Laboratoire informatique théorique et programmation (Université Paris VI)
DV expose les premiers résultats d'une recherche qui aborde l'informatique
à travers l'analyse du statut qu'elle assigne à l'écriture
: tout ce qui intervient en informatique est - ou est destiné à
être - rapport entre écritures :
- l'abstraction intervient en informatique en tant que technique pour penser
le rapport entre écritures,
- la technologie intervient en informatique en tant que technique pour réaliser
des rapports entre écritures,
- le réel n'intervient que réduit à des rapports entre
écritures.
L'informatique semble s'inscrire dans le prolongement de l'ensemble des sciences où le rôle de l'écriture n'a cessé de croître, elle se développe cependant en rupture avec cette évolution, puisqu'à l'inverse de la conception classique (où l'écriture est un instrument passif dont le sujet se sert pour accéder aux êtres d'un univers abstrait et au réel d'un univers hors d'atteinte) l'informatique regarde l'écriture comme un champ qu'un savoir s'assigne de constituer dans le mouvement même de son exploration : les rapports entre écritures sont les objets de ce savoir et les écritures en sont la représentation (incomplète).
Ce renversement du schéma classique induit une situation méthodique
singulière où le champ de l'écriture occupe toutes les
positions à la fois :
- champ où les objets du savoir sont déterminés (comme
rapports entre écritures),
- champ où les représentations de ces objets ont lieu (représentations
d'un rapport entre écritures par l'écriture),
- champ où le sujet représente son savoir concernant les objets
(la représentation du savoir par l'écriture).
Il s'ensuit plusieurs conséquences.
- L'informatique est introuvable dans le schéma classique où d'une part les écritures ne sont que des instruments donnant accès à des êtres abstraits et à des objets réels, et où d'autre part les rapports entre écritures concrètes sont inaccessibles en tant que tels, puisqu'ils ne sont ni des phénomènes physiques ni des êtres mathématiques.
- Le fait de chercher à produire un savoir concernant l'écriture en se servant de l'écriture provoque un bouclage paradoxal qui requiert une méthode permettant d'approcher un objet de même nature que l'appareil méthodologique employé. Si le schéma classique a pu prendre en compte l'existence d'interactions inéliminables entre observé et appareil d'observation (en physique, p. ex.), la seconde conséquence porte ce type de problématique au niveau méthodologique lui-même.
- L'écriture ne peut pas être conçue comme un instrument passif et adéquat : elle n'est ni neutre ni transparente.
- C'est l'acte de connaissance lui-même qui contribue à déterminer l'objet de la connaissance : la présence d'une interaction inéliminable entre l'objet de la connaissance et l'appareil méthodologique employé par le sujet rend impossible la séparation entre l'un et l'autre.
La méthode dont nous avons besoin ne peut donc pas être une mathesis,
ni une physis au sens classique. Notre recherche s'assigne trois objectifs :
- reconsidérer, d'une point de vue méthodologique fondamental,
les modalités de l'interaction entre le sujet et l'écriture dans
le processus d'élaboration et de représentation du savoir (en
informatique),
- contribuer à préciser rigoureusement les articulations entre
l'informatique d'une part, les mathématiques et les sciences de la nature
(au sens large, y compris les sciences cognitives) d'autre part,
- contribuer à établir les principes, lois et concepts fondamentaux
à partir desquels il soit possible, avec toute la rigueur souhaitable,
d'expliquer, d'analyser et développer des objets proprement informatiques.
Compte-rendu rédigé par D. Vaudène