@SURTITRE:L'INFORMATIQUE ET LE CITOYEN

@TITRE:Un nouvel espace d'expression démocratique

@CHAPO:L'informatique, une menace pour les libertés? Oui, mais aussi une chance pour la démocratie, pour de nouvelles formes de citoyenneté. Les initiatives, peu coordonnées, se multiplient en ce sens.

@TEXTE:Du pays d'Auge au Vercors, de la sagesse du Sénat aux imprécations médiatiques de Fred Forest, la France commence à mettre les nouvelles technologies de l'information au service de la démocratie. Mais dans le désordre et sans coordination, comme il convient à un pays "qui compte cinquante millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement". Et même sans trop le savoir, puisque le séminaire bruxellois sur la "démocratie électronique", pourtant tenu au palais du Luxembourg, n'a pratiquement fait état d'aucune expérience française. A côté des projets d'Amsterdam ou de Bologne, les expériences françaises méritent pourtant d'être connues.

@INTER:Participer à la prise de décision

@TEXTE:Le citoyen, c'est d'abord celui qui vote. Soit en donnant directement son avis sur une question d'intérêt général (le référendum) soit, plus souvent, en élisant un représentant. Les auteurs de constitutions et les assemblées élues ne parlent guère de faire appel aux nouvelles technologies de l'information pour améliorer ou perfectionner ces processus. La France ne se presse pas, par exemple, de passer au vote électronique. Il exige un investissement important au départ, mais réduit par la suite certains frais de fonctionnement. Il raccourcit et fiabilise les opérations de dépouillement. De règle aux Etats-Unis, il ne fait chez nous que l'objet d'expérimentations comme à Strasbourg.

A Saint-Gervais-les-Bains, le secrétaire général Christian Debève tenté d'aller plus loin, en jouant l'interactivité et la transparence budgétaire "Il faut dédramatiser le débat d'orientation budgétaire. Tout le monde doit pouvoir intervenir et, pour cela, le débat soit se faire à partir d'un projet et avec des possibilités de simulation" affirme-t-il (Lettre Informatique et Collectivités locales, 17/10/1994). Il s'appuie tout simplement sur les logiciels bureautiques de la mairie, et ni nécessaire imprime les résultats sur transparent pour diffusion à un large public. Des conseils généraux (Hauts de Seine, La Réunion) et la Ville de Paris disposent du logiciel de gestion de projets Vacoa (Lucas management Systems), qui ouvrent des possibilités du même ordre.

Norbert Merjagnan, qui prépare une thèse sur ces questions (à l'Institut d'études politiques de Grenoble), signale une initiative grenobloise en ce sens. L'E-CSTE (Espace de culture scientifique, technique et d'entreprise, pôle européen), implanté sur le campus universitaire, vise à créer notamment une "maison de l'information", ouverte au public. Elle offrirait au public des stations multimédia connectées en réseau local, et des prestations comparables aux cyber-cafés (lieux collectifs d'accès à Internet). Ses deux objectifs principaux sont la démocratisation des réseaux informatiques (accès à l'information) et la mise en place d'un cadre de recherche sur l'impact des sciences sur le citoyen.

@INTER:Aider les élus à décider ensemble

@TEXTE:Dans les assemblées d'élus, l'électronique permet d'aller plus loin. L'équipement matériel nécessaire se limite en effet à quelques dizaines ou centaines de postes. Et la mise en place de processus de décision progressifs n'a pas besoin d'une modification constitutionnelle. Le vote électronique se met donc en place, et se perfectionne, dans les assemblées nationales, les conseils généraux et municipaux. Dans des cadres encore moins régis par les textes, des produits comme ceux de la firme Périclès permettent de renvoyer à la salle les résultats de votes intermédiaires, et de converger vers un consensus.

Les salles de réunion des conseils généraux ou municipaux s'équipent progressivement de matériels multimédia ou l'ordinateur joue un rôle encore relativement modeste, mais sert au moins à la régie de l'ensemble des moyens audio-visuels et des affichages de données. Parmi les dernières installées, citons celle d'Issy-les-Moulineaux, particulièrement spectaculaire.

Au plan national, les sondages d'opinion, malgré leurs défauts et leurs abus, peuvent aussi être considérés comme un perfectionnement de la mise en place des assemblées parlementaires. Ils permettent aux candidats d'affiner leurs programmes, et aux électeurs de conforter peu à peu leur choix. Enfin, ordinateurs et réseaux permettent d'offrir au pays des "soirées électorales" combinant relevés réels et prévision statistique pour donner immédiatement des résultats et les commenter de manière vivante. Le jeu démocratique devient ainsi plus interactif et plus motivant pour les citoyens.

@INTER:Informer tous les citoyens

@TEXTE:Le citoyen d'un pays démocratique moderne choisit en connaissance de cause. Rien n'est parfait, certes, mais rappelons que Napoléon III fut élu en bonne partie par le manque d'information des Français à l'époque. Nombre d'électeurs refusèrent de voter pour Lamartine... qu'ils prenaient pour une femme!

Le citoyen d'aujourd'hui a le choix entre la presse écrite, la radio, la télévision. Au niveau national et international, car ni les satelllites ni Internet ne se laissent pas arrêter par les frontières. Il peut aussi lire des livres ou téléphoner à toute personne susceptible de l'éclairer. Le minitel, en la matière, n'a jamais beaucoup dépassé quelques opérations médiatisées pour mettre en valeur tel ou tel candidat. Il permet cependant d'accéder au Journal officiel et d'en obtenir des extraits par télécopie. Un outil sans doute peu adapté au citoyen de base en quête d'orientation pour son prochain vote... mais au moins une facilité théorique d'accès à des documents que "nul n'est censé ignorer".

