SURTITRE:INFORMATIQUE DE COMMUNICATION

TITRE:Les astuces de l'entreprise communiquante

CHAPO:L'aînée des technopoles françaises, Sophia Antipolis, regroupe dans un rayon de quelques km, un échantillon des usages et des solutions de communication d'entreprise, allant du groupware le plus simple jusqu'aux échanges multimédia ayant recours aux hauts débits. Un critère déterminant dans tous les cas: le coût.

TEXTE: "Une technopole ne se décrète pas, elle se mérite", déclarait en son temps le ministre Hubert Curien. Dans l'idéal, la reconnaissance en tant que pôle d'innovation technologique implique des pratiques économiques et relationnelles elles aussi innovantes. Dans la pratique, une chose est sûre: autant que les institutionnels responsables des infrastructures, les entreprises qui veulent tirer parti de la concentration de moyens doivent y mettre du leur. Concrètement, pour les responsables informatiques, cela se traduit par une attention particulière apportée à l'informatique de communication de leur entreprise. Sophia Antipolis, avec un millier de raisons sociales, présente un éventail intéressant de situations -multinationale, sous-traitance, co-traitance, entreprise en réseau - et de réponses informatique.

Premier exemple, Amadeus: trois sites (à Nice le marketing et le développement, à Munich le plus grand centre informatique d'Europe, à Madrid l'état-major), un mariage outre-atlantique avec System One, et surtout, des relations suivies avec des milliers de clients, compagnies aériennes, chaînes d'hôtels ou de location de voiture et jusqu'à 800 transactions par seconde en provenance de 155 000 terminaux d'agences de voyage. Sur fond d'un tissu complexe de liaisons télécom (backbone à 2 megabits, liaisons spécialisées selon les pays, Transpac en France), les moyens de communication concernent le développement, la distribution et la maintenance des logiciels, le traitement des requêtes et incidents (le bureau des réclamations en quelque sorte), la messagerie d'envergure internationale qui, au delà des 1000 salariés du groupe, est ouverte aux National Marketing Compagnies (NMC) relayant les services du groupe.

INTER: De l'émulation 3270 au groupware

Pour ces besoins fondamentaux, pas de tape-à-l'oeil: on assure. Le suivi des "réclamations" et du circuit complexe dont elles procèdent -depuis leur signalement venant notamment des NMC et la gestion des priorités jusqu'à leur résolution- est confié au mainframe (logiciel Info en émulation 3270 sous MVS). La messagerie, Profs sous Office Vision (également en émulation), en fonction depuis l'origine du groupe, est doublée ponctuellement sur LAN par Ms:mail, "là où une solution micro s'impose", précise Alain Cudel, manager informatique interne et réseau d'Amadeus Development. S'y ajoute un usage fréquent de la vidéoconférence (au moins deux sessions par jour au studio de Sophia Antipolis) entre les trois sites européens, réduisant d'autant les déplacements physiques.

Plus original, le groupware est entré dans la firme par la porte du développement informatique. Une bonne part des informaticiens (environ 200 sur les 350 niçois), rompus aux liaisons stations-mainframe avec Erding-Munich qui accueille leurs travaux de développement, ajoute à l'usage de Profs celui de Lotus Notes (un seul serveur par site). Depuis 1991, le groupware s'est introduit progressivement dans le suivi de projets (planification et compte rendu des réunions) jusqu'à l'élaboration de la documentation des produits développés. Les échanges sous Notes commencent à s'étendre aux relations avec le marketing et à quelques NMC (en France, notamment), à la direction et l'administration madrilènes (100 personnes) et traversent l'atlantique. A Miami, une quinzaine de développeurs de System One est équipée Notes. "Une solution d'interconnexion des LAN est en cours d'étude, l'objectif étant un même environnement de développement de part et d'autre de l'atlantique", résume Alain Cudel. Sans compter l'extension possible de ce type d'échanges concernant les nouveaux marchés conquis depuis 1994 (Amadeus-India, -Estonia, -Polska, -China, etc).

