La comptabilité M14 oblige à l'ouverture

Comptabilité, systèmes d'information géographiques et réseaux profitent des bas prix de la micro-informatique. Les mainframes s'en vont, les villes ouvrent leur informatique sur l'extérieur.

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Les mainframes cèdent la place aux micros et aux réseaux. L'informatique, mais aussi la ville elle-même, devient un "système ouvert".

Le Monde Informatique, 20/10/1995

"L'industrie informatique peut remercier le législateur: la réforme de la comptabilité des 36 700 communes, applicable au 1er janvier 1997, génère un important renouvellement et d'équipement informatique" note Hubert d'Erceville (La lettre informatique et collectivités locales).

La nouvelle comptabilité, dite M14, oblige en effet les mairies à remettre profondément leur organisation et leurs applications comptables (et même leur processus de décision). Elle donne le coup de grâce aux systèmes informatiques un peu vieillis, à commencer par les petits mainframes IBM ou Bull (GCos7), nombreux dans les villes d'importance moyenne.

Coup de grâce aux mainframes

Villenave d'Ornon, commune girondine de 26000 habitants, par exemple, vient de remplacer en moins de quatre semaines son système propriétaire âgé de dix ans par une machine Unix (Risc 6000) et dix-sept PC, dont deux portables, connectés en réseau. L'investissement s'élève à 1,5 million de francs, y compris les applicatifs fournis par Cirrus.

Même mouvement pour le syndicat du Havre, Dieppe, Gonfreville-l'Orcher et Bolbec, qui passe sous Unix. Le Logiciel Coriolis de Bull a été installé cet été sur un HP 9000 consacré au développement. Le démarrage en réel à la norme M14 sur le réseau HP Unix s'effectuera au 1er janvier prochain.

Même la communauté urbaine de Lyon renonce à son environnement centralisé et adopte l'architecture client/serveur. Jusqu'à présent, la majorité des applications résidait sur un site central IBM. Seul le système d'information géographique fonctionnait sous Unix (depuis 1988). Convaincue par cette première expérience, Icare, filiale informatique de la communauté, a décidé de généraliser l'utilisation du client/serveur. Les nouvelles applications s'appuient sur la base de données relationnelle Sybase (Server 10, avec ses outils d'exploitation Manager et Monitor) et l'interface de programmation d'applications Open Client. Elles seront développées avec NSDK (Nat Systèmes).

Rappelons que le conseil général de Meurthe-et-Moselle fait de même, ici aussi avec Sybase. La M14 se pratique aussi sur PC et sur Macintosh (Saint-Léger Software).

(Conseil Gal de Vendée)

(refaire la liaison entre M14 et SIG)

Le SIG, cheval de Troie de l'ouverture

Le système d'information géographique (SIG) a souvent facilité l'introduction d'Unix dans l'informatique des collectivités territoriales, encourageant l'évolution vers les "systèmes ouverts". Il n'a en effet jamais tourné efficacement (à notre connaissance) sur les mainframes traditionnels, et continue sa poussée sous Unix. Parmi les plus récents, citons celui de Cannes (sur serveur Digital 3700 avec 5 stations Ultrix et six PC connectés),

Ce monde Unix se voit aujourd'hui envahi par le SIG sur micro-ordinateur. Dans la Somme, par exemple, la petite ville de Corbie (6 280 habitants) se contente d'un PC 486 pour son système Map Info. L'investissement matériel devient ici négligeable par rapport à l'ensemble du budget, qui se répartit ainsi: matériel et logiciel, 55 000 F, étude et conseil 60 000F, données graphiques (récupération des fichiers, numérisation du cadastre, POS) 120 000 F, données littérales 43 000 F, maintenance annuelle et mise à jour 60 000 F. Ici comme dans d'autres domaines, Unix n'aura-t-il été qu'une étape transitoire vers NT, une phase d'ouverture entre deux ères propriétaires?

Les applications des SIG se multiplient. Parmi les plus récentes, notons Sherpa Sécurité, pour "l'analyse cartographique et la gestion des accidents de la route".

Les réseaux font sauter les clivages classiques

Les réseaux, poussés par l'Europe et les projets "autoroutes de l'information", poussent aussi à l'ouverture. Ils et intéresse plus facilement les élus que l'orientation objet ou les systèmes clients-serveurs. En effet, bien qu'il s'agisse d'investissements d'infrastructure, ils s'insèrent donc bien dans la stratégie de communication des élus, notamment en période électorale (voir LMI du 2/6/95, "Les réseaux de Mr le maire").

En Haute-Garonne, les objectifs d'un projet d'interconnexion de réseaux locaux restent près de la technique et de la gestion: "Plus disponibilité, plus de fiabilité, une maîtrise des coûts, et surtout de nouvelles fonctionnalités qui n'existent pas aujourd'hui". Ces dernières comportent des services d'action sociale, étudiée en commun par cinq conseils généraux dans le cadre du projet Anis (Approche nouvelle de l'informatique sociale".