Les pouvoirs en place tentent toujours de contrôler les différents canaux et médias. Mais des groupes motivés comme Amnesty international parviennent à contrer ces monopoles. Parmi les exemples les plus récents, on peut citer les interventions (parfois mensongères, selon certaines sources) de l'EZLN (armée zapatiste de libération) sur Internet. "Il s'agit là d'un exemple concret où un mouvement insurgé utilise des réseaux informatiques comme relais pour ses revendications politiques et parvient à contourner la quasi-censure dont il fait l'objet, ne particulier dans les médias télévisuels mexicains. De ce fait, ce mouvement a été qualifié par certains de post-moderne", note Norbert Merjagnan, qui prépare actuellement une thèse sur ces questions.

@INTER:Promouvoir l'égalité de tous

@TEXTE:La Chambre de commerce et d'industrie du Pays d'Auge (à Honfleur) a mis au rang de ses objectifs "promouvoir une égalité de tous les citoyens dans l'accès à l'information, pour éviter toute cassure définitive entre les riches et les pauvres, entre les villes et les campagnes, entre les entreprises et les particuliers". Retenu dans le cadre des Autoroutes de l'information, le projet se décompose en plusieurs volets: aide à l'éducation en milieu rural, soin e diagnostic à distance, assistance aux PME/PMI, télétravail, agriculture. Ses animateurs veulent "une vraie dynamique locale" mais en combinant des moyens modestes: "aucune des expérimentations ne requière d'équipements coûteux ni vraiment compliqués à mettre en oeuvre".

Pour les élus, l'information se poursuit par la documentation. L'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil constitutionnel disposent de systèmes documentaires substantiels. Pour le Sénat, Pierre Coupaye montrait par exemple (au congrès CGI-Sigagip d'avril 1992) que le système de gestion pourrait "valoriser la démocratie". L'informatique documentaire "est directement liée à l'activité législative du Sénat". Elle intervient d'abord en amont, pour alimenter la réflexion précédant le vote d'une loi (bases documentaires, essentiellement juridiques et économiques). Elle joue ensuite en aval, pour la production et l'impression des rapports, "support indispensable au débat politique".

Enfin, ordinateurs et réseaux doivent permettre aux pouvoirs élus de mieux appliquer les programmes proposés aux électeurs. Le workflow, par exemple, pourrait matérialiser les procédures prévues par la loi. Garantir en particulier que chaque dossier suit bien les itinéraires qui assurent l'objectivité et la publicité des décisions. Tout en accélérant les circuits, grâce si nécessaire à un Business process reengineering adéquat. On conçoit que tous ne se précipitent pas sur ce type de transparence... Mais des projets intéressants sont déjà menés dans les collectivités locales comme dans les ministères, en particulier à la Justice, dont le bon fonctionnement est essentiel à une véritable démocratie. @SIGNATURE:PIERRE BERGER

//////////////ENCADRE

@ENCADRE TITRE:Former à la démocratie

@ENCADRE TEXTE:L'ordinateur sert aussi à apprendre les charmes et les difficultés de la démocratie, au niveau d'une ville ou de la planète. Construits comme des jeux d'entreprise, avec une modélisation élaborée des interactions économiques et politiques, des jeux comme Sim-City ou Civilization mettent le joueur (ou les joueurs) en situation de responsabilité. Au fil du temps, ses actions se traduisent par un développement positif ou la disparition de sa communauté. Le jeu implique, par exemple, qu'un régime autoritaire trouve plus facilement des troupes qu'une démocratie pour étendre ses frontières, mais qu'une démocratie motive plus facilement au développement économique.

D'autres initiatives vont dans le même sens. Dans le Vercors a été signé il y a un an une "charte pour la qualité de l'école". Elle s'appuie sur un projet baptisé "Les réseaux buissonniers", destiné à former élèves et enseignants aux échanges télématiques multimédia et au travail de groupe à distance. Seize classes primaires de huit communes, le centre de documentation du collège Jean Prévost à Villars-de-Lans, l'inspection départementale de l'Education nationale, le parc national du Vercors, l'Institut universitaire de formation des maîtres de Grenoble et "les consultants des espaces métanoïques" sont reliés au serveur du réseau, hébergé au district du plateau de Villars-de-Lans. Chaque station comprend un Macintosh, un lecteur de CD-ROM et un modem (selon Planète Internet, no 1).

Au lycée de Muret, près de Toulouse, une Commission locale informatique et libertés, s'est mise en place avec le patronage de la commission nationale, dont le président Jacques Fauvet s'était déplacé à l'occasion. Cette initiative avait entre autres pour objet de rassurer les utilisateurs au moment de la mise en place d'un système de cartes à microprocesseur, Lycéoduc. La commission traite en priorité de l'inventaire des possibilités du systèmes, de l'exploitation des données statistiques (notes, absences, accès aux locaux...), des fichiers, de la structuration du réseau et des droits d'accès. Elle se réunit une fois par mois "et chaque fois que l'exploitation de Lyceoduc l'exige".

//////////ENCADRE sur internet

@ENCADRE TITRE:INTERNET, MIEUX QUE LE VOTE

@ENCADRE TEXTE:La règle de l'IETF (NDLR: organisme supérieur de décision d'Internet) est donc non pas de décider par un vote, mais de rechercher un consensus entre tous les participants... le débat est public et immédiat... C'est un jeu impitoyable, car on ne peut pas espérer s'en tirer par un compromis de couloir dans les minutes précédant le vote. Seule compte la qualité technique, aidée si possible par une démonstration pragmatique... La recherche du consensus conduit ainsi à l'élégance et à l'excellence."

