été à la hauteur des espérances. L'investissement semble modeste au départ, et bénéficie (du moins bénéficiait à l'époque) d'un effet de curiosité. Mais il faut ensuite faire vivre le service, mettre les informations à jour et en élargir l'éventail... beaucoup ont renoncé.
Cependant une promenade sur Télétel (faire 3615 puis deux fois Guide) conduit à 278 services "d'intérêt local", c'est à dire communal, départemental ou régional. Une façon simple de plonger rapidement dans la France profonde et ses problèmes petits et grands. Depuis la promotion des langues locales jusqu'au bruit des tondeuses à gazon.
Internet se pose aujourd'hui en concurrent, prestigieux et redoutable, d'un minitel vieilli. Mais encore largement compétitif. Le parc des terminaux installés, la variété des services réellement disponibles, l'adaptation mûrie par le temps aux besoins locaux, les compétences enfin acquises par les utilisateurs comme par les serveurs lui donnent une large avance. Peut-on espérer que les "autoroutes de l'information" permettront une judicieuse coopération des actifs du minitel et des promesses d'Internet?
Encouragés par ses promoteurs et par les politiques industrielles nationales, nombre de maires ont joué la carte... à micro-processeur. Parfois avec un succès notable (voir les reportages joints). Ailleurs avec des résultats décevants. Vitrolles, dans les Bouches-du-Rhone, a fini par renoncer après cinq ans d'efforts, de 1988 à 1993. "En amont, il y a un problème de formation des enfants, des directeurs d'école et des agents communaux concernés. Il faut aussi faire très attention au flux financier et à l'instauration du pré ou du postpaiement", commentait Serge Vidali, directeur des systèmes informatiques (dans la lettre Informatique et Collectivités locales, une véritable mine d'informations sur ce sujet). Cergy (Val d'Oise) vient même d'abandonner la carte à mémoire au profit du code à barres!
Pour ceux qui en ont réussi l'implantation, en général sur le public très ciblé des classes enfantines, la carte offre ensuite une base pour l'intégration de nouvelles applications: nouveaux services, nouvelles populations concernées.
Les jeunes (jusqu'à 25 ans) sont les principaux destinataires de ces projets. Les équipes municipales les considèrent comme facilement intéressés par les technologies nouvelles. Et surtout comme capables de s'y adapter rapidement, habitués aux univers digitaux par les consoles de jeux et les micro-ordinateurs.
D'où le nombre des projets appuyés sur des lycées et collèges "pilotes". Au lycée Jean Moulin d'Angers, le personnel administratif, les enseignants et les élèves s'en servent pour la gestion des présences comme pour l'accès au CD-ROM. A Maure-de-Bretagne (2556 habitants), la vidéo s'est combinée à la domotique pour faire de l'école une "vitrine technologique". De nombreux établissements se connecteront au réseau Indunet, monté par le ministère de l'Education nationale en partenariat avec Renater (réseau français de la recherche).
A l'intention des adultes, quelques mairies continuent de soutenir des Clubs informatiques. Mais la mode est passée. Quelques expériences de centre de "téléservices", ou de télétravail visent à créer ou à maintenir l'emploi local. Des vidéothèques se mettent en place, pour élargir le champ d'action des bibliothèques. Branchées sur Internet, elles devraient ouvrir aux adultes des "bouquets de services" progressivement enrichis. En revanche, les municipalités ne semblent pas encore s'intéresser aux pré- et jeunes retraités, population pourtant sensibilisée aux nouvelles technologies, disposant du temps et des fonds nécessaires à l'entrée dans le monde des nouvelles technologies.
Fortes du succès de quelques opérations ponctuelles, certaines municipalités commencent à se donner une vision globale de l'informatique comme outil de communication. Saint-Gervais-les-Bains parle d'interactivité et de transparence budgétaire. Le "guichet unique" fait l'objet de travaux de recherche, notamment par Catherine Chevalier (chercheur à l'université de technologie de Compiègne).
A la différence de l'entreprise, la collectivité locale ne peut se concevoir comme "virtuelle" ni même comme "étendue". En revanche, l'informatique et le multimédia vont lui permettre d'intensifier les relations entre ses habitants, ses entreprises, ses services administratifs et ses élus. Un "supplément d'âme", en quelque sorte. @SIGNATURE:PIERRE BERGER
Du 18 au 20 mai s'est tenu à Blois un "Forum multimédia". Trois jours de travail dans des ateliers pour des spécialistes et le public. Et connexion sur Internet. Cette manifestation s'inscrit dans une politique de "réseau global" et de "guichet unique". Elle s'appuie sur une rénovation de l'informatique municipale lancée au début des années 90. La volonté de cohérence s'exprime par la nomination d'un "directeur des technologies nouvelles", Alain Cesciutti.
Techniquement, les différents sites municipaux, notamment la mairie et ses annexes, ont été reliés par fibre optique pour par ligne spécialisée Transfix. Chaque site peut donc offrir la totalité des prestations aux habitants. La ville a aussi exploré méthodiquement, au cours des années 80, les possibilités de la carte à puce, visant même à lancer la "vallée de la monétique". Un des projets a atteint ses objectifs, la carte Piaf, adaptée au pré-paiement comme au post-paiement. Elle vise des applications multi-services, mais sert surtout à la restauration scolaire: les enfants "badgent" le matin et les cuisines peuvent donc travailler en flux tendu.
Mais le guichet unique ne peut devenir une réalité sans changements organisationnels, et sans polyvalence de la part des agents municipaux. Cet objectif s'avère plus difficile à atteindre que les performances techniques.
Le 16 mai, la médiathèque d'Issy s'est branchée sur Internet. Il a suffi d'un Macintosh et d'une sécurisation. A un coût pratiquement nul pour la ville, puisque FranceNet a offert le branchement et ActivCard, entreprise de la commune, son système de mots de passe.
Ce nouveau développement s'appuie sur les acquis d'une politique d'appel aux nouvelles technologies qui remonte au début des années 80. Les infrastructures courent déjà sous les trottoirs comme dans les murs: ville câblée en fibre optique dans le cadre du Plan câble, immeubles municipaux "intelligents" (installation IB2 en 1982).
Aux réseaux répond la carte à microprocesseur. Elle a servi à des expériences de vote électronique sur la commune. Mais surtout à la carte Puci, destinée aux enfants des maternelles et des classes élémentaires. Les enfants se montrent fiers de cette carte personnelle et multiservice, actuellement diffusée en 5000 exemplaires. Puci devient un personnage connu de tous les écoliers, et la ville l'utilise pour renforcer ses messages en direction de ce public important. Outre la gestion, ce programme vise avant tout la convivialité, commente Christian Camara, secrétaire général adjoint de la Ville.
Pour définir une stratégie d'avenir, la ville a fait appel à Andersen consulting. Parmi une trentaines d'idées "plausibles", l'audit en a retenu quatre, orientées chacune vers un pôle: entreprises, usagers, culture, multiservices. La nouvelle municipalité disposera donc de bases solides pour orienter ses investissements en nouvelles technologies.