Le projet Rimbaud (Réseau interactif et multimédia de bases ardennaises unifiées de données), à Charleville-Mézières, illustre plutôt le rôle d'entraînement de tels investissements financiers et humains. "La philosophie du projet... est bien de promouvoir et de valoriser une démarche globale de mise en réseau d'un territoire", confirme Hervé Lebec, son animateur (à notre confrère L'Atelier, juillet-aout 1995). Le budget de 23 millions comporte un serveur multimédia évalué à 7 millions. Ces sommes seront couvertes par l'Etat, les collectivités locales et des sponsors comme La Poste. Le coeur technologie politique du projet encouragera les entreprises ardennaises à coopérer entre elles avant de recourir à l'extérieur. Il rapprochera les petites et les grandes entreprises de la région. Mais il soutiendra aussi l'Institut international de la Marionnette de Charleville et aidera les instituteurs locaux à lutter contre la désertification des campagnes.

Même perspective globale à Parthenay (Deux-Sèvres), qui participe avec des villes moyennes espagnoles et allemandes au projet européen "Digital towns". Philips, coordinateur principal, y a intéressé Thomson (Syseca), Siemens, EDS, France Télécom et Météo France. Et l'université apporte un volet fondamental de recherche et de développement, sous l'égide d'Alain d'Iribarne, du Cieu (Centre interdisciplinaire d'études urbaines).

Bref, assez logiquement, les réseaux ouvrent des perspectives nationales et internationales à des collectivités que les charmes de la comptabilité M14 et des SIG pourraient plutôt conduire à se replier sur elles-mêmes.

Le besoin de marquer son territoire

Le nombre et la diversité des collectivités locales en fait un terrain d'élection pour les expérimentations en tous genres (CD-Rom, cartes à puce, Internet, workflow, sans oublie la télématique, devenue classique, et plus récemment étendue à des formes vocales). Le besoin d'affirmer leur existence conduit souvent les équipes locales à résister au rouleau compresseur des progiciels et des sous-traitances égalisatrices.

La mairie du Bouscat (22 000 habitants, en Gironde) vient ainsi de prendre son autonomie vis-à-vis de Bordeaux dont elle utilisait le serveur central. Avec un investissement de 1,5 million de francs, elle s'est dotée d'un IBM Risc 6000, de 14 PC et d'un portable. Et a acquis une série d'applicatifs auprès de Gisp (gestion financière, ressources humaines, état civil, élections, cimetières).

Clichy, en banlieue parisienne, vient de créer son propre logiciel de parc informatique. Son directeur informatique Bernard Bourlet estime que "le coût des progiciels de gestion de parc actuellement proposé sur le marché est sans commune mesure avec les produits et fonctionnalités offerts". Access et Visual Basic ont suffi à la réalisation d'un outil qui lui donne satisfaction et il propose à ses confrères une disquette de démonstration.

A la fois clients et promoteurs

Les mairies sont donc à la fois clientes des éditeurs de progiciels ou des prestataires de services et créatrices elles-mêmes de nouveaux produits. Elles s'entendent souvent entre elles pour faire développer un outil dont elles ont besoin, et en confient la réalisation et la commercialisation ultérieure à une SSII indépendante ou sous contrôle local. La ville de Valence, par exemple, voulait informatiser son service de soins infirmiers. Faute de trouver le produit souhaité, elle l'a fait réaliser par Logiform, filiale de la Siage, elle même émanation du conseil général de l'Hérault.

Cette forme de développement, que l'on retrouve aussi dans la Banque, ne facilite sans doute pas la maturation d'un marché stable et rentable de progiciels. Mais elle contribue à pousser les collectivités locales vers des activités de type marchand qui se marient plus ou moins bien à leur vocation politique de base. Le jeu devrait prendre de l'ampleur dans les années à venir, notamment du fait des réseaux. Les collectivités s'y intéressent forcément, tant pour réduire leurs charges de communication que pour offrir de nouveaux services à leurs citoyens et aux entreprises locales. La dérégulation des télécommunications ouvre des perspectives que certaines villes ont déjà allègrement explorées (notamment Besançon). Il sera intéressant de voir comment se redessinent, sur ces marchés essentiels du prochain siècle, les frontières du public et du privé.
PIERRE BERGER

LEGENDE PHOTO:Décider ensemble grâce aux outils multimédia: la salle du conseil de SaintGermain-en-Laye

Le système d'information géographique sert à tout, même à l'analyse des accidents de la route (ici Sherpa Sécurité, de CDI)



CHIFFRES-CLES

- 1,37 millions d'agents travaillent dans les collectivités locales et y pratiquent 250 métiers différents. Parmi eux on compte environ 4000 informaticiens territoriaux ou contractuels.

- En 1994, les collectivités locales ont dépensé 700 milliards de F (croissance de 7%), soit 50% du budget de l'Etat et 10% du PIB. La dépense externe informatique et télécommunications s'est élevé à 8 milliards de F en 1994.

- Pour les seules villes de plus de 700 habitants, la dépense s'élève à 5 milliards, non compris le personnel, les consommables et la formation. Ils se ventilent ainsi: 3,2 milliards en informatique (58% en investissements, 42% en fonctionnement), 1,8 milliards en télécommunications (12% en investissement, 88% en fonctionnement).

- Les grandes villes sont suffisamment équipées pour ne plus considérer les investissements dans ce domaine comme prioritaires. A l'inverse, les régions, les départements et les petites communes n'ont pas achevé l'intégration de leur informatique.

- La part des télécommunications devrait croître dans les prochaines années, pour dépasser celle de la seule informatique.

- Dans les communes de plus de 30 000 habitants, les régions et les départements, l'informatique est souvent gérée par un service spécialisé. Dans les communes petites et moyennes, le service des affaires générales ou le service financier reste responsable du secteur. Mais cette tendance commence à s'inverser au profit d'un service informatique.