Les standards de l'Internet passent en fait par trois validations successives, supposées corresponde à la spécification, aux essais de prototypes et aux produits définitifs... C'est un peu comme si on votait les lois à l'essai, et qu'on les annulait automatiquement si au bout de deux ans elles n'avaient pas démontré leur utilité".

(Extraits de "Dieu créa l'Internet" par Christian Huitema, Eyrolles 1995)

/////////////ENCADRE FOREST

@ENCADRE TITRE:FRED FOREST, CITOYEN DES NOUVEAUX TERRITOIRES

@ENCADRE TEXTE:"L'artiste d'aujourd'hui doit assumer une fonction sociale. Dans les mutations actuelles de la société, liées aux nouvelles technologies, l'art contemporain élitiste n'a plus de relation avec le grand public. Le mouvement "Esthétique de la communication" entend instituer un autre type de rapports, passant par d'autres circuits que les galeries, par exemple.

L'artiste apporte aussi une distanciation critique par rapport à l'évolution des technologies de l'information. Si elle ne vient pas de l'artiste, elle ne viendra ni du politique (qui ne peut la mettre au nombre de ses objectifs), ni du scientifique, dont la connaissance est d'un autre ordre. L'artiste joue ici un rôle symbolique, en s'exprimant par d'autres moyens et dans d'autres contextes que la société économique ou politique.

Nous sommes intervenus par exemple en Bulgarie, pour proposer une télévision interactive, dialogique (NDLR: permettant le dialogue), utopique et nerveuse. Ou encore en Yougoslavie, en installant des antennes de 37 mètres de haut pour diffuser des messages venant du monde entier. En appelant un serveur téléphonique, les citoyens du monde entier pouvaient envoyer un message, ne dépassant pas 30 secondes, sur le territoire yougoslave. Nous avons diffusé 45 000 appels. En outre, l'opération a été relayée par quinze radios nationales.

Le 2 septembre prochain, avec RTSI (Radio télévision suisse italienne), nous organisons une intervention qui combine télévision, radio et messagerie Internet. A partir de début août, on pourra du monde entier nous faire parvenir des idées pour enrichir un débat, qui se déroulera en parallèle avec la projection du film "Casablanca".

Toutes les personnes intéressées peuvent aussi participer au séminaire que nous organisons en 1995-96 dans le cadre de l'université de Nice. "

@SIGNATURE:Propos recueillis par Armand Brouart

@LEGENDE PHOT0:L'artiste d'aujourd'hui doit intervenir dans les mutations de la société liées aux nouvelles technologies, comme ici avec ces antennes de 37 mètres de haut au dessus de la Yougoslavie.

I

/////////////////SOUS-PAPIER

@TITRE:Démocratie et analyse des données

@CHAPO:Deux siècles après Condorcet, on sait réaliser à grande échelle le "résumé démocratique" de votes complexes.

@TEXTE:En 1785, Condorcet cherchait déjà de nouvelles approches mathématiques pour agréger, de façon la plus rationnelle possible, les opinions émises lors de votes. Avec la "comparaison par paires", par exemple, le candidat gagnant n'est pas celui qui a été nommé le plus souvent en tête, mais qui a été le plus de fois préféré à tous les autres. Une idée de Condorcet était de substituer à la règle de la majorité une règle plus fine, qui permettrait aussi d'obtenir le "résumé démocratique" d'informations qualitatives, plus complexes que la simple alternative du pour et du contre. On parlerait aujourd'hui de nouveaux "outils d'ingénierie de la démocratie".

Il aura fallu attendre deux siècles pour que l'informatique et la recherche en analyse de données viennent enfin à bout de la plupart des pistes et des paradoxes soulevés par Condorcet. Comme le souligne Pierre Michaud, expert de ce sujet au Cemap d'IBM-France à Paris (l'un des rares centres de recherche au monde qui creuse ces questions depuis quinze ans), c'est un domaine où les méthodes et les logiciels sont désormais opérationnels, mais depuis quelques années seulement. Avec des applications aussi concrètes qu'inattendues: pas (encore) pour les élections, mais par exemple en médecine, pour délimiter les contours de groupes de malades, très difficiles à établir par d'autres moyens, ou dans le secteur de la distribution, pour étudier à partir de millions de tickets de caisse, l'évolution des goûts d'une population.

Les outils actuels, souligne Pierre Michaud, permettent aussi bien de réaliser des "résumés démocratiques" mais aussi d'en donner, de façon automatique, une explication simple en fonction des données de départ. Et sans limitation de taille pour les populations considérées, puisque la démarche a déjà été mise en oeuvre sur de très grosses bases de données, par exemple pour l'ensemble des clients d'une banque de niveau mondial. @SIGNATURE:JEAN-PIERRE CAHIER

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@SURTITRE:DANIEL DUTHIL, OBSERVATTOIRE PERMANENT DE L'INFORMATISATION

@TITRE:"Il faut créer un nouveau système métrique"

@CHAPO:Animateur du Celog et de l'Agence pour la protection des programmes, rédacteur en chef de la revue "Expertises", Daniel Duthil se consacre depuis longtemps aux aspects juridiques de l'informatique. Ses engagements s'appuient sur une pratique concrète de la législation comme des technologies.

@INTERVIEW QUESTION: Peut-on considérer que l'informatique apporte une contribution positive à la démocratie et à la vie du citoyen, tout en restant consciences qu'elle comporte des dangers?