INTER: De l'offshore via Internet

Deuxième cas de figure, illustré par Compass: la collaboration à distance appliquée au développement de logiciels. Dès 1987, date de l'embauche en France de six ingénieurs, le producteur californien d'outils de CAO micro-électronique (filiale du fondeur VLSI) opte pour l'offshore égalitaire. "Nous ne voulions pas de découpage de projet qui implique des relations maître-esclave entre site central et annexes, ou qui dérive vers la paperasserie, mais un seul environnement technique pour que chacun des sites ait en temps réel une même perception des travaux en cours, tout en gardant une capacité de travail autonome, notamment en cas de rupture de connection. Ce qui permet de plus de jouer pleinement la carte la proximité avec les clients", commente Jean-Marc Bournazel, un des français de la première heure.

Au coeur du dispositif, un système de réplication et de contrôle des sources, Atria, avec jetons de propriété et de requêtes et accusés de réception par courrier électronique, évitant le transfert -trop gourmand- d'objets qui, eux, sont (re)constitués localement. Une ligne à 64 kbits (louée à Compuserve) assure les échanges de fichiers entre San Jose et Sophia Antipolis. Atria, dont Compass était en 1994 le premier client multisite, couvre actuellement 20% de sa production. Il est vrai que depuis 1988, le terrain a été préparé grâce à un système de duplication semblable mais développé maison en un langage issu de Stanford University "proche du Pascal objet". Logiciel devenu obèse et de gestion trop complexe (3 millions de lignes de code), compte tenu du suivi du cycle de vie des produits à assurer, de ses relations avec Scopus (bug tracking system) en fonction depuis cinq ans, et qui présentait donc le défaut de mobiliser plus de 5% des troupes pour sa maintenance. Au prix de 3000 dollars par poste pour la licence de base et 2000 dollars pour la licence multisite, les 100 développeurs californiens et 50 niçois auront migré vers Atria dès la mi-1996.

Internet est de la partie, notamment pour les relations avec les clients (sous protection d'un firewall) y compris pour le transfert de fichiers (ftp). Mais si Jean-Marc Bournazel avoue avoir "des suées froides avec le Net", c'est surtout en tant que responsable de l'offshore dans les pays de l'Est. Depuis deux ans en effet, une cinquantaine d'ingénieurs russes travaillent pour Compass à Moscou selon un principe de "joint development" déjà expérimenté lors de partenariats industriels européens (avec Philips par exemple) ou asiatiques (Japon, Taïwan, Corée). Dans ce cas, l'accès aux sources est limité et certaines duplications se font en sens unique. "On a commencé à Moscou avec des bandes magnétiques que je transportais", raconte le responsable. Aujourd'hui encore, pas de liaison spécialisée ou de lien dédié vers l'Est: l'offre est hors de prix. Reste donc le recours à Internet sécurisé autant que possible (accès limité, non anonyme et crypté).

INTER: Internet à fond ou succédané

Pour les SSII locales, autres entités prédisposées au "ftp" , la question se pose surtout (compte tenu de leur taille et de leur maîtrise technique du sujet) en termes de coûts. Marben Sud Est, PME de 30 personnes (CA: 20 MF), dépense 100 000 F par an en téléphone et fax, et environ 60 000 F pour profiter de la ligne Transpac de sa maison-mère servant également de "tuyau" (entre Nice et Lyon) pour la connection Internet établie via l'Inria. C'est ainsi qu'un de ses projets phares de 1995 -le portage de la plateforme Openview d'Hewlett Packard sur le processeur Alpha de Digital Equipment ("quatre années-homme bon poids", selon le directeur de l'agence, Jean-Marc Djian), réalisé pour le compte d'Alcatel Suisse équipant les PTT de la Confédération- s'est déroulé avec un minimum de déplacements. Non que les experts américains d'HP ou les clients suisses aient boudé le plaisir de visiter leurs collègues sur la Riviera, et réciproquement, mais du fait du courrier électronique et des ftp qui les suppléent.

