PREMIER MINISTRE

Commission générale de terminologie et de néologie

Recommandation à propos de l'usage du préfixe "e-" et de ses équivalents possibles en français.

On constate actuellement un usage croissant du préfixe "e-" (pour "électronique"), calqué sur l'anglais (d'où une graphie fluctuante, de e- à i-, en passant é-), pour désigner des activités fondées sur l'utilisation des réseaux informatiques et de télécommunication.

Au delà d'un phénomène de mode, qui affecte plus particulièrement le monde médiatique et économique ("e-commerce", "e-business", "e-book"), et jusqu'à l'administration ("e-administration, "e-ministère"), ce préfixe tend à se répandre dans l'usage français.

On peut supposer qu'avec la généralisation des techniques d'information et de communication, et donc du passage systématique des échanges de toute nature par la voie électronique, il deviendra, dans un avenir proche, inutile de préciser les voies empruntées, et que "e-" ou ses équivalents ("cyber", "télé"), n'auront plus de véritable raison d'être.

Cependant, étant donné la fréquence d'utilisation du préfixe "e-" dans la presse, les médias et même les documents à caractère administratif, il apparaît nécessaire de rappeler l'exigence de clarté et d'orienter l'usage vers plus de cohérence, sans toutefois chercher l'uniformité à tout prix, sans vouloir imposer une solution unique.

Après examen des diverses possibilités évoquées, la commission générale de terminologie et de néologie estime devoir porter à la connaissance du public les remarques et recommandations suivantes :

Il n'existe pas de solution uniforme pour donner un équivalent adéquat dans chacun des cas où l'on rencontre "e-". Il convient donc d'apporter une solution, sinon au cas par cas, du moins catégorie par catégorie.

* Certaines des solutions rencontrées sont à déconseiller :

- "e-" est un néologisme hybride entre lettre, mot et concept, porteur de difficultés de tous ordres. S'il est aisément employé en anglais, notamment pour des raisons phonétiques (voyelle longue et accentuée), il est difficilement identifiable en français. De plus la signification en est confuse et fluctuante, puisqu'il s'emploie pour désigner indifféremment tout ce qui est lié aux techniques de l'information et de la communication : technique, procédure, missions ou organismes.

Malgré leur facilité d'emploi, le préfixe "e-", et a fortiori les suffixe "", sont donc à écarter dans tous les cas pour les risques de confusion liés aux incertitudes de prononciation et surtout de sens qu'ils recèlent.

- L'idée a également été évoquée de créer une abréviation "el", proposée au motif de sa brièveté et de sa facilité d'utilisation, et a employer, selon les cas, comme préfixe ou comme suffixe. Ce néologisme, qui ne s'inscrit pas plus dans la logique de la langue que le préfixe "e-", ne peut être retenu, notamment parce qu'il serait difficile à utiliser oralement. (On ne pourrait dire ni "commercel" ni "le el-commerce", par exemple).

* Le préfixe "cyber" entré dans l'usage dans quelques cas (ex : "cybercafé"), mais qui apparaît périodiquement ("cybercriminalité") est peu satisfaisant sur le plan étymologique, ainsi que le précisait dès 1959 l'Académie des sciences : "L'emploi du terme "cybernétique" doit être limité à la science des mécanismes, régulateurs et servomécanismes, tandis que "télétechnique" comprendrait tout ce qui relève de la "technique des télécommunications et de la théorie de l'information". Il peut cependant se révéler utile dans certains cas, ne serait-ce que pour son caractère concret et évocateur. Il convient donc de le conserver lorsqu'il s'est imposé dans l'usage, et, sans s'en interdire l'emploi, de garder à l'esprit que d'autres choix peuvent être préférables.

* En effet, il semble opportun de recommander l'utilisation de certains préfixes déjà couramment utilisés.

- Le préfixe "télé", d'usage très fréquent, s'emploie sans difficulté, comme en témoigne les nombreux néologismes tout à fait bienvenus auxquels il a donné lieu ("téléassurance", "télécharger", "téléadministration"). Il convient donc de le privilégier à chaque fois que c'est possible sans créer d'ambiguïté, notamment avec des notions relevant strictement du domaine de la télévision.

- La formule "en ligne", préconisée par la commission générale dans le cas du programme européen "Apprendre en ligne" (pour "e-learning"), peut s'avérer la meilleure solution dans un certain nombre de cas et permettre d'éviter toute ambiguïté (On peut ainsi distinguer "téléapprentissage" et "apprentissage en ligne" qui correspondent à deux notions différentes).

On peut donc admettre la co-existence de "télé" et "en ligne" et opter entre ces deux possibilités en fonction des concepts à exprimer.

Par ailleurs, il convient de traiter séparément le cas particulier de "e-mail".

L'adjectif "électronique" a été retenu par la commission générale pour les termes "message électronique" et "adresse électronique" (J.O. du 2 décembre 1997), de même qu'il est utilisé dans le domaine économique, notamment pour "commerce électronique".

L'emploi de l'adjectif "électronique" n'est pas à remettre en cause, de même que celui de "numérique", ou "télématique", plus rare, pour créer, dans une forme développée, des termes relatifs au concept exprimé par le préfixe "e-".

Toutefois, force est de constater que pour le courrier électronique, l'usage de "courriel", retenu officiellement au Québec, se répand en France. L'abréviation "Mél.", recommandée par la commission générale comme symbole pour annoncer l'adresse électronique au même titre que "Tél." pour le téléphone, s'est aussi répandue dans l'usage et se maintient, surtout du fait de sa proximité phonétique avec l'anglais "mail" qui reste le plus couramment employé, avec une prononciation qui tend à se franciser en [ εl ] comme dans "aile".

La commission générale a décidé de tenir compte de l'évolution de l'usage e de procéder à un nouvel examen de "courrier électronique".

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Attentive à l'évolution de l'usage et soucieuse que les néologismes ne s'écartent pas du génie de la langue, la commission générale de terminologie et de néologie souhaite que ces recommandations soient diffuses largement et prises en compte notamment par les services de l'Etat.

Gabriel de Broglie, de l'Académie française
le 13 mars 2002.