@INTERVIEW REPONSE: DANIEL DUTHIL. Elle permet d'abord au citoyen d'être mieux s'informer. Une nouvelle directive vient par exemple d'être adoptée par le conseil des ministres. Elle permet à chacun d'accéder à des informations numérisées et d'en faire des extraits non substantiels (NDLR: c'est à dire pas de grand volume) et de les incorporer à de nouvelles bases. Ainsi disparaît l'écart et les retards entre l'information disponible en principe et celle qui permet en pratique de prendre des décisions. Nous ne connaissons plus cette situation qui permettait aux frères Rotschild de jouer à la Bourse de Londres sur la victoire de Napoléon à Waterloo. Nous avons tous accès aux informations, grâce aux grandes centrales comme l'AFP, Reuters... à condition d'avoir de l'électricité et un téléphone.

Même au Sahel, une parabole et un groupe autonome fournissent le même accès. Quel que soit le positionnement, et même dans des pays en difficultés, des citoyens peuvent avoir en temps réel accès à l'ensemble des informations.

Mais l'accès aux règles compte au moins autant. Les démocraties, et les marchés, fonctionnent avec des principes, des lois, des règles. Des organismes comme l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation mondiale de la propriété industrielle ont entre autres pour mission de permettre la connaissance de ces règles dans le monde entier. Certains tentent de biaiser leur diffusion. Par exemple, en Europe de l'Est actuellement, en donnant l'accès à certaines jurisprudences américaines, qui pourront influencer la construction des règles juridiques dans des pays actuellement en mutation.

@INTERVIEW QUESTION: Mais, mieux informé, le citoyen peut-il participer à la décision?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Le fait nouveau, c'est la possibilité pour chacun de devenir émetteur. Le droit à l'expression s'étend à tous ceux qui disposent de l'électricité et du téléphone. Sur Internet, toute personne sachant taper sur un clavier peut donner son opinion. Aujourd'hui, malheureusement, il vaut mieux la donner en anglais si l'on veut avoir des chances d'être lu. Chacun a le droit d'être référencé, reconnu comme compétent. Nous retrouvons le forum romain. Mais à Rome, un citoyen ne pouvait se faire entendre que par quelques dizaines de personne, et uniquement dans la cité.

@INTERVIEW QUESTION: Ne risquons-nous pas des excès?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Ces nouvelles façons d'agir, de réunir de l'information et de la diffuser impliquent une réflexion nouvelle sur les moyens de contrôler les systèmes. Nous rencontrons ici deux approches: contrôle par des "évangélistes", contrôle par des représentants élus. Sur Internet, par exemple, des groupes d'individus cooptés s'auto-proclament détenteurs de la vérité et du droit de maîtriser et d'établir des règles sur les comportements, sur ce que l'on peut diffuser. Ils commencent à mettre en place des filtres automatisés interdisant certains types d'usages, constituant ainsi une censure électronique.

Le contrôle démocratique, relève des personnes élues en fonction de processus clairs. Avec le principe de base: "un utilisateur, une voix". Ces élus sont responsables devant leurs mandants. Les vieux principes révolutionnaires. De même, la liberté de la presse a pour contrepartie la responsabilité du directeur de publication, identifié, et garantie en cas de diffamation ou de diffusion de fausses nouvelles.

Il y a deux cent ans, nos pères ont fait une révolution politique pour répondre à la mutation de l'agriculture à l'ère industrielle. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place des solutions adaptées à un monde électronique et immatériel. Aux Etats-Unis, une jurisprudence naissante tend à considérer comme responsable le détenteur de l'ordinateur qui émet l'information, le producteur du service. Il y a là matière à débat, et la responsabilité doit respecter des règles de proportion. Prenons une image: celui qui transporte de la drogue sur son bateau en est-il responsable? On ne peut pas traiter de la même manière le commandant de bord d'un ferry-boats dont un passager se fait prendre, et le skipper d'un petit voilier où la douane trouve un stock important.

En particulier, il faut créer un nouveau système métrique, adapté à ce monde immatériel. Il y a deux cent ans, on a créé le mètre pour permettre des échanges équitables et sans discussion sur les distances, les volumes, les quantités de matière. Il faut nous doter aujourd'hui de mécanismes pour montrer que l'immatériel a une valeur et qu'il faut la respecter. Qu'il faut en particulier donner un juste rémunération aux créateurs de l'immatériel.

Cela compte en particulier au plan international. Dans les civilisations d'hier, toute invasion supposait un déplacement de populations. Des dizaines de milliers de personnes, des colons, des canonnières, des missionnaires. Aujourd'hui, les réseaux permettent une invasion sans déplacement, comme le montre la délocalisation de travaux stratégiques, par exemple en Inde.

@INTERVIEW QUESTION: La loi informatique et libertés suffit-elle?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. En matière de contrôle, une directive vient d'être adoptée par le Parlement européen sur la protection des données informatiques. On reste dans la ligne de la loi française. Regrettons que la directive n'ait pas imposé une simplification de la bureaucratie qui préside actuellement chez nous à l'application de la loi.

Mais aujourd'hui, plus encore que les données, les informations factuelles, les "profils" commencent jouer un rôle important. Les profils de consommation permettent de faire une publicité ciblée, individuelle. Si cela se limite à l'envoi de propositions commerciales adaptées, tant mieux. Mais le risque, à force de perfectionner les profils, c'est d'aller vers une sorte de télé-direction de conscience. Ainsi le champ de liberté du citoyen ou du consommateur serait-il réduit par l'action d'automates.

@INTERVIEW QUESTION: La loi française interdit qu'une décision judiciaire s'appuie uniquement sur un raisonnement informatique. Mais cela ne protège pas contre le refus d'un crédit, par exemple.

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Il ne s'agit pas d'interdire. Vivons avec les techniques de notre époque. Mais jouons la transparence, qui certes s'oppose parfois au secret des affaires. A nous de savoir ce que nous voulons privilégier: liberté du citoyen, avec la connaissance des règles qu'on lui oppose, ou secret des affaires. Sait-on, par exemple, que la tarification des primes d'assurance tient compte du nombre de débits de boisson par rapport à la population d'une ville?