"Avec le décalage horaire, c'est même un outil vital pour nos échanges avec le fournisseur américain, de même quà l'égard du client à qui l'on peut aussi bien livrer un exécutable d'un megaoctet ou répondre à une question technique dans l'heure", apprécie Jean-Marc Djian, soulignant cependant la maîtrise des utilitaires Unix que cela suppose: "chaque correspondant a ses contraintes". Même topo pour d'autres projets en cours, tout aussi internationaux (telle la participation avec une dizaine de sociétés européennes au projet ACTS visant à préparer les outils d'une administration de réseaux multiopérateurs multidomaines). Et même s'il s'agit de travaux n'impliquant pas de déplacement (tel le programme de test du nouveau contrôleur de communication que l'établissement d'IBM La Gaude, voisin de Sophia Antipolis, a confié au couple Marben-SII constitué pour la circonstance), ce sont alors la souplesse et la réactivité des sous-traitants qui entrent en jeu. "Les tests se faisant sur place, les courriers électroniques entre IBM, Marben et SII sont surtout de nature bureautique, sachant que pour une ou deux pages, nous utilisons plutôt le fax", précise Jean-Marc Djian. Conséquence de cet usage intensif, il paraît intéressant pour son agence de se désolidariser du groupe (l'interconnexion des réseaux locaux subsistant) au profit d'un plein abonnement Internet.

La SSII Espri Concept (18 ingénieurs, CA: 8,5 MF), spécialiste des systèmes de gestion de données techniques (SGDT) multimédia, élude, pour l'instant, cette question du coût en se limitant au courrier électronique Internet (500 F d'abonnement, plus 1000 à 1500 F par mois de facture téléphone). Pas de X25, le réseau commuté suffit. Ce qui n'empêche pas de nourrir les serveurs des clients, EdF, Aerospatiale, CNES ou ESA, aussi bien de fichiers ASCII ( moins de 64 kbits) que d'ensembles complexes de données (découpés, compressés, ordonnés et recomposés à la réception, grâce à des utilitaires du domaine public). Et ce, en toute sécurité, les boîtes à lettre servant de sas, mais avec l'inconvénient de l'asynchrone. De plus, le pli est pris de fournir la documentation en pages HTML. Deux ans avant, il est vrai, ces ingénieurs avaient eu l'occasion de goûter à l'usage sans restriction d'Internet lorsque leur société était hébergée par le Centre de communication avancée (Cica) de Sophia Antipolis fonctionnant à l'époque sur le mode de pépinière d'entreprises (avec l'accès à Renater inclus dans le loyer). Ayant déménagé et en attendant des tarifs plus accessibles, l'équipe ne perd pas la main, prépare des serveurs Web pour ses clients et peaufine les pratiques de collaboration à distance sur réseau à 34 megabits (ATM Pilot) avec Aerospatiale Satellites et son homologue italien Alenia Spazia.

SIGNATURE:Anne-Marie Rouzeré

ENCADRE: Effet vitrine

Groupware et accès à distance pour le personnel nomade, visioconférence, serveur Web et usage intensif d'Internet, sans oublier l'interconnexion et l'administration de réseaux, la messagerie X400 et l'EDI avec fournisseurs et sous-traitants... les responsables de l'informatique-maison des filiales de Digital Equipment, Bay Networks, Shiva, et autres majors en matière d'équipement réseau installés à Sophia Antipolis, jouent de tous les outils par "devoir d'excellence" (dixit le DI de Bay Networks, Guy Balaguer) avec, en plus, l'obligation de mettre en valeur les solutions-maison. La situation de tête de pont technique (R&D) européenne les y incite, tout comme les aide l'infrastructure du parc. "RNIS, Frame Relay ou ATM? le critère décisif reste le coût. Question accès à la boucle locale, Sophia est bien dotée", résume ce dernier. France Telecom, aussi, mise sur l'effet vitrine.