@INTERVIEW QUESTION: La présence de ces algorithmes, profils et autres "robots" ne change-t-elle pas la donne?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. L'automate a ses inconvénients, à commencer par son caractère inhumain. Mais il a aussi des avantages, et notamment le fait que l'on peut contrôler sa logique. Tant que les décisions sont prises par des individus ou des comités, sans règle écrite, rien n'empêche par exemple d'exclure les personnes sur la couleur de leur peau. A partir du moment où les critères figurent dans un programme, les citoyens ou les juges peuvent vérifier s'ils respectent ou non les principes de la démocratie.

Revenons ici au principe clé, exprimé dans la loi française, de la finalité des traitements. Des données collectées sur une personne pour lui sauver la vie en cas d'accident, ou plus simplement pour lui permettre d'ouvrir un compte bancaire, ne doivent pas servir à un employeur pour les intégrer à son plan social. La transparence doit permettre à tous de vérifier que les automates se conforment au principe de finalité. @SIGNATURE:PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:Daniel Duthil: "La transparence doit permettre à tous de vérifier que les finalités sont respectées"

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@ENCADRE TITRE:VERS UNE CITOYENNETE COMPLEXE

@ENCADRE TEXTE:La démocratie actuelle devra évoluer en profondeur, y compris dans ses textes, pour prendre en compte les nouvelles technologies de l'information. "Les articles 20 et 49 de la constitution ne prévoient pas la responsabilité du gouvernement devant le journal de 20 heures", écrit Hubert Védrine, denier secrétaire de l'Elysée sous François Mitterrand (dans Enjeux, juin 1995).

Chaque nouveau moyen de communication tend à susciter de nouvelles communautés, avec leurs règles spécifiques plus ou moins formalisées. Et des possibilités de concurrence ou de conflits avec la nation. Les radio-amateurs, ou les cibistes, ou simplement les chaînes de radio et de télévision, qui permettent à des immigrants de continuer à participer à leur communauté d'origine (islamiques en particulier), avec un risque de non intégration. L'informatique permet aussi de créer de nouveaux espaces de contrôle, comme le montre, à travers ses difficultés même, le "système d'information Schengen" que la France, non sans arguments politiques sérieux, tarde à mettre en application.

@INTER:Vers la dispariton de l'Etat-nation?

@TEXTE:Allons-nous vers la disparition des patries traditionnelles, comme le prévoit le japonais Kenichi Omahe (notamment dans son livre "The end of the nation state", Simon and Schuster 1995)? "Il ne sera facile pour aucun gouvernement de redresser, et même de repenser, les inégalités qui affectent ses différentes régions. Ce qui paraît équitable aux uns semblera profondément injuste aux autres. Ils est trop tard pour recoller les morceaux". Il croit donc, et finalement dans l'intérêt de tous, à la montée des économies régionales.

Il va tout falloir reconstruire. Les nouvelles technologies de l'information ouvrent un nouveau monde, comparable à l'Amérique des XVIIIe et XIXe siècles. Ni enfer, ni paradis, ce nouvel espace, l'hypermonde, ne peut en tous cas se suffire des principes économiques et des politiques élaborées pour la société industrielle. Un club de réflexion s'est constitué pour en étudier les possibilités, les limites et les exigences (*). Il faut tout reprendre à la base. A commencer par le système métrique, pense par Daniel Duthil (voir interview). Mais plus encore y étudier les conditions d'exercice de la démocratie. Difficile, mais stimulant, avance Olivier Abel, professeur de philosophie et d'éthique à la faculté de Théologie protestante de Paris: "L'informatique augmente la complexité, et par là même étend l'espace de choix, donc la liberté. Il faut donc penser à une citoyenneté complexe".

@SIGNATURE:PIERRE BERGER

@NOTE:(*) Club de l'Hypermonde, 24 avenue du général de Gaulle, 78600 Maisons-Laffitte.

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@SURTITRE:DANIEL DUTHIL, OBSERVATOIRE PERMANENT DE L'INFORMATISATION

@TITRE:"Il faut créer un nouveau système métrique"

@CHAPO:Animateur du Celog et de l'Agence pour la protection des programmes, rédacteur en chef de la revue "Expertises", Daniel Duthil se consacre depuis longtemps aux aspects juridiques de l'informatique. Ses engagements s'appuient sur une pratique concrète de la législation comme des technologies.

@INTERVIEW QUESTION: Peut-on considérer que l'informatique apporte une contribution positive à la démocratie et à la vie du citoyen, tout en restant conscient qu'elle comporte des dangers?

@INTERVIEW REPONSE: DANIEL DUTHIL. Elle permet d'abord au citoyen d'être mieux s'informer. Une nouvelle directive vient par exemple d'être adoptée par le conseil des ministres. Elle permet à chacun d'accéder à des informations numérisées et d'en faire des extraits non substantiels (NDLR: c'est à dire de faible volume) et de les incorporer à de nouvelles bases. Ainsi disparaît l'écart et les retards entre l'information disponible en principe et celle qui permet en pratique de prendre des décisions. Nous ne connaissons plus cette situation qui permettait aux frères Rotschild de jouer à la Bourse de Londres sur la victoire de Napoléon à Waterloo. Nous avons tous la possibilité de bénéficier des informations délivrées par de grandes centrales comme l'AFP, Reuter... à condition d'avoir de l'électricité et un téléphone.

Même au Sahel, une parabole et un groupe autonome fournissent le même accès. Quelle que soit leur situation géographique, et même dans des pays en difficulté, des citoyens peuvent en temps réel disposer de l'ensemble des informations.

Mais thésauriser un grand nombre d'informations disparates présente peu d'intérêt. Elles ne sont signifiantes qu'organisées par des règles de toutes natures, qui régissent les rapports humains, politiques ou économiques. Des organismes comme l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation mondiale de la propriété industrielle ont entre autres pour mission de permettre la divulgation de ces règles dans le monde entier. Il convient toutefois d'apporter un correctif: s'il est possible d'accéder à toutes les informations mises en circulation, certaines ne sont jamais divulguées. On peut comprendre que le "dosage" n'est pas réalisé sans arrière-pensées ou visées politiques. C'est vraisemblablement en fonction d'un plan concerté que les pays de l'Est ont la "liberté" de n'accéder qu'à un nombre limité de jurisprudences américaines susceptibles d'influencer des pays en mutation lors de la construction de leurs règles juridiques.

@INTERVIEW QUESTION: Mais, mieux informé, le citoyen peut-il participer à la décision?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Le fait nouveau, c'est la possibilité pour chacun de devenir émetteur. Le droit à l'expression s'étend à tous ceux qui disposent d'un micro et d'un modem. Sur Internet, toute personne sachant taper sur un clavier peut donner son opinion. (Aujourd'hui, évidemment, il vaut mieux la donner en anglais si l'on veut avoir des chances d'être lu.) Chacun a le droit d'être référencé, reconnu comme compétent. Nous retrouvons le forum romain. Mais à Rome, un citoyen ne pouvait se faire entendre que par quelques dizaines de personne, et uniquement dans la cité.

@INTERVIEW QUESTION: Ne risquons-nous pas des excès?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Ces nouvelles façons d'agir, de réunir de l'information et de la diffuser impliquent une réflexion nouvelle sur les moyens de contrôler les systèmes. Nous rencontrons ici deux approches: contrôle par des "évangélistes", contrôle par des représentants élus. Sur Internet, par exemple, des groupes d'individus cooptés s'auto-proclament détenteurs de la vérité et du droit de maîtriser et d'établir des règles sur les comportements, sur ce que l'on peut diffuser. Ils commencent à mettre en place des filtres automatisés interdisant certains types d'usages, constituant ainsi une censure électronique.

Le choix démocratique implique un contrôle qui est le fait de personnes élues en fonction de processus clairs, avec le principe de base: "un utilisateur, une voix". Ces élus sont responsables devant leurs mandants, selon le vieux principe révolutionnaire. Il y a deux cent ans, nos pères ont fait une révolution politique qui répondait à la mutation de l'agriculture à la société industrielle. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place des solutions adaptées à un monde électronique et immatériel.

C'est ainsi qu'apparaît aujourd'hui le besoin d'un nouveau système métrique. Il y a deux cent ans apparaissait une nouvelle unité, le mètre, pour permettre des échanges équitables et incontestables sur les distances, les volumes, les quantités de matière. Il faut nous doter aujourd'hui de mécanismes de nature à manifester que l'immatériel a une valeur qu'il faut respecter. Sur ce constat s'appuiera une juste rémunération des créateurs de l'immatériel.

La maîtrise de l'information est devenue un enjeu de la stratégie internationale. Naguère, coloniser un territoire exigeait un lourd et coûteux déplacemnet d'humains et de matériels. Aujourd'hui, le pouvoir des réseaux a supprimé cette contrainte parfois dissuasive. Quels seront les nouveaux colons? Des pays comme l'Inde, longtemps considérée comme exploitée, pourraient se retrouver en situation dominante, avec la nouvelle donne des technologies de l'information. @SIGNATURE:PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:Daniel Duthil: "Nous rencontrons deux approches pour le contrôle des systèmes: par des "évangélistes" et par des représentants élus"

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@SURTITRE:DANIEL DUTHIL, OBSERVATOIRE PERMANENT DE L'INFORMATISATION

@TITRE:"Il faut créer un nouveau système métrique"

@CHAPO:Animateur du Celog et de l'Agence pour la protection des programmes, rédacteur en chef de la revue "Expertises", Daniel Duthil se consacre depuis longtemps aux aspects juridiques de l'informatique. Ses engagements s'appuient sur une pratique concrète de la législation comme des technologies.

@INTERVIEW QUESTION: Peut-on considérer que l'informatique apporte une contribution positive à la démocratie et à la vie du citoyen, tout en restant conscient qu'elle comporte des dangers?

@INTERVIEW REPONSE: DANIEL DUTHIL. Elle permet d'abord au citoyen d'être mieux s'informer. Une nouvelle directive vient par exemple d'être adoptée par le conseil des ministres. Elle permet à chacun d'accéder à des informations numérisées et d'en faire des extraits non substantiels (NDLR: c'est à dire de faible volume) et de les incorporer à de nouvelles bases. Ainsi disparaît l'écart et les retards entre l'information disponible en principe et celle qui permet en pratique de prendre des décisions. Nous ne connaissons plus cette situation qui permettait aux frères Rotschild de jouer à la Bourse de Londres sur la victoire de Napoléon à Waterloo. Nous avons tous la possibilité de bénéficier des informations délivrées par de grandes centrales comme l'AFP, Reuter... à condition d'avoir de l'électricité et un téléphone.

Même au Sahel, une parabole et un groupe autonome fournissent le même accès. Quelle que soit leur situation géographique, et même dans des pays en difficulté, des citoyens peuvent en temps réel disposer de l'ensemble des informations.

Mais thésauriser un grand nombre d'informations disparates présente peu d'intérêt. Elles ne sont signifiantes qu'organisées par des règles de toutes natures, qui régissent les rapports humains, politiques ou économiques. Des organismes comme l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation mondiale de la propriété industrielle ont entre autres pour mission de permettre la divulgation de ces règles dans le monde entier. Il convient toutefois d'apporter un correctif: s'il est possible d'accéder à toutes les informations mises en circulation, certaines ne sont jamais divulguées. On peut comprendre que le "dosage" n'est pas réalisé sans arrière-pensées ou visées politiques. C'est vraisemblablement en fonction d'un plan concerté que les pays de l'Est ont la "liberté" de n'accéder qu'à un nombre limité de jurisprudences américaines susceptibles d'influencer des pays en mutation lors de la construction de leurs règles juridiques.

@INTERVIEW QUESTION: Mais, mieux informé, le citoyen peut-il participer à la décision?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Le fait nouveau, c'est la possibilité pour chacun de devenir émetteur. Le droit à l'expression s'étend à tous ceux qui disposent d'un micro et d'un modem. Sur Internet, toute personne sachant taper sur un clavier peut donner son opinion. (Aujourd'hui, évidemment, il vaut mieux la donner en anglais si l'on veut avoir des chances d'être lu.) Chacun a le droit d'être référencé, reconnu comme compétent. Nous retrouvons le forum romain. Mais à Rome, un citoyen ne pouvait se faire entendre que par quelques dizaines de personne, et uniquement dans la cité.

@INTERVIEW QUESTION: Ne risquons-nous pas des excès?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Ces nouvelles façons d'agir, de réunir de l'information et de la diffuser impliquent une réflexion nouvelle sur les moyens de contrôler les systèmes. Nous rencontrons ici deux approches: contrôle par des "évangélistes", contrôle par des représentants élus. Sur Internet, par exemple, des groupes d'individus cooptés s'auto-proclament détenteurs de la vérité et du droit de maîtriser et d'établir des règles sur les comportements, sur ce que l'on peut diffuser. Ils commencent à mettre en place des filtres automatisés interdisant certains types d'usages, constituant ainsi une censure électronique.

Le choix démocratique implique un contrôle qui est le fait de personnes élues en fonction de processus clairs, avec le principe de base: "un utilisateur, une voix". Ces élus sont responsables devant leurs mandants, selon le vieux principe révolutionnaire. Il y a deux cent ans, nos pères ont fait une révolution politique qui répondait à la mutation de l'agriculture à la société industrielle. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place des solutions adaptées à un monde électronique et immatériel.

C'est ainsi qu'apparaît aujourd'hui le besoin d'un nouveau système métrique. Il y a deux cent ans apparaissait une nouvelle unité, le mètre, pour permettre des échanges équitables et incontestables sur les distances, les volumes, les quantités de matière. Il faut nous doter aujourd'hui de mécanismes de nature à manifester que l'immatériel a une valeur qu'il faut respecter. Sur ce constat s'appuiera une juste rémunération des créateurs de l'immatériel.

La maîtrise de l'information est devenue un enjeu de la stratégie internationale. Naguère, coloniser un territoire exigeait un lourd et coûteux déplacemnet d'humains et de matériels. Aujourd'hui, le pouvoir des réseaux a supprimé cette contrainte parfois dissuasive. Quels seront les nouveaux colons? Des pays comme l'Inde, longtemps considérée comme exploitée, pourraient se retrouver en situation dominante, avec la nouvelle donne des technologies de l'information. @SIGNATURE:PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:Daniel Duthil: "Nous rencontrons deux approches pour le contrôle des systèmes: par des "évangélistes" et par des représentants élus"

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@SURTITRE:DANIEL DUTHIL, OBSERVATTOIRE PERMANENT DE L'INFORMATISATION

@TITRE:"Il faut créer un nouveau système métrique"

@CHAPO:Animateur du Celog et de l'Agence pour la protection des programmes, rédacteur en chef de la revue "Expertises", Daniel Duthil se consacre depuis longtemps aux aspects juridiques de l'informatique. Ses engagements s'appuient sur une pratique concrète de la législation comme des technologies.

@INTERVIEW QUESTION: Peut-on considérer que l'informatique apporte une contribution positive à la démocratie et à la vie du citoyen, tout en restant consciences qu'elle comporte des dangers?

@INTERVIEW REPONSE: DANIEL DUTHIL. Elle permet d'abord au citoyen d'être mieux s'informer. Une nouvelle directive vient par exemple d'être adoptée par le conseil des ministres. Elle permet à chacun d'accéder à des informations numérisées et d'en faire des extraits non substantiels (NDLR: c'est à dire pas de grand volume) et de les incorporer à de nouvelles bases. Ainsi disparaît l'écart et les retards entre l'information disponible en principe et celle qui permet en pratique de prendre des décisions. Nous ne connaissons plus cette situation qui permettait aux frères Rotschild de jouer à la Bourse de Londres sur la victoire de Napoléon à Waterloo. Nous avons tous accès aux informations, grâce aux grandes centrales comme l'AFP, Reuters... à condition d'avoir de l'électricité et un téléphone.

Même au Sahel, une parabole et un groupe autonome fournissent le même accès. Quel que soit le positionnement, et même dans des pays en difficultés, des citoyens peuvent avoir en temps réel accès à l'ensemble des informations.

Mais l'accès aux règles compte au moins autant. Les démocraties, et les marchés, fonctionnent avec des principes, des lois, des règles. Des organismes comme l'Organisation mondiale du commerce ou l'Organisation mondiale de la propriété industrielle ont entre autres pour mission de permettre la connaissance de ces règles dans le monde entier. Certains tentent de biaiser leur diffusion. Par exemple, en Europe de l'Est actuellement, en donnant l'accès à certaines jurisprudences américaines, qui pourront influencer la construction des règles juridiques dans des pays actuellement en mutation.

@INTERVIEW QUESTION: Mais, mieux informé, le citoyen peut-il participer à la décision?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Le fait nouveau, c'est la possibilité pour chacun de devenir émetteur. Le droit à l'expression s'étend à tous ceux qui disposent de l'électricité et du téléphone. Sur Internet, toute personne sachant taper sur un clavier peut donner son opinion. Aujourd'hui, malheureusement, il vaut mieux la donner en anglais si l'on veut avoir des chances d'être lu. Chacun a le droit d'être référencé, reconnu comme compétent. Nous retrouvons le forum romain. Mais à Rome, un citoyen ne pouvait se faire entendre que par quelques dizaines de personne, et uniquement dans la cité.

@INTERVIEW QUESTION: Ne risquons-nous pas des excès?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Ces nouvelles façons d'agir, de réunir de l'information et de la diffuser impliquent une réflexion nouvelle sur les moyens de contrôler les systèmes. Nous rencontrons ici deux approches: contrôle par des "évangélistes", contrôle par des représentants élus. Sur Internet, par exemple, des groupes d'individus cooptés s'auto-proclament détenteurs de la vérité et du droit de maîtriser et d'établir des règles sur les comportements, sur ce que l'on peut diffuser. Ils commencent à mettre en place des filtres automatisés interdisant certains types d'usages, constituant ainsi une censure électronique.

Le contrôle démocratique, relève des personnes élues en fonction de processus clairs. Avec le principe de base: "un utilisateur, une voix". Ces élus sont responsables devant leurs mandants. Les vieux principes révolutionnaires. De même, la liberté de la presse a pour contrepartie la responsabilité du directeur de publication, identifié, et garantie en cas de diffamation ou de diffusion de fausses nouvelles.

Il y a deux cent ans, nos pères ont fait une révolution politique pour répondre à la mutation de l'agriculture à l'ère industrielle. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place des solutions adaptées à un monde électronique et immatériel. Aux Etats-Unis, une jurisprudence naissante tend à considérer comme responsable le détenteur de l'ordinateur qui émet l'information, le producteur du service. Il y a là matière à débat, et la responsabilité doit respecter des règles de proportion. Prenons une image: celui qui transporte de la drogue sur son bateau en est-il responsable? On ne peut pas traiter de la même manière le commandant de bord d'un ferry-boats dont un passager se fait prendre, et le skipper d'un petit voilier où la douane trouve un stock important.

En particulier, il faut créer un nouveau système métrique, adapté à ce monde immatériel. Il y a deux cent ans, on a créé le mètre pour permettre des échanges équitables et sans discussion sur les distances, les volumes, les quantités de matière. Il faut nous doter aujourd'hui de mécanismes pour montrer que l'immatériel a une valeur et qu'il faut la respecter. Qu'il faut en particulier donner un juste rémunération aux créateurs de l'immatériel.

Cela compte en particulier au plan international. Dans les civilisations d'hier, toute invasion supposait un déplacement de populations. Des dizaines de milliers de personnes, des colons, des canonnières, des missionnaires. Aujourd'hui, les réseaux permettent une invasion sans déplacement, comme le montre la délocalisation de travaux stratégiques, par exemple en Inde.

@INTERVIEW QUESTION: La loi informatique et libertés suffit-elle?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. En matière de contrôle, une directive vient d'être adoptée par le Parlement européen sur la protection des données informatiques. On reste dans la ligne de la loi française. Regrettons que la directive n'ait pas imposé une simplification de la bureaucratie qui préside actuellement chez nous à l'application de la loi.

Mais aujourd'hui, plus encore que les données, les informations factuelles, les "profils" commencent jouer un rôle important. Les profils de consommation permettent de faire une publicité ciblée, individuelle. Si cela se limite à l'envoi de propositions commerciales adaptées, tant mieux. Mais le risque, à force de perfectionner les profils, c'est d'aller vers une sorte de télé-direction de conscience. Ainsi le champ de liberté du citoyen ou du consommateur serait-il réduit par l'action d'automates.

@INTERVIEW QUESTION: La loi française interdit qu'une décision judiciaire s'appuie uniquement sur un raisonnement informatique. Mais cela ne protège pas contre le refus d'un crédit, par exemple.

@INTERVIEW REPONSE: D.D. Il ne s'agit pas d'interdire. Vivons avec les techniques de notre époque. Mais jouons la transparence, qui certes s'oppose parfois au secret des affaires. A nous de savoir ce que nous voulons privilégier: liberté du citoyen, avec la connaissance des règles qu'on lui oppose, ou secret des affaires. Sait-on, par exemple, que la tarification des primes d'assurance tient compte du nombre de débits de boisson par rapport à la population d'une ville?

@INTERVIEW QUESTION: La présence de ces algorithmes, profils et autres "robots" ne change-t-elle pas la donne?

@INTERVIEW REPONSE: D.D. L'automate a ses inconvénients, à commencer par son caractère inhumain. Mais il a aussi des avantages, et notamment le fait que l'on peut contrôler sa logique. Tant que les décisions sont prises par des individus ou des comités, sans règle écrite, rien n'empêche par exemple d'exclure les personnes sur la couleur de leur peau. A partir du moment où les critères figurent dans un programme, les citoyens ou les juges peuvent vérifier s'ils respectent ou non les principes de la démocratie.

Revenons ici au principe clé, exprimé dans la loi française, de la finalité des traitements. Des données collectées sur une personne pour lui sauver la vie en cas d'accident, ou plus simplement pour lui permettre d'ouvrir un compte bancaire, ne doivent pas servir à un employeur pour les intégrer à son plan social. La transparence doit permettre à tous de vérifier que les automates se conforment au principe de finalité. @SIGNATURE:PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BERGER

@LEGENDE PHOTO:Daniel Duthil: "La transparence doit permettre à tous de vérifier que les finalités sont respectées"